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Qu'il était Jean Decoux, vice-amiral d'escadre, un de ces grands mainteneurs dont la France sous tous ses régimes a toujours eu besoin pour balancer l'anarchie et les Frondes glorieuses, pour durer ! Le sentiment du devoir accompli le possédait ... Son visage pourtant se fermait, et une tristesse apparut dans son regard. Mais ce n'était pas sur lui-même qu'il s'affligeait : les grandes pertes de substance de sang et de temps qu'il voyait se faire dans la patrie lui étaient plus insupportables que l'ingratitude dont il était la victime. Mais l'histoire a vite, et son long sourire ironique à l'imposture fait sa leçon. La vie comble les vides, la concorde elle-même peut renaître. "
L'Indochine française a franchi, de 1940 à 1945, la période la plus difficile et la plus tragique de son histoire. Selon ses propres termes, l'Amiral Decoux a maintenu, afin de pouvoir rendre à la France une Indochine intacte. II aurait fallu que certaines erreurs fussent évitées. En particulier le mal découlait du coup de force du 9 mars 1945, qui avait créé une interruption dans la souveraineté française. Pour l'Amiral Decoux, cette catastrophe aurait été conjurée si ses conseils de prudence avaient été écoutés. Le 9 mars 1945, rien n'était irrémédiablement perdu, puisque trois semaines après se produisait le débarquement américain à Okinawa qui marquait bien la défaite virtuelle mais définitive du Japon.
"J'ai maintenu", tels avaient été les propres termes de l'Amiral Decoux. Malgré le coup de force du 9 mars 1945 et la période d'anarchie qui s'ensuivit, il n'empêche que son œuvre "A la barre de l'Indochine" n'avait pas été vaine. Les réformes du Gouvernement général entre 1940 et 1945 avaient pu corriger certains errements des administrations antérieures. L'Amiral avait su préserver le prestige de la France et rehausser les autorités traditionnelles du pays, les souverains. L'Amiral Decoux avait reçu, le 23 juillet 1943, la dignité de Prince protecteur de l'Empire d'Annam. Il faut citer des extraits de la lettre adressée par le Roi Norodom Sihanouk à l'Amiral Decoux, encore interné au Val de Grâce et datée de Paris, le 20 juin 1946.(18) : "Amiral, Je suis très heureux de pouvoir aujourd'hui vous présenter, par l'intermédiaire de M. de Boysson, mes salutations affectueuses.
Depuis notre séparation, je n'ai jamais cessé de penser à vous et de m'inquiéter de votre santé. Et c'est avec la plus grande tristesse que j'ai appris, à Paris, que vous étiez souffrant. De tout mon cœur, je forme des vœux pour votre prompt rétablissement.
J'ai eu la satisfaction de recevoir dernièrement votre avocat. Dans une lettre qui lui sera adressée, je dirai avec quelle abnégation vous avez, en Indochine, servi les intérêts supérieurs de la France et avec quelle noblesse de cœur vous avez assuré, pendant quatre ans, la protection des peuples indochinois contre l'ennemi.Je suis certain que justice vous sera rendue et que la France vous considérera comme l'un des meilleurs parmi ses fils.
Je vous demande de croire, Amiral, votre toujours fidèle et affectionné Sihanouk".
Mis en liberté provisoire en 1947, l'Amiral Decoux bénéficia d'un non lieu en 1949.
II m'a été donné, alors jeune lycéen, de l'entendre à Alger, le 8 janvier 1954. L'Amiral devait dresser un tableau plein de lucidité et dénué de toute complaisance. C'était quelques mois avant Dien Bien Phu, et quelques années après le redressement remarquable du général de Lattre de Tassigny, mais qui fut compromis dans les années suivantes. De Lattre avait reçu l'Amiral Decoux et l'un de ses prédécesseurs l'ancien Gouverneur général Robin et il s'était entouré d'anciens collaborateurs de l'Amiral, le Gouverneur Gautier et Michel Aurillac. Quel contraste avec l'incompétence et le sectarisme de l'administration mise en place en 1945 par le pouvoir gaulliste !
L'Amiral Decoux est mort le 20 octobre 1963. "J'ai maintenu" tel est son témoignage pour l'Histoire.
Pierre GOURINARD
16) M. Martin du Gard La carte impériale p.459
(17) Amiral Decoux op. cit. p. 283 à 285.
(18) Lettre reproduite dans A la barre de l'Indochine , Amiral Decoux, op. cit. p. 417 |
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