DJIDJELLI - Les Evénements du 8 Mai 1945

 

Le 8 Mai 1945, le Maire de Djidjelli organisa un grand défilé, pour fêter la victoire de nos Armées et des Alliés, sur l'Allemagne Hitlérienne.

Les membres du Conseil Municipal y participaient, ainsi que la Police et quelques militaires appartenant à la petite unité, la valeur d'une section, basée à Djidjelli au fort Duquesne. La majorité des participants était constituée d'anciens combattants de la guerre 1914/1918, dont la plus part appartenaient à la Défense Passive, constituée pendant les bombardements de Djidjelli à partir du 8 novembre 1942, jour du débarquement des troupes alliées dans notre région, bombardements qui durèrent jusqu'à la libération de la Sicile. Des mères et des enfants du primaire et du Cours complémentaire (futur Collège), accompagnés de leurs institutrices ou professeurs, leurs maris ou frères étant encore en métropole sous l'uniforme, s'étaient joints au défilé.

Il y avait également des scouts catholiques dont je faisais partie, j'avais alors 14 ans, ainsi que musulmans, qui venaient en fin de cortège.

Tous les participants s'étaient regroupés à l'entrée de la ville, à l'ouest, au début de l'avenue Vivonne et le défilé s'ébranla avec son porte drapeau en tête, en direction de la Mairie.

De mémoire, à peu près à mi-parcours, les scouts musulmans commencèrent à hurler des slogans hostiles à la France. Rapidement rejoints par d'autres coreligionnaires, ils sortirent leurs couteaux et d'autres armes et commencèrent à agresser la foule.

Des coups de feu furent tirés; ce fut alors la débandade, hommes et femmes désarmés ne pensant qu'à se mettre à l'abri. La ville fut rapidement en ébullition, mais avec du recul je me rends compte à présent que cette explosion n'était pas organisée et structurée, ce qui fut une chance pour la population.

Une réunion de crise fut organisée à la Mairie par le Maire, avec le Commissaire de Police et le Chef de section basé au Fort Duquesne.
Les quartiers musulmans étaient en pleine effervescence, probablement informés des événements de Sétif.

La décision fut prise de transférer toutes les familles européennes et les musulmans profrançais au Fort Duquesne, représentant le seul endroit défendable et pouvant résister à un assaut.

A ma connaissance, seule notre famille constituée de trois adultes et de moi-même, mon frère encore à l'hôpital Maillot à Alger, pour une énième opération nécessitée par ses blessures de guerre, resta barricadée dans l'immeuble FARRUGIA où nous résidions au 22, Rue de Picardie, notre mère atteinte du Typhus, donc contagieuse, étant intransportable.

Je me souviens que le Docteur CHABRIAT, au péril de sa vie, vint chez nous de nombreuses fois, afin de suivre l'évolution du traitement qu'il avait prescrit. Je sus d'ailleurs plus tard que ce médecin, ami de notre famille, n'hésita pas à aller dans les quartiers musulmans pour soigner ses patients.

Il se passa 8 à 10 jours pendant lesquels l'anarchie s'était installée, des bandes vociférant es traversaient les artères des quartiers européens.

Je soupçonne notre légumier, Monsieur BOURRAOUI, dont le magasin était installé dans notre immeuble, d'avoir participé à notre protection, car la barricade de l'entrée n'aurait pas pu résister à des individus déterminés.

Les premières unités de la Légion Etrangère arrivèrent vers le 15/18 Mai et les seules présences de leurs patrouilles constantes et musclées dans la ville, ont vite ramené le calme et le retour de la population dans leurs maisons.

On peut légitimement penser que les échos de leurs actions militaires dans le secteur de Sétif, très étendu et qui avait nécessité ce laps de temps, avaient dû parvenir à Djidjelli, ce qui facilita le retour à une vie à peu près normale, qui ne dura que 9 ans.

De 1954 à 1962, Djidjelli et surtout sa région fut un sanctuaire pour les fellaghas, en raison du terrain propice aux embuscades (forêt très dense de Chêne-liège). Je ne fus guère étonné par ces évènements de Mai 1945 dans notre ville, car nous percevions depuis 1944, une certaine animosité de la part d'une partie des élèves musulmans (familles Ben Yahia et Bourboune). Mohamed Ben Yahia, Docteur en Droit, devint d'ailleurs un des négociateurs importants à Evian et qui fut, durant l'ère Boumedienne, Ministre de l'Éducation Nationale, puis des Affaires Etrangères, décédé dans l'avion abattu au-dessus de la frontière Syro/Irakienne, pendant la guerre Irak-Iran.

Notre père fut volontairement discret sur le nombre de victimes de ces évènements à Djidjelli, en raison de l'état de santé critique de notre mère.

C'est la raison pour laquelle, je ne suis pas en mesure de fournir des chiffres précis sur le nombre de morts et/ou blessés, d'autant que mon père, alors Directeur de l'Agence Maritime Charles SCHIAFFINO et Cie de Djidjelli, fut nommé, peu de temps après, en Juillet 1945 à la Direction de celle de Bougie.

Je n'ai revu Djidjelli qu'en ... 1986, pour des raisons professionnelles!

Il serait intéressant de retrouver d'autres témoins de ces événements, demeurés à Djidjelli jusqu'en 1962.

En complément, Suzette GRANGER, née 1943 à Djidjelli relate dans ses deux ouvrages sur l'histoire de Djidjelli et sa région, sur ce qui s'est produit à Taher ce 8 Mai 1945, à savoir: Citation

« Une cérémonie officielle a lieu devant la Commune Mixte; le nouvel administrateur n'est pas en place, c'est Monsieur André MARTIN adjoint, qui la préside; les instituteurs sont là, avec les enfants des écoles. Les hommes du village sont tous rassemblés; les chefs traditionnels sont aussi présents, mais les montagnards sont descendus, armés de fourches, la tension est grande, l'angoisse palpable par tous... La gendarmerie a reçu un coup de téléphone, on sait que des drames ont éclaté à Sétif et dans la région... alors d'une voix fausse, Mr MARTIN entonne la Marseillaise, aussitôt reprise par les enfants et ma mère.

La tension baisse, le rassemblement se disperse, mais les hommes vont chercher leurs armes chez eux, et s'organisent en milice. Quant aux femmes et aux enfants, ils sont regroupés dans le fort de la gendarmerie, où ils passeront quelques nuits.

- Dans l'état civil d'OuedMarsa, Mr HENAFF m'a relevé trois actes: " Le 11 Mai 1945 vers une heure du matin est décédé aux Falaises lâchement assassiné par une bande de rebelles, PIRAS Giuseppe, 68 ans, époux de la survivante BARDESON Catherine.

- Le 11 Mai 1945 vers onze heures du matin est décédé à la maison forestière de Tamsout, douar Tagouba, lâchement assassiné par une bande de rebelles LAMBERT Marceau Charles, garde forestier, 48 ans de même que son épouse LUCAS Marie Gabrielle 44 ans".
Fin de citation

(Suzette GRANGER a relevé un article en date du 5 Juin 1945, dans le Dépêche de Constantine sur le martyr de Chevreul, mais je crois que ce sujet a été traité par Mr le Préfet BENMEBAREK.)

Jean Yves MONOT, né à Djidjelli le 8 Mars 1931, témoin de ces événements du 8 Mai 1945.

 
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