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Ma communion solennelle

26 mai 1955 à Saint Charles de l'Agha à Alger.

Si d'aventure quelqu'un devait lire ces feuillets, je le prie d'être indulgent pour les fautes d'orthographes ou de syntaxe. Car tout ceci a été écrit sur un cahier d'école, non pas pour être un exercice de style mais bien plutôt pour épancher le trop plein de mon cœur.
Lire avec la clémence et les yeux du cœur, voilà tout ce qui me semble nécessaire pour accomplir ce voyage, et j'invite tous mes lecteurs à en user largement. MERCI.
Je me réveille tôt le matin complètement excité, c'est un grand jour !
Je me précipite à la fenêtre, quelle chance ! Même le soleil est de la fête !
Maman est là, s'affairant pour l'occasion.
Elle a acheté de jolis petits bols de porcelaine rose et bleue qu'elle dispose harmonieusement sur la table de la salle à manger, avec, tout autour, des croissants et des brioches, pour faire déjeuner la famille après la messe.
Sur le buffet, Maman remplit de jolies coupes pleines de dragées. Glaïeuls et beaux lys blancs s'épanouissent dans la belle vasque de cristal, ce qui est du plus bel effet.


Alger 26 mai 1955 Saint Charles de l'Agha .
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Mais ma joie s'amenuise, l'heure avançant, car Papa n'arrive pas. Enfin mettant fin à l'angoisse, Papa débarque prétextant un retard. Ouf ! Il ne m'a pas laissée tomber.
Maman me prépare en toute hâte, m'habillant en quelques minutes de la jolie robe blanche, du bonnet prêté gentiment par mon amie Claude, et du voile brodé par la famille Müller, parents de mon amie Babette. Et me voici parée comme une mariée.
Maman est ravissante dans un tailleur clair avec son renard argenté sur les épaules et son mignon petit chapeau sur sa chevelure brune.
Comme tu étais jolie ! Comme j'étais fière !
Mon beau Polo dans son premier costume en culotte courte se tient raide comme un cierge de Pâques, il fait la moue et tire son nœud papillon.
- Tu es beau comme un sou neuf, dit Maman ! .
Pour illustrer la communion écoutez la communion du Ptit........
Communion de Jacques Bedos
L'intéressé ne partage pas cette opinion. Il a horreur des habits neufs, et du haut de ses six ans, les cheveux coupés en brosse très courte, complètement édenté sur le devant et avec encore un petit bout de cheveux sur la langue, il déclare :
- Z'ai chaud, ça pique, ça gratte, ze veux pas aller avec Lolane.
Le temps presse, nous voilà à l'école d'où doit partir la procession pour aller à l'église saint Charles. Mitraillées par les appareils photos de nos parents, nous nous mettons en rang deux par deux de la plus petite à la plus grande et le cortège démarre.
Radieuses, cierges à la main nous rentrons enfin dans la nef en chantant accompagnées des grandes orgues. Nous nous plaçons dans le chœur, côté filles, et toutes nos familles s'installent derrière.
Comme je suis heureuse en ce jour béni ! Tous les miens sont là : Papa, Marraine, Mamy, Jeannot...
Et Grand-père ?
Ce jour là il faisait office de chef cuisinier et nous attendait de pied ferme à Alger Plage où le repas de famille devait avoir lieu.
Il s'y était pris deux jours à l'avance étant seul pour tout faire, de l'entrée au dessert.
Quel festin mes aïeux !
Lorsque nous sommes arrivés, la grande table avec ses deux rallonges était dressée pour 25 couverts dans la cour sous le figuier, et les fleurs débordaient de partout. Que c'était beau !
Il y eut d'abord la distribution des cadeaux. Tante Jeanne m'offrit une chevalière en or avec mes initiales, Marraine et Mamy des objets pieux, ma chère Maman une belle médaille de la vierge et Papa un stylo plaqué or : enfin j'étais comblée !
Après la séance "photo souvenir" prise au fond du jardin, nous sommes passés à table.
J'entends encore Papa me glisser à l'oreille :
- Hé bien ma chérie que de fleurs, je t'en souhaite autant pour ton mariage ! Ce qui fut loin du compte...
Il y avait Tonton Jo, le pharmacien, du "beau monde" du côté paternel et mes cousins du côté de Pépé. Cela faisait un petit panaché d'admirateurs, peu fait pour me déplaire.
Ce jour là, Papa m'apprit à manger les asperges avec une fourchette, s'il vous plaît ! Principe selon lequel il fallait déguster uniquement l'extrémité du légume, du bout des dents. A ces manières quelque peu précieuses, je leur préférais celles de Pépé qui consistaient à utiliser ses doigts pour en engloutir le plus possible.
- C'est cher les asperges, quel gâchis !
Puis vinrent les poissons : 2ème leçon de savoir-vivre ou l'art de décortiquer un poisson.
C'était vraiment ma fête... Avec ma Claude en face de moi nous nous regardions et pouffions souvent de rire. Enfin avec la jardinière de légumes tout se passa relativement bien. La bienséance ne nécessitant pas de décortiquer les petits pois et les carottes avec la pointe d'un couteau, nous les mâchâmes tout simplement.
Fromage, fruits, vacherin se succédèrent dans la joie, puis ce fut le tour du champagne, accompagné de la traditionnelle Pièce montée. Très attendue, elle fut bien plus que la surprise du chef. Elle s'avéra une véritable surprise tout court !
Pauvre Grand-père ! Il prit un air contrit et navré, à cet instant crucial du repas. Ayant tout fait seul, il avait même voulu construire cet édifice fait de petits choux bourrés de crème cuite et rattachés entre eux par des fils de caramel doré.
Au dernier moment il ne put la faire tenir et dut marquer sur les menus : "Pièce démontée"
Nous avons bien ri et ça n'a rien enlevé au goût, mais c'est resté dans les annales.
Entourée et gâtée de tous les miens, cette journée fut magnifique, assombrie seulement par le départ de Papa... pour la caserne Pelissier, un de ces départs auxquels je ne me suis jamais faite.
Dehors sous le figuier les invités jouaient à la morra dans de grands éclats de rire, c'était le bon temps.

La morra

Ecoute directe de la morra ..
. MORRA FORMAT REAL AUDIO
Pour tous ces jeux, l'économie des moyens est remarquable. Pour la morra, les deux mains suffisent. Deux gosses face à face ouvrent en même temps leurs poings avec un, deux, trois, quatre ou cinq doigts tendus et annoncent très fort leur chiffre : pigeon (deux),trikétramblo (trois), quatro (quatre), tchiquenta (cinq), six-six (six), setti (sept), iotto (huit), novi (neuf), ou totalarga (dix), . Celui qui a prononcé le chiffre correspondant au total additionné des doigts levés crie Marqua! Il a gagné.