La séance, suspendue à 18
heures 5, est reprise à 18 heures 20.
M. Michel Diefenbacher - Ils étaient des
pionniers. Partis les mains nues, arrivés dans un monde souvent
hostile, confrontés à une nature rebelle, ceux qu'on
appelait les colons avaient au fond des yeux le rêve d'une
vie nouvelle et d'un empire sans frontières. Leur arme était
le courage, leur force la persévérance, leur passion,
la volonté de servir et de construire.
Ils étaient des bâtisseurs. C'est de leurs mains qu'ils
ont fait fructifier les terres, construit des villes, des dispensaires,
des hôpitaux et des écoles, tracé des routes
et des voies de chemin de fer, donnant aux populations une protection
sanitaire qu'elles n'avaient jamais connue et aux territoires une
prospérité qu'ils n'ont jamais retrouvée.
Ils étaient des patriotes. Et souvent des soldats. Toutes
origines confondues, ils ont donné à l'armée
française ces unités d'élite que sont les zouaves,
les fantassins et les tirailleurs d'Afrique, et tant d'autres qui
ont servi et honoré le drapeau, sur tous les champs de bataille
de l'Europe et du monde. N'oublions pas que tous ces combattants
ont participé à la libération de la France,
qu'ils ont contribué à lui rendre sa liberté
et son honneur, dans la lutte sans merci menée avec les alliés
contre l'envahisseur nazi.
Les Français d'outre-mer ont édifié des sociétés
infiniment plus complexes et plus riches que celles que l'on décrit
parfois. Il n'y avait pas d'un côté les Français
et de l'autre les autochtones, les premiers monopolisant l'avoir,
le savoir et le pouvoir, les autres étant maintenus dans
la misère, l'ignorance et la dépendance. En Afrique
du Nord, Andalous et Siciliens, Napolitains et Maltais formaient
avec les Arabes et les Berbères, avec les réfugiés
d'Alsace-Moselle et les descendants des insurgés de la Commune
de Paris, une société originale et diverse, où
l'on voyait émerger une intelligentsia brillante et critique,
attachante et contestataire, bref une intelligentsia profondément
méditerranéenne et profondément française.
Bien sûr, cette oeuvre en plein devenir était loin
d'être parfaite. Bien sûr, beaucoup d'erreurs ont été
faites. Si les richesses augmentaient, si le savoir se diffusait,
si les endémies reculaient, l'intégration sociale
piétinait. La diffusion du savoir et l'amélioration
du niveau de vie ne pouvaient que rendre cette situation chaque
jour plus inacceptable. A cette époque comme aujourd'hui,
il y avait ici et là-bas les forces du progrès et
celle du conservatisme, et elles transcendaient largement les clivages
ethniques et religieux.
Malgré les réticences que l'on sait, une dynamique
sociale était pourtant engagée. Trop tard cependant
pour empêcher le rêve de l'émancipation de se
former et le grand vent de l'histoire de se lever. Ce vent a emporté
les hommes, et, avec eux, leurs oeuvres et leurs espoirs. Et comme
son seul souffle n'était sans doute pas assez fort pour effacer
leurs traces, d'autres hommes s'y sont employés. Là-bas,
on a profané des tombes, saccagé des monuments aux
morts... Ici, de beaux esprits ont voulu faire croire à nos
enfants que ce rêve de grandeur était oeuvre de honte.
Au nom du marxisme et du tiers-mondisme, certains ont sali ce qui
méritait le respect.
Cependant, dans le silence et la résignation, les pionniers,
les bâtisseurs, les patriotes sont devenus des « rapatriés
». Ils ont essayé d'oublier leur passé, parfois
de cacher leurs origines pour mieux se fondre dans cette France
qu'ils découvraient bien différente de celle qu'ils
avaient rêvée. Aussi longtemps que ces affronts ne
seront pas lavés, nul effort de solidarité nationale
ne pourra être jugé comme suffisant.
C'est animé de cette conviction que j'ai conduit l'étude
que m'avait confiée Jean-Pierre Raffarin et dont j'ai rendu
les conclusions en septembre dernier. Je ne reviens pas sur les
trente et une propositions qu'elle contient, pour mieux rappeler
les trois priorités que j'ai dégagées : reconnaître,
réparer, intégrer.
Reconnaître, c'est d'abord prendre la mesure de l'oeuvre accomplie,
et dire solennellement que nous pouvons être fiers de l'action
de ces agriculteurs, entrepreneurs, artisans, enseignants, médecins,
prêtres... et de tous ceux qui ont voulu édifier une
société plus juste et une économie plus prospère.
Bien entendu, cette entreprise a eu ses défaillances et nous
la conduirions différemment aujourd'hui. Gardons-nous cependant
de tout jugement simpliste. Soyons assez modestes pour replacer
cette aventure dans son contexte et pour nous demander comment seront
jugées demain les politiques que nous conduisons aujourd'hui
avec les meilleures intentions !
Reconnaître, c'est aussi mesurer les souffrances nées
de la guerre, de l'indépendance et du retour. Souffrance
des 60 à 80 000 harkis - peut-être plus - torturés,
massacrés avec la dernière barbarie. Souffrance de
tous les autres rapatriés, venus d'Indochine, d'Algérie,
du Maroc, de Tunisie et d'ailleurs : privés de leurs racines,
ils peinent encore parfois à trouver leur place dans la société
française. Souffrance, encore, de nos soldats morts pour
la France. Souffrance, encore et toujours, du million de rapatriés
d'Algérie d'origine européenne, pour qui le cessez-le-feu
du 19 mars 1962, loin d'être une étape vers la réconciliation,
fut le début d'un long calvaire. Souffrance, enfin, de tous
ceux qui ont dû quitter leur pays et, plus encore, des victimes
des événements les plus tragiques - fusillade de la
rue d'Isly, massacres d'Oran, enlèvements, disparitions...
Reconnaître, c'est enfin faire la lumière sur toutes
ces tragédies. Dénonçant un crime d'Etat, certains
croient juste d'évoquer la responsabilité de la nation,
de l'Etat ou des gouvernants eux-mêmes. Lorsqu'une telle attitude
appartient à ceux qui ont le plus souffert, on peut essayer
de la comprendre, car elle traduit la quête d'un deuil jamais
accompli. Mais lorsqu'elle est le fait de ceux qui ont tout fait
pour attiser la haine et pour fragiliser notre armée, elle
ne peut que nous choquer profondément. Je suggère
qu'avec le Haut conseil des rapatriés, l'on confie à
des sages le soin de rechercher dans les archives et dans les témoignages
ce qui pourrait enfin aider les familles à surmonter leur
douleur.
Réparer, c'est d'abord faire un nouveau geste en direction
des harkis et de leurs veuves. Tout doit être fait pour leur
donner la place qu'ils méritent dans notre société.
Assurément, la loi de 1987 - adoptée à l'initiative
du gouvernement Chirac -, la loi Romani de 1994 et la décision
de Jean-Pierre Raffarin de perpétuer la journée nationale
d'hommage du 25 septembre vont dans ce sens. Mais il importe de
faire aujourd'hui un ultime geste, pour que chaque famille harkie
puisse être propriétaire de son toit et assurée
de vivre dans la dignité, à laquelle ont droit ceux
qui ont si courageusement et si douloureusement servi la France.
Réparer, c'est aussi en finir avec l'endettement des rapatriés
; régler définitivement les derniers dossiers de retraite,
notamment ceux des salariés, des médecins, des cadres
et des anciens exilés ; faire disparaître les iniquités
résultant de l'application de l'article 46 de la loi de 1970.
Je ne reviens pas sur les mesures détaillées dans
mon rapport. Elles sont attendues de nos compatriotes rapatriés.
Nous n'avons pas le droit de les décevoir. Réparer,
c'est enfin permettre aux témoins d'apporter leur concours,
aux côtés des historiens, au projet de mémorial
de l'oeuvre de la France d'outre-mer, lancé par la ville
de Marseille et désormais porté aussi par l'Etat.
Intégrer, c'est donner toutes leurs chances aux enfants de
rapatriés, en particulier aux enfants de harkis, encore frappés
par un taux de chômage anormalement élevé. Là
comme ailleurs, je ne crois pas aux vertus de l'assistance, mais
bien plutôt à celles de la formation, de l'incitation
et de l'accompagnement. Alors que la reprise économique se
profile, que de nombreux secteurs manquent de main-d'oeuvre, que
la volonté d'insertion des jeunes harkis n'a jamais été
aussi forte, que les exemples d'intégration réussie
se multiplient, nous devons réussir à mettre un terme
aux odieuses discriminations à l'embauche, mobiliser tous
nos moyens pour donner sa chance à chacun de ces jeunes,
l'accompagner vers le travail et lui rendre sa dignité.
Vous avez annoncé, Monsieur le secrétaire d'Etat,
que le Gouvernement déposerait un projet de loi parachevant
les dispositifs précédents, non pour « tourner
la page » ou « clore le dossier », mais au contraire
pour assumer pleinement devant les générations futures
un héritage dont nous avons tout lieu d'être fiers.
Ce texte consacrerait le lien profond, indissoluble et sacré
qui doit exister entre la solidarité de la nation, la fidélité
à l'histoire et le respect des hommes (Applaudissements sur
les bancs du groupe UMP).
M. Philippe Douste-Blazy - Je tiens tout d'abord
à remercier M. Diefenbacher pour son excellent rapport et
pour les mots qu'il vient d'avoir à cette tribune.
La plaie liée à la guerre d'Algérie est restée
trop longtemps ouverte. Après tant d'années passées
à occulter ce conflit, il convient aujourd'hui de faire valoir
un droit à l'indemnisation et à la juste réparation.
Nous n'avons que trop attendu ! Si la restitution aux rapatriés
des sommes prélevées au titre de l'article 46 de la
loi de 1970, comme cela est préconisé, va dans le
bon sens, il faut fixer un calendrier précis pour l'application
de cette mesure. Dans cette attente, il faut suspendre les mises
aux enchères des toits familiaux, engagées sur demande
de l'administration fiscale, dans la mesure où l'Etat doit
toujours de l'argent à nos concitoyens rapatriés.
Il faut également faire droit à la demande des médecins
rapatriés qui souhaitent racheter leurs annuités à
la valeur du point au moment de leur retraite, compte tenu de leur
situation particulière.
Il faut enfin prendre des mesures spécifiques et adaptées
pour sortir de la grande précarité la centaine de
familles que le conflit y a placées, sans que jamais elles
puissent s'en tirer elles-mêmes.
A nos concitoyens harkis, nous devons une attention toute particulière,
ainsi qu'à leurs enfants, qui ont particulièrement
souffert de leurs conditions d'arrivée sur le sol national.
Les harkis devraient bénéficier à la fois du
doublement de l'allocation de reconnaissance et d'une mesure mixte,
associant majoration de la rente et attribution d'un nouveau capital,
comme le propose d'ailleurs M. Diefenbacher dans son rapport. L'effet
de cette mesure sur les finances publiques pourrait être atténué
par un étalement sur plusieurs années. Ainsi pourrait-on
faire bénéficier de ce traitement les personnes âgées
de plus de 70 ans la première année, puis celles âgées
de plus de 65 ans la deuxième, puis les autres à partir
de la troisième année. Ces mesures doivent s'appliquer
également aux ayants droit. Les enfants de harkis doivent
bénéficier de mesures particulières d'accompagnement
en matière d'éducation et de formation puisqu'ils
n'ont pu aller à l'école de la République.
De manière générale, nous devons accepter le
principe d'un traitement particulier au bénéfice de
cette génération, hélas, sacrifiée.
Au-delà de ces aspects matériels, il faut garantir
le nécessaire, et trop longtemps occulté, devoir de
mémoire. Cela passe bien entendu par une meilleure connaissance
de cette période, et par une réflexion sur la façon
dont elle doit être enseignée à nos enfants,
qui en ignorent tout. Pour mieux comprendre notre passé,
mieux gérer le présent et préparer l'avenir,
nous devons reconnaître avec lucidité les drames auxquels
a conduit ce conflit et les responsabilités en cause. Ce
serait un pas vers la dignité, la vérité et
l'apaisement.
Ne pas évoquer l'oeuvre de nos concitoyens en Algérie
serait une erreur historique, de même que ce serait une faute
grave de ne pas rendre hommage ni exprimer notre gratitude aux soldats
et aux harkis qui ont payé un lourd tribut. C'est pourquoi
je suis tout à fait favorable à la création,
au sein du ministère de l'éducation nationale, d'un
groupe de réflexion sur la place réservée à
l'oeuvre de la France outre-mer dans les manuels scolaires. Pour
en garantir l'objectivité, devraient y être associés
un ou plusieurs représentants des associations de rapatriés
des trois pays du Maghreb.
Il est temps de mettre un terme à l'errance, trop souvent
réservée aux rapatriés. Parce qu'il est du
devoir de la France de se préoccuper du sort de tous ses
citoyens et de tous ceux qui ont payé de leur vie pour la
défendre, il est temps de porter cette question devant la
représentation nationale et d'y apporter une réponse
juste et définitive (Applaudissements sur les bancs du groupe
UMP).
M. Jean Leonetti - Plus de quarante ans après
la fin de la guerre d'Algérie, les plaies ne sont pas complètement
cicatrisées chez ceux qui ont vécu ce drame. Certains
ont été blessés dans leur chair, d'autres ont
perdu un parent ou un ami, la plupart ont dû quitter leur
terre natale et leurs morts. Tous conservent dans leur mémoire
l'horreur d'une guerre qui a tardé à dire son nom.
Aucun n'a oublié.
Entre la fin de la conquête et la guerre d'indépendance,
la République française avait apporté sur la
terre d'Algérie son savoir-faire scientifique, technique
et administratif, sa culture et sa langue, et beaucoup d'hommes
et de femmes, souvent de condition modeste, venus de toute l'Europe
et de toutes confessions, ont fondé des familles dans ce
département français. C'est en grande partie grâce
à leur courage et leur goût d'entreprendre que le pays
s'est développé. C'est en grande partie grâce
à eux que malgré les souffrances, les malentendus
et les luttes fratricides, la France et l'Algérie restent
profondément liées, notamment sur le plan culturel.
Aujourd'hui, il nous faut affirmer l'oeuvre positive de nos concitoyens
en Algérie et exprimer notre gratitude à nos soldats
et aux harkis. Ne pas le faire serait une erreur historique et une
faute morale. Ce n'est pas insulter l'avenir que d'effectuer un
travail de mémoire lucide et équilibré sur
ce passé encore proche, douloureux et souvent évoqué
de manière passionnelle.
Comme l'histoire de France était enseignée par nos
instituteurs dont mon père, en Algérie, l'histoire
de l'Algérie, la vraie, doit être étudiée
par nos enfants sans silences ni caricatures. Personne ne doit oublier
la rue d'Isly, les massacres d'Oran et des harkis, après
le 19 mars 1962. C'est l'honneur des grands pays de reconnaître
leurs erreurs, leurs fautes et de les réparer. Le Président
de la République déclarait que quarante ans après
les déchirements terribles au terme desquels les pays d'Afrique
du Nord se sont séparés de la France, « notre
République doit assumer pleinement son devoir de mémoire
». Au travers de cette mémoire, assumons aussi la totalité
de la vérité historique.
Le temps de la reconnaissance doit comporter bien sûr les
réparations matérielles. A ce titre, il faut régler
le problème du surendettement. Celui-ci fait partie, à
juste titre, des priorités du Haut conseil qui souhaite la
mise en oeuvre de plans d'apurement. La restitution des sommes prélevées
au titre du remboursement des emprunts est également primordiale.
L'application de l'article 46 de la loi du 15 juillet 1970 et de
l'article 3 de la loi du 2 janvier 1978 a en effet créé
inégalités et injustices parmi la communauté
des rapatriés, en fonction de leur profession, de la date
de leur demande d'indemnisation et du montant de celle-ci. Notre
majorité et le Premier ministre à titre personnel
ont dénoncé cette situation. Nous devons rester fidèles
à notre parole et tenir nos engagements.
Les rapatriés et les harkis, plus que les autres, se méfient
des promesses qu'ils savent, hélas, trop souvent non tenues.
Il nous revient de leur rendre l'espoir et la confiance dans les
politiques. Ne les décevons pas !
Par ailleurs, en tant que médecin, j'insiste sur la requête
légitime des médecins conventionnés rapatriés
d'Algérie qui ne réclament pour leur retraite que
la stricte application de leurs droits, laquelle leur est aujourd'hui
refusée.
Vis-à-vis de la communauté harkie, nous avons une
dette d'honneur imprescriptible. Il faut que nous assurions à
ceux qui ont choisi de combattre pour la France une vieillesse sûre
et digne, à la hauteur de leur fidélité à
notre pays, et offrions parallèlement à leurs enfants
la possibilité de s'insérer et de s'intégrer.
La reconnaissance doit être aussi morale. J'ai présenté
une proposition de loi, cosignée par 116 députés
de la majorité, qui vise à reconnaître l'_uvre
positive de nos concitoyens en Algérie pendant la présence
française.
Il est temps, il est juste que la représentation nationale
reconnaisse solennellement l'_uvre de ces hommes et de ces femmes
profondément attachés à leur terre, à
leur drapeau et à leur famille, qui, par leur travail et
leurs efforts, quelquefois au prix de leur vie, ont représenté
de manière fière et digne pendant plus d'un siècle
la France de l'autre côté de la Méditerranée
(Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
Mme Michèle Tabarot - Il y a maintenant
plus de quarante ans, des compatriotes vivant dans des départements
français devaient quitter leur terre natale après
les accords d'Evian, mais surtout devant les menaces dont ils faisaient
l'objet. Leur choix était entre « la valise et le cercueil
». Certains n'eurent même pas ce choix et ne revinrent
pas vivants. La majorité d'entre eux s'installa dans des
conditions difficiles « en métropole », comme
ils le disaient, métropole que leurs parents avaient contribué,
avec l'armée d'Afrique, à libérer du joug des
nazis, métropole dont ils étaient fiers et pour laquelle
ils avaient combattu, métropole qui, hélas, ne les
comprenait pas. C'est pourtant avec le même courage de pionniers
que leurs aînés qu'ils parvinrent, par leur travail,
à s'intégrer dans la communauté nationale en
connaissant, pour certains, de belles réussites.
Pourquoi aujourd'hui ce débat à l'Assemblée
nationale ? Pourquoi, quarante ans après, les plaies ne sont-elles
toujours pas refermées, a fortiori cicatrisées ? Pourquoi
à la seule évocation du mot d'Algérie, les
passions se déchaînent-elles encore, comme si le temps
n'avait rien effacé ?
Certes il est difficile de mettre une distance entre son histoire
personnelle et l'Histoire ; néanmoins des pistes de réflexion
utiles peuvent être explorées avant que les témoins
les plus directs de cette période ne disparaissent.
Je n'aborderai pas pour ma part la question de l'indemnisation matérielle,
mais je tiens à saluer l'engagement de notre gouvernement
qui, dans une période économique difficile, souhaite
régler définitivement certaines situations, s'agissant
notamment de la communauté harkie, trop longtemps oubliée.
Je m'attacherai à dénoncer la mémoire sélective
de la guerre d'Algérie et à réhabiliter l'histoire,
toute l'histoire de la présence française en Algérie,
loin de la caricature. C'est un pas qu'il est nécessaire
de franchir. Oui, l'_uvre accomplie en Algérie honore nos
compatriotes, et cela dans tous les domaines : médical, avec
l'éradication d'épidémies dévastatrices
grâce aux traitements dispensés par nos médecins
militaires ; agricole, avec la fertilisation de terres incultes
et marécageuses, qui est à l'origine d'une réussite
économique exceptionnelle... Saluons le lourd tribut que
les Français ont payé à cette entreprise. Ces
progrès, dont l'Algérie a été et reste
la principale bénéficiaire, se sont accomplis dans
une cohabitation harmonieuse des communautés.
Loin de la métropole, les pieds-noirs ont nourri plus qu'ailleurs
un sentiment d'appartenance à la France, à ses valeurs,
à ses idéaux. Il n'est pas juste d'imaginer que ces
hommes et ces femmes auraient pu se conduire d'une façon
contraire aux principes auxquels ils étaient si attachés.
« Les gens de ma famille n'ont jamais opprimé personne
», disait Albert Camus. Caricaturer le pied-noir en colon
sanguinaire est une offense profonde à tous ceux qui ont
vécu exactement le contraire.
Une seconde injustice perdure dans le récit de la guerre
d'Algérie, trop longtemps désignée par l'expression
« opérations de maintien de l'ordre ». Non, cette
guerre ne se résume pas au prétendu usage systématique
de la torture par notre armée. Non, elle ne s'est pas arrêtée
le 19 mars 1962. Comment oublier qu'après cette date, des
milliers de harkis ont été lâchement assassinés
? Comment oublier que le 26 mars à Alger, des militaires
français ont tiré sur d'innocents civils français
? Comment oublier que, le 5 juillet 1962 à Oran, après
l'indépendance, des centaines d'Européens et de musulmans
ont été les victimes des barbaries du FLN, devant
une armée française obligée d'assister à
ce macabre spectacle sans pouvoir intervenir.
L'Histoire, spécialement l'histoire des guerres et des hommes
engagés dans ces guerres, ne doit jamais s'écrire
d'une seule main. Les Français d'Algérie ne pourront
trouver l'apaisement que dans l'écriture rigoureuse et honnête
de cette histoire. Merci donc à notre gouvernement d'avoir
organisé ce débat et d'avoir instauré une journée
nationale d'hommage autre que le funeste 19 mars. Merci de continuer
dans cette voie, afin que l'histoire de la présence française
en Algérie devienne demain le fier héritage de tous
les Français (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
M. Jean-Paul Bacquet - Parmi les intervenants qui
se sont succédé depuis le début de ce débat,
très rares sont ceux qui ont été acteurs dans
le conflit algérien. Je suis frappé par la sérénité,
la modestie et l'humilité qui se sont manifestées
jusqu'à présent ; et je rends hommage au Président,
qui laisse les uns et les autres s'exprimer et qui tempère.
Ainsi ce débat pourra-t-il, quarante ans après, rendre
aux harkis leur dignité (Applaudissements sur plusieurs bancs
du groupe UMP).
Moi, je suis Auvergnat, je n'ai pas d'histoire en Algérie.
Pourtant, j'ai conscience que le plus grand risque était
l'ignorance, la méconnaissance et l'oubli. Le devoir de mémoire
est l'essentiel, le reste n'est que la conséquence.
Comme je le disais il y a quelques jours à Clermont-Ferrand,
l'indemnisation est un dû. Mais autant elle aurait pu être
comprise dans les années qui suivaient l'indépendance
de l'Algérie, autant aujourd'hui, elle ne peut l'être
qu'à condition d'expliquer l'histoire à ceux qui en
ont une ignorance totale.
Pendant la guerre d'Algérie, j'étais élève
au prytanée militaire de La Flèche. Le soir, les officiers
qui nous encadraient racontaient parfois leur histoire. A une époque
où on ne traitait pas les traumatismes psychologiques, je
me souviens qu'ils exprimaient toute leur détresse d'avoir
été les témoins impuissants de scènes
qui avaient marqué définitivement leur mémoire.
J'ai aussi appris que Bourg-Lastic, dans le Puy-de-Dôme, avait
été un camp d'hébergement temporaire de harkis,
dans les conditions sanitaires les plus déplorables. Combien
de Clermontois le savent-ils ? Ceux qui le savent le doivent au
travail de mémoire que fait l'association Agir pour les harkis.
J'ai appris, il y a moins de trois ans, dans un article de la presse
locale, que des enfants de harkis étaient morts dans ce camp,
qu'ils y ont été enterrés et que leurs sépultures
ont été entretenues grâce à des militaires
français.
Etant médecin rural, j'ai été amené
à soigner des familles de harkis, qui m'ont toujours associé
à leurs cérémonies familiales. Ce qui m'a le
plus marqué, c'étaient le mutisme, l'impossibilité
de communiquer. Un jour, j'ai aperçu, caché sur le
dessus d'une armoire, un cadre de photo représentant un officier
qui remettait une médaille au chef de famille. Sa place était
plutôt sur le buffet du séjour, ai-je dû leur
dire.
Particulièrement marqué par la demande de vérité
qu'exprimait l'association Agir pour les harkis, j'ai déposé
une proposition de loi, axée sur le devoir de mémoire
et la nécessité d'une meilleure compréhension
de l'histoire.
Il a fallu attendre 1999, pour que notre assemblée, à
l'unanimité, reconnaisse l'état de guerre en Algérie.
J'espère qu'aujourd'hui, nous serons unanimes dans la sérénité
pour apporter aux harkis ce qu'ils méritent.
Le Président de la République a décidé
en 2001 qu'un hommage national devait leur être rendu. Ils
se sont réjouis de cette initiative attendue depuis trente-neuf
ans.
N'oublions jamais qu'au cours de la première guerre mondiale,
les Algériens ont été de toutes les grandes
batailles de l'armée française. Ils ont laissé
26 000 des leurs sur les champs de bataille d'orient et d'occident,
comme l'attestent la nécropole de Notre-Dame de Lorette,
les champs de bataille de l'Hartmannswillerkopf ou l'ossuaire de
Douaumont.
N'oublions jamais non plus que, pendant le second conflit mondial,
plus de 134 000 soldats algériens ont servi dans l'armée
d'Afrique. Ils ont forcé l'admiration par leur courage au
service de la France. Les tirailleurs et spahis algériens
ont participé activement, avec le corps de Lattre à
la libération de la Provence.
Puis la guerre d'Algérie a entraîné le déchirement
des musulmans algériens. Dès le début de la
rébellion, les représentants des autorités
françaises ont cherché leur adhésion à
la lutte contre la subversion. Se fiant aux promesses des dirigeants
de l'Etat, dont celles du général de Gaulle ils sont
convaincus que l'Algérie restera française. Et cette
conviction est transmise aux musulmans que l'on commence à
enrôler comme harkis.
Le changement de politique survenu en 1961 est à l'origine
du drame des harkis. Les accords d'Evian laissent les Musulmans
français sans protection véritable. Le 19 mars 1962,
jour du cessez-le-feu, on compte 263 000 autochtones engagés
du côté français ; et sur 8 millions de musulmans
algériens, 1 million sont directement menacés pour
avoir pris le parti de la France. Au printemps de 1962, alors que
l'armée française est repliée dans ses garnisons,
le nouveau pouvoir algérien feint la clémence envers
les profrançais et à Paris le Gouvernement limite
à une portion minime d'entre nous le repli en France, ordonnant
même le renvoi en Algérie des supplétifs débarqués
en métropole hors du plan de rapatriement, grâce au
courage d'officiers français. La note officielle du 12 mai
1963 que le colonel Buis fait parvenir à l'inspecteur général
des affaires algériennes est révélatrice de
la froideur implacable avec laquelle les autorités françaises
ont traité la question des harkis : « Le transfert
en métropole de Français musulmans effectivement menacés
dans leur vie et leurs biens s'effectuera sous la forme d'une opération
planifiée. Je vous demande en conséquence de prescrire
à tous les cadres placés sous vos ordres de s'abstenir
de toute initiative isolée destinée à provoquer
l'installation de Français musulmans en métropole
». Nous connaissons les conséquences. En 1962, le général
Faivre estimait entre 50 000 et 70 000 le nombre de harkis tués
par le FLN, souvent dans d'ignobles tortures, parfois en présence
de l'armée française ayant reçu l'ordre de
rester passive, comme à Oran le 5 juillet 1962. Le service
historique de l'armée avançait en 1974 le chiffre
de 150 000 harkis tués.
Qu'importent les chiffres, et comment étalonner l'horreur
? Ce qui compte, ce sont les faits, que nous aurions pu et dû
éviter. Le sort réservé aux 91 000 musulmans
établis en France de 1962 à 1968 n'est guère
plus enviable, sinon qu'ils ont survécu. Arrachés
à leur terre, ils sont relégués dans des camps
ou des cités insalubres. L'indifférence chez nous
est allée jusqu'à la mort : j'ai rappelé ce
qui s'est passé à Bourg-Lastic. Et même ceux
qui ont pu entamer une vie normale ont enduré et endurent
encore chômage et précarité.
Jusqu'à présent, la reconnaissance de la France ne
s'est traduite que par des mesures financières - encore le
Gouvernement vient-il de fermer le « plan harkis » sous
couvert d'une allocation de reconnaissance.
Nécessaire, la reconnaissance financière ne suffit
pas. Les harkis attendent de nous, surtout, la vérité.
Car c'est de leur dignité qu'il s'agit. Il est temps que
nos concitoyens sachent ce qui s'est réellement passé,
que notre pays s'engage à assumer toute sa responsabilité.
Il a fallu 80 ans pour réhabiliter les fusillés de
1917, 40 ans pour reconnaître l'état de guerre en Algérie.
Pourquoi attendre pour entamer le devoir de mémoire envers
les harkis ?
Le colonel de Blignères, dans sa préface « Disparus
en Algérie », écrit : « Le désarmement
des harkis et l'abandon à leur sort des disparus pèse
d'un poids exceptionnel sur la conscience de la France et sur l'honneur
de son armée ». Pour recouvrer son honneur, la France
doit regarder sa propre conscience. Avant de prendre en faveur des
harkis les mesures concrètes auxquelles ils ont droit, un
véritable débat doit avoir lieu sur ce que les harkis
ont subi, et sur la part de responsabilité de la France.
Harki vient, je crois, de l'arabe « harka », qui signifie
mouvement. Il est temps que notre pays ne reste plus figé
dans ses complexes historiques, et adopte le mouvement de l'histoire.
Les harkis ont versé leur sang pour la République,
ils l'ont aimée et ils l'aiment encore. Cessons, après
quarante ans de silence, de leur donner le sentiment d'être
des enfants abandonnés.
Appelons-en à l'histoire, pour comprendre, pour conjurer
l'oubli, pour écarter la polémique, et aussi pour
que les harkis reçoivent leur dû ; pour que les enfants
des harkis soient fiers que leurs parents aient choisi la France,
la République et la démocratie. Les harkis ont choisi
la nationalité française, ils n'en ont pas hérité.
Il faut mettre fin à l'hypocrisie. Avec notre collègue
Fenech, au congrès national d'AGIR à Clermont-Ferrand,
j'ai été interpellé au sujet d'un fait récent
: au cours de l'émission « Mots croisés »,
animée par Arlette Chabot sur France 2, le 3 novembre dernier,
Mme Zorah Driff, vice-présidente du Sénat algérien
et responsable du FLN, a assimilé les harkis à des
collaborateurs, les messalistes à des traîtres. Après
l'année de l'Algérie, après l'adoption du 25
septembre comme jour de reconnaissance pour les harkis, il est inacceptable
qu'à la télévision française une personnalité
algérienne se permette de porter un jugement aussi inacceptable
que dégradant. Ces attaques contre la dignité des
harkis portent atteinte à la dignité de tous les Français.
Les mêmes propos tenus en France par le président Bouteflika
avaient déjà suscité la réprobation
de la majorité des Français. On ne peut accepter qu'ils
soient réitérés.
Halte à l'hypocrisie qui n'a que trop duré depuis
quarante ans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste,
du groupe UMP et du groupe UDF)
M. Alain Merly - Un vieil ami, philosophe à
ses heures, avait coutume de dire : « Tout ce qui traîne
finit par se salir ». J'y vois une exhortation à régler
rapidement les problèmes qui s'ouvrent à nous, quelque
difficiles qu'ils soient. Le dossier des rapatriés et des
harkis finit par ternir l'image de la France.
Notre histoire, comme celle de tous les pays, comporte son lot d'événements
tragiques, dont chacun laisse une cicatrice dans la mémoire
collective.
Les acteurs et victimes de la période où l'histoire
du Maghreb se confondait avec celle de la France ont encore devant
les yeux les images qui ont marqué leur vie et scellé
leur destin. Heureusement, le temps aide à guérir
les plaies. La volonté sera plus forte que l'humeur, et l'espoir
du jour qui se lève plus riche que le crépuscule de
celui qui finit.
Il est temps, quarante ans après, de mettre un terme aux
efforts de reconnaissance morale et matérielle de la nation.
Le rapport de Michel Diefenbacher nous en dessine les voies et moyens,
tout en permettant de promouvoir l'oeuvre collective de la France
outre-mer. Le président Chirac, dans cet esprit, a pris des
mesures significatives : allocation et reconnaissance pour les harkis
et leurs veuves, amélioration du dispositif d'aide au désendettement
des rapatriés réinstallés, prolongation des
délais pour bénéficier de la retraite complémentaire,
pérennisation de la journée d'hommage aux harkis le
25 septembre, inauguration du mémorial national d'Afrique
du Nord à Paris le 5 décembre 2002.
La France n'a donc pas oublié l'engagement courageux de milliers
de Musulmans d'Afrique du Nord dans les grands conflits du XXe siècle,
ni leur fidélité à ses couleurs pour maintenir
la sécurité dans une Algérie française
bouleversée par des attentats. La nation n'ignore pas son
devoir moral envers ceux qui ont accompagné et défendu
l'action conduite outre-mer pendant plus d'un siècle par
la France et les Français.
Quiconque a vécu les heures tragiques de la guerre d'Algérie
n'ignore pas le drame humain qui a suivi la cessation officielle
des combats. Trompés par les engagements du nouveau pouvoir
algérien, les harkis ont été exécutés
avec une cruauté à peine imaginable. Assassinés
par les séides du FLN, ceux qui avaient choisi de rester
sur leur sol natal ont été les premières victimes
d'actes de barbarie qui feront des dizaines de milliers de morts.
Ceux qui purent gagner la France furent hébergés et
parqués dans des camps de regroupement de triste mémoire,
comme, dans ma circonscription, celui de Bias, près de Villeneuve-sur-Lot.
Oubliée de l'histoire, la tragédie des harkis ne pénètre
la conscience de l'opinion publique que dans les années 1970.
Il faudra attendre la loi du 16 juillet 1987, sous l'égide
de Jacques Chirac, et celle du 11 juin 1994, sous l'égide
d'Edouard Balladur, pour constater de réelles avancées
sur le chemin de la réparation. Les actions à mener
n'étaient pas terminées, mais le gouvernement précédent
a malheureusement laissé ce dossier en sommeil, malgré
une conjoncture économique très favorable.
Nous avons aujourd'hui la volonté d'aller de l'avant, qu'il
s'agisse des réparations matérielles ou du travail
de mémoire.
Les pieds-noirs, accueillis dans l'indifférence en 1962,
ont trop longtemps été assimilés à des
colons et à des exploiteurs. C'est ignorer leur apport à
ce territoire de l'autre rive de la Méditerranée.
Il faut aussi clore le dossier des civils disparus, assassinés
par le FLN entre le 19 mars 1962 et l'indépendance. Il faut
ouvrir les archives pour mettre fin à l'insoutenable attente
des familles. Nous devons encore être attentifs au respect
des engagements bilatéraux entre la France et l'Algérie
sur les cimetières et les tombes.
« A combien évaluez-vous le sang, les larmes, la souffrance
et l'exclusion ? » me demandait récemment un harki
du Lot-et-Garonne. On ne peut rien répondre à une
telle question. Comme l'a rappelé M. Diefenbacher dans son
rapport, « aucune réparation matérielle ne sera
suffisante si nous n'avons pas la volonté de montrer les
aspects positifs de la présence française en Algérie
».
Le XIXe siècle rêva d'une France plus grande. Le XXe
siècle a effacé ce dessein. Il nous faut maintenant
écrire les première pages du XXIe siècle et
je souhaite que les fils des harkis prennent la plume pour participer
à ce travail (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP
et du groupe UDF).
M. Jean-Marc Roubaud - Permettez-moi de féliciter
notre collègue Diefenbacher pour la qualité de son
rapport.
Monsieur le secrétaire d'Etat, la France a toujours eu du
mal à regarder son histoire en face. C'est regrettable, mais
il en a toujours été ainsi.
Je souhaite que ce débat nous donne l'occasion de changer
l'image des rapatriés et des harkis, en complet décalage
avec la réalité.
Je tiens à dire haut et fort que ces Français de l'autre
rive de la Méditerranée ont toujours montré
un attachement profond aux valeurs nationales. Ils ont beaucoup
apporté à la France, et ont contribué à
son rayonnement.
Je veux saluer l'action du Gouvernement et de M. Mékachéra
qui a enfin défini une date officielle pour rendre hommage
à tous ceux qui sont morts pour la France en Afrique du Nord.
Le 5 décembre doit être considéré comme
un premier pas. Il faut penser aussi à ceux qui ont disparu
après les accords d'Evian et le cessez-le-feu du 19 mars.
Au-delà des réparations financières, nous devons
valoriser le travail accompli durant plus d'un siècle par
tous ces pionniers d'une France ambitieuse.
Je souhaite que le futur mémorial de Marseille permette d'éclairer
cette période de 1830 à 1962 afin de montrer aux Français
et à tous les peuples qu'on peut être fier des rapatriés
et des harkis.
Les traces de la France en Algérie doivent, après
tant d'années, être recensées afin d'établir
la vérité historique, qui nous permettra de revoir
les manuels scolaires en dehors de toute idéologie. La paix
civique serait mieux établie dans notre pays, dans nos écoles
et dans la cité si nous faisions connaître l'oeuvre
de la France dans ses anciennes colonies.
Je tiens à saluer l'initiative prise par le Président
de la République de vous inviter à ouvrir un vrai
débat sur la question des rapatriés et des harkis.
Cela n'a de sens que si nous débattons sans tabou. Nous devons
aussi reconnaître les massacres de Français du 26 mars
et du 5 juillet 1962. Cela fait quarante ans que traîne le
problème des indemnisations. Aujourd'hui, forts d'une majorité
importante au Parlement, ayons le courage de vider ce dossier. Soit
nous avons les moyens d'accorder une juste indemnisation et dans
ce cas, faisons-le. Soit le coût n'est pas supportable par
les finances de la Nation et disons-le clairement. C'est une question
d'honnêteté.
Nous devons renouer le dialogue avec les rapatriés et les
harkis. Un projet simple et consensuel va être soumis au Parlement,
ce qui est très bien.
Nous devons enfin revenir sur le traitement indigne réservé
aux familles de harkis à leur arrivée sur le sol français.
Je pense aux camps, comme celui de Saint-Maurice à Saint-Laurent-des-Arbres.
Monsieur le secrétaire d'Etat, il y va de l'honneur du Parlement,
du Gouvernement de la France (Applaudissements sur les bancs du
groupe UMP et du groupe UDF).
M. Christian Vanneste - Le 11 novembre 1918, la
France gagnait la guerre la plus coûteuse en vies humaines
de son histoire. Le 8 mai 1945, contribuant à la défaite
du nazisme, la France retrouvait son honneur grâce au général
de Gaulle. A cette victoire prirent part les troupes musulmanes
d'Afrique du Nord, en Italie notamment.
Le 19 mars 1962, entre le cessez-le-feu et l'indépendance,
80 000 à 150 000 musulmans qui avaient servi la France ont
été assassinés dans d'horribles conditions.
D'autres ont été emprisonnés et torturés.
Notre pays les a abandonnés, au mépris de la parole
donnée, alors que la France avait les moyens de les sauver.
Certains officiers, d'ailleurs ont agi selon leur conscience et
non seulement selon les ordres. Vingt mille chefs de famille seulement
ont pu gagner la France. La dette contractée par notre pays
est irréparable. Il s'agit d'un dette morale. Il y a ces
morts, il y a ces réfugiés parqués dans des
camps, ces familles que rien n'avait préparées à
l'épreuve qu'elles ont vécue.
Les générations suivantes, victimes de l'exclusion,
ont été contraintes de rompre avec leurs origines.
Il y a de l'autre côté - du nôtre - la honte
et peut être la compassion, la solidarité.
Il s'est creusé un fossé que rien ne peut combler,
mais que nous avons la volonté de réduire. Depuis
1962, des efforts, certes insuffisants, ont été faits.
Comme l'a rappelé le Président de la République,
ce fut toujours sous l'impulsion de ceux qu'on retrouve dans l'actuelle
majorité (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)
; la loi de 1987, puis la grande loi de 1994 ont été
des avancées considérables. Elles ont malheureusement
été remises en question par la gauche, qui a empêché
leur mise en oeuvre (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).
M. François Loncle - Quel sectarisme !
M. Christian Vanneste - Nous devons donc remettre
l'ouvrage sur le métier, dans une double perspective : reconnaître
et réparer.
Reconnaître, c'est le sens de la 31e proposition du rapport.
Je souhaite qu'on arrive rapidement à la création
de la fondation dédiée à la mémoire
des harkis. Il faudra en outre constituer un groupe de réflexion
au sein de l'éducation nationale pour réhabiliter
l'œuvre de la France outre-mer. Je souhaite qu'il y ait, au
sein de ce groupe de réflexion, un représentant des
harkis.
Réparer, cela signifie appliquer ce que certains appellent
la « discrimination positive », et qui est tout simplement
l'équité. Il n'est pas injuste de donner plus à
ceux qui ont été victimes d'une plus grande injustice.
C'est pourquoi la loi Romani prévoyait des mesures spécifiques
sur le logement ou les droits du conjoint survivant.
Tout en apportant mon soutien aux propositions de mes collègues
Soisson et Vercamer, je veux insister sur la nécessité
de donner un plus large accès à la formation et à
l'emploi aux jeunes des deuxième et la date du 10 janvier
1973.
Les associations de rapatriés tiennent également à
souligner que la CONAIR n'a pas donné entière satisfaction.
Elle était adossée à trois circulaires d'application,
ce qui a entraîné des procédures lourdes et
des contentieux juridiques dans les dossiers de réinstallation.
Les associations estiment que la notion de solidarité envers
les rapatriés doit être refondue, de façon à
clarifier les conditions d'éligibilité de leur dossier.
Elles proposent donc la mise en place de mesures telles que celles
qui furent instituées par la loi de finances rectificative
pour 1986 et par la loi du 12 juillet 1987. Ceci pourrait se caractériser
par la remise automatique avec un plafond de 106 000 €. Toute
somme dépassant ce plafond ferait l'objet d'une étude
approfondie par la commission nationale.
Enfin, il me semble important que les parlementaires puissent être
informés plus régulièrement sur les différentes
dispositions mises en oeuvre par votre ministère.
Nous avons aujourd'hui le devoir de mettre fin à une situation
qui n'a que trop duré. Ayons enfin le courage que n'ont pas
eu nos prédécesseurs. Nous le devons aux rapatriés
et aux harkis.
Le groupe UDF vous le demande. Il vous soutiendra (Applaudissements
sur les bancs du groupe UDF, du groupe UMP et sur quelques bancs
du groupe socialiste)
M. Maxime Gremetz - J'entends beaucoup parler du
rapport de M. Diefenbaker...
M. le Président - Appuyez votre intervention
sur un rappel au Règlement, ne serait-ce que pour la forme.
M. Maxime Gremetz - Ce n'est pas une question de
forme. Le rapport de M. Diefenbaker, c'est l'arlésienne.
Tout le monde en parle, personne ne l'a vu.
M. Georges Fenech - Le voici ! (M. Fenech brandit
un volume).
M. le Président - Il n'est pas en vente
libre mais vous le trouverez à la distribution.
M. Gérard Bapt - Quarante et un ans après
l'indépendance de l'Algérie, quarante-sept ans après
celle de la Tunisie et du Maroc, nous convenons tous que la dette
morale et financière de la France envers ses rapatriés
n'a toujours pas été acquittée. La polémique
continue et s'est largement exprimée, même si M. Lachaud
a essayé d'élever le débat à son réel
niveau.
Le 17 avril 2002, M. Chirac, alors en campagne électorale,
assurait dans une lettre aux associations de rapatriés que
la situation des rapatriés non salariés et sur endettés
avait été réglée par le dispositif Romani.
Cela n'était pas exact.
La circulaire Romani introduisait pour la première fois l'obligation
d'une contribution, adaptée à la capacité de
remboursement et à la valeur des actifs de chacun. Cette
mesure fut vécue par les rapatriés comme une seconde
spoliation.
En 1996, le texte de suspension des poursuites, qui permettait aux
rapatriés de « respirer » dans l'attente de l'examen
de leur dossier a été purement et simplement abandonné
par ce même M. Romani. Conséquence immédiate,
la vente aux enchères de nombreux biens des rapatriés.
Nous étions alors peu nombreux à essayer de lutter
contre des technostructures sourdes à la douleur de nos compatriotes
rapatriés.
C'est grâce à mon initiative, reprise par le gouvernement
Jospin, que les textes de suspension de poursuites pour les rapatriés
ont été remis en place en 1997. C'est sous cette même
législature, et à mon initiative encore, que la rente
viagère pour les veuves et anciens membres des troupes supplétives
a été mise en place.
Mais il n'y a jamais eu la volonté politique durable pour
régler définitivement les dossiers des rapatriés.
Sans doute est-ce dû au remord, le plus souvent tu, face à
la manière dont les harkis et les rapatriés ont été
traités.
Grâce au président Mitterrand, dès 1982, le
problème de l'amnistie totale a été abordé.
Ce fut une avancée considérable pour les fonctionnaires
et les militaires, y compris en ce qui concerne les décorations
et la reconstitution de leur retraite. Mais rien n'a été
envisagé pour les rapatriés issus du secteur privé,
ce qui doit être corrigé.
Je ne peux que me féliciter si le mémorial est enfin
concrétisé et je note avec satisfaction que le site
de Marseille est retenu.
Le contentieux « rapatrié » a fait l'objet de
160 textes. Dans le même temps, nos partenaires italiens et
espagnols ont depuis longtemps réglé cette question.
Les italiens ont indemnisé leurs rapatriés à
100 %, alors que nos textes n'ont permis à ce jour qu'une
indemnisation à 20 %.
Une quatrième et définitive loi d'indemnisation doit
donc être votée, avec droit complémentaire à
indemnisation et prise en compte des ventes à vil prix.
Il est également nécessaire de restituer aux rapatriés
les sommes prélevées au titre de l'article 46 de la
loi du 15 juillet 1970 et de l'article 3 de la loi du 2 janvier
1978. J'espère que nous pourrons en finir, au cours de cette
législature, avec cette injustice.
Le dispositif de la rente viagère des veuves de harkis a
été amélioré. Elle a été
votée à l'unanimité sur ces bancs, et je souhaiterais
que son montant soit à nouveau revalorisé. Du reste,
s'agissant d'une allocation de reconnaissance versée sans
condition de ressources, pourquoi demander, comme cela se fait en
Haute-Garonne, moult papiers aux intéressés ? Quoi
qu'il en soit, la communauté harkie attend toujours le règlement
de l'indemnisation forfaitaire promise en 1995 par le candidat Jacques
Chirac. En 1987, le même Jacques Chirac, alors Premier ministre,
avait mobilisé 30 milliards de francs au titre de l'indemnisation
des biens, mais la somme n'a été que partiellement
débloquée. Les harkis attendent toujours le complément
promis de 3 milliards.
J'en viens aux difficulté liées à la réinstallation
et au fonctionnement de la CONAIR. La circulaire Romani du 28 mars
1994 a introduit la notion de surendettement, que les rapatriés
ont ressentie comme une nouvelle spoliation. Elle signifie en effet
que l'aide ne peut être octroyée que si l'actif ne
peut combler le passif, ce qu'aucun texte antérieur n'avait
jamais envisagé. Voilà pourquoi il ne faut pas se
contenter d'améliorer le fonctionnement de la CONAIR, mais
aussi réformer tout le dispositif : à ce jour, trente
dossiers seulement se trouvent en situation d'apurement ! Or, l'endettement
est souvent le corollaire de la réinstallation. Une décision
rapide permettrait d'obtenir des créanciers des abattements
totaux des pénalités, et sensibles du capital. Comme
l'avait voulu Pierre Bérégovoy dès 1992, il
convient d'utiliser les dispositions de droit commun relatives aux
entreprises en difficulté, de sorte que les créanciers
soient conduits à renoncer à l'ensemble des pénalités
et des frais.
Dans le même esprit, Pierre Bérégovoy incitait
préfets et TPG à user du système du crédit
d'impôt pour les sommes restant dues aux créanciers.
Ce mécanisme permettrait à l'Etat de n'avoir aucune
inscription budgétaire à traiter, et, au contraire,
de percevoir des rentrées fiscales, calculées sur
les sommes que les établissements bancaires créanciers
ne passeraient plus en profits et pertes ! C'est pourquoi je proposerai
demain un amendement à la LFR pour 2003, reprenant la proposition
des associations de rapatriés qu'une remise automatique de
dettes soit consentie à concurrence de 106 000 €. J'engage
mes collègues de la majorité à la reprendre,
car je sais que le ministre du budget sera plus attentif à
une proposition émanant des bancs de la majorité...
Un dispositif de remise automatique permettrait aussi de désengorger
les CODAIR, aujourd'hui submergées par les dossiers.
M. Kléber Mesquida - Excellente proposition
!
M. Gérard Bapt - Il serait juste d'étendre
aux pupilles de la nation le bénéfice de l'effacement
total des dettes professionnelles, prévu par l'article 44
de la LFR pour 1986.
J'en termine en évoquant le douloureux problème des
3 000 disparus. Un grand geste de reconnaissance et de solidarité
consisterait à attribuer à leurs familles le même
niveau d'indemnisation que celui attribué aux victimes de
la Shoah par le gouvernement Jospin, lequel va être étendu
à juste titre, à l'initiative du Gouvernement, à
l'ensemble des familles victimes de la déportation. Monsieur
le ministre, il faut entendre les associations de rapatriés
et accepter qu'une commission paritaire soit mise en place, pour
établir la vérité historique et prendre en
considération le sort de ces familles à jamais plongées
dans un deuil impossible à accomplir.
La volonté de résoudre les problèmes que continuent
de rencontrer nos compatriotes rapatriés doit nous conduire
à dépasser les clivages partisans. J'espère
que le projet de loi qui nous sera soumis l'an prochain sera largement
discuté et amélioré par le Parlement, afin
que ce douloureux dossier soit clos dans la dignité (Applaudissements
sur les bancs du groupe socialiste).
La suite du débat est renvoyée à la prochaine
séance, qui aura lieu, ce soir, à 21 heures 30.
La séance est levée à 19 heures 50.
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