Assemblée
nationale
COMPTE RENDU ANALYTIQUE OFFICIEL
Session ordinaire de 2003-2004 - 33ème jour de séance,
84ème séance
3ème SÉANCE DU MARDI 2 DÉCEMBRE 2003 PARTIE
1
PRÉSIDENCE de M. François BAROIN vice-président
DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT ET DÉBAT SUR LES RAPATRIÉS
L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur
les rapatriés et le débat sur cette déclaration.
M. Hamlaoui Mékachéra, secrétaire d'Etat
aux anciens combattants - Ce débat montre l'attention
que portent le Gouvernement et la représentation nationale,
en un mot la nation, à la situation des rapatriés.
Il y a quarante ans, ces hommes, ces femmes, ces enfants, quittaient
leur terre natale dans des conditions dramatiques. Beaucoup d'entre
nous ont pour toujours, en mémoire, des . Beaucoup d'entre
nous ne peuvent évoquer leurs derniers moments sur la terre
algérienne sans ressentir une émotion profonde, sans
penser aux heures heureuses qui s'achevaient en tragédie,
sans revoir des visages disparus de façon parfois indicible.
Beaucoup d'entre nous portent encore au fond du c_ur cette épreuve
qui a marqué leur vie.
Aujourd'hui, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin souhaite apporter
une réponse aux questions qui demeurent, plus de quarante
ans après la séparation douloureuse de la France et
de l'Algérie.
Après avoir renoué le dialogue avec les rapatriés
et pris la mesure de leurs attentes, avant de définir des
moyens nouveaux, il nous semble légitime d'associer le Parlement
à ce processus, conformément aux engagements pris
par le Président de la République. Je ne vous cacherai
pas l'émotion que je ressens en parlant au nom du Gouvernement
sur ce sujet majeur.
Un départ précipité, une arrivée non
préparée en métropole ont eu, pour des centaines
de milliers de nos compatriotes, des conséquences que le
temps n'a pas effacées.
Au fil des ans, de nouvelles difficultés économiques,
sociales ou morales sont venues s'ajouter au déracinement.
Aujourd'hui, le moment est venu d'entendre le message des rapatriés.
Le Gouvernement s'est donné les moyens d'établir des
relations de confiance avec les rapatriés d'origine européenne
comme avec les harkis.
La création de la Mission interministérielle aux rapatriés
a permis de donner aux rapatriés un interlocuteur et et de
disposer d'un catalyseur pour l'action des pouvoirs publics.
La création du Haut conseil aux rapatriés a fourni
une instance de débat, de réflexion et de proposition,
qui s'est très vite imposée comme un partenaire indispensable.
Nous avons ensuite voulu qu'un état des lieux approfondi
soit dressé en dehors de l'administration. Je remercie votre
collègue Michel Diefenbacher qui a bien voulu accepter cette
délicate mission. Grâce à son travail, nous
disposons de toutes les données nécessaires pour poser
un diagnostic et définir des pistes d'action.
Dans le même temps, nous avons pris des mesures d'urgence
importantes.
Dès janvier 2003 l'allocation de reconnaissance aux harkis
a été mise en place afin de leur assurer un complément
de retraite. D'un montant de 343 €, non imposable et indexée,
elle est accordée à tous les harkis ou à leurs
veuves de plus de 60 ans, sans condition de ressources, contrairement
à ce qui existait précédemment. Le Gouvernement
vous propose de réévaluer cette allocation de 30 %
dès le 1er janvier 2004.
Par ailleurs, les pensions des veuves de guerre, d'invalides et
de grands invalides augmenteront de 15 points d'indice, dans le
cadre du projet de loi de finances pour 2004.
Le contexte économique difficile que nous traversons n'épargne
évidemment pas les familles de harkis. Pour remédier
autant que possible à ces difficultés nouvelles, la
Mission interministérielle au rapatriés a mobilisé
les préfets.
Le Premier ministre va demander aux grands employeurs publics -
ministère de la défense, de l'intérieur ou
de la santé notamment - de porter une attention particulière
aux candidatures des jeunes issus de familles harkies. Ces administrations
sont également invitées à accompagner les préparations
aux concours ou les formations aux métiers qu'elles proposent.
La mémoire est une préoccupation majeure. Vous le
savez, le Président de la République a pris deux décisions
hautement symboliques, et tout d'abord l'institution de la journée
nationale d'hommage aux harkis et aux membres des formations supplétives
et assimilées. Désormais, tous les 25 septembre, la
nation salue la mémoire de ces combattants valeureux.
L'institution d'une journée nationale d'hommage aux «
morts pour la France » de la guerre d'Algérie et des
combats du Maroc et de la Tunisie est également une décision
dont les rapatriés ont mesuré l'importance. Vendredi
prochain, à Paris et dans tout le pays, nous nous souviendrons
de ceux qui sont tombés au champ d'honneur pendant ces sombres
années.
Cette politique ne doit pas faire oublier les efforts consentis
par la nation dans le passé. Le rapport de votre collègue
Diefenbacher fait le point sur la succession des mesures prises.
Passée l'urgence de la réinstallation, à laquelle
la France a consacrée en 1963 plus de 4,5 milliards d'euros,
soit 5 % du budget total d'alors, il est vrai que les politiques
envers les rapatriés ont tardé à se mettre
en oeuvre. Les premières mesures d'indemnisation ne furent
prises qu'en 1970, avec une contribution nationale à l'indemnisation
des Français rapatriés du Maroc, de Tunisie et d'Algérie.
Les lois de 1978 et 1987 apportèrent ensuite des compléments
d'indemnisation.
Parmi les rapatriés, une catégorie a été
trop longtemps oubliée par l'Histoire : les harkis (Applaudissements
sur les bancs du groupe UMP, du groupe socialiste et du groupe des
députés communistes et républicains).
Leur engagement au service de la France, la tragédie qu'ils
ont traversée, leur abandon, leur détresse morale
ont été longtemps ignorés de la communauté
nationale. Les familles ont souffert de l'isolement et des conditions
de vie qui leur ont été réservées. Leur
insertion dans le tissu économique et social n'en a été
que plus difficile.
Les harkis bénéficièrent d'une première
mesure spécifique d'indemnisation avec la loi de 1987 déposée
par le gouvernement Chirac, vingt-cinq ans après leur arrivée
en métropole.
La loi Romani du 11 juin 1994, votée à l'unanimité
par votre assemblée, exprima enfin, officiellement, la reconnaissance
de la République française à leur égard.
C'est d'ailleurs l'article premier de cette loi qui a été
gravé sur les plaques apposées aux Invalides et dans
27 autres sites, à la demande du Président de la République,
lors de la première journée d'hommage du 25 septembre
2001.
Cette reconnaissance a redonné de la fierté à
de nombreux enfants et petits-enfants de harkis ; elle a parfois
permis de resserrer des liens familiaux distendus entre des pères
et des enfants séparés par l'Histoire.
Des mesures spécifiques d'indemnisation et de solidarité
ont été prises. Le plan de cinq ans prévu dans
la loi de 1994 s'est traduit par un effort financier de 2,6 milliards
de francs.
Depuis la loi Romani, plus de 20 000 enfants issus de familles de
harkis ont pu trouver ou retrouver le chemin de l'emploi.
Le débat qui nous réunit aujourd'hui est une nouvelle
étape importante pour les rapatriés. Il n'est pas
fréquent que leurs aspirations, leurs souffrances, leur situation,
soient évoquées aussi solennellement.
M. Guy Teissier - C'est important, en effet.
M. le Secrétaire d'Etat - Ce débat
est également important parce qu'à l'issue de notre
réflexion commune, le Gouvernement entend prendre des mesures
concrètes.
M. Guy Teissier et plusieurs députés UMP - Très
bien.
M. le Secrétaire d'Etat - Le temps est venu
de reconnaître de façon apaisée l'oeuvre accomplie
par la France au-delà des mers.
Notre pays peut et doit être fier de ses pionniers et de ses
combattants. Sur les terres d'Asie ou d'Afrique, ils ont grandement
contribué au développement agricole et économique
d'immenses territoires. Ils ont contribué à ancrer
les valeurs républicaines d'égalité et de démocratie.
Ce patrimoine, cette histoire, cette culture et ces traditions que
portent les rapatriés, doivent être mieux connus, notamment
des jeunes générations.
L'Etat a donc décidé de s'associer au projet de Mémorial
national de l'outre-mer conçu à l'initiative du maire
de Marseille, Jean-Claude Gaudin.
Plusieurs députés UMP - Très bien.
M. le Secrétaire d'Etat - Il présentera
l'oeuvre de la France dans tous ses territoires aujourd'hui indépendants,
les richesses léguées par les rapatriés et
encouragera la recherche ainsi que la préservation de la
mémoire.
Nous devons également avancer sur d'autres chantiers. Je
pense tant de victimes innocentes de cette guerre fratricide.
Le Gouvernement entend aussi contribuer à l'oeuvre de reconnaissance
et de solidarité nationales. Un geste supplémentaire
s'impose pour nos anciens combattants harkis ou pour leurs veuves.
A ce titre, il convient de s'appuyer sur l'allocation de reconnaissance,
que nous avons mise en place et qui leur assure des revenus complémentaires
réguliers. Il faut aussi parfaire les différentes
lois d'indemnisation afin de réparer les injustices qui peuvent
encore subsister.
Par ailleurs, il est temps de clore avec équité le
traitement des dossiers de surendettement des rapatriés («
Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Il faut
notamment améliorer les dispositions applicables aux régimes
de retraite et régler la situation du petit nombre d'entre
eux qui n'ont pas pleinement bénéficié des
lois d'amnistie de l'époque.
Pour que ces dispositions aient toute la portée requise,
le Gouvernement déposera un projet de loi devant le Parlement
dans les tout premiers mois de 2004 (Vifs applaudissements sur les
bancs du groupe UMP et du groupe UDF).
Mais le dispositif ne serait pas complet si je n'évoquais
les jeunes générations issues de familles rapatriées
car elles méritent toute notre attention. Il ne s'agit évidemment
pas de les inscrire dans une logique d'assistance mais, au contraire,
d'égalité des chances. Ces jeunes, quelles que soient
leurs origines, doivent être fiers de l'histoire et de l'oeuvre
de leurs parents. Cependant, nous devons les aider à trouver
toute leur place au sein de la communauté nationale, en favorisant
leur insertion économique et sociale.
Le Gouvernement s'est mobilisé, je l'ai dit, pour leur donner
toutes les chances d'accéder à l'emploi. Nous nous
sommes également assurés qu'ils puissent bénéficier
des dispositifs particuliers destinés à favoriser
l'accès à l'éducation et à lutter contre
toutes les formes discriminatoires. A cet égard, le parrainage,
la préparation aux concours et l'aide à la création
d'entreprise doivent être privilégiés.
Toutes ces actions seront poursuivies avec le plus grand pragmatisme.
S'agissant de l'emploi, chacun sait bien qu'il faut agir au plus
près du terrain pour réussir. L'action résolue
du Gouvernement en faveur de nos compatriotes rapatriés touche
aussi bien au symbolique qu'au concret. Nous en préciserons
encore les principales orientations, après vous avoir tous
entendus. Mais je ne saurais conclure sans évoquer les perspectives
prometteuses nées du voyage historique qu'a récemment
effectué le Président de la République en Algérie.
Les relations apaisées et constructives que nous voulons
établir bénéficieront aussi, le Gouvernement
en est convaincu, aux rapatriés de toutes origines qui en
seront des acteurs à part entière (Applaudissements
sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).
M. le Président - Nous allons entendre à
présent les porte-parole de nos quatre groupes.
M. Christian Kert - Un jour de 1960, ici même,
une grande voix, fière de ses origines, haute par l'intelligence
et respectée pour sa volonté, s'élevait pour
donner au débat national une nouvelle dimension. Nous traversions
alors cette période tragique où la France cherchait
un destin à l'Algérie lorsque le Bachaga Boualam,
vice-président de notre assemblée, s'exclama : «
Etant enfant en Algérie, j'ai été à
l'école communale où il y avait des enfants de toutes
confessions, et Dieu sait si elles étaient nombreuses. De
cette cohabitation, il m'est resté un sentiment de fraternité,
né du fait que nous parlions tous la même langue :
le français. Cette langue faisait notre union et ceux qui
l'enseignaient le renforcèrent encore en nous parlant de
la France ». Quelle résonance ont ces propos dans la
France de 2003 !
A partir de 1962, la France assista à un étrange exode
: des milliers de ces Français « de là-bas »
revenaient au pays. On les disait tous riches, et pourtant tous
ne l'étaient pas ; on les disait gais comme des Méditerranéens,
et pourtant la mélancolie colorait leurs propos. A leur côté,
l'étrange cohorte des harkis, qui ne demandaient peut être
rien d'autre que le droit de vivre ! Sèchement contée,
cette histoire paraît avoir des siècles, mais elle
n'a que quarante ans. Quarante ans, c'est le temps qui sépare
l'enfant de l'homme mûr ; c'est aussi le temps qui aura transformé
les jeunes hommes rapatriés de l'époque, porteurs
de rêves, en des sages un peu résignés, un peu
amers, un peu las d'avoir tant raconté une histoire dont
ils ont bien compris désormais qu'elle n'appartient plus
qu'à eux. à l'ouverture des archives de la guerre
d'Algérie ainsi qu'au traitement et à la place de
cette histoire dans l'enseignement.
L'Etat doit faciliter et encourager les recherches des historiens
afin qu'ils puissent établir avec objectivité et sérénité
la vérité sur ces événements. Je sais
en effet que beaucoup de rapatriés attendent encore que la
vérité soit faite sur certains épisodes particulièrement
dramatiques. Il est temps de rappeler la mémoire de Nous
allons, Monsieur le ministre, faire ensemble le voyage à
travers tout ce qu'il reste à accomplir, non pas pour guérir
de leurs maux la génération de ceux qui sont «
rentrés » - car celle-là ne guérira plus
- mais pour vous dire ce que nous croyons juste et bon, au regard
de l'histoire, pour que notre génération ait une chance
de clore enfin un dossier aux multiples aspects : mémoire
de l'oeuvre française en Afrique du nord, réparation
matérielle et morale auprès des rapatriés,
dont certains sont encore dans une situation financière difficile,
parce que les choses de la vie ne se sont pas déroulées
comme il aurait fallu. Et puis, reconnaissance de nos erreurs, à
l'égard de ce peuple fier et courageux que nous avons longtemps,
trop longtemps abandonné dans des camps, qui faisaient penser
aux enfants métropolitains de l'époque qu'un harki,
c'était un drôle de type avec une grande famille, qui
vivait presque libre dans un lieu qui ressemblait presque à
une prison.
Le groupe UMP, va le faire de façon méthodique. Une
vingtaine d'entre nous vont s'exprimer. Ils le feront en développant
chacun l'un des thèmes qui constituent de justes revendications.
Chacun de nous va s'appliquer à vous dire ce qu'il paraît
raisonnable d'obtenir de l'Etat. Ce que nous allons vous dire, nous
l'avons déjà dit au Président de la République,
auquel personne ne peut dénier l'intérêt qu'il
a toujours porté à cette question : mes collègues
vont évoquer l'indemnisation, l'application de l'article
46, la situation des réinstallés, mais aussi le sort
des exilés politiques ou encore celui des retraités
du public comme du privé, et, singulièrement, celui
des médecins.
En ouvrant solennellement ce débat, le Gouvernement a transformé
un climat de résignation en un courant d'espérance.
Attention, toutefois, de ne pas décevoir l'espérance
! Réalistes - et comment ne le seraient-ils pas quarante
ans après ? - les rapatriés attendent des gestes.
Ils savent que tout n'est pas possible et, qu'en période
économiquement tendue, il faudra, quelles que soient les
solutions retenues, du temps pour les appliquer.
Mais, qu'un calendrier soit déjà arrêté,
que des dates soient fixées, qu'une volonté soit affirmée,
alors oui, rapatriés et harkis comprendront ensemble que
la France a décidé une bonne fois pour toutes, de
tourner l'ultime page de ce qui aurait pu rester comme une épopée
et qui s'est transformé en tragédie.
Nous voulons corriger les injustices qui n'ont toujours pas été
réparées. Le Parlement s'y emploie à sa mesure
: un groupe d'études a toujours travaillé sur ce sujet,
sorte d'aiguillon des consciences, tour à tour agité
par des hommes de droite et de gauche, tous aussi sincères,
parce que tous touchés par les détresses. C'est à
l'un des nôtres, Michel Diefenbacher que vous avez confié
le soin d'établir un rapport contenant constat et propositions.
C'est dans cet hémicycle, espérons-le, qu'à
partir de ce débat, nous pourrons ensemble établir
les fondements d'une loi de synthèse, faisant en sorte que
demain chacun sache à quoi il peut prétendre, ce que
l'avenir apportera à sa descendance, ce qui restera inscrit
dans la mémoire collective .
Nous suivrons avec une attention particulière le projet de
création d'un mémorial de la France d'outre-mer à
Marseille. Sur près de quatre mille mètres carrés,
ce mémorial doit être conçu non dans une optique
passéiste, mais avec la volonté d'aller de l'avant,
d'en faire un lieu d'histoire tourné vers les jeunes générations,
sans pour autant oublier la douloureuse histoire de tous les rapatriements.
C'est cela le travail de mémoire. Reste à accomplir
une autre tâche, la quête de la vérité
historique. Ce que veulent les rapatriés et harkis, c'est
que l'on ne travestisse pas leur propre aventure. Il ne s'agit pas
d'opposer une vérité à une autre, mais de rappeler
que si l'oeuvre française outre-mer a pu être synonyme
de conquêtes, de guerres et de sacrifices, elle correspond
aussi à une grande période d'échanges, de développements
techniques, économiques, culturels, médicaux.
Ce que réclament les rapatriés, c'est d'être
entendus des autorités de l'éducation nationale, afin
que l'enseignement dispensé dans nos écoles tienne
compte de leur point de vue. Ils souhaitent être associés
au débat sur la colonisation et la décolonisation,
notamment lors des grandes émissions télévisées.
Certains souhaitent la création d'une fondation chargée
d'animer le mémorial de Marseille.
Se souvenir, expliquer, réhabiliter, affronter la vérité.
Ne craignons plus de le dire quarante après : la France a
commis des erreurs, a parfois manqué de courage, même
s'il est facile de juger aujourd'hui, avec le recul. Nous touchons
là aux dossiers les plus douloureux de l'aventure française
en Afrique du nord : le sort des disparus ; officiellement, on en
reconnaît 3 000, trois mille d'entre les nôtres dont
les proches s'interrogent toujours sur le sort qui leur fut réservé
! Il est temps d'ouvrir ce dossier pour aider ces familles à
accomplir leur travail de deuil. Nous touchons là également
aux manifestations de juillet 1962, à Oran, et au drame de
la rue d'Isly. Ghislaine Grès avait 10 ans, Renée
Ferrandis en avait 22, Gaspard Sanchis en avait 64 ; ils font partie
de la centaine de Français de tous âges et de toutes
conditions, tués ce lundi 26 mars 1962, rue d'Isly par des
balles françaises dont personne, pendant douze longues et
terribles minutes, ne parvint à arrêter le tir.
Ces dossiers-là, nous ne pouvons plus les laisser enfouis.
Si l'oeuvre de la France reste porteuse de succès et d'espérances,
il nous faut dire que l'on ne pourra tourner la page qu'en acceptant
de regarder la vérité en face. A cet effet, il faut
un comité de personnalités à l'objectivité
inattaquable qui recherche et énonce la - ou les - vérité(s).
Quarante ans après, les rapatriés sont capables de
les entendre.
Et puis, dernière grande injustice de l'histoire : le sort
réservé aux harkis. Ce n'est pas un hasard si, au
nom de l'UMP, j'ai ouvert le débat par une phrase du Bachaga
Saïd Boualam. Près de quarante ans d'ignorance, avant
que nous ne réalisions ce que nous leur devions et ce que
nous avons laissé faire. Quarante années de quasi
abandon avant qu'enfin la nation fasse un premier geste dans la
cour des Invalides. Mes collègues diront tout à l'heure
les mesures concrètes que nous réclamons pour eux,
sachant qu'il nous faut penser d'abord à la première
génération des harkis qui, lentement, disparaît,
à leurs veuves, aux femmes divorcées, mais qu'il nous
faut aussi regarder du côté des deux générations
suivantes, qui montent et qui ont droit à ce que nous appelons
la « discrimination positive » et que votre collègue
du Gouvernement, Mme Tokia Saïfi qualifie de « mise à
niveau républicaine ».
Comme le mot « honneur », le mot « harkis »
commence par un h. C'est une juste similitude. Nous devrons veiller
à ce que nous ne confondions plus le harki avec l'immigré
qui ne partage peut-être pas cet amour particulier pour la
France qui fait la marque des rapatriés algériens.
Et nous devrons impérativement veiller à ce que plus
jamais sur notre sol, quiconque vienne dire aux harkis qu'ils étaient
des ennemis de leur terre d'origine.
L'outre-mer peut redevenir une aventure culturelle unique. Monsieur
le Secrétaire d'Etat, vous avez promis tout à l'heure
que le Gouvernement répondrait aux attentes des rapatriés.
Indiquez-nous, je vous prie, dans votre réponse quelles sont
les mesures envisagées dans la loi que vous avez annoncée
et leur échéancier (Applaudissements sur les bancs
du groupe UMP).
M. Kléber Mesquida - Quarante et un ans
après la fin de la guerre d'Algérie, ce Gouvernement
a souhaité organiser un débat sur les rapatriés.
Depuis sa prise de fonctions, il n'a su qu'installer un Haut conseil
des rapatriés en décembre 2002 et une mission interministérielle
aux rapatriés en mai 2003... et diminuer dans le budget pour
2004 de six millions d'euros les crédits d'intervention des
préfectures et de la mission interministérielle.
M. Richard Mallié - Et vous, qu'aviez-vous
fait ?
M. Kléber Mesquida - On peut donc s'interroger
sur les suites qui seront réservées à ce débat.
Le Gouvernement est-il décidé à appuyer les
propositions des parlementaires pour présenter un ultime
projet de loi répondant à toutes les attentes des
rapatriés et des harkis, à dégager les moyens
nécessaires, dans des délais acceptables ? Je me demande
plutôt si, à l'approche des échéances
électorales de mars prochain...
Plusieurs députés UMP - Scandaleux !
M. Kléber Mesquida - ...le Gouvernement
ne cherche pas plutôt à apaiser les rancoeurs qui s'accumulent
chez les rapatriés, comme l'a bien montré le rapport
établi, à votre demande, par notre collègue
Michel Diefenbacher, chargé de dresser l'état des
lieux et de faire des propositions. Nous jugerons aux actes, les
communautés rapatriée et harkie aussi...
M. Richard Mallié - Elles ont jugé
des vôtres !
M. Kléber Mesquida - En ouvrant ce débat,
il faut d'abord rappeler ce que fut la guerre d'Algérie,
cette guerre qui n'avait jamais voulu dire son nom et ne fut reconnue
comme telle que par la loi du 18 octobre guerre qui n'avait jamais
voulu dire son nom et ne fut reconnue comme telle que par la loi
du 18 octobre 1999.
1954-1962 : huit années d'une guerre sanglante, qui a laissé
sur des millions de Français des cicatrices ineffaçables.
Au cours de cette guerre, comme après, chacun d'entre nous
a réagi selon ses opinions politiques, ses origines sociales,
ses convictions philosophiques, ses attaches matérielles
ou affectives. Quarante et un ans après, le temps ayant fait
oeuvre pacificatrice, nous pouvons avoir une vision objective de
l'histoire, regarder en face toutes les vérités et
n'en masquer aucune, car la vérité appartient à
l'histoire. Vérité pour mieux comprendre les violences,
le désarroi, la tristesse, mais aussi les blessures, les
douleurs et les conséquences de cet exode forcé.
Les historiens se demandent si la guerre d'Algérie a éclaté
le 1er novembre 1954 à 1 heure 15 du matin alors que plusieurs
attentats faisaient les premiers morts de cette Toussaint rouge,
ou si ce n'était là que la résurgence du soulèvement
de mai 1945, rapidement étouffé dans l'oeuf par une
vive répression. Pour ma part, je sais qu'un petit garçon
de 9 ans, devenu parlementaire, a vu ses grands-parents, Claire
et Joseph Yvorra, sauvagement et lâchement attaqués
dans une ferme reculée une nuit de cet automne 1954. Comme
lui, au cours de ces huit années, le peuple d'Algérie
s'est trouvé écartelé entre la violente réalité
de ce que l'on nommait alors pudiquement « les événements
» et les propos des dirigeants français d'alors. En
1954, le président du Conseil Pierre Mendès-France
déclarait : « L'Algérie, c'est la France »
et le général de Gaulle en 1958, à la foule
qu'il remerciait de lui avoir permis de revenir au pouvoir : «
Tous Français, de Dunkerque à Tamanrasset ».
Le chef de la France libre, l'auteur de l'appel du 18 juin 1940
avait alors redonné confiance à l'armée, aux
soldats du contingent et au peuple d'Algérie. Français
et Musulmans, au coude à coude, dans des convois en liesse
plébiscitaient de Gaulle. Ces descendants des Phéniciens,
des Byzantins, des Arabes, des Berbères, des Turcs, mais
aussi de Français transportés en 1851, de pieds-noirs,
d'émigrés espagnols, italiens, maltais, scandaient
le nom du Général sans se douter que, quatre ans plus
tard, après avoir fait couler beaucoup trop de sang, l'épilogue
serait douleur, haine et déshonneur. Ils ont été
les victimes d'une tromperie d'Etat.
Quarante et un ans après la fin de cette guerre que certains
ressentent comme un abandon et un reniement, alors que d'autres
la considèrent comme une issue logique de l'histoire, les
Français rapatriés d'Algérie, pieds-noirs ou
harkis, attendent toujours une véritable et totale reconnaissance
de sa responsabilité par l'Etat. Il est temps que la France
reconnaisse les préjudices qu'ils ont subis ou qu'elle leur
a laissé subir sans garantir leur protection, et que les
spoliations soient réparées. Une loi doit définitivement
et solennellement reconnaître les responsabilités de
la France et assurer une réparation morale et matérielle
en complétant les dispositions d'indemnisation, en corrigeant
les inégalités, en comblant les lacunes et en réparant
les oublis.
Depuis 1962, tous les gouvernements se sont réfugiés
derrière l'Etat algérien et les accords d'Evian. Pourtant,
une partie de la France a bien été abandonnée
en violation de l'article 17 de la Déclaration des droits
de l'homme qui dispose que la propriété étant
un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé
si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement
constatée, l'exige et sous la condition d'une juste et préalable
indemnité. Certes, des lois d'indemnisation, bien tardives,
ont permis de couvrir une partie des pertes subies en capital, mais
l'Etat n'a pas rempli la totalité de ses obligations. De
plus, ces lois, d'application différée et étalée
dans le temps, ont entraîné une privation de jouissance
qui n'a jamais été prise en compte. Les associations
de rapatriés estiment que l'Etat pourrait réparer
ces préjudices en appliquant un coefficient correcteur équitable
et loyal aux sommes antérieurement versées.
Il conviendra aussi d'évoquer le cas particulier des ventes
forcées. En effet, certains de nos compatriotes se sont résignés
à brader leur bien dans un climat de terreur ou de menace.
Mais toutes les ventes intervenues après les accords d'Evian
se sont réalisées dans des conditions pénalisantes
pour les vendeurs.
Il faudra également examiner le cas des ayants droit français
de rapatriés étrangers. Ces personnes, pour la plupart
venues d'Espagne ou d'Italie, avaient conservé leur nationalité
d'origine, par ignorance ou par négligence. Toutes les lois
votées à ce jour les ont exclues des dispositifs d'indemnisation.
De ce fait, leurs enfants, pourtant Français, ont été
spoliés de leur patrimoine sans aucun recours possible. Là
également, une réparation s'impose.
S'agissant du remboursement des prêts, l'application de l'article
46 de la loi du 15 juillet 1970 a introduit une iniquité
entre les rapatriés bénéficiaires d'une indemnité
qui a été ponctionnée pour rembourser les prêts
consentis et ceux qui ont pu bénéficier de l'annulation
de leurs dettes. L'engagement pris, notamment lors des campagnes
électorales, d'abroger cet article 46, doit être tenu.
Pour ce qui est de la situation des harkis, l'Etat doit renforcer
les aides et les moyens mis en place, notamment pour l'acquisition
d'un logement, la revalorisation et le versement global de l'indemnisation
forfaitaire, mais aussi prendre des mesures d'envergure pour les
deuxième et troisième générations. Le
président Jacques Chirac n'a-t-il pas reconnu l'indemnisation
des harkis comme une dette d'honneur ?
Rapatriés et harkis doivent être considérés
comme des victimes de la guerre reconnue par la loi du 18 octobre
1999 et la législation sur les dommages causés par
les deux guerres mondiales doit leur être transposée.
Ayons la lucidité de dire que les peuples ont le droit de
disposer d'eux-mêmes et qu'il était inéluctable
que la France mette fin à sa présence tutélaire
en Algérie. Mais elle avait aussi, et surtout, le devoir
de préserver et protéger les Français d'Algérie,
de toutes confessions. La France se serait grandie si, dès
1958, au lieu de tenir des propos démagogiques et trompeurs,
elle avait formé à une gestion commune les futurs
dirigeants de ce pays, nord-africains ou européens. Cela
aurait évité les drames et les bains de sang d'hier,
et peut-être ceux d'aujourd'hui dans ce pays. L'Afrique du
Sud a montré, par la suite, qu'il existait des solutions
de coexistence pacifique et de cogestion.
Au-delà, nous devons reconnaître les aspects positifs
de l'action civilisatrice menée par l'ensemble de nos concitoyens
ayant vécu en Algérie et rendre hommage au courage
et à la ténacité de cette partie du peuple
de France que la France a contrainte, en abandonnant sa protection,
à fuir la terre d'Algérie dans des circonstances tragiques,
à quitter définitivement ce sol d'Afrique du Nord,
devenu terre natale depuis plusieurs générations.
Il faut reconnaître l'impréparation de leur accueil
en métropole, lequel a eu lieu dans l'indifférence
et, parfois, dans l'hostilité. Quarante et un ans après,
la France doit reconnaître sa responsabilité dans les
massacres, les tortures, les enlèvements.
Les accords d'Evian du 18 mars 1962 imposaient un cessez-le-feu.
Pourtant combien de sang a encore coulé après cette
date ! Dès le 26 mars 1962, alors qu'une foule de civils
manifestait pacifiquement rue d'Isly à Alger, l'armée
française ouvrait le feu sans sommation. La fusillade dura
douze interminables minutes et fit plus de 60 morts et 200 blessés.
Parmi la trop longue liste des victimes civiles, de toutes confessions
: Albert Blumhofer, Tayeb Chouider, Charles Ciavaldin, Renée
Ferrandis, Abdallah Ladjadji, Jeannine Mesquida, Domingo Puig Server,
Elie Zelphati. Noms dont la seule consonance montre le creuset de
nationalité qu'était le peuple d'Algérie.
Il faudra aussi évoquer le génocide. Pis encore que
de les abandonner, la France a entravé le sauvetage des harkis.
C'est ainsi que, par un télégramme du 16 mai 1962
émanant du ministre des armées, Pierre Messmer demande
des sanctions contre les officiers qui avaient désobéi
et étaient à l'origine du rapatriement des harkis,
dont l'installation en métropole avait été
interdite. 150 000 d'entre eux, désarmés et sans protection,
furent arrêtés par l'armée algérienne,
condamnés au mieux aux travaux forcés, ou exécutés.
Les historiens estiment à 70 000 et, certainement davantage,
le nombre de victimes, souvent tuées dans des conditions
horribles. Ceux qui purent se faire rapatrier furent parqués
dans des camps entourés de fils de fer barbelés et
soumis à un régime disciplinaire. A ces Français
par le sang versé, nous devons aussi réparation.
Alors que tous les Français savent que le massacre d'Ouradour
a fait 642 victimes, combien ont conscience que la France n'a pas
apporté sa protection et a laissé massacrer des dizaines
de milliers de ses ressortissants, toutes confessions confondues
?
Etant donné le temps de parole qui m'était imparti,
je n'ai pu qu'évoquer quelques pistes. Il faut adopter une
ultime loi qui reconnaîtrait la responsabilité de la
France qui n'a pas protégé ses ressortissants des
massacres, des enlèvements, des disparitions qui ont suivi
le cessez-le-feu. Cette reconnaissance doit s'appuyer sur les conclusions
d'une commission d'enquête qui mettrait à jour tous
les dysfonctionnements et leurs conséquences. Cette loi devrait
aussi comporter un volet sur l'indemnisation matérielle et
morale. Alors les rapatriés et les harkis sauront que justice
leur a été rendue. Alors la France aura véritablement
rempli son devoir de reconnaissance, de mémoire et de réparation
envers ses enfants (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).
M. Francis Vercamer - Le groupe UDF salue l'initiative
prise par le Gouvernement d'organiser un débat, très
attendu par nos amis harkis. Ce n'est pas le premier. J'espère
sincèrement que ce sera le dernier. Cela signifiera qu'il
aura débouché sur une solution consensuelle et satisfaisante.
Le temps n'est en effet plus aux discours, mais aux décisions
et aux actes.
Depuis plus de quatre décennies, aucune loi n'a vraiment
résolu le problème douloureux de la communauté
harkie. Nombre de nos concitoyens ignorent même le problème,
l'histoire de la guerre d'Algérie, n'ayant jamais figuré
dans les manuels scolaires, encore moins celle de la participation
des harkis, sujet tabou qui, encore aujourd'hui, reste difficile
à traiter tant il demeure sensible.
Le temps seul ne peut effacer les blessures de l'histoire. Il reste
que les hommes de cette communauté se sont battus pour leur
patrie, sous son drapeau, sur tous les fronts où la France
était engagée durant la première guerre mondiale,
la seconde, la guerre d'Indochine et la guerre d'Algérie.
Nombreux sont parmi eux les héros anonymes ; je pense en
particulier à ceux qui se sont sacrifiés sur les pentes
du Monte Cassino.
Selon les accords d'Evian, les harkis devaient pouvoir rejoindre
la métropole ou rester, en toute sécurité,
sur la terre algérienne. En réalité, ceux qui
ont choisi de rester, militaires ou civils, ont été
abandonnés à leur sort et souvent massacrés.
Ceux qui ont quitté l'Algérie ont, hélas, trouvé
sur notre sol, en lieu et place de l'accueil amical et reconnaissant
qu'ils méritaient, au mieux l'indifférence, au pire
le racisme. Ils ont souvent été traités comme
des parias, parqués dans des bidonvilles, cachés derrière
des murs, emprisonnés derrière des grillages, dans
des camps où, parfois, s'étaient déroulés
d'autres moments tragiques de notre histoire...
Peu a été fait pour les aider à vivre dignement,
à s'adapter rapidement. Je ne parle pas d'intégration
puisqu'il s'agit de Français qui avaient le sentiment de
venir simplement d'une région française d'outre-mer
pour s'installer en métropole. Au-delà de conditions
de vie terriblement difficiles, ils ont subi des humiliations au
quotidien : couvre-feux, signatures exigées au bas de documents
que souvent ils ne pouvaient pas déchiffrer, manne publique
chichement distribuée.
Je suis l'élu d'une agglomération, celle de Roubaix-Tourcoing,
où cette communauté est importante. Ces gens du soleil
sont venus travailler sous nos ciels que l'on dit souvent gris parce
que leur seule chance, à l'époque, a été
le manque de main-d'œuvre pour les métiers pénibles,
en particulier dans les industries minières, textiles et
sidérurgiques. Les harkis ont assumé les tâches
les plus ingrates, les plus usantes, tout comme les étrangers
ou les immigrés. Vivant d'abord en vase clos, ils ont peu
à peu fait leur chemin, à force de courage et de volonté.
Leurs enfants ont subi, à leur tour, d'autres humiliations.
Ils n'ont jamais eu le sentiment d'être reconnus comme des
Français à part entière. Aucun plan global
n'a été mis en oeuvre pour les aider, notamment dans
l'école de la République, qui aurait pourtant dû
mettre les bouchées doubles pour ces déracinés.
Ils ont été rejetés de tous côtés,
traités comme des étrangers par les uns, comme des
traîtres par les autres, et n'ont pu trouver leur juste place
dans la société. Ils ne savaient plus qui ils étaient,
avaient perdu tous leurs repères. Ils ont connu une vie de
galère. Quand on les fréquente, on comprend leur rancoeur,
leurs déceptions, leurs ressentiments ; ils aiment plus que
tout la France, mais nombre d'entre eux sont aigris car ils ont
perdu leur confiance en leur pays. Ils ont vu leurs parents vieillir
ou même mourir sans avoir été reconnus.
Les gouvernements successifs ne se sont penchés sur leur
sort que tardivement et seulement de façon ponctuelle. Les
lois de juillet 1987 et de juin 1994 prises à l'initiative
de Jacques Chirac et d'Edouard Balladur ont fait avancer la réparation
financière des dommages subis. Malheureusement, ces mesures
n'ont plus été appliquées après 1997.
Plus récemment, le Président de la République
a fait adopter la date du 25 septembre pour rendre un hommage annuel
aux harkis et rappeler officiellement les services rendus à
notre pays et les sacrifices consentis par cette communauté.
La France reconnaît enfin, publiquement, qu'elle n'a pas su
sauver ses enfants.
Par ailleurs, un mémorial devrait prochainement être
érigé pour rappeler l'histoire de ces grands oubliés
de la guerre d'Algérie et symboliser notre reconnaissance.
Mais ces gestes, malgré leur importance, ne sont pas suffisants
pour cicatriser la plaie. Nous devons prendre les mesures que nos
amis attendent qui leur permettront de devenir enfin des citoyens
français à part entière. J'ai déposé
avec mes collègues du groupe UDF une proposition de loi en
ce sens. Rédigée avec l'aide d'associations et de
personnalités de la communauté harkie, elle comporte
quatre axes essentiels et indissociables.
Tout d'abord, et prioritairement, le devoir de mémoire.
Il s'agit de faire connaître à nos compatriotes l'histoire
de la communauté harkie. Il faut commencer dès l'école
primaire ou le collège, car l'ignorance provoque souvent
l'intolérance ; c'est d'autant plus vrai dans des régions
ou des agglomérations dont la population est riche d'une
multiplicité d'origines.
Au-delà de l'enseignement scolaire, qui doit être serein,
clair et précis, la communication passe par des expositions
itinérantes, des documentaires, des débats, des reportages...
Mais il y faut une véritable volonté politique.
Deuxième axe : la réparation des dommages subis.
L'indemnisation de la première génération -
harkis, Moghaznis ou personnels des diverses formations supplétives
- est la priorité. Une allocation forfaitaire, versée
très rapidement et en une seule fois, compensera les pertes
financières qu'ils ont subies. Par ailleurs, ceux d'entre
eux qui ont acquis, à force de courage et de détermination
une résidence principale, devraient pouvoir accéder
aux aides à l'amélioration.
En ce qui concerne la deuxième génération,
il faut distinguer ceux qui ont connu avec leurs parents la fuite
précipitée, l'angoisse, les bateaux bondés,
l'arrivée dans les camps, qui ont droit eux aussi à
une indemnisation digne, mais qui pourrait faire l'objet d'un étalement
dans le temps. Les autres, un peu plus jeunes, ont connu, eux, le
rejet, l'échec scolaire, le chômage, l'impossibilité
de trouver un logement... autant de problèmes qui les ont
conduits parfois à des dérives. Il faut leur donner
une deuxième chance, sous forme d'aides à l'accession
à la propriété ou d'une compensation financière
des années de chômage ou de précarité.
Troisième axe : l'insertion des jeunes de la deuxième
génération.
Il faut commencer par réunir autour d'une même table
tous les acteurs locaux de l'insertion, afin d'établir pour
chacun des jeunes un plan individuel. Dans le même temps,
il convient d'inciter, par des exonérations de cotisations,
les employeurs du secteur privé à embaucher ces jeunes
en contrat à durée indéterminée. A ceux
qui ont déjà un emploi, il faut proposer un parcours
de qualification, voire la possibilité d'une réorientation
professionnelle.
Il faut aussi favoriser l'intégration dans le service public.
Les collectivités territoriales doivent pouvoir accueillir
dans leurs services des jeunes qui souhaitent préparer les
concours de la fonction publique, en suivant une formation en alternance.
Dernier axe, enfin : la citoyenneté.
Pour se sentir citoyens français à part entière,
les harkis, Moghaznis ou personnels des diverses formations supplétives
ayant servi en Algérie, tout comme leurs enfants, doivent
bénéficier de la libre circulation, quelle que soit
leur destination. On ne peut leur refuser de retourner sur leur
terre natale ou sur la terre de leurs ancêtres.
Enfin, et c'est essentiel, les personnes pratiquant le négationnisme
ou le révisionnisme du drame harki doivent être sanctionnées.
Ces propositions ne sont pas exhaustives et seront, j'en suis certain,
enrichies par mes collègues ; mais le groupe UDF tient à
redire combien il est urgent d'agir. Nous n'avons plus le droit
de décevoir une communauté qui a patienté plus
de quarante ans, et dont je comprends l'exaspération. Notre
proposition de loi, qui tend à réparer enfin définitivement
les dommages de l'histoire, correspond dans ses grandes lignes aux
promesses qui ont été faites lors de la campagne présidentielle.
Vous avez, Monsieur le ministre, annoncé un projet de loi
pour début 2004. J'espère qu'ainsi, les harkis se
sentiront enfin des Français à part entière
(Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).
M. François Liberti - L'indépendance
de l'Algérie fut proclamée le 3 juillet 1962, après
huit ans de guerre et cent trente-deux années de colonisation.
Entre avril et juillet 1962, plus d'un million d'hommes, de femmes
et d'enfants quittaient leur terre abandonnant tout ce qui faisait
leur vie. La majorité d'entre eux y vivait depuis quatre
ou cinq générations. Cette population a accompli sur
des terres ingrates un travail considérable.
Sur un million de Français d'origine européenne, on
comptait 22 000 agriculteurs, dont 13 000 possédaient moins
de 17 hectares, et 450 seulement plus de 1 000 hectares. Le reste
de la population était composé principalement d'ouvriers,
de pêcheurs, de fonctionnaires, de professions libérales.
Voilà comment des centaines de milliers de personnes sont
devenues en France des dossiers classés dans la rubrique
« Rapatriés », elles qui luttent depuis quarante
et un ans pour obtenir réparation des séquelles de
la guerre d'Algérie. Cette réparation ne répondrait
pas pleinement au préjudice moral et matériel subi,
mais satisferait au moins à l'exigence d'égalité.
Les victimes de la guerre d'Algérie sont d'abord des Algériens
eux-mêmes, comme Larbi Ben M'hidi, pendu par les commandos
d'Aussaresses. C'est encore Maurice Audin, mort sous la torture,
ce sont les soldats du contingent tombés au combat, les victimes
civiles de tous bords, européens ou harkis, qui ont enduré
un véritable drame, avec les blessures physiques, l'exode
en France, la soupe populaire, les centres d'accueil peu accueillants,
les lits de camp dans des garages, l'humiliation et le mépris,
l'injustice éprouvée chaque jour.
Ceux-là attendent toujours de la France qu'elle condamne
la politique qui a plongé un peuple entier dans le malheur.
La France a un devoir de mémoire envers les Français
d'Afrique du Nord, quelle que soit leur confession, l'Etat doit
reconnaissance à ces deux millions de personnes des malheurs
subis durant huit années de guerre.
A la différence du Maroc et de la Tunisie, l'aspiration légitime
du peuple algérien à l'indépendance s'est violemment
heurtée à des intérêts économiques,
notamment pétroliers, et à des intérêts
stratégiques. L'évolution de la société,
dans toute sa dimension humaine, a été totalement
ignorée.
Ce dont ont besoin toutes les victimes de la guerre d'Algérie,
ce n'est pas de campagnes de haines recuites, c'est de vérités
et de droits effectivement reconnus. La complexité de l'histoire
de la colonisation et du développement de l'Algérie
comme nation, l'examen des décisions politiques prises par
les gouvernements français successifs, nous conduisent à
proposer qu'un collectif indépendant d'historiens travaille
sur cette histoire dans toutes ses dimensions, et en toute objectivité.
Parmi les vérités, la première consiste à
reconnaître que la guerre n'aurait pas dû avoir lieu,
et que ceux qui l'ont condamnée dès le départ
avaient raison. Il est également impératif d'ouvrir
les archives relatives au conflit, et celles des périodes
qui ont précédé et suivi. Tout n'était
pas blanc ou noir, des clivages existaient au sein de la population
d'origine européenne comme de la société algérienne.
Une même famille pouvait compter à la fois des gens
de bonne volonté et des extrémistes, voire des racistes.
2003 a marqué une nouvelle étape, avec la célébration
de l'année de l'Algérie. La mémoire douloureuse
et respectable de ceux qui payèrent le prix d'une histoire
mêlée de sang, d'oppression et de haine est plus que
jamais d'actualité. La raison d'Etat a conduit la France,
naguère, à ne pas assumer ses responsabilités
envers les Français d'Algérie, qui sont entrés
en France dans un désordre tragique et ont été
accueillis le plus souvent dans l'indifférence, l'agacement,
parfois l'hostilité.
M. Jean-Pierre Grand - Surtout à Marseille
!
M. François Liberti - Quarante et un ans
ont passé. Beaucoup de rapatriés sont morts, d'autres
ne vont pas tarder. Il est urgent pour le Gouvernement de présenter
une loi de réparation, par respect pour toute une communauté
et pour permettre à tant d'hommes de faire leur deuil de
la guerre.
Le dossier des rapatriés d'Afrique du nord a été
instruit avec beaucoup de retard depuis 1962. Les lois successives
ont été parfois détournées de leurs
objectifs et ont même créé des injustices. Pourtant
les interventions et les questions des parlementaires communistes
n'ont pas manqué.
Les échanges avec les délégations que Maxime
Gremetz et moi avons reçues me laissent penser que les conditions
d'indemnisation et de réinstallation ont aggravé le
mécontentement, malgré quelques avancées. Avec
d'autres, j'avais demandé la création d'une commission
parlementaire sur la situation faite aux rapatriés, et sur
les moyens de mettre un terme à ce contentieux.
M. Jean-Pierre Grand - Vous avez été
au pouvoir pendant vingt ans !
M. François Liberti - Gardons à ce
débat toute sa dignité !
Quarante et un ans après, le dossier n'est toujours pas réglé.
Il est temps que la France assume toutes ses responsabilités.
Un million de Français de toutes confessions ont été
déracinés, le plus souvent dans un complet dénuement.
Or les trois lois d'indemnisation, qui, de 1970 à 1987, ont
totalisé 56,4 milliards de francs courants, soit 11,22 milliards
de francs de 1962, représentent au mieux 40 % de l'indemnisation
due en capital. Là encore, ce sont les personnes modestes
qui ont été le moins bien traitées. En dépit
de ces insuffisances, le comité de liaison des associations
nationales de rapatriés ne demande pas la révision
des barèmes d'évaluation, mais propose d'appliquer
un coefficient correcteur équitable aux sommes antérieurement
liquidées. Il souhaite aussi qu'il soit pourvu aux lacunes
des lois de réparation, qu'il s'agisse des règles
de plafonnement, des ventes forcées ou du cas des enfants
français nés d'étrangers non indemnisés.
La représentation nationale doit faire en sorte d'apurer
définitivement ces situations.
Le retard dans le traitement des dossiers de réinstallation
frappe des personnes dans une situation morale et matérielle
préoccupante. Les trois textes adoptés par le Parlement,
tendant à une suspension de poursuite au profit des rapatriés
et à une aide au désendettement, sont loin d'avoir
tout réglé. Des centaines de dossiers demeurent en
souffrance, en particulier pour de nombreux marins pêcheurs
rapatriés, à Sète et dans les autres ports
de la Méditerranée. Comme l'établit le rapport
commandé par le Gouvernement, 503 dossiers de désendettement
seraient actuellement éligibles, dont 83 ont vu leur plan
d'apurement accepté et quarante auraient perçu les
aides de l'Etat. Remercions notre collègue rapporteur M.
Diefenbacher d'avoir fait la lumière sur ce sujet, et méditons
le vieil adage selon lequel « lorsqu'on n'avance pas, on recule
».
Au train où vont les choses, et faute de personnel en suffisance,
il faudra encore 41 ans pour boucler les 900 plans recensés
par le rapporteur.
Cette situation de blocage a bien évidemment fait réagir
les associations de rapatriés qui exigent que l'aide de l'Etat
soit définie avant le démarrage de la négociation
entre rapatriés et créanciers. Ainsi, les plans d'apurement
pourraient aboutir plus rapidement. Le taux de participation de
l'Etat à la prise en charge des dettes du réinstallé
doit être suffisamment incitatif. Il doit aussi tenir compte
des réalités propres à certains dossiers.
L'auteur du rapport aborde ces questions, mais les principales associations
concernées souhaitent un effacement de 50 %, non limité
en volume, pour le passif général et de 100 % pour
le passif social non rémissible par les caisses. Cette disposition
aurait l'avantage d'éviter les effets de seuil, souvent désastreux.
On pourrait prévoir deux exceptions. D'une part, pour les
dettes égales ou supérieures à un million d'euros,
les dossiers qui feraient l'objet d'une expertise particulière.
La part de l'intervention de l'Etat serait modulée en fonction
de cette expertise. Pour les dossiers à dominante sociale,
d'un passif de 230 000 € maximum, la subvention de l'Etat pourrait
excéder le taux forfaitaire de 50 %.
M. Maxime Gremetz - C'est une proposition intelligente.
M. François Liberti - Compte tenu des délais
de traitement des dossiers, les dettes à prendre en compte
doivent être celles recensées au 31 décembre
2003 et non plus au 31 décembre 1998. C'est le prix à
payer pour les retards et les blocages qui ont contribué
à aggraver l'endettement.
Selon les informations qui sont en ma possession, un peu plus d'un
millier de réinstallés dans une profession non salariée
ont fait appel au CODAIR.
M. Jean-Pierre Grand - Vous ne manquez pas de culot
! Vous souteniez le FLN et maintenant vous vous occupez de l'indemnisation.
M. François Liberti - Respectez ce débat
qui se déroule dans la dignité.
M. Jean-Pierre Grand - La dignité, pour
un communiste, serait de ne pas parler dans ce débat !
M. le Président - Je vous en prie. Nous entendons un orateur
par groupe.
M. François Liberti - A ce jour, quelques centaines de dossiers
restent à traiter. Il s'agit des plus complexes.
On ne peut ignorer la question des disparus. Leur nombre est estimé
à plus de 3000. Cette estimation est admise par les autorités
algériennes et françaises, même si une enquête
de la Croix rouge internationale, réalisée de mars
à septembre 1963, laisse supposer que le chiffre a été
minoré. L'auteur du rapport propose une enquête sur
le sort des disparus par un comité des sages comprenant des
magistrats, un représentant du Haut commissariat aux réfugiés
de l'ONU et une personnalité qualifiée, désignée
par le ministre chargé des rapatriés. Mais on ne peut
exclure les familles de cette instance et je partage le souci du
Comité de liaison des associations nationales de rapatriés
qui considère que le comité des sages proposé
par le rapport n'aura ni le poids ni l'efficacité escomptés.
Mieux vaudrait créer une commission paritaire au sein de
laquelle on ferait place aux familles. Le Comité de liaison
propose aussi d'assouplir le cinquième alinéa de l'article
7 de la loi du 3 janvier 1979, pour permettre aux familles d'avoir
accès aux archives.
Ce débat est très attendu par la communauté
des rapatriés. Il doit être utile. L'histoire des guerres
s'arrête trop souvent au
M. Jean-Pierre Grand - Il faut être communiste
pour avoir autant d'estomac !
M. le Président - Je vous demande de garder
le silence. Ce débat doit conserver sa dignité. Chacun
a pu s'exprimer.
M. Guy Teissier, président de la commission de la
défense - Il y a quarante ans, se tournait une page
de notre histoire. La France a oeuvré plus d'un siècle
pour mettre en valeur des terres arides, de l'autre côté
de la Méditerranée. Cette histoire a été
faite de passion et d'amour, de blessures et de souffrances. Elle
a marqué, elle marque encore la nation française.
Ceux qui ont vécu ces années ne peuvent évoquer
sans émotion les liens entre la France et l'Afrique du Nord.
Entre 1952 et 1962, dix ans de lutte ont troublé les consciences,
déchiré notre peuple, contraint des centaines de milliers
de nos concitoyens à abandonner une terre où ils étaient
nés, où se trouvaient les tombes de leurs aïeux
et à laquelle ils étaient charnellement attachés.
Nous savons les deuils cruels et les déchirures que les combats
ont engendrés. Soldats de métier, appelés du
contingent, Français musulmans ont défendu côte
à côte les mêmes idéaux, ceux de la République.
De cette expérience, nul n'est revenu indemne. La vie de
ces jeunes gens s'en est trouvée bouleversée à
jamais. Chacun a été marqué par la rudesse
des engagements, le spectacle de la souffrance et de la mort, l'isolement
et le dépaysement.
Nous ne devons pas oublier les sacrifices consentis par ces Français,
ni leur courage. Ces évènements furent tragiques,
avec cette guerre qui longtemps ne voulut pas dire son nom, avec
ses destructions, ses souffrances, ses victimes, et enfin l'exode
de plus d'un million de personnes. Sur le port de Marseille, nous
n'étions pas nombreux à les accueillir, quand d'autres
déclaraient que « sur le fumier de l'Algérie
prolifère le champignon du fascisme ».
Cet exode, nous ne saurions l'oublier.
M. Maxime Gremetz - Nous n'avons rien oublié.
M. le Président de la commission - Nous
non plus.
Nous ne saurions oublier ces Français pieds-noirs qui furent
des pionniers, des bâtisseurs, des administrateurs dévoués
qui mirent leur ardeur, leurs talents et leur c_ur à construire
des routes et des villages, à ouvrir des écoles, des
dispensaires, des hôpitaux et à faire produire à
la terre ce qu'elle avait de meilleur. Le soldat, l'administrateur,
le médecin, le maître d'école, l'ingénieur
et l'ouvrier ont transformé un immense territoire aux trois
quarts désert en champs fertiles et en cités prospères.
M. Maxime Gremetz - Oh ! Ils n'ont pas tout inventé...
M. le Président de la commission - Taisez-vous
! Nous avons écouté votre camarade. A votre tour,
vous m'écoutez (Interruptions sur les bancs du groupe des
députés communistes et républicains et du groupe
socialiste). Ne me faites pas le coup de la victime !
Plus de quarante ans après l'indépendance de l'Algérie,
l'attente des rapatriés et des harkis reste vive. Nous la
comprenons. Pour tous ces rapatriés, il a fallu tout quitter,
et avec les enfants tout recommencer, dans des conditions d'accueil
qui n'ont pas honoré la République. Ces Français
de là-bas ont été deux fois meurtris : chassés
de la terre qui les avait vus naître, ils se sont retrouvés
étrangers dans leur propre pays.
Parce qu'il attache une importance particulière au sort de
ces compatriotes, le Gouvernement souhaite parachever l'effort de
solidarité nationale. C'est pourquoi le Premier ministre
a confié, dans un premier temps, à notre collègue
Michel Diefenbacher la mission de définir les choix qui devront
être faits en ce domaine.
Notre assemblée est aujourd'hui réunie pour débattre
de la politique de la nation envers les rapatriés. Le rapport
Diefenbacher qui fait une analyse précise des dispositifs
de solidarité en vigueur, avance de multiples propositions
dont il faut souligner la rigueur et le réalisme. Il est
possible d'en résumer l'ambition en deux mots : réparer
et rassembler. L'effort de solidarité nationale n'a pas été
négligeable. La majorité peut être fière
de l'_uvre accomplie.
Toutefois, de nombreux rapatriés et harkis jugent cet effort
insuffisant et inadapté. Ils ont raison : ces mesures n'ont
pas répondu à toutes leurs difficultés. Et
si certaines d'entre elles ont été mises en _uvre
rapidement en matière d'accueil et d'installation, l'indemnisation
n'a commencé qu'en 1970. Il faut donc aller plus loin, même
si nous sommes conscients que la situation budgétaire actuelle
ne permet pas de répondre à toutes les attentes.
Il nous faut aussi rassembler, parce que le débat sur les
rapatriés que nous avons aujourd'hui, ainsi que la journée
d'hommage du 5 décembre, constituent des rendez-vous avec
notre histoire, une histoire mal connue, douloureuse et souvent
déformée. Une histoire qu'il importe de rappeler aux
Français parce qu'elle témoigne de la souffrance d'hommes
et de femmes qui ont tout simplement aimé notre patrie. Profondément
attachés aux valeurs nationales, conscients d'avoir servi
leur pays, les rapatriés ressentent comme une profonde blessure
le fait d'avoir été souvent regardés par une
partie de l'opinion comme les responsables d'une situation dont
ils étaient les premières victimes.
C'est au nom de la République qu'est rendu un hommage aux
anciennes forces supplétives, les harkis, ainsi qu'aux tirailleurs,
aux spahis, aux membres des forces régulières, des
groupes mobiles de sécurité, des groupes d'autodéfense.
C'est un devoir moral de la nation.
Sans doute, une France divisée par le conflit en Algérie
n'était-elle pas préparée à accueillir
les harkis. Malgré l'intervention de l'Etat, des collectivités
locales, de nombreuses associations, les difficultés de l'accueil
initial, dans le confinement des camps, ont conduit à des
situations de précarité et, parfois, d'extrême
détresse, dont les conséquences sont encore visibles.
M. Kléber Mesquida - Qui a construit ces
camps ?
M. le Président de la commission - Qu'avez-vous
fait, vous, pour que cela change ? Un peu de pudeur, je vous prie
(Protestations sur les bancs du groupe socialiste).
M. Maxime Gremetz - On n'est pas à l'armée ici !
M. le Président de la commission - Si le
regroupement des familles harkies pouvait s'expliquer dans les premières
années par le souci de les protéger des risques d'attentats,
cette situation a malheureusement perduré.
Le rapport Diefenbacher présente des propositions justes
et réalistes, notamment en ce qui concerne les réparations
matérielles. Il s'agit tout d'abord de restituer aux rapatriés
les sommes prélevées au titre du remboursement des
emprunts par les lois de 1970 et 1978.
M. Kléber Mesquida - Enfin !
M. le Président de la commission - Cette
mesure bénéficierait à 90 000 personnes et
coûterait 300 millions d'euros.
Il s'agit ensuite de compléter les aides aux harkis en leur
permettant de choisir entre le doublement de l'allocation de reconnaissance
ou son augmentation de 30 % et une indemnité de 20 000 €.
En outre, il importe de faire du mémorial de l'outre-mer,
à Marseille, un haut lieu du souvenir et un centre national
de recherche qui permette de mettre en valeur, de façon objective,
les actions et les réussites de la France. L'engagement de
Marseille, de son maire, des élus pour la réussite
de ce projet, est un message fort adressé aux rapatriés
et aux harkis. Quoi de plus symbolique que l'installation de ce
mémorial à Marseille, dans une ville ouverte sur la
Méditerranée, carrefour fraternel des peuples et des
civilisations ? la France, en effet, peut être fière
de l'action accomplie par ses enfants outre-mer.
Il est également important de créer, au sein de l'éducation
nationale, un groupe de réflexion sur la place réservée
à l'oeuvre française outre-mer dans les manuels scolaires.
La tâche sera longue et difficile.
Enfin, il importe de veiller à la préservation des
cimetières français en Algérie, comme le Président
de la République l'a demandé lors de son voyage officiel
en Algérie en mars dernier. Afin que les milliers de sépultures
de nos compatriotes de toutes confessions bénéficient
du respect qui leur est dû, il convient d'accroître
les efforts de sauvegarde entrepris. Ces cimetières constituent
en effet une partie de la mémoire personnelle et familiale
des rapatriés et témoignent de l'histoire commune
de nos deux pays.
Certaines collectivités territoriales, à l'approche
des échéances électorales, font des annonces
tonitruantes. Qu'en est-il exactement ? Que compte faire le Gouvernement
en la matière ?
M. Kléber Mesquida - Nous verrons bien.
M. le Président de la commission
- Je regrette que les conclusions du rapport écartent
de la prochaine loi d'indemnisation les supplétifs non musulmans.
Ils ont défendu la même cause, porté les mêmes
uniformes, connu le même destin.
Malgré les affres du déracinement et de l'injustice,
les rapatriés de toutes origines ont trouvé peu à
peu leur place dans la communauté nationale grâce à
leur travail et à leur courage. Que de brillantes réussites
parmi eux, dans tous les domaines !
Cette longue histoire commune a été bâtie par
des femmes et des hommes attachés à leur terre natale
mais aussi à leur patrie et à leurs couleurs. Dire
cela, c'est rappeler les devoirs particuliers de la France envers
tous ses concitoyens rapatriés qui ont connu la douleur de
l'exil et les difficultés de l'installation en métropole.
Dire cela, c'est témoigner que la République refuse
l'oubli et ne peut s'accommoder d'aucune forme d'abandon à
l'égard d'aucun citoyen, et je pense plus particulièrement
à nos amis harkis. Dire cela, c'est affirmer enfin que l'Etat
assume son histoire et ses responsabilités.
C'est pourquoi, je réitère l'indéfectible soutien
de la majorité à ce gouvernement, qui apportera les
réponse espérées par les rapatriés et
les harkis. Ainsi, nous attendons avec impatience l'examen du projet
de loi que vous avez annoncé.
Albert Camus a écrit : « Pour ceux qui connaissent
les déchirements du oui et du non, du midi et des minuits,
de la révolte et de l'amour, pour ceux qui aiment les bûchers
devant la mer, il y a là-bas, une flamme qui les attend ».
Cette flamme vacillante et pourtant si vivace, c'est celle de la
mémoire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
|