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l’histoire ne doit pas être l’esclave de l’actualité ni s’écrire sous la dictée de mémoires concurrentes
 
 
   
       
   

Blois, onzième édition des Rendez-Vous de l’histoire : deux cents débats et conférences, autour de 25 000 visiteurs, plus d’une centaine de stands de livres et d’associations, des dîners historiques, un festival du film d’histoire… C’est là que, le 10 octobre 2008 , l’académicien Pierre Nora, au nom de l’association Liberté pour l’histoire qu’il préside, lance un appel aux historiens et aux hommes politiques.

« Inquiet des risques d’une moralisation rétrospective de l’histoire et d’une censure intellectuelle », il affirme que « l’histoire ne doit pas être l’esclave de l’actualité ni s’écrire sous

 
       
 

la dictée de mémoires concurrentes » et que, « dans un État libre, il n’appartient à aucune autorité politique de définir la vérité historique et de restreindre la liberté de l’historien sous la menace de lois pénales ». Aussi pour mettre « un coup d’arrêt à la dérive des lois mémorielles », l’historien engage ses collègues à se rassembler. Aux politiques, il demande de prendre conscience que « s’il leur appartient d’entretenir la mémoire collective, ils ne doivent pas instituer par la loi et pour le passé des vérités d’État dont l’application judiciaire peut entraîner des conséquences graves pour le métier d’historien et la liberté individuelle en général ».
Le 18 novembre 2008, la mission d’information sur les questions mémorielles animée par le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, remet son rapport. À l’issue de très nombreuses auditions, elle conclut que « le rôle du Parlement n’est pas d’adopter des lois qualifiant ou portant une appréciation sur des faits historiques, a fortiori lorsque celles-ci s’accompagnent de sanctions pénales », ou de « prescrire le contenu des programmes » scolaires. Pour autant, afin de ne pas raviver « les querelles mémorielles », la mission exclut cependant d’abroger les lois existantes. Ce “gel” de la concurrence mémorielle est-il réaliste ? Est-il imaginable de ne pas donner aux uns, demain, ce que l’on a accordé aux autres hier ?
C’est justement parce que les interventions politiques étaient de plus en plus fréquentes que s’est créée, en 2005, sous la présidence de René Rémond, l’association Liberté pour l’histoire. Avec deux buts : « faire reconnaître la dimension scientifique de la recherche et de l’enseignement historiques », « défendre la liberté d’expression des historiens contre les interventions politiques et les pressions idéologiques de toute nature et de toute origine ». Signé de Pierre Nora et de Françoise Chandernagor, la vice-présidente de l’association, un petit manifeste, paru alors même que se tenaient les journées de Blois, en établit les objectifs.
Avant tout, il vise à mettre en lumière la logique implicite et les conséquences des lois mémorielles. En tout, cinq lois, plus une décision-cadre européenne votée sur proposition de la France, textes législatifs qu’il conviendrait de toiletter ou, mieux, d’abroger.
Première loi : la loi Gayssot du 13 juillet 1990, du nom de son auteur, le député communiste Jean-Claude Gayssot, selon Françoise Chandernagor, est la moins mal faite. Mais en interdisant et en pénalisant la contestation des jugements de Nuremberg, son article 9 innove dangereusement sur le plan des principes. « Pour la première fois, on sacralisait des jugements », note la romancière. Elle ajoute : « On créait ainsi une nouvelle catégorie juridique – la vérité historique – en introduisant […] un délit tout neuf, celui de contestation. » Délit qui n’est pas défini et qui est laissé entièrement à l’appréciation des juges. Avec les meilleures intentions du monde, réprimer toute nouvelle forme d’antisémitisme, on ouvrait la boîte de Pandore. Ce que disait en son temps (Libération du 14 avril 2005) l’historien Pierre Vidal-Naquet : « Je vomis les négationnistes. Mais j’ai toujours été contre la loi Gayssot. Ce n’est pas à l’État de dire comment on enseigne l’histoire. »
Car cette disposition suscita d’autres lois et d’autres propositions. En janvier 2001, des citoyens d’origine arménienne obtiennent une loi reconnaissant le “génocide arménien”. La même année, à la demande de citoyens des départements d’outre-mer, le Parlement vote la loi Taubira qui reconnaît à la traite et à l’esclavage le caractère de crime contre l’humanité. Parallèlement, le gouvernement français introduit auprès des instances européennes un projet de décision-cadre (applicable comme une loi dans chaque état membre) relatif à la « banalisation grossière » et à la « complicité de banalisation » de tout événement qui aurait été précédemment qualifié de “crime de guerre” ou de “crime contre l’humanité ”. Puis, en février 2005, vient la loi Mekachera, (?????????) qui se prononce sur le « rôle positif de la présence française outre-mer », une disposition annulée en 2006.
Suit en octobre 2006, la proposition Masse adoptée par l’Assemblée nationale : elle étend à la loi de 2001 sur l’Arménie les sanctions pénales prévues par la loi Gayssot, sanctions qui seront aussitôt étendues à la loi Taubira.
Depuis cette date, une vingtaine d’autres propositions de loi ont été déposées sur le bureau des Assemblées pour qualifier de crime contre l’humanité ou de génocide des faits historiques anciens ou récents, français ou étrangers : génocides tzigane, vendéen, ukrainien. Une association suisse milite pour faire reconnaître l’horreur du massacre des gardes suisses, aux Tuileries, en 1792.
Personne ne nie l’horreur de tel ou tel crime. Maissur quels critères s’appuyer pour les qualifier ? Les mentalités, les conceptions de la liberté, de la vie et de la mort varient selon les époques et les cultures. Faut-il blâmer Platon et saint Paul qui ne condamnent pas l’esclavage ? Pourquoi ne pas remonter à la Saint-Barthélemy, suggère Chandernagor ? Et les albigeois, les cathares et les croisades, renchérit Nora ? Et au nom du million, au moins, de Gaulois tués ou vendus par César, une loi pourrait être votée pour stigmatiser ce crime contre l’humanité. Une notion qui ne peut être rétroactive, ni sur le plan intellectuel, ni sur le plan moral, ni sur le plan juridique.
Est-ce une particularité française que ce rapport si maladif avec le passé ? Pierre Nora n’est pas loin de le croire : « Deux mille ans de culpabilité chrétienne relayée par les droits de l’homme se sont réinvestis, au nom de la défense des individus, dans la mise en accusation et la disqualification radicale de la France. Et l’école publique s’est engouffrée dans la brèche avec d’autant plus d’ardeur qu’à la faveur du multiculturalisme elle a trouvé dans cette repentance et ce masochisme national une nouvelle mission. Après avoir été le vaisseau pilote de l’humanité, la France est devenue ainsi l’avant-garde de la mauvaise conscience universelle. Lourde rançon. Singulier privilège. »

À lire

Liberté pour l’histoire, de Pierre Nora et Françoise Chandernagor,
CNRS Éditions, 62 pages, 4 euros.
Sur Internet : www.lph-asso.fr.
Les Guerres de mémoires dans le monde, Hermès, n° 52, 224 pages, 25 euros.
Les Guerres de mémoires. La France et son histoire, sous la direction
de Pascal Blanchard et Isabelle Veyrat-Masson, La Découverte, 336 pages, 20 euros.

Source : http://www.valeursactuelles.com/public/valeurs-actuelles/html/fr/articles.php?article_id=3859 - Le piège des lois mémorielles - Polémique. Quand morale et idéologie perturbent la libre recherche des historiens.- Frédéric Valloire, le 02-01-2009