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l’Indépendant de Perpignan organise une entreprise de discrédit
sur le Mur des Français Disparus en Algérie
         
     

PERPIGNAN 18 FEVRIER 2008

L’Indépendant organise une entreprise de discrédit du Mur des Disparus, menée par un groupe d’extrémistes.
On ne s’étonnera pas non plus que les individus concernés par cette affaire (tous vivants ! et demeurant à La Ciotat), ne se réveillent que maintenant alors que non seulement leurs noms figurent sur la liste officielle de l’Etat (disponible depuis 4 ans).

Ce qui est le plus navrant, c’est que cette journaliste qui avait couvert avec intelligence la cérémonie d’inauguration le 25 novembre 2007, consacre une bonne partie de la UNE du journal. Ni avant, ni après l’inauguration, l’Indépendant n’a cru bon donner la parole aux familles de Disparus pourtant nombreuses dans la région de Perpignan.
Il faut, mais doit-on s’en étonner ? qu’un homme qui a eu la chance de vivre et de mourir naturellement en 2007 soit un fervent ‘’anticolonialiste’’ pour qu’on lui consacre autant de place, alors que les 2618 victimes (2619-1) soient totalement ignorées et bafouées.

 
 
 
 
   
       
 

L'Indépendant 26 novembre 2007
Mur des Disparus : recueillement à Perpignan

Le coeur serré par l'émotion, les plus proches parents de ceux dont le nom a été gravé dans le marbre du Mur des disparus ont laissé libre cours à leur détresse. Après 45 ans de silence, entre pudeur et cri du coeur, ils ont laissé leurs larmes dire ce que les mots sont impuissants à exprimer. | Lire la suite |
   
 
 

Cher papa. Je me souviendrai toujours de cette journée du 20 juin 1962. J'avais dix ans, tu en avais quarante..."
Cher papa : deux mots simples brisent le silence. Restent suspendus dans l'air, malgré les efforts d'une tramontane prête à les emporter au loin. Ébranlent ces corps jusque-là drapés dans une dignité douloureuse. Et finissent par distordre ces visages, qui s'étaient pourtant promis de rester forts.
L'histoire de ce petit garçon, écrivant à cette ombre qui a pour nom papa, c'est la leur. Celle de leur propre père, de leur mère. De leur grand-père ou de leur femme. De leur oncle, cousine, ami, fiancé. L'histoire de ce bout de leur vie dont ils se sentent amputés... "Nous ne saurons jamais si tu es mort, où, et comment, et si tu as souffert !" La voix se brise derrière le micro. Les larmes débordent des lunettes noires. Et même sous les couvertures de survie, seules taches d'or dans un océan de grisaille, on distingue clairement les reliefs que forment ces mains qui se serrent.
"Je m'étais promis de ne pas pleurer"
"Juin 1962... novembre 1956... avril 1962... printemps 1957... juillet 1962..." La litanie semble ne pas avoir de fin. Noms. Lieux. Dates. Âges. Pris au hasard d'une liste tissée de drames. Évocation de fantômes qui font tressaillir ceux qui n'ont cessé de penser à eux depuis quarante-cinq ans.
Il est temps, semblent dire les sanglots silencieux. Il est temps de pouvoir dire au revoir à autre chose qu'à un souvenir.
Sur son fauteuil, poussé doucement par sa femme, Boris répète, inlassablement. "Pour rien au monde... Pour rien au monde...". Pour rien au monde, il n'aurait manqué ce rendez-vous. Depuis que la maladie lui a fait élire ce fauteuil pour assise permanente, c'est son premier voyage. Un voyage de Lyon à Perpignan, dit-il. Ce qu'il ne dit pas, c'est que son voyage, il le poursuit jusqu'en Algérie, sur la route du souvenir. À l'époque où Boris courait sur d'autres rivages. "Aujourd'hui, j'aurais voulu être sur mes deux jambes. J'aurais dû être sur mes deux jambes", assène-t-il, comme pour dire qu'il s'est passé trop de temps. Josette a passé son doigt sur ce nom. Martinez. Comme pour le graver dans sa chair. Et son doigt s'est mis à trembler. Le tremblement a gagné tout son corps. "Je m'étais promis de ne pas pleurer", articule sa bouche derrière un rideau de larmes. Son père avait l'intention de rester. On lui avait dit qu'il pouvait rester. "Mais ils n'ont pas voulu de lui..." "Aujourd'hui, j'enterre mon père..."
Viviane est pétrifiée. Viviane n'est que larmes. Elle avait 17 ans, le jour où elle a vu son père pour la dernière fois. "Aujourd'hui, j'assiste enfin à son enterrement". Elle voudrait dire autre chose, Viviane la Marseillaise. Elle voudrait dire l'indicible. Et c'est dans un seul souffle qu'elle finit par dire comment sa quête de quarante-deux années a brutalement pris fin : "Le quai d'Orsay a fini par m'envoyer le rapport de la Croix-Rouge, sans un mot d'explication, sans précautions. Froidement. Disant que mon père a été égorgé et jeté dans le four d'un hammam..." Viviane s'écroule dans les bras d'Élise. Des larmes plein les yeux, Elise n'est pas seulement venue soutenir une amie. Élise est venue, comme elle dit, reprendre son identité. "J'avais quatre ans. Avec mon père, c'est mon enfance qu'on a volée. C'est mon identité qu'on a enterrée, pendant quarante-cinq ans ". Élise, elle aussi, a reçu le rapport de la Croix-Rouge. Son père aurait été vu vivant, un mois après sa disparition. "Et qu'est-ce qu'elle a fait pour lui, l'armée ? Hein, qu'est-ce qu'elle a fait ?" Dans ce petit bout de Perpignan, les yeux rougis par trop de larmes le disputent aux colonnes vertébrales raides de trop de pudeur.
Une pudeur que partagent Mohamed et Kader, venus simplement dire merci au nom de tous les harkis sans nom et sans sépulture. "Il ne faut pas oublier qu'on a été oubliés, disent-ils. Les harkis qui ont été honteusement abandonnés, c'étaient nos frères et nos soeurs".
Leurs frères et leurs soeurs. Les pères de Josette, de Viviane, d'Élise. L'oncle de Christiane, qui a disparu en revenant de l'enterrement de sa propre soeur. Les enfants sans parents, et les parents sans passé.
Hier, à Perpignan, les chemins de la douleur ont fini par croiser la longue route du souvenir.

Barbara Gorrand
     

L'Indépendant du 18 février 2008


http://www.lindependant.com/articles/2008/02/18/20080218

Perpignan : une famille bien vivante gravée sur
le Mur des Disparus

C'est par un ami que la famille Donnat a appris que son patronyme est inscrit sur le mur polémique des Disparus à Perpignan. Et Gaston Donnat, célèbre militant de l'anticolonialisme décédé l'an dernier, peut compter sur sa famille pour "laver l'affront".

Tu ferais bien d'aller faire un tour sur le site de Bab el Oued Story. Ton père, ta mère, tes soeurs et ton neveu sont inscrits sur le mur des Disparus..." U n cataclysme. Déclenché à distance par un simple coup de téléphone. Pour Yvan Donnat, le choc est rude. Car son père a bel et bien disparu. Mais c'était il y a un an à peine. Le 5 février 2007. Et ce n'était pas en Algérie. Quant à sa mère, ses soeurs, et son neveu, ils sont là, autour de lui, et n'ont de commun avec les fantômes que la couleur blanche que les années ont laissée sur leur tête...
Les seules choses qu'Yvan Donnat pensait disparues, enfouies sous le manteau des souvenirs, ce sont ces images. La fusillade de sa voiture, qui a bien failli leur coûter la vie à tous. Son père, digne directeur d'école emmené comme un vulgaire bandit devant ses élèves, interné dans le camp militaire de Lodi. Son grand-père, jeté en prison à 75 ans. Et cette condamnation à mort prononcée par l'OAS à l'égard de toute la famille. Et puis, Yvan se souvient de ce 15 septembre 1962... "Ce jour-là, la Dépêche Algérienne faisait état de la disparition de mes parents, de mes soeurs et de mon neveu. À cette époque, j'étais appelé du contingent et affecté à l'Etat Major, j'étais donc bien placé pour avoir des informations et savoir que ma famille allait bien, puisque je venais de parler à ma mère ! Le soir même, l'armée et l'Ambassade de France ont donc fait passer un démenti. En réalité, la veille, mes parents et ma soeur étaient allés voir mon beau-frère. Ils lui avaient promis de l'appeler pour lui dire qu'ils étaient bien rentrés, mais ils avaient oublié... Lui, inquiet, avait donc signalé leur disparition". Yvan Donnat comprend alors qu'en ces temps troubles, le démenti n'a pas dû être enregistré.
"Mon père l'humaniste, aux côtés de ceux de l'OAS ? Jamais !"
Mais cela n'atténue pas pour autant la douleur de la famille. Car Gaston Donnat n'était pas un citoyen comme les autres. Et sa présence sur le mur polémique blesse profondément ceux qui l'ont aimé. Gaston Donnat débarque à Alger, en décembre 1931. Il a alors 18 ans, et c'est à la vue des dockers algériens en loques dans le vent glacial que sa conscience militante s'est affirmée. Dès lors, son nom sera associé à la lutte contre toute forme de colonialisation, que ce soit au Cameroun aux côtés du leader indépendantiste Ruben Um Nyobé, ou en Algérie, terre où il revient en 1952. "C'était un humaniste, un militant anticolonialiste. Mon père est un homme qui, toute sa vie, s'est battu aux côtés des opprimés, au mépris de sa propre vie. Jusqu'à sa mort, cela aura été son combat. Alors, voir son nom figurer sur ce mur aux côtés de ceux d'assassins de l'OAS qui nous avaient condamnés à mort, c'est plus que douloureux : c'est révoltant ! Jamais !"
Sa colère, Yvan la partage avec sa mère et sa jeune soeur. A sa soeur aînée, traumatisée par les violences subies en Algérie, ils ont préféré taire jusqu'à l'existence de ce mur... "Nous avons écrit une lettre à Jean-Paul Alduy, dans laquelle nous lui demandons comment, en sa qualité d'officier d'état civil, il n'a effectué aucune recherche afin de contrôler l'exactitude des informations qui lui étaient fournies. Quelle crédibilité accorder, du coup, à cette liste des Disparus ? Et bien évidemment, nous avons exigé que notre nom soit effacé de ce monument dont la récupération politique par les nostalgiques d'un passé peu glorieux pour la France est évidente." Liberté Donnat, 90 ans, viendra défendre la mémoire de son mari
La lettre envoyée du même coup au cercle algérianiste par Yvan Donnat est, elle, bien plus lapidaire. La famille envisage également de donner des suites judiciaires à cette affaire. Yvan Donnat viendra personnellement vendredi à Perpignan pour en expliquer la teneur, entouré du collectif d'opposition au mur. Sa mère a insisté pour être du voyage, afin de veiller à ce que le nom de son époux ne soit jamais terni. Elle a 90 ans, et elle s'appelle Liberté.

Barbara Gorrand