Notre mère, la France La fiesta, le peuple de Bab-el-Oued en est friand. Pour la fiesta, toutes les occasions sont bonnes : les naissances, les mariages, les communions solennelles (chez nous, on est catholiques-superstitieux), les anniversaires, les petits prétextes locaux (par exemple, les banquets des sociétés philharmoniques et sportives et les apéritifs d'honneur, arrosés de la présence de plusieurs conseillers municipaux et d'un parlementaire) et les grandes dates nationales - 14 juillet, 11 novembre -, que ce jour-là, les fanfares elles sortent les musiques, et les anciens combattants les drapeaux et les médailles. Les enfants des écoles, auxquels les instituteurs aiment à apprendre des chansons martiales " bien de chez nous ", rêvent de vaincre ou mourir avec la République qui nous appelle, de passer par la Lorraine avec des sabots, de défiler avec le régiment de Sambre-et-Meuse ou avec les Allobroges vaillants. Les dictées et les récitations leur parlent de vallées ombragées, de grasses prairies, de fleuves majestueux, de tout un univers qui parait fabuleux et fascinant dans un pays où la terre est calcinée, l'herbe rare et les eaux de l'oued bien maigres. Si la France est vue sous des couleurs idéales, c'est qu'il s'agit d'une princesse lointaine, presque inconnue de ses soupirants, trop pauvres, en général, pour se payer, même en période de vacances, l'avion pour Paris ou même le bateau pour Marseille. C'est seulement pendant les guerres, et sous l'uniforme que le Babelouedien traverse la Méditerranée : Mon père, il a fait Verdun, moi, la libération de l'Alsace. Les seuls moments qu'elle pense à nous et qu'elle nous fait venir, notre mère la France, c'est quand l'Allemagne elle lui tombe dessur et qu'elle a besoin que tous ses fils ils la défendent. Mais qu'est-ce qu'elle fait, elle, quand nous zotres on a besoin aussi qu'on nous défende? -Nous défendre contre qui? Contre les A rabes, qu'ils ont bien changé, qu'ils sont plus comme avant. " Avant ", c'est-à-dire avant l'insurrection de novembre 1954, le racisme paternaliste du " petit Blanc " n'excluait pas la cordialité des rapports avec les " amis arabes " que l'on invitait rarement à la maison, mais que l'on fréquentait joyeusement au travail, au café, au stade. Ce côtoiement est attesté par l'abondance des mots arabes dans la langue pataouète. Le Patos En 1956, cependant, la plupart des, amis arabes " ne veulent plus de la fraternité condescendante, ni même de l'égalité qu'on leur promet trop tard. Ils veulent la liberté, qu'ils appellent indépendance. Ils combattent. Ils s'organisent, aux lisières du quartier, dans les immeubles jouxtant Climat-de-France, l'immense édifice rectangulaire construit par la municipalité Chevallier et l'architecte Aixois Jaques Pouillon. Devant ce qu'il considère comme la montée des périls ", le Babelouedien moyen fait appel au Métropolitain, au patos (mot espagnol pour canard). |
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