Pour rire et pour pleurer Les couples sont rares. Trois ou quatre garçons, habillés avec une négligence étudiée (Comment que tu le mets, ton foulard? C'est important le foulard), marchent côte à côte sur la chaussée. Les filles, elles aussi, " font l'avenue ", par groupes jacassants et gloussants. On s'observe sournoisement, on s'interpelle avec plus ou moins d'esprit, ou de bonheur. Des clins d'oeil s'échangent, les coups de foudre éclatent. Le samedi après-midi ou le samedi soir, Pedro s'en va, avec la famille ou les amis, au cinéma, au " Palace " ou au " Petit-Casino ", mais de préférence, au " Majestic " dont tout Bab-el-Oued est fier parce qu'il possède une belle enseigne au néon parce qu'il a été construit patriotique, en 1930, pour les fêtes zanniversaires de la conquête et parce qu'il est le plus grand de toute l'Afrique du Nord. Le problème de la sélection du film est vite réglé. On choisit, pour les dames, un musical (une histoire chantante et roucoulante, hispanique ou sud-américaine) ou un triste qui vous tire les larmes, à moins que ce ne soit, pour les mâles un aventure (Jim la Jungle, Tarzan, Zorro) ou un western (les Américains contre les bandits). Les hommes prennent les places et s'entassent avec les femmes, les enfants, les couffins, les sandwiches (pour çui-là q'il a faim à l'entracte et même avant), les oranges, les bouteilles de limonade, les bonbons acidulés, les paquets de cacahuètes et les cigarettes Bastos. La lumière s'éteint. Les " mamas " cherchent à faire taire leur progéniture avec un succès relatif. Sur l'écran, l'intrigue se noue. Au moment pathétique, quand le traître semble sur le point de vaincre le héros, le public, spontanément manichéen et intensément participationniste, réagit bruyamment, dans un tumulte indescriptible. Le cinéma est dans la salle. Des spectateurs interpellent une ombre, en hurlant : Entention (attention), Zorro, entention! Il est derrière toi, il va te niquer le beignet! (te faire un mauvais sort). Retourne-toi, mets-lui un taquet (un coup de poing); prends ton pétard et tire, la mort de ton âme, tire! Mais qu'est-ce ti attends? Si tu le tues pas, c'est lui qui te tue. La baroufa Le coup de théâtre attendu se produit. Zorro et la justice triomphent. Happy end. Chacun est bien content, mais on a eu chaud! A la sortie, une baroufa (dispute) éclate, imprévisible, soudaine comme orage de septembre sur le cap Matifou. Deux jeunes coqs se dressent face à face: - Tu te crois, pourquoi que tu t'es payé le balcon plus cher ,tu
te crois, la mort de tes bis, tu te crois le droit que tu me jettes à
moi, que je suis en bas bien tranquille , tes peaux d'orange, tes pluchures,
(tes épluchures) et tes saletés ! Eh bien Zoubia!
(bernique!) je vas t'apprendre moi, à être propre ! Des ansultes (insultes) à la famille, aux morts, à la race et à la religion de l'adversaire, on passe aux coups. La bagarre dure jusqu'à l'arrivée de la police (contre laquelle un front commun se forme aussitôt) ou jusqu'à l'intervention, plus fréquente, des médiateurs et des conciliateurs : Allez, basta! Baraka ! (ça suffit). Le défoulement ayant été immédiat et violent, la fièvre retombe aussi vite qu'elle était montée. Parfois, les deux adversaires " se touchent la main " dans une réconciliation sentimentale . aussi brusque, excessive, déroutante, que l'empoignade, déjà oubliée. |
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Les filles, elles aussi, " font l'avenue " |
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La Boucherie du bonheur..... |
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