Cité Pouillon

Le pataouète, " ce rameau sur la souche des langues d'oc ", selon l'excellente définition de Gabriel Audisio, continue à forger impétueusement, sur une toile de fond française, sa syntaxe exubérante et son vocabulaire concret empruntant sans complexe ses locutions à l'espagnol - catalan, valencien ou castillan -, aux versions napolitaine et sicilienne de l'italien, au maltais, au provençal, à l'arabe.

En 1956, l'influence spécifiquement française s'est fortement accentuée et le pataouète, tout en demeurant largement ésotérique pour le francaoui (le métropolitain), s'est tout de même rapproché du français naturel, celui qu'on parle en Beauce ou en Touraine. Un certain vent de modernisme a, d'autre part, soufflé sur Bab-el-Oued, dont la population ne cesse de s'accroître (80000 habitants en 1952, 100000 quatre ans plus tard).

Les H. L. M. poussent maintenant comme des champignons sur les terrains vagues et parfois à la place de vieilles maisons rasées. Des voitures de plus en plus nombreuses sillonnent des rues de plus en plus embouteillées.

Mon ami Pedro, sa femme Maria et leurs deux fils, Pépé et Tonio, habitent un logement bien rangé, mais laidement meublé. C'est qu'ils ignorent, Pedro et Maria, les raffinements de la décoration et, au surplus, ils ne s'intéressent guère à l'esthétique des appartements. Si, à Bab-el-Oued, on aime mieux dihors que dedans, c'est qu'on préfère la beauté de la nature à celle des objets. C'est non pas dedans, mais dehors, sur le balcon, que Pedro va boire son bol de café au lait avant de partir pour le travail.
Il est caissier dans un restaurant. Son salaire est maigre. Maria, qui va faire ses emplettes au marché des Trois-Horloges, a peu à dépenser et elle marchande dur dans les boutiques, ce qui ne l'empêche pas de tenir, en même temps, de longues conversations avec les commères bavardes du quartier. Les autres familles sont à l'image de celles de Pedro et de Maria. Les citoyens de Bab-el-Oued : petits fonctionnaires, petits commerçants, petits artisans; bref, de petites gens. Un monde les sépare des bourgeois de la rue Michelet.

Pedro, qui se lève tôt, se couche également tôt, mais il réserve certaines heures de ses soirées aux activités musicales et sportives, qui sont multiples à Bab-el-Oued. Accordéoniste, il répète avec les autres membres d'un petit orchestre dans une cave dont les voûtes ne sont pas assez profondes pour étouffer les flonflons, qu'on entend, et de loin, dans la nuit.

Membre du bureau directeur d'une société de joueurs de boules, il passe, parfois, après dîner, " au bureau " pour régler les problèmes de cotisations, de constitution des quadrettes et de calendrier de championnat.

Des lourdes responsabilités lui permettent de tenir bon pendant les mois d'hiver, où le ciel, il pleure la pluie, et d'arriver, avec un moral élevé, au temps chaud, marqué par deux exercices essentiels, la sieste et le bain.

La sieste, explique-t-il, c'est bon avant, pendant et après. Avant, parce que, pendant que je me fais mes additions, je me sens déjà que je dors. Pendant, parce que, pendant le sommeil, les forces de l'homme elles se renforcent. Après, parce que, quand Je saute du lit et que Je mets mon pied chaud sur le parterre froid, le carreau, c'est comme s'il me fait une caresse.


Les balcons.

Joueurs de boules square.....

Pêcheur Sicilien

Le vendeur d'oeufs "le mirage".
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