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Cependant, la seule remise en cause de l’organisation sociale du groupe ne permet pas d’expliquer en totalité ce sentiment d’« arrachement ».
Le lien unissant la population française d’Algérie au territoire algérien apparaît également extrêmement fort. Celui-ci perdure d’ailleurs aujourd’hui, plus de 40 ans après la migration.
Effectivement, le « déracinement » constitue un traumatisme pour le groupe et a exacerbé son attachement à l’Algérie. Cette population s’est construite, avec une identité et une culture propres, entre 1830 et 1962 en Algérie. A partir du moment où la population quitte le territoire algérien et doit s’adapter, s’intégrer en France métropolitaine, son sentiment d’appartenance à cette terre et l’identité partagée par les membres du groupe ont été révélés.
25 960 000 Français quittent l’Algérie pour s’installer en métropole à partir de décembre 1961 (selon le Service Central des rapatriés), dont plus de 500 000 entre les mois de mai et août 1962 (Archives départementales des Bouches-du-Rhône,M630874, in JORDI Jean-Jacques, 1995, 1962 : l’arrivée des Pieds-noirs, Paris : Editions Autrement, 139 p.).
Effectivement, un certain régionalisme semble être apparu en Algérie, alors territoire français, en quelques décennies. Un groupe hétérogène se constitue (origines géographiques et religieuses diverses) et semble différentiable du reste de la population française. Il est ainsi parfois question de la population « européenne » d’Algérie ; sans compter les influences de la vie dans un pays maghrébin et au sein d’une ambiance, d’une idéologie coloniale. Par ailleurs, en 1954, environ 79 % de la population européenne d’Algérie est née sur le sol de l’Algérie.26 De plus, quelle que soit leur origine, les membres de cette population se considèrent comme appartenant à une « France algérienne », les « Français de France » étant perçus comme des compatriotes différents. « " Etes-vous français ? " "Algériens nous sommes !" répond Cagayous le héros favori du petit peuple Pied-Noir au début du siècle ». Un sentiment d’appartenance régionale naît par conséquent, avec une identité. Les interrelations entre territoire algérien et identité française d’Algérie apparaissent ainsi.
Or, ce sentiment d’appartenance territoriale est conservé lors de la guerre d’Algérie, puis après la déclaration d’indépendance et l’exode de cette population vers la Métropole. Ce régionalisme semble même être exacerbé à partir de cet instant du fait de la confrontation directe avec l’Autre, les « Métropolitains ».
Dans un premier temps, il est des plus nécessaire de reconstruire sa vie et, la plupart des membres du groupe ayant perdu la quasi totalité de leurs biens, de trouver un emploi. Ainsi, les besoins matériels sont les premiers auxquels la population française d’Algérie, dite à partir de cette époque la population « Pied-Noire », va répondre via la recherche d’un emploi, d’un logement, d’une école pour les enfants. La dispersion relative de la population à travers
l’Hexagone est alors une des premières conséquences. Tout ce qui est lié aux revendications d’indemnisation apparaît alors primordial, prioritaire. Néanmoins, au fil du temps, une fois ces besoins matériels résolus (au moins en partie), la population française d’Algérie peut commencer à prendre le temps de se réorganiser sur les plans culturel et identitaire.
En effet, cette population est confrontée à l’altérité, à une identité et une culture différentes des siennes. Cela a notamment pour conséquence de lui révéler sa propre identité. Cette prise de conscience est appuyée par l’apparition, dans les années 1950, de l’appellation « Pied-Noir » pour qualifier ce groupe social . Cette dénomination, malgré le fait qu’elle soit imposée par les « Métropolitains » et qu’elle soit connotée négativement à l’époque (voire
encore aujourd’hui), permet de donner une certaine image d’homogénéité au groupe, et ainsi d’offrir une certaine cohésion à ses membres. Le terme « Pied-Noir » constitue par conséquent une des bases de l’identité collective de cette population après l’indépendance de l’Algérie. Ainsi, si dans les premières années l’urgence de la réinstallation interdit souvent des préoccupations identitaires, les associations liées à ces questions apparaissent dès le milieu
des années 1970. Les amicales de tel ou tel lycée d’Algérie ou de tel ou tel village fleurissent un peu partout. Vient ainsi le temps de la reconstruction du groupe social, avec ses préoccupations culturelles et la mise en avant de son identité collective. Celle-ci a donc été conservée (bien que non nécessairement exprimée) malgré la perte du territoire où elle s’est construite.
Il est toutefois nécessaire de garder à l’esprit que la perte de l’Algérie a également pour conséquence d’entraîner une fragilisation du groupe, notamment du fait de la dispersion. Si, pour certains, la population française d’Algérie naît à partir de l’instant où elle a été déterritorialisée, c’est également l’événement qui la fragilise. La perte du territoire n’est pas sans conséquence sur l’identité du groupe social au regard des éléments présentés dans la
première partie du texte. La population française d’Algérie a perdu, d’une certaine manière, ce en quoi elle s’identifiait. La matérialité de leur identité reste circonscrite aux images que ses membres en gardent. Par ailleurs, suite à cette déterritorialisation, certains membres du groupe ont fait le choix de l’oubli de leur appartenance à cette population. Autre point : si ceux qui sont nés en Algérie conservent une identité particulière du fait de leur vécu en
Algérie et de l’expérience du rapatriement, se pose le problème de la transmission identitaire et culturelle à ceux qui n’ont pas vécu en Algérie : les nouvelles générations.
Par conséquent, la déterritorialisation a causé des dommages au sein de la population française d’Algérie. Son identité, discours du groupe permettant sa cohésion et prenant appui sur un territoire, a été fragilisée. Certaines personnes ne ressentent donc plus leur appartenance au groupe social et le quittent. De plus, cette identité, restée en quelque sorte latente durant plusieurs années, demeure fragile. Elle n’a pas d’appui « matériel » permettant
d’afficher sa lisibilité. Elle a ainsi des difficultés à s’affirmer, à être partagée, à être transmise.
Une nouvelle territorialisation peut ainsi apparaître comme un véritable enjeu de survie pour le groupe social. Sans celle-ci, l’identité du groupe risque de disparaître, engendrant par là même la disparition du groupe social. Or, une reterritorialisation est perceptible.
La conservation d’un particularisme culturel et identitaire
La reconstruction ou restructuration du groupe social passe par la construction et le développement d’un nouvel ancrage territorial. Effectivement, une nouvelle carte de la répartition des Français d’Algérie en France se redessine doucement, avec un fort ancrage méditerranéen. De même, diverses manifestations culturelles, cultuelles sont organisées en des lieux bien propres à ce groupe social ; lieux qui deviennent dès lors des marqueurs
territoriaux. Les mémoriaux se multiplient dans diverses villes (Avignon, Marseille, etc.).
Cette nouvelle territorialisation du groupe, fortement liée à la conservation d’un particularisme identitaire, peut être interprétée comme une volonté de s’affirmer en tant que groupe social, avec des individus partageant une terre de naissance, une singularité culturelle, qui se reconnaissent entre eux. Il s’agit également de montrer aux Autres qui sont les Français d’Algérie, quelle est leur histoire, quelles sont leurs valeurs. Cela fait directement écho à
l’Histoire de la colonisation enseignée dans les écoles et collèges, ainsi qu’aux stéréotypes dont les Français d’Algérie ont été (voire sont encore) accablés à leur arrivée en Métropole. Il ne s’agit pas toujours uniquement d’être reconnus par ces Autres. L’enjeu est plus important encore. La volonté d’affirmation et de reconnaissance du groupe social vise avant tout à permettre aux générations suivantes de revendiquer cette origine, cette identité ; qu’elle ne tombe pas dans l’oubli.
Or, cela a été montré précédemment, le territoire joue un rôle majeur dans l’affirmation d’une identité collective. Il lui confère une matérialité dans la mesure où il permet la rencontre du signifiant et du signifié. Il rend ainsi l’identité plus intelligible, plus lisible. Mais quelles formes peut prendre cette territorialisation ?
Concernant les populations déterritorialisées, la nouvelle territorialisation présente fréquemment une forme particulière. Il ne s’agit pas, la plupart du temps, d’une aire spatiale, d’un territoire correspondant à tel ou tel maillage administratif ou juridique. Ces territorialisations correspondent davantage à des formes de territoire beaucoup plus « diffuses », à des formes réticulaires. Il semble que les populations déterritorialisées, ayant été mobiles et s’étant dispersées, ont tendance à s’approprier des territoires d’une échelle restreinte qu’elles mettent en réseau du fait des liens, notamment culturels, qui existent entre les membres de cette population. Ainsi, « parce qu’ils définissent plus des phénomènes relationnels et des valeurs abstraites que des réalités tangibles ou immuables, les territoires échappant à une stricte logique politique ne brillent pas par la rigueur de leurs configurations
et de leurs limites. Constitués en systèmes symboliques identitaires à fortes références culturelles, imprimés dans l’espace approprié et vécu par les individus socialisés, ils se plient difficilement aux contraintes d’une cartographie respectueuse des limites de répartition. »
Ainsi, les rapports spatiaux des hommes, « toujours plus mobiles, s’ancrent (matériellement et plus encore idéologiquement) dans un réseau complexe de lieux et de territoires disséminés.
Ces formes confèrent à l’espace géographique une structure complexe et nébuleuse, se concentrant ça et là en nodosités territoriales. »
La population française d’Algérie n’échappe pas à la « règle ». Sa territorialisation ne peut être délimitée par des frontières, des limites nettes, cartographiables. Elle est caractérisée par certains regroupements des membres de la population, couplés à une forme réticulaire avec un ancrage sur des marqueurs territoriaux. Nous ne prendrons pas ici en compte les membres de ce groupe social ayant fait le choix d’une installation à l’étranger, marquant le rejet du territoire national, ou en Corse et dans les DOM-TOM, faisant le choix des « marges » françaises et non de la France métropolitaine. Leur cas nécessiterait leur analyse propre. La population installée en France métropolitaine, dont l’identité est prise entre passé et présent, entre la France (son espace d’appartenance, de vie) et l’Algérie (son territoire perdu), doit évoluer, se territorialiser, pour permettre sa survie. Si le territoire revendiqué est l’Algérie, l’implantation géographique du groupe en Métropole révèle effectivement une certaine territorialisation.
Un nouveau schéma territorial s’est ainsi mis en place, volontairement ou non, à partir des années 1960. Le lien à l’Algérie reste toujours présent. Néanmoins, il y a eu rupture. Les Français d’Algérie ont du composer avec le passé et le présent. Des liens semblent être apparus entre territoires et lieux d’hier, en Algérie, et territoires et lieux d’aujourd’hui en « métropole ». Une sorte de territorialisation des Français d’Algérie en France a été
engendrée, permettant par là même de conserver une mémoire du vécu en territoire algérien, une identité du groupe social. C’est la survie du groupe, de son particularisme, qui était en jeu.
Une territorialisation avec le regroupement spatial d’une partie de la population Deux regroupements relatifs de la population française d’Algérie peuvent être mis en avant (voir carte ci-après). Les Régions Provence Alpes Côte d’Azur et Languedoc-Roussillon, ainsi que la Région Ile-de-France paraissent particulièrement attractives pour ce groupe social, contrairement aux régions situées dans le Nord-Est, le Nord-Ouest ou le Centre de la France.
La relative concentration de cette population en région parisienne (17,9 % du groupe) peut être rapprochée des forts pourcentages enregistrés dans des départements tels que la Gironde, la Haute-Garonne ou le Rhône. Les grandes villes françaises sont effectivement relativement attractives pour la population française d’Algérie. Les possibilités de trouver un emploi y sont plus grandes. Par ailleurs, ce groupe social était principalement urbain en Algérie française. L’espace rural peut être considéré comme peu attractif.
Cependant, un certain regroupement est observé dans le sud de la France, dans les départements du Midi méditerranéen essentiellement. Les Régions Provence Alpes Côte d’Azur et Languedoc-Roussillon regroupent 39,8 % du groupe. Cela peut être associé à une volonté pour les Français d’Algérie de ne pas trop perdre leurs repères paysagers avec la proximité de la mer Méditerranée, le climat, la végétation, etc.. Des villes, telles que Nice, Toulon ou Marseille, présentent un environnement comparable à celui des villes méditerranéennes côté Algérie. Les ports et aéroports méditerranéens ont également accueillis
une majorité des Français d’Algérie au début des années 1960. Certains, connaissant peu le territoire métropolitain, n’en ont pas bougé ne sachant où aller. D’autres, pensant qu’ils repartiraient rapidement en Algérie, ne sont pas allés plus loin. Or, une certaine proximité des membres d’un groupe peut permettre une fréquence plus importante des rencontres, des discussions et donc, d’une manière générale, d’un partage identitaire et culturel. Ceci représente un élément important pour la construction ou la conservation d’une mémoire commune. Ces régions méditerranéennes semblent ainsi particulièrement structurer la
territorialisation de ce groupe social, permettant un enracinement et un partage de l’identité du groupe. D’ailleurs, c’est dans ces régions que se trouve la majorité des marqueurs territoriaux du groupe.
Une territorialisation réticulaire
Parallèlement aux regroupements de membres de ce groupe social, la territorialisation s’est également faite sous une forme réticulaire. Des lieux apparaissent ainsi comme des espaces fortement investis de sens, porteurs d’identité. Ils sont particulièrement importants pour la territorialité du groupe. Effectivement, « le territoire constitue un remarquable champ symbolique, semé de signes qui permettent à chacun de le reconnaître et, en même temps, de
s’identifier au groupe qui l’investit. Certains de ses éléments […], hissés au rang de valeurs patrimoniales, contribuent à fonder ou à consolider le sentiment d’identité collective des hommes qui l’occupent. Sur de telles bases symboliques, le territoire identitaire devient un puissant outil de mobilisation sociale. »33 Cette territorialisation se fait donc à travers l’essaimage de divers objets spatialisés, empreints d’une valeur nouvelle donnée par le groupe social, qui peuvent être englobés sous l’appellation de marqueurs territoriaux. Ils permettent une territorialité répondant à la perte du territoire d’origine, en conférant un appui matériel à une identité fragilisée.
Ainsi, si certains restaurants, locaux associatifs, les maisons peuvent porter une iconographie rappelant le territoire d’origine avec des photographies, des cartes affichées sur les murs, un certain nombre de sites, de monuments, d’établissements, etc., a été mis en place par la population française d’Algérie, directement ou non, et est chargé de sens pour elle. Ces marqueurs territoriaux sont à la fois un élément repère pour le groupe, un lieu approprié
et partagé par les membres de la population et un élément permettant l’identification du groupe par les « Autres », avec un fonctionnement en externe. Le signifiant et le signifié s’y rencontrent : il s’agit donc bien d’une forme de territorialisation.
L’approche de ces marqueurs territoriaux peut notamment permettre de percevoir les rapports au territoire d’origine, les éléments constituant le lien communautaire et l’identité.
Dans ce cadre, les marqueurs territoriaux liés à la pratique de la religion pour la population française d’Algérie paraissent particulièrement
exemplaires. Ils ont un rôle important dans le lien communautaire. La création de ces marqueurs s’est faite au travers du réenracinement des vierges et des cloches des églises d’Algérie dans des églises ou sites en France métropolitaine. Le site de Santa-Cruz à Nîmes, consacré à la vierge d’Oran est, tous les ans, le théâtre d’un pèlerinage, surtout suivi par les anciens habitants français de l’Oranie. Ce pèlerinage est la
transfiguration sur la commune de Nîmes de celui qui avait lieu tous les ans à Oran, en Algérie, avant l’indépendance. La coutume a été gardée bien que le pèlerinage religieux ait évolué au fil du temps pour prendre davantage l’apparence aujourd’hui d’un grand rassemblement des anciens habitants de l’Oranie,
voire de l’Algérie française entière. Il constitue l’occasion pour tous les anciens habitants de l’Oranie de retrouver leurs voisins, leurs amis de « là-bas ». Chaque village oranais reprend vie, le temps d’une journée, sous une pancarte portant son nom. Le schéma se retrouve également, bien que de manière
moins caricaturale, à Carnoux-en-Provence, dans les Bouches-du-Rhône. La commune, créée par des rapatriés d’Afrique du Nord pour accueillir des membres de leur population, a dédié son église à Notre-Dame d’Afrique, la vierge noire de la ville d’Alger. La statue de cette vierge a été rapatriée d’Algérie et a trouvé sa place dans cette église. Tous les ans, le 15 août, une grande messe est organisée. Théoule-sur-Mer, dans les Alpes-Maritimes, a vu un de ses sites voué au même culte. Une statue monumentale de Notre-Dame d’Afrique a été édifiée au début des années 2000 Certains Français d’Algérie se regroupent à ses pieds, les 1er mai, 15 août et novembre notamment, pour célébrer des messes.
L’ensemble de ces rassemblements autour de marqueurs territoriaux est en lien avec la mémoire. Ces lieux sont porteurs d’identité et permettent l’affirmation du groupe.
Cependant, tous les marqueurs territoriaux n’ont pas une signification religieuse pour le groupe, existent dans de nombreuses villes de France, fréquemment dans les cimetières, et sont consacrés aux victimes (civiles et/ou militaires) de la guerre d’Algérie. Des représentants du groupe social se rassemblent autour de ces marqueurs pour les grandes dates (26 mars pour la fusillade de la rue d’Isly à Alger, 5 juillet pour le massacre d’Oran, 5 décembre pour la
journée nationale du souvenir des morts pour la France pendant la guerre d'Algérie et les combats de Tunisie et du Maroc). Ces repères peuvent également faire référence à la (ou les) cause(s) de sa migration (événements civils ou militaires notamment). Ils peuvent également correspondre au lieu de regroupement des habitants de tel ou tel village, de telle ou telle faculté d’Algérie. Les exemples pourraient être multipliés. Leur signification, le message qu’ils portent sont souvent différents. Ils peuvent également revêtir des formes très diverses. Néanmoins, une grande majorité, du moins les plus importants car les plus rassembleurs, se situe dans les régions du Sud-Est français, puis en région parisienne (à Paris essentiellement).
Tous ces marqueurs ont été créés dans l’objectif de conserver une mémoire, de reconnaître l’histoire des Français d’Algérie. Les différents rassemblements associatifs, culturels, religieux, géographiques, sont autant d’éléments permettant de partager régulièrement une histoire, une mémoire et de participer à la construction, à l’affirmation du groupe, de manière volontaire ou non selon les individus. Les pratiques liées à ces marqueurs sont essentielles au
maintien d’une conscience identitaire. Les marqueurs permettent de faire perdurer la culture, la mémoire du territoire perdu dans l’ici et le maintenant. Ce rôle est d’autant plus important qu’il permettra au groupe de surmonter le traumatisme de la perte du territoire et aux générations futures de s’identifier encore au groupe social. Apparaîtrait ainsi la mise en place de liens forts malgré la dispersion en appui sur des marqueurs territoriaux et donc sur un
territoire réticulaire. La nouvelle territorialisation du groupe répond à la déstabilisation de son identité, du fait de la perte du territoire algérien, en permettant à nouveau des interactions actives entre territoire et identité. La « crise » identitaire liée à la déterritorialisation a ainsi été en partie surmontée, bien que certains membres du groupe aient perdu (et perdent encore) leur sentiment d’appartenance à cette population.
Conclusion
Les interrelations entre territoire et identité, étudiées en géographie sociale, peuvent ainsi toujours être mises en avant concernant l’étude des populations déterritorialisées. La dispersion des membres de ces groupes sociaux les amène, en effet, à se (re)territorialiser pour conserver leurs particularismes identitaire et culturel et permettre la survie de leur population. La territorialisation permet effectivement de surmonter le traumatisme de l’exode (ou exil), et favorisent la vie du groupe en rendant possible le partage d’une culture, d’une identité et d’une mémoire. Bien que ces groupes se heurtent toujours au passé, avec une certaine nostalgie souvent, ils se tournent également vers l’avenir en permettant des retrouvailles, un nouveau partage. Cela paraît particulièrement important pour cette population dans la mesure où les nouvelles générations ne connaissent pas l’Algérie française, si ce n’est au travers du discours de ceux y ayant vécu. C’est ce qui a également pu motiver une reconstruction territoriale en Métropole,
dans l’ici et le maintenant, un territoire réel perçu en partie comme une reconstruction du territoire perdu. Ce territoire avec ses lieux de mémoire peut ainsi constituer un repère identitaire pour les Français d’Algérie, toutes générations confondues, et permettre la transmission de la mémoire au travers du temps.
Il existe ainsi un va-et-vient entre le discours lié à l’Algérie et les pratiques identitaires ancrées aujourd’hui principalement dans le sud métropolitain. Les membres du groupe ont effectivement besoin de la reconnaissance des autres, des Métropolitains, afin d’être identifiés, différenciés en tant que groupe. Parallèlement, ce travail sur la mémoire sert également à créer du lien entre les membres du groupe, à construire un sentiment d’appartenance fondé sur le passé, touchant également les jeunes générations. Il s’agit de permettre la transmission d’une identité collective, malgré la perte de leur « pays ». La territorialité engendrée par la reterritorialisation du groupe social permet ainsi de faire face au traumatisme, de s’appuyer sur le passé pour « rebondir » dans le présent afin d’envisager plus sereinement l’avenir. Le groupe trouve un appui pour son identité et sa culture dans l’espace, qui semblent dès lors davantage pérennisées.
L’approche en géographie sociale de cette population permet ainsi de porter un nouveau regard sur cette migration. Peu de géographes s’intéressent effectivement à cet épisode des « rapatriements » et à ses conséquences. Concernant ces groupes, l’entrée historique est plus
habituelle (bien que quelques études en sociologie ou en sciences politiques soient récemment menées) : il est question de l’histoire de l’Algérie française, de la guerre d’Algérie, du rapatriement. Ce qu’est ce groupe aujourd’hui ne semble pas au coeur des préoccupations. Cela ne permet guère à cette population de sortir de la nostalgie qui la relie à sa vie algérienne. Une lecture territoriale actuelle montre pourtant la dynamique animant ce groupe.
Il partage une identité collective qu’il a su conserver et ré-ancrer. Ceci est visible, lisible du fait des signes de sa reterritorialisation. Son étude est donc d’actualité. Or, cette analyse paraît d’autant plus pertinente qu’elle semble pouvoir être élargie à l’ensemble des migrations de
population. Les groupes sociaux déterritorialisés (diasporas, populations immigrées, réfugiées, etc.) font face au même besoin de reconstruction territoriale et identitaire illustré ici à travers l’exemple de la population française d’Algérie. Il s’agit d’autant d’objets d’étude potentiels en géographie sociale.
IN Edwige GARNIER UJF-Grenoble UMR CNRS 2004 |
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