"M. Hamlaoui Mékachéra, secrétaire
d'Etat aux Anciens combattants, a reçu, le mercredi 22 janvier, M.
Jean Favier à l'issue de la seconde réunion de l'instance de
concertation chargée de proposer la date de commémoration de
la Guerre d'Algérie. Les présidents des associations représentatives
du monde combattant avaient participé à cette instance.M. Jean
Favier remettra dans les prochains jours un rapport au secrétaire d'Etat.
Il a toutefois tenu à indiquer qu'un large accord s'était dégagé
pour proposer la date du 5 décembre. Une des associations présentes
a, cependant, maintenu son attachement à une autre date, le 19 mars.".
On ne peut que se féliciter de ce que serait la disparition de l'infamie
que constituerait la célébration nationale du 19 mars, date
qui salit la Mémoire des près de deux cent mille victimes ou
disparus après cette date (soldats, harkis et des civils Pieds Noirs)
et est une tâche pour la France.On peut
néanmoins s'étonner du simple tout de passe-passe "politique"
que constitue le remplacement du 16 octobre par le 5 décembre.Certes,
il s'agit de la date de l'inauguration du Monument aux Combattants tombés
pendant la Guerre d'Algérie. Mais elle vient en remplacement de la
date où le Président Valéry GISCARD D'ESTAING a permis
au Soldat inconnu de la Guerre d'Algérie de Reposer auprès de
ses compagnons des Guerres de 14/18, 39/45 et d'Indochine.
Si cette dernière date a été jugée peu représentative,
il serait regrettable de la voir remplacée par une date dont le caractère
solennel ne saurait être supérieur. On comprend pourquoi la FNACA
s'est immédiatement engouffrée dans la brèche. En quoi
l'inauguration d'un Monument pourrait-elle être supérieure au
respect dû à un soldat inconnu représentant ses 23 000
camarades tombés pour la france ? Est-il d'ailleurs métropolitain?
musulman? pieds noirs?.Il faut donc penser qu'il s'agira surtout d'honorer
la date de l'inauguration par le président CHIRAC. Si l'on peut comprendre
que les associations d'anciens Combattants ne voient aucun inconvénient
à remplacer Valéry GISCARD D'ESTAING par Jacques CHIRAC, on
ne pourrait qu'être étonné si des associations "pieds
noirs" avaient apporté leur soutien à un tel tour de passe-passe
en faveur du Président qui se dit héritier du Gaullisme. Il
est vrai qu'elles ont été écartées de la Commission
FAVIER, commission dite de consultation. Jean-Pierre
RONDEAU
Discussion d'une proposition de loi
M. le président L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Bernard Charles et plusieurs de ses collègues relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie (n- 3450, 3527).
Le rapport de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales porte également sur les propositions de MM. Alain Bocquet et Alain Néri et plusieurs de leurs collègues.
La parole est à Mme Marie-Hélène Aubert, rapporteure de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
Mme Marie Hélène Aubert rapporteure de
la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'état à la
défense chargé des anciens combattants, mes chers collègues,
le 19 mars 1962, à midi, Il y a quarante ans bientôt, le cessez
le feu, conclu la veille, lors de la signature des accords d'Evian, entrait
en vigueur et mettait fin "aux opérations militaires et à
la lutte armée sur l'ensemble du territoire algérien ".
Ce fut aussi, comme l'a dit l'historien Jean Lacouture, "le premier jour
où la France ne fut en guerre avec aucun peuple ", la fin d'une
ère coloniale aux lourdes conséquences, encore bien présentes
dans les tensions d'aujourd'hui.
A l'époque, la nouvelle court sur les ondes et procure soulagement
et émotion des deux côtés de la Méditerranée,
tant ces longues années ont été porteuses de deuils,
de souffrances et d'atrocités parfois. Malheureusement, ce ne fut pas
le cessez le feu pour l'OAS, l'organisation de l'armée secrète...
M. Michel Meylan. Et le FLN ?
Mme Marie Hélène Aubert, rapporteure
(députe du parti Radical Citoyen et vert). ... qui, se mettant délibérément
hors la loi de la République, poursuivit sa politique de terre brûlée
et de terreur jusqu'en juin 1962, semant la panique au sein des populations
européennes en Algérie, qui fuient en masse, exacerbant les
vengeances et les règlements de compte.
Puis, après l'indépendance de l'Algérie reconnue par
la France le 3 juillet 1962, la violence se déchaîna à
nouveau de la part des Algériens à l'encontre notamment des
Harkis, honteusement abandonnés à leur sort, et entre les différentes
factions algériennes en lutte pour le pouvoir.
Au total, le bilan de cette guerre fut terrible, sur les plans humains, social,
économique et politique.
En Algérie, la guerre d'indépendance a causé des centaines
de milliers de morts, de blessés et de disparus, occasionné
le déplacement de millions de paysans et déstructuré
l'économie.
En France, les victimes furent moins nombreuses mais le traumatisme a été
tout aussi profond. Deux millions de soldats, dont une majorité écrasante
d'appelés du contingent, souvent très jeunes, ont traversé
la Méditerranée entre 1955 et 1962, embarqués cruellement
dans une guerre dont ils ne comprenaient pas vraiment les enjeux. Autres préférèrent
les prisons, la clandestinité, le refus, plutôt que de participer
à cette guerre. Environ trente mille sont morts, des milliers ont été
blessés, tous ceux qui sont revenus portent au fond d'eux-mêmes
des souffrances parfois Indicibles et Indélébiles. Certains
de ces anciens d'Algérie, de cette "troisième génération
du feu ", comme on les appelle, siègent sur ces bancs, à
commencer par vous-même, monsieur le ministre, et beaucoup, je le sais
et je le vois, nous écoutons aujourd'hui avec attention et émotion.
Toutes ces victimes, civiles ou militaires, quelle qu'en soit la date, méritent
notre respect, notre devoir de mémoire et notre volonté de réparation,
autant que faire se peut, quand il s'agit de telles souffrances. Politiquement,
le conflit a profondément troublé et divisé la classe
politique de l'époque Il a précipité la chute de six
présidents du Conseil, l'effondrement de la IV, République et
l'avènement de la VI République en septembre 1958, sous l'égide
du général de Gaulle. Pourtant, malgré ou à cause
de la brutalité de cette guerre, celle ci est restée volontairement
ou inconsciemment enfouie dans le non dit, sujet tabou et controversé.
Comme l'écrit l'historien Benjamin Stora, "la guerre finie, d'un
côté comme de l'autre de la Méditerranée, on s'efforcera
d'en effacer les traces sanglantes, réelles. En France, aucune commémoration
ne viendra perpétuer le souvenir des combattants de tous bords, et
la chaîne des amnisties successives construira l'oubli d'un conflit
Inavouable ".
Et ce, en dépit des multiples ouvrages parus depuis sur le sujet, et
des polémiques récurrentes sur la question de la torture, dénoncée
courageusement à l'époque par certaines personnalités
au sein du comité Audin ou par le général de Bollardière,
ravivées récemment par les déclarations scandaleuses
du général Aussaresses, dont le procès pour apologie
de crimes de guerre sera jugé la semaine prochaine. Depuis quelque
temps aussi, en 1988 et 1991 notamment, et plus récemment, les jeunes
générations, en Algérie comme en France, manifestent
avec force un besoin de reconnaissance, de vérité et de justice,
victimes elles aussi d'une histoire coloniale occultée ici, ou d'une
guerre d'indépendance mythifiée là bas.
Heureusement le Parlement n'est pas resté à l'écart de
ce mouvement. En juin 1999, sur l'initiative du groupe socialiste, il a adopté
à l'unanimité une proposition de loi reconnaissant l'état
de guerre en Algérie et les combats en Tunisie et au Maroc. Cette officialisation
de la guerre d'Algérie a enfin rendu la parole à toutes celles
et à tous ceux pour qui ce silence était insupportable.
Nous devons à présent poursuivre cette démarche salutaire
en instituant un temps de mémoire, un moment commémoratif, qui
permette à tous les Français, à la République
dans sa diversité, à la lumière de ses valeurs humanistes,
d'évoquer, sous tous ses aspects, la guerre d'Algérie, de lutter
contre l'oubli, de dénoncer les horreurs de toute guerre et les errements
du colonialisme, pour mieux construire une paix durable.
C'est pourquoi le groupe Radical, Citoyen et Vert soumet à votre approbation
cette proposition de loi officialisant le 19 mars comme journée du
souvenir et de recueillement, à la mémoire de toutes les victimes
civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats de Tunisie
et du Maroc. Elle fait d'ailleurs l'objet d'un examen commun avec des propositions
de loi similaires du groupe socialiste et du groupe communiste. Je n'ignore
pas non plus que certains collègues de l'opposition ont aussi déposé
des propositions allant dans ce sens.
Nous n'ignorons pas non plus que cette date ne fait pas l'unanimité
même si tous les Intéressés souhaitent ardemment l'officialisation
du 19 mars en rappelant tout de même que vingt mille communes, de droite
et de gauche, commémorent d'ores et déjà, chaque année,
le souvenir de la guerre d'Algérie à cette date, et que c'est
une revendication forte de la majeure partie du monde combattant.
M. Rudy Salles. C'est faux !
M. Rend André. C'est inexact !
Mme Marie-Hélène Aubert, rapporteure. ... de la FNACA en particulier.
M. François Liberti et M. Jean Vila. Elle a raison
M. René André. Nous avons le droit d'avoir des appréciations divergentes !
Mme Marie-Hélène Aubert rapporteure. Vous en parlerez tout à l'heure, chers collègues.
M. le président Laissez parler Mme Aubert, s'il vous plaît
M. René André. Nous avons tout de même le droit de nous exprimer.
Mme Marie -Hélène Aubert rapporteure. Oui, mais pas celui d'interrompre 1
D'abord, cette date suscite l'inquiétude, légitime,
voire le rejet de ceux qui ont été victimes de ce conflit après
le 19 mars 1962, rapatriés et Harkis. Encore une fois, nul ne conteste
ici leurs souffrances. Eh oui ! Il faut dire que les Harkis ont été
maltraités sur le sol français...
M. Lionel Luca. Surtout sur le sol algérien 1
Mme Marie-Hélène Aubert rapporteure. ... pendant des années et que, même si des mesures ont été prises récemment pour permettre une meilleure Intégration des jeunes générations...
M Rudy Salles.
Il n'y a qu'à commémorer l'Armistice de 1940
!
(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et
du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Mme Marie-Hélène Aubert rapporteure.
... et qu'une journée du souvenir leur a été dédiée
en septembre dernier, le travail de reconnaissance et de réparation
à leur égard n'est pas achevé. Il doit être, à
cette occasion, poursuivi.
Rappelons néanmoins qu'après le 11 novembre 1918 et, surtout,
après le 8 mai 1945, même s'il est vrai que ces situations sont
par nature différentes....
M. Rudy Salles. Très différentes. Cela n'a rien à
voir !
M. Lionel Luca. Quelle honte!
M. René André. N'importe quoi !
Mme Marie-Hélène Aubert rapporteure. ... Il y eut aussi
bien des morts et des règlements de comptes sanglants. Ces deux dates,
qui formalisent l'arrêt des combats, symbolisent néanmoins le
souvenir des deux guerres mondiales et rendent hommage à toutes leurs
victimes. Il en irait de même pour le 19 mars, qui, loin de faire un
tri arbitraire et absurde entre des victimes reconnues et d'autres qui seraient
oubliées, fonde au contraire un acte fort de la République française,
adopté massivement par référendum le 8 avril 1962, en
faveur de la paix et du droit des Algériens à l'autodétermination.
L'historien Jean Lacouture rapporte même que, durant la retraite du
général de Gaulle à la Boisserie, Il arrivait aux visiteurs
d'évoquer devant lui "l'homme du 18 juin " qu'il était.
Et le général de s'irriter de cette formule : " Eh quoi,
rien depuis lors ? Et l'homme du 26 août 1944 ? Et celui du 8 janvier
1959 ? Et celui du 19 mars 1962, point final à vingt-six ans de guerres
Ininterrompues ? "
M. Michel Hunault Vous êtes mal placée pour évoquer
le général de Gaulle !
Mme Marie-Hélène Aubert, rapporteure. Ainsi, le 19 mars
ne signe ni une victoire ni une défaite militaire, mais une démarche
politique salutaire et largement approuvée qui fit dire je cherche
à vaincre les réticences de certains de nos collègues
M. Lionel Luca. Ce sera difficile.
Mme Marie-Hélène Aubert rapporteure. ... Au Premier ministre
de l'époque, Michel Debré, lors d'un compte rendu par Louis
Joxe en conseil des ministres des négociations secrètes avec
le gouvernement provisoire de la République algérienne : "Nous
touchons à la fin d'une épreuve douloureuse. Malraux a parlé
de victoire, mais il s'agit plutôt d'une victoire sur nous-mêmes.
Maintenant, tout dépendra de ce que sera la France. "
Ainsi, quelle que soit l'évolution politique des uns ou des autres
sur la nécessité de mettre fin à cette guerre brutale
et apparemment sans issue, quelles que soient les différentes catégories
de victimes, le 19 mars apparaît bien comme la date qui a le plus de
sens et de légitimité comme journée du souvenir et la
plus susceptible de rassembler.
En effet, quelles seraient les alternatives ?
Le 16 octobre, date du transfert des cendres du soldat inconnu d'Afrique du nord à Notre Dame de Lorette ? Si rien n'empêche à ceux qui le font de perpétuer cette cérémonie, Il est clair néanmoins que cette date n'a aucune signification par rapport au déroulement même de la guerre d'Algérie.
Et, ce même jour, c'est réuni au pied des monuments aux morts dans la même ferveur, tous ensemble et au coude à coude, que nous pourrons et que nous devrons rendre hommage aux victimes, à toutes les victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie. C'est cela aussi la grandeur de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, citoyen et Vert.
M. le président La parole est à M. Yves Fromion.
M. Yves Fromion. Monsieur le président, monsieur
le secrétaire d'état, mesdames, messieurs les députés,
on ne peut évoquer la guerre d'Algérie sans que la pensée
se tourne d'abord naturellement vers ceux qui en furent et qui en sont toujours
les victimes. Il s'agit, en premier lieu, des combattants de nos forces armées
: 25 000 d'entre eux environ tombèrent au champ d'honneur, dont plus
de 6 000 appelés, plusieurs dizaines de milliers de nos soldats furent
blessés ou touchés dans leur Intégrité physique.
Je veux parler également des membres des unités supplétives
de Harkis, dont sans doute plus de 60000, selon les chiffres officiels, périrent
dans un effroyable génocide. On ne peut oublier non plus les victimes
civiles dénombrées par milliers, notamment après le cessez
le feu. Enfin, je voudrais évoquer nos concitoyens pieds noirs, contraints,
pour plus d'un million d'entre eux, à un exode terrible, qui signifia,
pour beaucoup, la brisure inexorable d'une vie.
M. Jean-Pierre Brard. A cause de l'OAS !.
Yves Fromion. L'hommage et la sollicitude de la nation doivent aller à
chacun de celles et de ceux qui furent ou qui demeurent marqués dans
leur chair ou dans leur cur par le drame algérien. On ne peut,
dès lors, que s'associer à la démarche légitime
des organisations représentatives d'anciens combattants d'Afrique du
nord pour que soient honorés, dans la dignité et l'union, la
mémoire et le sacrifice de leurs compagnons d'armes.
Quarante ans après la fin de la guerre d'Algérie, reconnaissons,
pour le regretter, que la nation n'a pu se rassembler autour d'une date appropriée,
consensuelle, pour permettre l'expression officielle du devoir de mémoire
par la République.
Et voici qu'en ce jour l'assemblée nationale est appelée à
délibérer sur une proposition de loi qui vise à trancher
dans une matière où les sensibilités sont à vif,
où la charge passionnelle est demeurée extrême.
A l'origine de cette Initiative portée par les formations qui composent
la majorité gouvernementale, Il y a l'engagement pris par M. Jospin
en 1995, puis en 1997, de reconnaître officiellement la date du 19 mars
comme journée de commémoration de la fin de la guerre d'Algérie.
Nous sommes donc conviés à honorer une promesse électorale
faite à une fraction du monde combattant.
M. Bernard Outin. Médiocre 1
M. Pascal Terrasse. Nous, nous tenons nos promesses !
M. Yves Fromion. L'affaire est délicate, tellement
même que M. Jospin s'en est prudemment dessaisi au profit, si J'ose
dire, de ses députés, lesquels, dans un bel élan
pluriel, ont déposé une trinité de textes Identiques.
La prudence tactique de M. Jospin trouve t elle son origine dans l'opposition
que manifesta toujours François Mitterrand à l'égard
du 19 mars ? Rien n'est moins sur. Il y aurait plutôt été
incité par le refus résolu de son ancien secrétaire d'état
aux anciens combattants, M. Masseret, de donner satisfaction aux tenants de
la reconnaissance du 19 mars.
Le nouveau secrétaire d'état, lui-même signataire de la
proposition qui nous est soumise aujourd'hui, a fini par admettre, au terme
de quelques déclarations contradictoires, que le Gouvernement donnerait
une suite à une éventuelle initiative parlementaire dès
lors que celle ci recueillerait une majorité de 70 % à l'assemblée
nationale. Ce pourcentage, qui Inaugure la pratique de la majorité
qualifiée dans notre assemblée, résulte de l'évidence
d'une mathématique politicienne dont Il sera Intéressant de
percer un jour le mystère. (Applaudissements sur de nombreux bancs
du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe & l'union
pour la démocratie française -Alliance et du groupe Démocratie
libérale et indépendants.)
Pour donner au débat un tour encore plus aléatoire, une importante organisation d'anciens combattants a cru utile de menacer de ses foudres électorales les députés par trop Indociles au point de ne pas se soumettre au diktat d'un 19 mars acquis au pourcentage.
M. Yves Fromion. Voici le décor planté. On en sourirait si cette palinodie n'avait pour témoins muets les 36 000 monuments aux morts des communes de France.
M. Jean Pierre Brard. Soyez au moins fidèle au général de Gaulle.
M. Yves Fromion. M. Lionel Jospin, inspirateur de ce débat, argumentait ainsi son engagement de 1995 : " Il me semble Indispensable aujourd'hui d'aborder cette période avec lucidité et réalisme dans un souci de justice et d'apaisement. "
Plusieurs députés du groupe socialiste. Très bien!
M. Yves Fromion. Examinons donc les faits avec lucidité et réalisme avant de nous Interroger sur le point de savoir si la présente proposition de loi est porteuse de justice et d'apaisement au sens où l'entend M. Jospin.
Qu'est exactement le 19 mars ? Cette date peut elle se comparer au 11 novembre 1918 ou au 8 mai 1945, comme on voudrait nous Inciter à le croire et comme on l'a fait Il y a quelques instants encore ?
Les faits sont pourtant clairs. Le cessez le feu du 19 mars 1962 n'est pas la conséquence d'une capitulation militaire de l'adversaire de la France, comme en 1918 ou en 1945. C'est un acte d'essence purement politique...
Mme Hélène Mignon. C'est une décision politique et militaire 1
M. Yves Fromion. ... et les gaullistes le savent mieux que quiconque. (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe communiste)
Le FLN n'a pas sollicité l'arrêt des combats. Il n'y a d'ailleurs pas souscrit, bien que son dispositif militaire, comme l'a rappelé M. le secrétaire d'état il y a un Instant, rejeté pour l'essentiel hors des frontières, ait été réduit à néant sur le terrain.
Le cessez le feu du 19 mars est pour nos armées une victoire sans victoire puisqu'elles allaient être contraintes de céder la place aux troupes du FLN.
Le cessez le feu du 19 mars fut et restera pour nos armées le point focal d'une Interrogation sans réponse à la justification des peines, des souffrances endurées, des morts consenties pendant des années pour obéir à la République.
M. Jean Pierre Brard. Nostalgique.
M. Yves Fromion. Sans doute le FLN algérien
revendique t il aujourd'hui que le 19 mars soit fêté en Algérie,
à l'instar de ce que nous faisons en France le 11 novembre ou le 8
mal. Devons-nous pour autant prêter la main à une telle imposture
? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République,
du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur
quelques bancs du groupe de l'union pour la démocratie française)
La République doit-elle consentir à tant de dérision
? Doit-on Infliger une nouvelle avanie...
M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Mais enfin!
M. Yves Fromion. ... à nos soldats ou à nos morts alors qu'outre Méditerranée on voudrait les faire passer pour des barbares ou des nazis ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)
M. Jean Pierre Brard. Revanchard !
M. Yves Fromion. A ces questions, la lucidité
et le réalisme appelés de ses vux par M. Jospin commandent
de répondre par la négative.
Mais le 19 mars est une date lourde de bien d'autres significations terribles.
Ce fut le début du génocide dont furent victimes les harkis
et les populations musulmanes...
M. Jean Pierre Brard. Achetez-vous un dictionnaire !
M. Yves Fromion. ... soupçonnées de fidélité ou de sympathie envers la France. Ils furent des dizaines de milliers, sans doute plus de 100 000, à être martyrisés puis assassinés par le FLN qui voulait éradiquer toute trace de présence française au sein du peuple algérien.
M. Henri Cuq. Eh oui !
M. Gérard Fuchs. Qui en est responsable ?
M. Yves Fromion. Je crois utile de rappeler à cet égard les propos prononcés par le Président de la République le 25 septembre dernier lors de la journée consacrée aux Harkis : " Pour les populations civiles, le 19 mars 1962 a marqué la fin des hostilités militaires mais pas la fin des souffrances. D'autres épreuves, d'autres massacres sont venus s'ajouter aux peines endurées pendant plus de sept ans. "
Mm Marie-Hélène Aubert rapporteure. On le sait !
M. Yves Fromion. " Qu'elles soient tombées avant ou après le cessez-le-feu, nous devons à toutes les victimes l'hommage du souvenir. "
Mme Marie-Hélène Aubert rapporteure. Bien sûr !
M. Yves Fromion. " Oublier une partie d'entre elles, ce serait les trahir toutes. "
M. Jean-Pierre Brard. Challe, Zeller, Massu, Aussaresses
M. Yves Fromion. Quel sens peut donc avoir aujourd'hui l'anniversaire d'un cessez le feu virtuel pour le FLN, entaché d'autant d'horreurs et de crimes ? Ne donne-t-on pas le sentiment qu'en solennisant le 19 mars, on tente d'exorciser le sentiment de culpabilité qui nous habite au regard des événements qui marquèrent le sol algérien après cette date ? (" Tout juste ! " Et applaudissement ; sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
La commémoration du 19 mars a toujours été comprise et ressentie par les Harkis et leurs familles installées en France comme une mise à l'écart de la communauté nationale. On ne saurait donc en accepter l'officialisation.
Enfin, et ce n'est pas la moindre des choses, le 19 mars représente pour la communauté des français rapatriés d'Algérie, pour les pieds-noirs la date à partir de laquelle a basculé leur vie.
Mme Hélène Mignon. Elle avait basculé
auparavant !
M. Yves Fromion. Attachés à une terre qu'ils avaient
fécondée et qu'ils avaient cru pouvoir considérer comme
leur, puisque la République s'en était portée garante,
ils furent contraints après le 19 mars 1962 de tout abandonner !
M. Jean-Pierre Brard. Par qui ? Par l'OAS
M. Yves Fromion. Ils laissèrent leurs maisons, leurs entreprises,
leurs emplois, l'essentiel de leurs biens, leurs projets d'avenir, leurs cimetières.
Ils abandonnèrent même les monuments aux morts de leurs communes
(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), où figuraient les
noms de ceux d'entre eux qui, lors des guerres de 1914-1918 et de 1939-1945,
apportèrent, au prix de leur vie, un si puissant concours au succès
des armes de la France et à notre liberté ! (" C'est vrai
! " Sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
M. Jean Pierre Brard. Et les tirailleurs sénégalais?
M. le président S'il vous plaît !
M. Yves Fromion. Les pieds-noirs n'avaient sans doute jamais Imaginé
qu'ils seraient forcés à l'exode. Ils avaient bâti leur
vie dans ce qui fut pour eux la France d'Algérie. La plupart se sont
attachés à reconstruire une existence nouvelle. Aucun n'a pu
oublier.
Toutefois, le temps aidant, les souffrances ont commencé à s'apaiser.
Alors pourquoi faut il qu'aujourd'hui on prenne la responsabilité si
lourde de raviver les souvenirs, de rouvrir les plaies, de nourrir les rancurs
en évoquant le projet d'officialisation du 19 mars ? Qui peut Ignorer
que cette date est pour les rapatriés d'Algérie la pire, la
plus Inacceptable qui soit ? Par quelle aberration en est on arrivé
à vouloir meurtrir à nouveau ceux qui ont tant souffert ? Pourquoi
tant d'acharnement ?
Non, décidément, le 19 mars ne peut être le symbole de
concorde nationale Indispensable à la digne expression du devoir de
mémoire. Ni la lucidité, ni le réalisme à moins
qu'il ne soit confondu avec le cynisme ne peuvent nous convaincre de suivre
M. Jospin dans son initiative fort Inconsidérée, si l'on en
juge par l'impact désastreux qu'elle a sur le monde combattant.
M. Jean-Louis Brard Jospin a le soutien de la majorité.
M. Yves Fromion. Où est donc l'apaisement recherché par
le Gouvernement et sa majorité ? Jamais sans doute un clivage aussi
profond et un antagonisme aussi irréductible ne s'étaient manifesté
entre des associations patriotiques jusqu'alors rassemblés sous la
fière devise "unis comme au front ". Le débat qui
nous est proposé aujourd'hui n'aurait jamais dû avoir lieu, tant
les conditions dans lesquelles Ils se déroulent sont contraires à
la tradition républicaine ! (Applaudissements sur les bancs du groupe
du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie
libérale et Indépendants. - Protestations sur les bancs du groupe
socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, citoyen vert.)
M. Yann Galut ça suffit.
M. Yves Fromion. Le Président de la République, dans
la continuité des positions prises par ses prédécesseurs,
François Mitterrand et Valéry Giscard d'Estaing, a exprimé
les plus grandes réserves à l'endroit de toute initiative qui
ne ferait pas l'objet d'un total consensus national. C'est le bon sens même.
Or qu'observons-nous ? Une seule association combattante se déclare
en faveur de l'officialisation du 19 mars.
M. Rend André. Une seule.
Mme Hélène Mignon. Quelle date proposez vous alors ?
M. Yves Fromion. Certes, cette association est fortement représentative
et ne saurait être tenue pour quantité négligeable. Mais
enfin elle est isolée.
Plusieurs députés du groupe communiste. C'est faux.
M. Yves Fromion. On est donc loin du consensus souhaitable. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical Citoyen et Vert)
Mme Chantal Robin-Rodrigo. 70 % des Français.
M. Yves Fromion. Cet état de fait doit interpeller les parlementaires autant que les anciens combattants.
S'agissant de ces derniers, je crois souhaitable d'appeler leur attention sur l'impact très négatif auprès de l'opinion publique, notamment des jeunes, que pourrait avoir l'étalage des discordes dont nous faisons état. Les cérémonies patriotiques, osons le dire, ne font guère recette de nos jours. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Mais, à tout le moins, l'opinion s'accorde à reconnaître que les anciens combattants, derrière leurs drapeaux, symbolisent l'unité nationale. Cette image va-t-elle se briser, et cette légitimité se dissoudre ? C'est à eux qu'il appartient d'apporter la réponse, en assumant leurs responsabilités.
Pour ce qui concerne le Parlement, Il ne paraît pas que son rôle consiste à s'accommoder des divisions au sein de la nation, non plus qu'à les exacerber. La proposition de loi qui nous est soumise est exécrable en ce sens qu'elle porte le germe de la désunion au cur même de la nation dans ce qu'elle a de plus sacré : la mémoire.
M. Henri Cuq. Eh oui !
M. René André. C'est très important !
M. Yves Fromion. Nous, députés, sommes aujourd'hui les otages ou les victimes d'une manuvre qui dessert notre communauté nationale. Nous devons en être conscients et rechercher l'apaisement en écartant la proposition qui nous est présentée. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur quelques bancs du groupe de l'union pour la démocratie française Alliance - Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. Yom Galut Ça sert à quoi le Parlement ?
M. le président. Monsieur Fromion, je vous demande de conclure 1
M. Yves Fromion. Enfin, pour Justifier sa démarche, M. Jospin nous a parlé de justice.
Posons alors la question de savoir s'il est juste et légitime
que la République réserve aux seuls combattants d'Afrique du
nord son hommage et sa reconnaissance.
En quoi serait-il juste que des dizaines de milliers de soldats, d'agents
de l'état, de civils, morts en Indochine ou à l'occasion de
tous les épisodes de la longue histoire de la colonisation, soient
les victimes d'une sorte d'oubli honteux ? Nombre d'entre eux n'ont fait que
remplir les missions pour lesquelles la République les avait mandatés.
M. Jean-Pierre Brard. Illégitimement !
M. Yves Fromion.
Mesdames et messieurs les députés, le débat d'aujourd'hui
n'aboutit qu'à lever la nation contre elle-même. Il se présente
dans des conditions qui meurtrissent Inutilement et cruellement ceux qui ont
été les témoins, les acteurs, les victimes du drame algérien.
Il est la conséquence d'un engagement Inconsidéré. Il
est aussi la conséquence d'un manque de réel empressement, de
réel engagement du Gouvernement (Protestations sur les bancs du groupe
socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert)
Pour faire émerger dans l'unité un consensus sur une formule
permettant au devoir de mémoire de s'exprimer dans des conditions conformes
aux traditions républicaines.
Le groupe du Rassemblement pour la République s'oppose à cette tentative de division de la nation comme Il s'oppose à ce que le devoir de mémoire soit asservi aux ambitions électorales de M. Jospin. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur quelques bancs du groupe de l'union pour la démocratie française -alliance. - Huées sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert).
Examinons donc les faits avec lucidité et réalisme
avant de nous Interroger sur le point de savoir si la présente proposition
de loi est porteuse de justice et d'apaisement au sens où l'entend
M. Jospin.
Qu'est exactement le 19 mars ? Cette date peut elle
se comparer au 11 novembre 1918 ou au 8 mai 1945, comme on voudrait nous Inciter
à le croire et comme on l'a fait Il y a quelques instants encore ?
Les faits sont pourtant clairs. Le cessez le feu du
19 mars 1962 n'est pas la conséquence d'une capitulation militaire
de l'adversaire de la France, comme en 1918 ou en 1945. C'est un acte d'essence
purement politique...
M. Jean-Pierre Brard
P.C.F
né le 7 février 1948 à Flers ( Orne )
Circonscription d'élection : Seine-Saint-Denis (7ème)
Profession : Instituteur.
Non réélu aux dernières
élections 2002
Député invalidé le 3/02/2003