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Indochine
1950 le désastre de la RC 4
Le samedi 11 octobre dans la grande salle de la maison du maréchal
Juin, une assistance nombreuse assiste à la conférence de Henri Garric sous l'égide de André
Grousseau président du comité d'entente d'associations
d'anciens combattants et patriotiques du pays d'Aix et René Andrès
président du CAR, un hommage particulier est rendu à la Légion
Etrangère et aux Tabors Marocains. A l'issue de la conférence
les participants se sont rendus devant le monument du général
Rollet fondateur de la légion étrangère et devant la
statue du maréchal Juin qui se trouve à l'intérieur
des locaux de la maison du maréchal Juin à Aix-en-Provence
Au cours de l'année 1949, le conflit indochinois
change de visage et s'insère plus directement dans le contexte
de la guerre froide. Avec la victoire des communistes en Chine, le Viet
minh dispose de sanctuaires pour développer ses forces. Il bénéficie
des approvisionnement en armes, en munitions et en vivres nécessaires
à la conduite d'opérations de plus grande envergure.
L'armée régulière, la Chu Luc, compte désormais
100 000 combattants répartis en 70 bataillons. 36 de ces bataillons
forment 4 divisions (Dai Doan). Les forces régionales rassemblent
40 000 hommes en 33 bataillons et 60 000 autres agissant localement. Malgré
son échec de Phu Tong Hoa, Giap décide de maintenir la pression
sur les postes français au nord du Tonkin.
En octobre 1948, la RC3 doit être abandonnée, y compris la
forteresse édifiée par les légionnaires de la 4e
compagnie du capitaine Mattei sur un piton rocheux dominant Ban Cao, une
vingtaine de kilomètres au sud-est de Cao Bang.
Les postes qui s'égrènent sur les 116 kilomètres
de la RC4 entre Cao Bang et Langson, apparaissent tout aussi inutiles
et vulnérables. Les destructions, les pièges et les embuscades
se multiplient, prélevant un lourd tribus sur les convois de ravitaillement,
notamment au Nord de Na Cham où la route est encaissée entre
des massifs calcaires recouverts de jungle. Protégée par
de puissantes fortifications bétonnées et ses légionnaires,
Cao Bang reste cependant un objectif trop coûteux à prendre
pour le Viet minh.
Son choix se porte sur le gros poste de Dong Khé qui succombe dans
la nuit du 26 au 27 sous l'assaut de 3 bataillons. Le 3e BCCP saute directement
sur les assaillants. Surpris, ceux-ci perdent 300 tués et décrochent
en désordre.
Après de nombreuses hésitations, le haut commandement français
choisit d'évacuer Cao Bang et les postes de la RC4. Une forte colonne
de secours doit venir recueillir la garnison de Cao Bang au Nord de Dong
Khé. Cependant, le secret de l'opération est mal conservé
et Giap décide de frapper le premier.
Dong Khé
Le 16 septembre, 5 bataillons d'infanterie et des armes
lourdes encerclent le poste de Dong Khé. La place est gardée
depuis le 8 septembre par les 5e et 6e compagnie du 2e bataillon du 3e
REI, soit environ 300 hommes soutenus par un canon de 105 et un de 57.
La préparation d'artillerie ébranle les fortifications malgré
l'intervention des kingcobras de l'armée de l'air qui cherchent
à museler les pièces ennemies dans l'après-midi.
Les " bo doï " montent à l'assaut à 8 reprises
et pénètrent dans l'enceinte du poste. La garnison compte
déjà 40 morts et 86 blessés. Une violente contre-attaque
lui permet de reprendre un peu du terrain perdu. Les combats se poursuivent
toute la nuit. Certains blockhaus changent de mains à plusieurs
reprises avant d'être définitivement perdu. Le toit de celui
du sud-est s'effondre vers 6 heures du matin. Un seul rescapé peut
rejoindre la trentaine de survivants acculés dans la citadelle.
Après un dernier message radio à l'aube, les légionnaires
résistent encore toute la journée. Le capitaine Jaugeon
(ou Vollaire ?) Fait alors distribuer aux 19 légionnaires encore
valides les 300 dernières cartouches. Trois groupes tentent de
s'infiltrer dans les lignes ennemies sous le couvert de l'obscurité.
Cinq jours plus tard, le capitaine Allioux arrive à That Khé
avec 8 légionnaires dépenaillés et épuisés.
Dans les jours suivants, deux caporaux puis un sergent les rejoignent
après s'être évadés.
85 légionnaires sont morts. 140 autres prennent le chemin de la
captivité, blessés ou ensevelis sous une marée humaine.
Les pertes ennemies oscillent probablement entre 500 et 800 hommes hors
de combat.
Les plans opposés
Malgré la chute de Dong Khé, l'évacuation
de Cao Bang par la RC4 est maintenue à la grande colère
du colonel Charton, averti au dernier moment par le général
Alessandri, lui aussi opposé à l'opération. La garnison
comporte le 3e bataillon du 3e REI (600 hommes) du commandant Forget,
un bataillon de partisans, une section du génie, une section d'artillerie
et 600 goumiers du 3e tabors récemment aérotransportés
en renfort.
Forte de 1 600 hommes, la colonne quitte Cao Bang le 1er octobre après
avoir détruit 150 tonnes de munitions et les fortifications de
la place. Elle est ralentie par ses véhicules et près de
600 civils qui craignent les représailles du Viet minh et n'ont
pu être évacués par avion. Il faut néanmoins
parcourir 22 kilomètres sur la RC4 pour rejoindre le groupement
Bayard du colonel Lepage fort de 3 500 hommes. Le haut commandement pense
ainsi prendre le Viet minh par surprise et constituer une force capable
de repousser toutes les attaques.
Après quelques jours passés à That Khe, le colonel
Lepage reçoit donc l'ordre de reprendre le poste Dong Khé.
Il dispose pour cela du 1er et du 11e Tabor, d'un bataillon de marche
du 8e RTM et vient d'être renforcé par l'arrivée du
1er BEP du commandant Segrétain, largué le 17 et le 18 septembre.
28 kilomètres séparent le groupement Bayard de Dong Khé
et il faudra en couvrir 6 de plus pour rejoindre la colonne de Charton.
Or, pour des raisons de sécurité discutables, le colonel
Lepage n'est pas encore informé de cette partie de sa mission.
En face, le piège est prêt à se refermer. Protégé
par la jungle, le Viet minh engage sans éveiller l'attention les
régiments 36, 88, 99, 165, 174, 175, 209 et 246 mais aussi la brigade
308 (La fameuse " brigade de fer ", unité d'élite
bientôt transformée en division.) Et des unités régionales,
soit au total une trentaine de bataillons dont 6 ou 7 d'armes lourdes.
Pour diriger cette masse de 20 000 hommes, Giap dispose pour la première
fois de moyens radios. La réaction française, lente et prévisible,
lui permet de concentrer l'essentiel de ses moyens sur la zone d'opération
et de monter une gigantesque embuscade.
Echec à Dong Khé
Le 1er octobre, le groupement Bayard approche de la cuvette
de Dong Khé après avoir occupé le poste de Na Pa,
abandonné par l'ennemi. Le peloton d'élèves gradés
du lieutenant Faulque ouvre la marche. Vers 16 heures, après un
bref accrochage, il fonce vers Dong Khé, distant d'à peine
un kilomètre, entraînant le reste du BEP à sa suite.
Mais alors que les légionnaires commencent à descendre dans
la cuvette, les Viets déclenchent un tir nourri d'armes automatiques
et d'armes lourdes. Vers 17 heures, les parachutistes sont cloués
au sol par les unités installées sur les crêtes avoisinantes.
Toutefois, le poste lui-même semble faiblement occupé et
le commandant Segrétain pense qu'il est possible d'emporter la
décision avant la nuit. Le colonel Lepage opte pour la prudence
et décide de remettre l'attaque au lendemain avec l'appui de l'aviation.
Ce premier combat coûte 30 tués au BEP.
Le 2 octobre à l'aube, le groupement Bayard tente une attaque en
tenaille pour occuper les hauteurs qui entourent Dong Khé. Les
tirailleurs et le 1er Tabor doivent progresser par l'ouest, le 1er BEP
et le 11e Tabor par l'est. Les Viets se sont considérablement renforcés
dans la nuit et bloquent tous les axes d'attaque. A midi, malgré
quelques progrès obtenus au prix de lourdes pertes, il devient
vite évident que l'opération doit être abandonnée,
d'autant plus qu'une météo défavorable a interrompu
l'appui aérien.
Plus grave encore, les avions d'observation ont aperçu d'autres
unités Viet minh en marche pour rejoindre les champs de bataille.
Le colonel Lepage ordonne un retour vers That Khé, où le
3e BCCP (bataillon colonial de commandos parachutistes) vient de sauter
en renfort, quand un message lancé par avion lui apprend l'évacuation
de Cao Bang et sa mission de recueil. L'ordre vieux de deux jours est
alors totalement inapplicable. Lepage décide donc de contourner
Dong Khé par l'ouest en empruntant l'ancienne piste de Quang Liet
puis de rejoindre Charton sur la RC4, une quinzaine de kilomètres
plus au nord. Il laisse le BEP et le 11e Tabor au sud de Dong Khé
pour fixer l'adversaire.
Si cohérent qu'il puisse paraître, ce plan est dès
le début voué à l'échec en raison de l'énorme
supériorité numérique des Viets. Les unités
qui se tournent à l'ouest de la RC4 doivent progresser dans une
jungle épaisse et accidentée où les communications
radios sont difficiles et l'ennemi omniprésent. Les Viets se contentent
en effet de masquer la position du BEP à Na Pa et poursuivent les
hommes de Lepage. Le 2 octobre, en fin d'après-midi, ils attaquent
en force, balayant une compagnie entière du 8e RTM.
Pendant ce temps, près de la RC4, les goumiers du commandant Delcros
sont chassés de Na Kéo après des combats d'une rare
violence où l'ennemi n'est pas comptable de ses pertes. Le commandant
Segrétain ne dispose déjà plus que de 500 à
600 légionnaires-parachutistes sur un effectif initial de 800.
Plutôt que d'être pris au piège dans la cuvette, il
choisit de contre-attaquer pour prendre les hauteurs environnantes et
de fournir une diversion susceptible de desserrer l'étau autour
des troupes de Lepage.
L'assaut commence dans l'obscurité avec le soutien des goumiers
rescapés. Tout d'abord surpris, les Viets se reprennent et déciment
les légionnaires. Ceux-ci continuent néanmoins à
avancer. Puis la progression devient impossible devant la formidable puissance
de feu déployée par l'ennemi. Le commandant Segrétain
ordonne à ses hommes de s'accrocher à la mi-pente. Avec
le commandant Delcros, il informe par radio Lepage de son intention de
décrocher peu avant l'aube. Celui-ci fini par accepter mais demande
au BEP de le rejoindre.
Segrétain et Delcros décident de faire un détour
par le col de Lung Phaï pour faire évacuer la centaine de
blessés par les goumier encore valides. La colonne commence à
peine à s'engager sur la route que les Viets la submergent. Les
goumiers sont abattus ou dispersés et la plupart des blessés
achevés. Les survivants refluent vers le BEP qui fonce droit devant
lui. Une trentaine de légionnaires tombent mais les autres réussissent
à se dégager. Le 3 octobre en fin de journée, les
400 survivants du BEP et quelques goumiers atteignent la côte 765,
située à deux kilomètres au sud-ouest de Dong Khé.
Ils sont fatigués et manquent de munitions mais leur calvaire ne
fait que commencer.
Le piège se referme
Entre-temps, la situation du reste de la colonne de secours
n'a cessé de se dégrader. L'ennemi semble partout. Depuis
le poste de commandement de Langson, le commandement français envoie
Charton à son secours par la piste de Quang Liet. Lepage décide
alors de se retrancher dans la cuvette de Coc Xa qu'il estime plus facile
à défendre. Le BEP rejoint les crêtes dominant la
position de Lepage qui lui ordonne de descendre le rejoindre puis accepte
que l'opération se fasse de jour et enfin préfère
le laisser sur sa position toute la journée !
Charton ne reçoit ses nouveaux ordres que le 4. Il détruit
ses véhicules et ses armes lourdes puis perd du temps pour trouver
l'entrée de la piste, abandonnée depuis de nombreuses années.
Toute la journée du 4, la progression est lente car il faut ouvrir
la route au coupe-coupe.
A Coc Xa, Lepage ordonne finalement au BEP de le rejoindre sans tarder
dans la cuvette. Les légionnaires doivent descendre une pente abrupte
de 300 mètres dans l'obscurité. Une dizaine de légionnaires
se tuent en tombant dans le vide, d'autres succombent aux coups des Viets
qui s'infiltrent dans leurs rangs. A l'aube, ils ne sont guère
plus de 300 autour de leur commandant.
A peu près au même moment, le 3e bataillon du 3e REI débouche
dans la vallée de Quang Liet et se trouve immédiatement
accroché par l'ennemi. Charton doit déborder par les crêtes
pour que la colonne puisse poursuivre sa marche. A la tombée de
la nuit, il établit enfin un contact radio direct avec Lepage et
prend connaissance de la gravité de la situation. Pourtant la jonction
ne peut s'effectuer le lendemain. Le terrain plus que l'ennemi ralentit
la marche d'une colonne de plus en plus étirée. Dans la
soirée du 6, le 3e bataillon de la Légion atteint seulement
la cote 590 après de sévères combats d'arrière-garde.
Lepage a pris le commandement des deux forces dans l'après-midi
du 6 et donne l'ordre à Charton de l'attendre, alors même
que celui-ci pense pouvoir faire sa jonction avec les renforts en provenance
de That Khé. Une nouvelle fois, Lepage place tous ses espoirs dans
le BEP et lui demande d'ouvrir la voie à l'ensemble du groupement
Bayard. C'est une mission suicide. L'assaut commence vers 3 heures du
matin. Les légionnaires doivent affronter une muraille de feu.
Epuisés, à court de munitions, ils progressent quand même
en lançant les dernières grenades, baïonnette au canon
ou couteau à la main. Au bout de quelques minutes, il ne reste
que 110 hommes valides sur 300 et l'ennemi. Rendus fou de terreur, les
Marocains foncent alors droit devant eux. Tirant indistinctement sur les
légionnaires et les Viets, ils réussissent enfin à
forcer le passage. Le groupement s'engage en désordre dans la brèche,
perdant toute cohésion et une grande partie de ses effectifs.
Désormais, les Viets sont en place pour l'assaut final. Giap a
rassemblé une quinzaine de bataillons et des armes lourdes autour
des Français. Dès 6 heures du matin, des mortiers pilonnent
les positions de Charton puis les pitons avoisinants sont enlevés
un à un. Ordre est donné au 3e bataillon d'ouvrir la route
vers That Khé en passant à l'ouest de la côte 477,
toujours tenue par le 3e Tabor. Les légionnaires prennent un premier
piton mais échouent devant un second où l'ennemi engage
sans cesse de nouvelles troupes. Blessé à la cuisse, au
bassin, à la poitrine puis à la tête, le commandant
Forget tombe à la pointe du combat qu'il n'a pas quitté
depuis le début de l'attaque. Ces derniers mots avant de mourir
seront pour ses hommes : " Je meurs fier de mon bataillon ".
Le colonel Charton effectue deux tentatives de débordement infructueuses
par l'ouest. L'arrivée des rescapés du groupement Bayard
provoque un désordre général. Lepage et ses derniers
officiers essayent vainement de reprendre le contrôle de leurs troupes
quand les Viets s'emparent de la côte 477 qui domine les positions
françaises.
Charton ordonne aux légionnaires de fixer l'ennemi et entraîne
avec lui une poignée d'officiers et des éléments
épars pour reprendre la côte 477. Blessé à
plusieurs reprises, il finit par tomber aux mains de l'ennemi. Certains
éléments réussissent cependant à s'échapper
pour rejoindre le groupement Labaume parti de That Khé et arrivée
sur la côte 608, 2 ou 3 kilomètres au sud-est. Le 3e BCCP
du capitaine Cazeaux n'est pas loin non plus. En fin de séjour,
il ne comporte plus que deux grosses compagnies. On lui adjoint la compagnie
de marche du lieutenant Loth, formée d'un renfort de légionnaires
initialement prévu pour le 1er BEP.
Pour le reste des colonnes Lepage et Charton toute résistance organisée
est désormais impossible. Lepage et ses officiers optent pour une
percée par petits groupes. Au total, 12 officiers et 475 hommes
réussissent à rejoindre That Khé directement ou avec
l'aide des éléments envoyés en renfort. Le capitaine
Jeanpierre, les lieutenants Marce et Roy et 20 légionnaires du
BEP et du 3e REI sont parmi les rescapés.
L'évacuation de Dong Khé commence le 9 octobre à
la tombée du soir. La 4e compagnie du 3e REI est accrochée
en couvrant le passage de la rivière. Le 3e BCCP la franchit à
son tour le 11 octobre à 7 heures 30. Talonné par les Viets
et bientôt morcelé, il ne pourra éviter une destruction
quasi-totale.
Un bilan catastrophique
La 2e compagnie du 1er bataillon tient encore Na Cham.
Le capitaine Mattei a fait hisser dans les falaises calcaires environnantes
les pièces d'artillerie laissées à sa disposition
par le groupement Bayard. Avec de maigres renforts, il va conserver ses
positions plusieurs jours encore, recueillant les derniers rescapés
du drame.
Malgré l'absence de menace, Langson est évacuée dans
la précipitation. Le 2e bataillon du 5e REI forme l'arrière-garde.
En quelques jours, le Corps expéditionnaire vient de perdre 4 800
tués ou disparus et 2 000 blessés sans compter un important
matériel : 13 canons, 450 véhicules, 120 mortiers, 940 mitrailleuses,
1 200 fusils-mitrailleurs et 8 500 fusils.
Le haut commandement, la troupe et l'opinion publique prennent brutalement
conscience que le conflit s'est transformé en une véritable
guerre. La Légion, jusqu'à présent engagée
avec succès contre le Viet minh, essentiellement dans le sud du
pays, est abasourdie par la complète destruction de deux de ses
bataillons parmi les plus solides.
Le corps expéditionnaire français se trouve désormais
dans l'obligation de mener une véritable guerre. Le 17 décembre
1950, le général de Lattre de Tassigny arrive en Indochine
avec les pleins pouvoirs civils et militaires. Pour la première
fois depuis le début du conflit, une véritable stratégie
va être mise en place.
La Légion étrangère sur la RC4 Indochine 1950
par le Docteur Jean-Philippe LIARDET
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