Abdelaziz Bouteflika a appelé ce week-end la France à
reconnaître sa responsabilité dans les massacres
de dizaines de milliers d'Algériens descendus dans les
rues, le 8 mai 1945, pour réclamer leur indépendance
au moment où l'Europe célébrait la victoire
sur l'Allemagne nazie. "Le peuple algérien attend
de la France un geste qui libérerait la conscience française",
a déclaré le président algérien dans
un discours prononcé samedi soir 7 mai à Sétif
et publié dimanche.
Une "marche des indigènes de la République"
organisée à Paris 700 à 800 personnes ont
pris part dimanche 8 mai à Paris à une "Marche
des indigènes de la République", organisée
par plusieurs associations dénonçant les discriminations
subies par les enfants d'immigrés en France. Aucun parti
politique, syndicat ou organisation traditionnelle de lutte contre
le racisme n'a participé à la manifestation, qui
a réuni des militants altermondialistes et des associations
musulmanes et africaines, notamment le Collectif des musulmans
de France, proche de l'intellectuel Tariq Ramadan.
Youssef Lel Ghodasse, membre du collectif des "indigènes
de la République", professeur d'histoire-géographie
près de Paris, explique : "Maghrébins, Antillais,
Africains, aujourd'hui nous ne jouissons pas de l'égalité
promise sur le fronton de l'Assemblée nationale. (...)
Cette République est-elle universelle ou faut-il montrer
patte blanche pour rentrer dans ce club privé?". Les
auteurs de l'appel à cette marche défendent l'idée
que le racisme est une séquelle du colonialisme, un point
de vue jugé comme "simplificateur" par plusieurs
historiens.
"Le paradoxe des massacres du 8 mai 1945 est qu'au moment
où les armées de combattants héroques algériens
revenaient des fronts d'Europe, d'Afrique et d'autres où
elles défendaient l'honneur de la France et ses intérêts
(...), l'administration française tirait sur des manifestants
pacifiques", a-t-il ajouté.
Les troupes coloniales françaises lancèrent le
8 mai 1945 une vaste offensive aérienne et terrestre contre
plusieurs villes de l'est de l'Algérie, en particulier
Sétif et Guelma, après des manifestations antifrançaises
qui avaient causé la mort d'une centaine d'Européens.
La répression dura plusieurs jours, faisant, selon les
autorités algériennes, 45 000 morts. Des historiens
européens estiment pour leur part qu'il y eut entre 15
000 et 20 000 tués. Cet épisode reste l'un des chapitres
les plus sombres des relations entre la France et l'Algérie,
qui obtint finalement son indépendance en 1962 au prix
d'une guerre sanglante.
De nombreuses cérémonies de commémoration
ont eu lieu ce week-end à travers l'Algérie. A Sétif,
plus de 20 000 personnes dont plusieurs ministres ont pris part
à une marche en empruntant le même itinéraire
que les manifestants de 1945.
Employant les termes les plus explicites jamais prononcés
par un représentant français, l'ambassadeur de France
en Algérie avait reconnu en février que les massacres
de Sétif étaient "une tragédie inexcusable".
Mais l'Algérie souhaite aujourd'hui que Paris aille plus
loin en reconnaissant officiellement sa responsabilité.
"Le peuple en entier attend encore de la France, qui a mis
des décennies à reconnaître la guerre d'Algérie
(...), que les déclarations de l'ambassadeur de France
soient suivies d'un geste plus probant", a poursuivi le président
Bouteflika. "Le peuple algérien n'a eu de cesse d'attendre
de la France une reconnaisance de tous les actes commis durant
la période de colonisation, y compris la guerre de Libération,
pour voir s'ouvrir de larges et nouvelles perspectives d'amitié
et de coopération entre les deux peuples."
A Paris, Bertrand Delanoë, a rappelé
dimanche que le 8 mai marquait "l'anniversaire d'une autre
barbarie, celle de Sétif", et souhaité lui
aussi que l'Etat français reconnaisse sa responsabilité.
"Les sociétés du XXe siècle (...) doivent
avoir le courage de la vérité (...) On s'honore
en disant la vérité, parfois en demandant pardon",
a dit le maire de la capitale française au micro de Radio
J.
UN "TRAITÉ D'AMITIÉ"
EN PRÉPARATION
De son côté, le ministre des affaires étrangères,
Michel Barnier, espère dans un entretien publié
dimanche par le quotidien El Watan que les deux pays parviendront
"à examiner ensemble le passé afin d'en surmonter
les pages les plus douloureuses pour (les) deux peuples".
"Cela suppose d'encourager la recherche des historiens, de
part et d'autre, qui doivent pouvoir travailler ensemble, sereinement,
sur ce passé mutuel, a-t-il ajouté. Ce travail de
mémoire est un objectif qui doit se retrouver dans le traité
d'amitié en préparation."
Alger et Paris doivent signer un important traité d'amitié
cette année, semblable au traité de réconciliation
signé en 1963 par la France et l'Allemagne. "Est-ce
que ça peut suffire du point de vue de l'opinion publique
algérienne ? je ne pense pas parce qu'il y aura toujours
des revendications", estime Benjamin Stora, spécialiste
de l'histoire de l'Algérie. "Mais il faut constater
tout de même que c'est un pas en avant (...) dans la diplomatie
française", a-t-il ajouté sur les ondes de
la radio nationale algérienne. L'Algérie exhorte
la France à reconnaître les massacres de Sétif
- IN LE MONDE | 08.05.05 | 19h07 • Mis à jour le
09.05.05 | 14h08