Un marchand de légumes Yves Zehr, rédige un rapport sur les Rapatriés d'Algérie au conseil économique et social ,

 
       
 
Le 19 décembre 2007 le CES vote le rapport
   
       
 

YVES ZEHR

LES POLITIQUES FINANCIÈRES CONDUITES EN FAVEUR DES FRANÇAIS RAPATRIÉS
Après l’accession à l’indépendance de plusieurs États, 1,5 million de personnes ont été rapatriées, dont près des deux tiers d’Algérie. Depuis près d’un demi-siècle, la question de leur indemnisation demeure.
Le fait de devoir quitter, dans des circonstances dramatiques, un territoire où ils étaient établis parfois depuis plusieurs générations et la nécessité de démarrer une nouvelle vie en France justifiaient un effort national en leur faveur.
Un dispositif protéiforme et complexe a été mis en place au fil du temps. En tout, les sommes affectées aux diverses aides et indemnisations au titre de la solidarité nationale se chiffrent à 35 milliards d’euros (valeur 2002).
Pourtant, un contentieux financier et passionnel demeure. Les rapatriés, regroupés en de nombreuses associations, cherchent à faire valoir des droits dont ils estiment avoir été lésés.
La loi de 2005 a été conçue pour régler les derniers points matériels en suspens. Il convient d’accélérer sa mise en œuvre, d’évaluer les problèmes qui subsistent et de proposer des solutions.
Saisi de cette question par le Premier ministre, le Conseil économique et social considère qu’il ne peut se limiter aux questions strictement financières. Il a pris le temps de l’écoute et mesuré le sentiment des rapatriés de ne pas être considérés dignement. S’il convient donc de clôturer les aspects financiers, c’est aussi de reconnaissance morale qu’il s’agit.


I -LES ASPECTS MATÉRIELS

La loi d’indemnisation 61-1439 du 26 décembre 1961 définit la notion de « rapatriés » : il s’agit de « Français ayant dû ou estimé devoir quitter, par suite d’évènements politiques, un territoire où ils étaient établis et qui était antérieurement placé sous la souveraineté, le protectorat ou la tutelle de la France ».
Cette loi a généré un effort financier considérable. Toutefois, plusieurs difficultés demeurent.

A -LES RETRAITES


En 1964, l’État a accordé la validation gratuite des années d’activité des personnes ayant cotisé en Algérie. Puis la validation à titre onéreux des périodes passées hors de France a été autorisée.
En 1985, une aide a été instituée pour le rachat des droits. Elle a concerné 100 000 personnes. En 1988, un fonds de retraite complémentaire créé en faveur des salariés cadres ou non-cadres du régime général ou agricole a bénéficié à 17 000 personnes.
Un contentieux subsiste en matière de retraite tant dans le secteur public, en raison du non-reclassement de certains agents, que dans le secteur privé, illustré par le cas des médecins autorisés tardivement au rachat de cotisations, dans des conditions très restrictives.
Il est désormais urgent, compte tenu de l’âge des bénéficiaires potentiels ou de leur conjoint survivant, de régler les derniers cas en suspens. Ce règlement définitif ne paraît pas hors de portée.
Concernant les reclassements d’agents du secteur public, une cellule spécialisée doit être mise en place au secrétariat d’État chargé de la Fonction publique pour régler dans les 12 mois les dossiers en suspens.
Pour les médecins, pourraient être évalués le coût de l’opération de rappel et les modalités pratiques permettant, sur une base volontaire, d’obtenir des droits équivalents aux métropolitains en matière de reconstitution de carrière.

B -LE PROBLÈME DE L’ENDETTEMENT (PRÊTS DE RÉINSTALLATION ET DE CONSOLIDATION)

Dès 1962 ont été distribués des prêts « de réinstallation » aux rapatriés agriculteurs, commerçants, professions libérales ou artisans.
Les prêts bonifiés accordés par l’État n’ont, souvent, pas pu être honorés. Des moratoires successifs ont été accordés, ainsi que des remises et enfin, des effacements de dettes.
Diverses instances ont eu à traiter de ces dossiers : la Commission de remise et d’aménagement des prêts créée en 1977 (4 000 dossiers examinés). En 1987, 800 dossiers ont été orientés vers les Commissions départementales du passif des rapatriés auxquelles se sont substituées en 1994 les Commissions départementales d’aide aux rapatriés réinstallés (500 dossiers réglés). En 1999 a été recréée une Commission nationale « d’aide au désendettement des rapatriés réinstallés dans des professions non salariées ». Les préfets instruisent les dossiers et les transmettent à la CNAIR qui propose au ministre en charge des rapatriés d’accorder une aide permettant un désendettement global et définitif, sous réserve de certains critères de recevabilité.
Aujourd’hui, il ne reste que quelques dossiers (autour de 700) concentrés dans quelques régions. Si on leur applique le montant moyen d’indemnisation (64 000 euros), les solder reviendrait à un coût global de 46 millions d’euros.
Il existe enfin le cas particulier des prêts de consolidation regroupés à la trésorerie de Châtellerault, qui correspondent à des créances du Trésor public. Il reste 27 dossiers de ce type pour un montant de 7,88 millions d’euros dont 3,56 millions d’euros de principal.
Il est proposé de clore rapidement les 354 dossiers classés « éligibles », qui concernent le plus souvent des personnes qui se sont manifestées tardivement, en établissant des plans de refinancement avec l’accord des créanciers.
Les dossiers « non éligibles » résultent souvent d’une interprétation abusive de la loi de la part des demandeurs. Reste qu’il faut solder ces procédures tout en évitant la demande de réouverture d’autres dossiers. La Mission interministérielle aux rapatriés doit examiner cas par cas les dossiers qui nécessitent vraiment un traitement à caractère social.
Les vingt-sept dossiers en suspens à Châtellerault devraient être clos rapidement, avec un remboursement partiel de ceux qui le peuvent et une remise gracieuse de dettes pour les autres.

D -L’INDEMNISATION


Pour aider les rapatriés non salariés, un dispositif très complexe a été mis en place au fil d’une vingtaine de lois, dont celle du 15 juillet 1970, qui a posé des principes pour l’indemnisation des personnes physiques (dégressivité, barème, échelonnement sur 10 ans). À cette époque, 161 000 dossiers ont été traités.
Au total, un travail considérable a été accompli. L’inventaire des biens indemnisés a été réalisé, semble-t-il, avec soin, ce qui n’a pas empêché certaines difficultés ponctuelles d’évaluation des propriétés, notamment au regard de leur qualification (urbaines ou rurales). À cet égard, le Conseil économique et social salue le travail rigoureux opéré par l’Agence nationale pour l’indemnisation des Français d’Outre-mer.
En 1963, 5 % du budget de l’État ont été affectés aux rapatriés. À l’époque, il a donc bien été tenu compte du choc subi par des populations très éprouvées par des « évènements » sur lesquels elles n’avaient aucune prise.
Cette indemnisation a été conçue comme un acte de solidarité nationale qui n’avait pas vocation à rembourser intégralement les biens perdus et était donc plafonnée.
L’ensemble des indemnisations versées correspond à 58 % de la valeur estimée des biens, selon l’ANIFOM, soit 16,5 milliards d’euros. Le calcul de cette indemnisation est contesté par certaines associations (plafond, ventes à vils prix, etc.) et les montants réclamés s’échelonnent entre 12 et 80 milliards d’euros.
La France a versé une « contribution à l’indemnisation » sur le fondement d’une solidarité nationale. Si un complément devait être obtenu pour solde de tout compte, il devrait, conformément aux accords d’Évian, provenir exclusivement d’une négociation avec l’Algérie.
Les sommes pourraient être versées à un fonds chargé de procéder à une répartition, sur des bases égalitaires, la véritable évaluation des biens perdus ne pouvant désormais plus être valablement opérée.
En tout état de cause, une quatrième loi d’indemnisation n’est pas concevable. Elle ne permettrait pas de régler des problèmes là où trois autres lois ont échoué et ne peut se concevoir dans l’état actuel des finances publiques françaises. En revanche, le versement d’une indemnité forfaitaire pour tous est envisageable.

E -LA SITUATION DES HARKIS


Le Conseil économique et social a abordé ce sujet en décembre 2006 (étude sur La situation sociale des enfants de harkis rapportée par Mme Chabi).
Pour ces personnes, il a souvent été difficile d’apporter la preuve de leurs biens en Algérie, la plupart du temps modestes. Rapatriés, ils ont été installés dans des camps dans des conditions souvent indignes.
Peu de harkis ont bénéficié des lois d’indemnisation. Ce n’est que tardivement que trois grandes lois (1987, 1994 et 2005) ont prévu des aides les concernant, pour un coût cumulé évalué à un milliard d’euros.
Actuellement, la population des harkis est d’environ 12 000 familles. Si les rapatriés harkis ont souvent plus de 65 ans, subsiste la question de leurs descendants. Il faut concentrer les efforts sur l’aide ciblée apportée aux jeunes en difficulté, avec un suivi en matière d’insertion professionnelle.
Des dispositifs ont été créés localement, basés sur un travail de proximité inscrit dans la durée et l’accompagnement de la personne, qui pourraient être étendus.
Anciens combattants pour la France, les harkis réclament d’abord une reconnaissance et souhaiteraient pour leurs enfants une meilleure intégration. Beaucoup aimeraient avoir la possibilité de se rendre et de circuler en Algérie, voire de s’y faire enterrer.
Dans la ligne de l’étude de Mme Chabi, il convient d’abord de faire connaître l’histoire, de rappeler ce que nous devons aux harkis. Les intégrer et lutter contre les discriminations dont ils sont victimes doit être une priorité.
En ce qui concerne l’emploi et la formation, les initiatives développées localement doivent être généralisées au niveau national.
Dans le cadre défini pour l’indemnisation, les harkis doivent bénéficier de l’indemnité forfaitaire au même titre que les autres rapatriés. En tout état de cause, les aides devraient impérativement cesser après la seconde génération.
Enfin, des négociations avec le gouvernement algérien doivent être engagées afin d’obtenir, comme pour l’ensemble des Français, la liberté de circulation des harkis et de leurs familles, avec visas, et la fin des tracasseries administratives dont ils sont souvent les victimes. Leur permettre de revoir leurs familles, la tombe de leurs parents est clairement prioritaire par rapport aux indemnités éventuelles.

II -LE TRAVAIL DE MÉMOIRE

Aucune société ne peut se dispenser de se forger une mémoire collective, sous peine de perdre son unité et de fragiliser son identité. Au terme de ce travail, où la part d’écoute a pris une importance considérable, le Conseil économique et social fait le constat que trop de malentendus et de silences obscurcissent aujourd’hui la connaissance de l’histoire de l’Empire français et du processus d’indépendance.
Pour le CES, il ne s’agit ni de s’engager dans la voie d’une commémoration nostalgique ni dans celle de la repentance. Il invite le gouvernement à engager un travail collectif sur cette période avec des historiens et les acteurs ou témoins de cette période. Un premier pas a été franchi avec la reconnaissance officielle en 1999 par l’Assemblée Nationale de « la guerre d’Algérie ».
Dans cet esprit, notre assemblée propose l’aménagement de lieux de mémoire qui répond à la nécessité de se souvenir, pour savoir et accepter ce qui s’est passé.
Le Premier ministre a annoncé la création en 2008 d’une fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie. Il est essentiel de continuer à écrire l’histoire mais une histoire partagée, luttant contre les simplismes. Le CES se félicite de cette intention et demande en outre que :
-le musée-mémorial prévu à Marseille voie effectivement le jour et soit un lieu de mémoire vivant ;
-un monument aux morts ou une stèle soit édifié(e) à Paris qui ferait état des victimes des moments extrêmement douloureux : 26 mars 1962 ou 5 juillet 1962... ;
-la colonisation de l’Algérie ne soit plus occultée et ne soit pas oublié le rôle de l’Armée d’Afrique et de la « Première armée » ;
-soient rappelées les actions de développement de la France en Algérie. D’autres questions doivent être réglées avec le
concours des États concernés : -que les cimetières français soient correctement entretenus et gardés. En 2003, un plan de rénovation des cimetières en Algérie a été engagé, consistant à rénover quelques grands cimetières et à y regrouper des tombes de plusieurs cimetières ruraux qui ont été restitués aux autorités locales (le plus souvent pour des opérations d’urbanisme). Cet effort mérite d’être salué et poursuivi ;
-demander la restitution des archives de toutes natures. Pourrait être envisagé de recourir, comme
en Tunisie, à une commission mixte comportant des historiens, chargée d’organiser des échanges
réciproques d’archives et de définir le protocole de leur consultation par les familles ;
-demander la liberté de circulation pour tous les harkis, avec visas ;
-accorder une reconnaissance morale aux victimes civiles des affrontements ;
-informer les familles des quelques soldats disparus en déclassifiant les archives « secret défense » et en menant, le cas échéant, des recherches complémentaires approfondies.
Ces demandes renvoient aux droits les plus élémentaires de la personne humaine, tels qu’ils sont définis par la Déclaration universelle des droits de l’Homme, dont l’État algérien est signataire depuis 1962.

Le Conseil économique et social est conscient que l’ensemble de ces questions, qui renvoient à un lourd contentieux historique, reste très sensible. Cependant une avancée sur les points recensés faciliterait d’autant de nouvelles relations apaisées entre l’Algérie et la France, tournées vers les défis communs auxquels est aujourd’hui confronté l’espace méditerranéen.
Yves ZEHR le marchand de légumes
Né le 27 septembre 1947 à Illkirch-Graffenstaden
Fonctions au CES . Membre du groupe de la Coopération . Membre de la section des Finances
Diplôme IPCAD Strasbourg
Activités professionnelles
. ouvre le premier hypermarché du groupe Coop Alsace à Colmar en 1976
Distinction honorifique (falso) + Chevalier des Palmes Académiques