La guerre d'Algérie n'est pas finie déclare Claude Liauzu la réponse de Anne Cazal de VERITAS

 
       
 
Guerre d'Algérie n'est pas finie par Claude Liauzu professeur à l'université Denis-Diderot-Paris-VII.
mercredi 06 juillet 2005

Mouloudji crée le Déserteur de Boris Vian au moment où Paris apprend la chute de Diên Biên Phu, à la veille de cette guerre de sept ans, apocalypse par laquelle s'achèvent 132 ans d'Algérie française. Achevée, cette guerre ? Certains la poursuivent indéfiniment. On peut comprendre la douleur de l'exil, la colère face aux pertes, aux violences. Mais cela impose-t-il aux rapatriés de se lier à l'extrême droite, de se compromettre avec des groupuscules qui affichent clairement leur idéologie, comme Jeune Nation, à des factieux qui ont été condamnés pour des agressions racistes ?

Drôle de république que celle où le «premier flic de France» fait la police dans la justice, court nettoyer «au Karcher» les banlieues, vole au secours de Perpignan tout en laissant s'y exhiber un monument en hommage à ceux qui ont érigé le putsch en méthode politique, qui ont voulu assassiner le fondateur du gaullisme (dont il se réclame) et ont tué des milliers de personnes. Electoralisme oblige ? Montesquieu disait que le ressort de la démocratie était la vertu. Drôle de démocratie que celle où à Nice, Toulon, Marignane, Béziers, etc., on honore ceux qui ont instauré le chaos pour empêcher une paix approuvée par 75 % des citoyens lors du référendum du 8 janvier 1961. Drôle de système parlementaire que celui dont les élus votent une loi imposant aux enseignants de reconnaître le «rôle positif» de la colonisation.

Drôle d'armée que celle dont le seul général sanctionné sans avoir été rétabli dans ses droits est le seul qui ait refusé de couvrir les crimes de la bataille d'Alger, le général de Bollardière ; drôle d'armée que celle dont les supplétifs continuent à enfanter encore, à la troisième génération, des «harkis». Drôle de loi que celle qui condamne Aussaresses non pour ce qu'il a fait ­ torturé, étranglé ­, mais pour l'avoir dit.

Combien savent que des commandos de l'OAS, sous les ordres de Degueldre, ont assassiné froidement trois instituteurs algériens et trois instituteurs français le 15 mars 1962, parce que leur faute était d'oeuvrer à la paix ? Combien connaissent le nom de l'une des victimes, Mouloud Feraoun, dont le combat a été de faire vivre la «communauté franco-musulmane» qu'il avait découverte à l'Ecole normale ? «J'ai peur du Français, du Kabyle, du soldat, du fellagha. J'ai peur de moi. Il y a en moi le Français, il y a en moi le Kabyle» (Journal, 14 mars 1956).

Drôle de république algérienne qui, quarante ans après, ne peut admettre que tous ses moudjahidin n'étaient pas des saints, que certains aussi ont torturé, assassiné. Qui ne peut admettre que ceux qui ont choisi la France n'étaient pas tous des collabos. Triste Algérie que celle qui n'a pas la lucidité d'affirmer que la langue française est son «butin de guerre», comme disait Kateb Yacine, ou qui a besoin d'assimiler la colonisation au nazisme pour cacher les plaies du présent. Triste Algérie que celle qui refuse de voir sa part judéo-arabe et cultive l'antisémitisme.

Drôle de couple franco-algérien, quand le ministre des Anciens combattants et son homologue des Moudjahidin prétendent dicter leur vérité aux historiens. La colonisation n'a pas été «la voie... d'un génocide inlassablement répété», contrairement à ce que dit le président Bouteflika, elle n'a pas eu non plus le «rôle positif» que le président Chirac a entériné en signant la loi du 23 février. Messieurs les présidents, drôle de traité de paix et d'amitié que celui que vous nous préparez ! N'y a-t-il rien d'autre à offrir en partage aux jeunes de vos deux pays, n'y a-t-il pas nécessité de les former pour ce monde de plus en plus interdépendant qui est le leur ?

Mouloudji, ce gosse de maçon kabyle et communiste et de Bretonne catholique, un poulbot, un gamin de Paris, un enfant de la Butte ou un yaouled ? Comme des centaines de milliers d'autres, il a contribué à tisser une Françalgérie qui a droit à sa place au soleil.

Messieurs les présidents, condamnerez-vous les descendants de cette histoire à rester prisonniers du pire de leur passé ?
IN LIBERATION LE 6 JUILLET 2005

 
       
  La réponse de Anne Cazal dans la lettre de VERITAS du mois d'octobre 2005