De Gaulle a également employé la terreur envers ses populations
On se souvient comment, au printemps 1962, et avec le soutien de la Gauche, le régime gaullien usa de la terreur pour éradiquer le « mouvement de contestation » des Français d’Algérie ?
Le vendredi 23 mars 1962, quatre jours après la signature des Accords d’Evian livrant l’Algérie au Front de libération national algérien (FLN), dont le ministre des Affaires étrangères officieux était Abdelaziz Bouteflika, le président de Gaulle avait mandé en effet à Michel Debré : « Mon cher Premier Ministre, tout doit être fait sur-le-champ pour briser et châtier l'action criminelle des bandes terroristes d'Alger et d'Oran. Pour cela, j'ai, sachez-le, entièrement confiance dans le gouvernement, dans le haut-commissaire de la République et dans les forces de l'ordre. Veuillez le dire aux intéressés. Bien cordialement. Charles de Gaulle. »
Ces « bandes terroristes » étaient les partisans de l’Algérie française. L’ordre de l’Elysée fut immédiatement exécuté. Le jour même, prenant prétexte d’un accrochage, commença le blocus de Bab-el-Oued, quartier très populaire, et très populeux (50 000 habitants, presque tous ouvriers) d’Alger. « Des milliers de soldats, gendarmes et C.R.S. encerclèrent le quartier », raconte l’historien Joseph Castano. « Des barrages de fils de fer barbelés furent dressés. Bab-el-Oued était isolée du reste du monde...
Le quartier serait privé de renforts et de ravitaillements... Bab-el-Oued, le symbole de la résistance en Algérie, allait recevoir le châtiment qu'elle méritait depuis longtemps déjà. ». 150 « activistes » y étaient retranchés. Contre eux, le général Ailleret et le haut commissaire Christian Fouchet recoururent aux blindés et même à l’aviation, hélicoptères et chasseurs T6. « La puissance de feu était telle, » poursuit Joseph Castano, « que les quelques officiers aguerris qui se trouvaient là, se croyaient “revenus à la seconde guerre mondiale”... . Les balles de mitrailleuses 12/7 et les obus occasionnaient dans les murs des trous énormes.
Des troupes respectueuses des droits de l’homme
De toutes parts les blindés affluaient, vomissant leurs nappes de feu et d'acier... Suivaient les forces de l'ordre qui, aussitôt, investissaient maison après maison, se livrant à de sauvages perquisitions (...) et à l'arrestation systématique de tous les hommes en âge de porter une arme. Des milliers d'Européens furent ainsi arrêtés... Pour compléter l'isolement, on coupa les 8 000 téléphones qui reliaient encore les assiégés au reste du monde, ainsi que la lumière et un couvre-feu permanent fut établi sur-le-champ. Les forces de l'ordre reçurent la consigne de tirer à vue sur "tout ce qui bougeait » et on interdit l'accès du quartier aux médecins...
Dans les appartements dévastés, on pleurait les morts et on s'efforçait de soigner les blessés. Beaucoup de ces victimes n’avaient en rien participé au combat... Nicolas Loffredo, maire de Bab-El- Oued témoignera à ce sujet : “Nous sommes intervenus auprès des autorités en faisant remarquer que des bébés étaient en train de mourir. Un officier de gendarmerie me répondit : « Tant mieux ! Plus il en crèvera, mieux ça vaudra ! Il y en aura moins pour nous tirer dessus ». Et comme nous demandions qu’on enlève au moins les morts, il a éclaté : « Vos cadavres, mangez-les ! »”
Pour autant, le calvaire des habitants européens n'était pas fini... Pendant quatre jours, Bab-el-Oued sera isolée du reste du monde, sans ravitaillement et sans soins...» C’était le premier acte de la « normalisation », selon l’expression qu’utiliserait Moscou en août 1968 lors de la répression du « printemps de Prague ». Répression que Michel Debré, rétrogradé ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de Georges Pompidou, son successeur à Matignon, devait qualifier de simple « incident de parcours », sans incidence sur les bonnes relations entre de De Gaulle et la « chère et puissante Russie ».
Des victimes par millier
Le deuxième acte de la tragédie eut lieu le 26 mars 1962. Pour protester contre le blocus inhumain de Bab el-Oued, des centaines d’Algérois se réunirent pacifiquement rue d’Isly. Où des unités de tirailleurs algériens, amenés des Aurès sur l’ordre du général Ailleret, ouvrirent le feu. On recensa 84 cadavres et des dizaines de blessés, dont beaucoup décédèrent ensuite.
Un crime d’Etat qui ne fut jamais jugé.
Le troisième acte se joua avec la complicité du FLN, qui entreprit les massacres de harkis (75 000 victimes selon l’hypothèse la plus basse) pour épouvanter tous les musulmans loyalistes, et dont des éléments prétendument incontrôlés procédèrent à l’enlèvement de près de 3 000 Européens, enfants compris, afin de porter la terreur à son paroxysme et d’accélérer ainsi l’exode vers la France.
Sur ordre supérieur, l’armée française, pourtant encore présente en force, resta l’arme au pied devant ces atrocités, refusant de venir en aide aux kidnappés alors même que l’emplacement de certains camps de rétention, où la plupart des malheureux enlevés — parmi lesquels non seulement des « colons » mais aussi des médecins, des enseignants et même de hauts fonctionnaires et des militaires — devaient disparaître sans recours, était connu. Une honte dont certains officiers et sous-officiers, même hostiles aux « activistes », ne se sont jamais remis.
Les harkis : 150 000 victimes
Sous les instructions de de Gaulle « Louis Joxe, ministre d’État aux Affaires algériennes, adressa à l’armée une directive très secrète, le 12 mai 1962, menaçant de sanctions les militaires français qui organisaient le repli en métropole de leurs alliés musulmans en dehors du plan général de rapatriement », et ordonnant même le renvoi en Algérie des supplétifs débarqués en France. »
La note en date du 25 mai 1962, stipule notamment :
« Les supplétifs débarqués en métropole en dehors du plan général de rapatriement seront renvoyés en Algérie". Il conviendra d’éviter de donner la moindre publicité à cette mesure Les promoteurs et les complices de rapatriements prématurés seront l’objet de sanctions appropriées. » Pierre Messmer, ministre des armées, a spécifié dans une note ministérielle de mai 1962 que les arrivées en France de harkis " dues à des initiatives individuelles représentent des infractions caractérisées. »
L'abandon des harkis par De Gaulle et les consignes données par les pouvoirs publics de n'effectuer aucun rapatriement massif de supplétifs ont été considérés par Maurice Allais comme
« une des plus grandes ignominies, une des plus grandes hontes de toutes l'Histoire de France ». De même, Dominique Schnapper, fille de l'intellectuel français Raymond Aron, écrira
« L'épisode des Harkis constitue une des pages honteuses de l'histoire de France, comme l'ont été l'instauration du Statut des juifs ou la rafle du Vel d'Hiv ».
Pour Pierre Montagnon, si cette assertion n'est pas sans fondement, l'Armée française de 1962 sort toutefois de ce drame moins « salie » que l'administration française de 1940 à 1944.
En effet, en 1962, des officiers se sont opposés aux ordres des pouvoirs publics français, ont enfreint les instructions et plusieurs milliers de harkis ont pu être sauvés d'une mort certaine. Certains rejoignant même l'OAS. De nombreux cadres ont également démissionné, « ne voulant pas cautionner une telle ignominie ».
De Gaulle voyait dans les harkis des « jouets de l’Histoire », et non des éléments de l’armée française. Peu après son retour au pouvoir, en 1958, de Gaulle se met à douter de l’intégration des musulmans d’Algérie qui était sous-jacente à la constitution de harkas. Ainsi, le 5 mars 1959, il se confie en ces termes à Alain Peyrefitte : « Si nous faisions l’intégration, si tous les Arabes et Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcher de venir s’installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées ! »
Au conseil des ministres du 25 juillet 1962, peu après l’indépendance de l’Algérie, lorsque Pierre Messmer, ministre des armées, déclare : « Des harkis et des fonctionnaires musulmans, les moghaznis, se disent menacés, d’où des demandes qui viennent à la fois des autorités civiles et militaires. Il faut prendre une position de principe. ».
De Gaulle répond : « On ne peut pas accepter de replier tous les musulmans qui viendraient à déclarer qu’ils ne s’entendront pas avec leur gouvernement ! Le terme de rapatriés ne s’applique évidemment pas aux musulmans : ils ne retournent pas dans la terre de leurs pères. Dans leur cas, il ne saurait s’agir que de réfugiés ! Mais on ne peut les recevoir en France comme tels que s’ils couraient un danger ! ».
Le Premier ministre Pompidou ajoute alors : « Deux camps militaires ont été installés pour eux en métropole ; ils sont submergés. Ces gens ne veulent pas travailler… » Et de Gaulle conclut « Il faut les mettre en demeure de travailler ou de repartir ». Et alors, selon Peyrefitte, plusieurs ministres baissèrent la tête.
Selon Guy Pervillé, de Gaulle était contre le rapatriement des harkis pour trois raisons:
Il voulait montrer qu'il faisait confiance aux Algériens qui s'engageaient à n'entamer aucunes représailles suites aux accords d'Evian.
Il croyait à une manoeuvre de l'OAS visant à infiltrer en métropole des recrues potentielles pour perpétuer la guerre civile en France.
Surtout, de Gaulle refusait de distinguer le problème des harkis de celui de l'immigration algérienne en France. Il voulait que les harkis restent en Algérie car, pour lui, sauf exceptions individuelles, les harkis n'étaient pas des vrais Français. Le rapatriement de milliers d'Algériens constituait à ses yeux, une menace pour l'identité de la France.
Après le 5 juillet 1962, les massacres de harkis ont connu une forte augmentation entre juillet et octobre de la même année. Au total, le nombre de harkis tués après le cessez-le-feu, victimes de représailles, fut estimé selon les sources entre 100 000 et 150 000 personnes. |