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– Avez-vous compris pourquoi ces hommes avaient démontré une telle loyauté à la nation française?
– Dans le contexte de l'époque, «l'indigène», et je parle de l'Algérie de mes parents, était colonisé et vivait un vrai sentiment intime dans sa relation à la France. Ces gens voulaient que leur sort s'améliore, revendiquait des avantages liés à la citoyenneté française, même si dans toute l'histoire de la colonisation, seuls 4'000 indigènes ont obtenu le passeport. Néanmoins, l'attachement était très fort, ancien puisqu'étalé sur 132 ans, affectif. Pourtant, ces hommes n'avaient jamais vu la terre de France, cette Mère Patrie dont ils voulaient être solidaires, protéger sa liberté pour peut-être, ensuite, en savourer eux aussi le bénéfice.
– Avant cette date, y a-t-il eu des Algériens pour douter de ce lien avec la France?
– Disons qu'en mai 1945, certains ont compris qu'ils s'étaient fait avoir. C'était l'Armistice, fêté partout en Europe, et les Algériens ont décidé de manifester dans la ville de Sétif pour exiger quelques changements, selon les promesses faites par De Gaulle. Ça a mal tourné et durant trois, quatre semaines, les autorités françaises ont massacré entre 30 et 40'000 personnes. A partir de ce 8 mai 45, il y a eu un basculement dans la tête des Algériens, et dans une minorité qui a décidé de passer à l'action. Il a fallu neuf années pour arriver à une réflexion, et le 1er novembre 1954 commençait officiellement la guerre d'Algérie. Parce qu'ils étaient déçus, qu'ils n'avaient rien obtenu et qu'ils ne pouvaient que retourner d'où ils venaient.
– La Seconde Guerre mondiale a-t-elle accéléré cette prise de conscience?
– Bien sûr! Par exemple, le président Ahmed Ben Bella, leader de la révolution algérienne, était sergent dans l'armée française. Et quand il est rentré au pays, il s'est retrouvé dans son champ de pierres… Beaucoup d'anciens soldats comme lui ont bâti ce qui a été appelé l'armée de libération nationale.
– Comment envisagez-vous l'accueil réservé à Indigènes dans les banlieues, fierté ou ressentiment?
– Le film se place au-delà des traitements injustes… A mon avis, les jeunes pourront constater que leurs ancêtres n'ont pas été que ces gens qui ont reconstruit la France, des ouvriers dans les usines, des balayeurs, etc. Ces parents ont été des héros, des Tom Hanks, des soldats Ryan! Car les Américains, eux, savent entretenir en permanence le sujet de la Seconde Guerre mondiale. Leur culture témoigne de la participation américaine à la libération européenne. Et à chaque fois qu'il y a des conflits entre les USA et la France, les premiers rappellent: «Eh les mecs, attendez, on est venu vous sortir du merdier!» Moi, je dis simplement qu'ils n'étaient pas les seuls, que 300000 Africains ont libéré l'Italie, les Vosges, l'Alsace, etc., à côté des Américains. Ils existaient aussi. (Sourire.) Je pense vraiment que le ressentiment ne sera pas dominant, ce sera plutôt: «Oh la vache…»
– Indigènes bénéficie du hasard d'une génération d'acteurs brillants. Sans ces pointures, auriez-vous pu monter financièrement le film?
– Oui… Car malgré ce casting, le projet n'a jamais suscité une adhésion spontanée. Jamel a amené des fonds grâce à sa relation avec le roi du Maroc, ce fut un point de départ formidable. Ensuite, durant deux ans, nous avons emmerdé tout le monde! (Ton ironique.) Aujourd'hui, on me dit que j'ai quatre stars à l'écran, mais à l'époque, avec ou sans Jamel Debbouze, c'était «au revoir, m'sieur, dame!» J'entendais: «Est-ce que ça va intéresser, ce truc sur la Seconde Guerre mondiale, ça coûte de l'argent, et pourquoi?» (Grimace.) Mais ce qui reste formidable, c'est que les gens ne sont pas contre vous, que vous finissez par convaincre à force de mettre la pression, de passer par la fenêtre quand on vous fermait la porte, que le réseau des relations joue…
– Cette difficulté du financement viendrait-elle du fait que la France n'a guère d'intérêt à revenir sur cet épisode?
– Attention, il n'y a pas de complot. (Soupirs.) Combien de fois n'a-t-on pas demandé pourquoi il y a si peu de films sur la Guerre d'Algérie, sur la collaboration, etc.? Il y a un truc qui a du mal à se dénouer là-dedans. Evidemment, quand je suis arrivé avec mon projet, ce n'était pas une comédie. Jamel dans Astérix ou Taxi, on y va. Mais là… ce n'est pas son registre «peau de banane». Pourtant, on a quand même trouvé. C'est tellement une tradition française… Un jour, on vous dit que vous êtes français. Puis attendez, non, peut-être pas. Et le lendemain, ouais.
– Un peu comme une équipe de foot?
– Exactement. Quand l'équipe de France gagne, c'est génial. Si elle prend une claque, les Zidane, les machins, tout le côté multicolore, c'est fini. Pourtant, la France doit digérer ça. L'empire colonial a duré près d'un siècle et demi, et ces pays se trouvent dans une situation économique catastrophique! La honte… Indigènes permet de dire aussi qu'une poignée de bureaucrates ne peut pas décider de lois hyperviolentes.
– Que signifie pour vous «identité»? – Je ne me pose jamais la question. Puis-je être Franco-algérien? C'est le problème de la France. Je suis Algérien et Français. Et dans l'équipe de France dont je suis fier, il y a des joueurs algériens! Indigènes, c'est un film français, coproduit par le Maroc, l'Algérie et la Belgique.
IN http://www.24heures.ch
Bientôt une suite au film “Indigènes”
Pourquoi vouloir aujourd'hui faire la suite d’Indigènes. Vous sentez-vous un peu pourvu d’une mission, tel un cinéaste engagé à poursuivre ce combat ?
Non, pas de mission. Ce n’est pas la suite d’Indigènes. Cela fait longtemps que je voulais faire un film sur la guerre d’Algérie. Mais pour comprendre cette dernière, je me suis dit qu’il fallait passer par la Seconde Guerre mondiale. La suite historique donc démarrera à Sétif en mai 45. Il y aura après une partie qui se passera en Indochine puis la guerre d’Algérie. Ce sera cela, la deuxième partie historique mais pas la suite d’Indigènes. Je vais peut-être tourner cela dans deux ans, le temps d’écrie un très bon scénario sur lequel je travaille en ce moment. Quand je serai prêt, je tournerai. Avec les mêmes acteurs parce qu’ils sont très bons. On peut faire plusieurs films avec Mel Gibson, on peut faire plusieurs avec Tom Hanks, plusieurs avec Depardieu. Je trouve que ce sont d’excellents acteurs avec qui j’ai passé des moments formidables et puis ce sont des acteurs qui m’intéressent. Ils joueront d’autres personnages.
In lexpressiondz du 9 octobre 2006 Entretien réalisé par O. HIND
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