Propos de Roland Courteau pendant les débats au Sénat le 8 novembre 2012 révoltants
M. Roland Courteau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plus de 20 000 communes commémorent le 19 mars 1962 en France. C'est un cas que je crois presque unique dans notre histoire mémorielle républicaine. Remplir le devoir de mémoire est une demande venue d'abord de la population et des témoins ; elle a été exprimée par les communes, socle premier de nos institutions, qui sont très nombreuses aujourd'hui à avoir une rue ou une place portant pour nom cette date.
Il est grand temps que la République établisse une date commémorative afin que ce soit la Nation tout entière qui s'unisse désormais dans un même devoir de mémoire. Il est plus que temps que « parler de l'Algérie » cesse de nous diviser, et au contraire nous unisse.
Il est vrai qu'une difficulté à « faire mémoire » s'est attachée à la guerre d'Algérie, du fait de l'épreuve douloureuse que celle-ci a représentée non seulement pour les militaires et les appelés du contingent, mais aussi pour les Français d'Algérie et les harkis.
Je rappelle cependant que deux millions de soldats, dont une majorité d'appelés, ont traversé la Méditerranée entre 1955 et 1962. Or, il y a un principe, exprimé à l'origine par Georges Clemenceau, qui guide notre devoir mémoriel républicain : ceux qui ont combattu, qui ont été blessés, qui sont morts pour avoir fait leur devoir en répondant à l'appel de la République « ont des droits sur nous ».
Oui, les grands rendez-vous mémoriels sont l'occasion de rappeler les sacrifices consentis par le monde combattant. Pour tous les conflits, ce sont les soldats qui fondent le socle du devoir mémoriel de la République, mais sans exclure pour autant les autres victimes, notamment civiles, qui ont aussi droit à réparation.
C'est bien à ces soldats et à ces appelés qui avaient franchi la Méditerranée que s'adressait le cessez-le-feu, décidé par la République, du 19 mars 1962. Il signifiait que la République n'était plus engagée, à travers eux, dans les combats et que la France n'était plus en guerre.
Cette guerre a coûté la vie à plus de 25 000 militaires, majoritairement appelés ou rappelés du contingent.
Non, ce n'est pas la date abracadabrantesque et arbitraire du 5 décembre qui peut constituer le rendez-vous mémoriel avec eux : ce jour est celui de la saint Gérald, et rien d'autre !
Oui, nous considérons que seule la reconnaissance du cessez-le-feu officiel du 19 mars 1962, approuvé à l'époque par plus de 90 % des Français par référendum, est à même de marquer solennellement la reconnaissance qui est due à ceux dont la loyauté à l'égard de la République n'a pas fait défaut.
Certes, il y a eu ensuite la tragédie des harkis, tache sombre sur notre histoire, mais n'oublions pas qu'il y a eu aussi, après le 19 mars, des Français d'Algérie tués, massacrés. Toutefois, il faut voir dans le 19 mars une date républicaine qui doit rappeler à tous les Français le devoir de justice et de vérité que la Nation entreprend de respecter à l'égard des errements de la colonisation ainsi que des conséquences de la guerre et des combats qui en ont été le prolongement.
Notre rôle ici est de rappeler que le 19 mars est le jour où la République a fait un choix pour toute la Nation en ouvrant une autre séquence de son destin collectif.
Oui, il peut y avoir eu dans la mémoire des uns et des autres des guerres d'Algérie, mais il y a eu un drame algérien pour toute la République et pour tous ses enfants.
C'est pourquoi la République a le devoir aujourd'hui de rassembler ses enfants, et c'est l'objet de la proposition de loi que nous examinons.
Enfin, la date du 19 mars est aussi un pont entre les différentes mémoires.
Elle nous renvoie à notre devoir de construire une relation équilibrée, apaisée et exigeante avec la République algérienne.
La date du 19 mars nous fournit donc la possibilité de partir du singulier de l'événement, du particulier des vécus et des histoires personnelles, pour rendre justice à la collectivité, pour elle-même et aux yeux de tous.
Chaque fois que la République réussit cette démarche de synthèse, la Nation se trouve grandie. Elle tirera donc de ce moment collectif de commémoration que peut constituer le 19 mars ce qui la fortifiera pour son avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) |