Amicale des Enfants de Tunisie, conférence de Thérèse Roqueplo "André Gide à Tunis" pendant la guerre de 1942-1943, maison du maréchal Juin Aix-en-Provence.
   

Quand André Gide débarque à Tunis le 7 mai 1942, il a 73 ans. C'est la 8ème fois (et la dernière) qu'il cède à son attrait pour ce pays, sans prévoir que la guerre va l'y retenir pendant une année. Son existence jusqu'alors a été marquée par un perpétuel vagabondage, surtout depuis son premier départ en octobre 93, pour l'A.F.N. qui lui a fit découvrir la Tunisie (où il a connu sa 1ère expérience homosexuelle), le sud algérien et rompre avec une vie à la fois artificielle et étouffée par la morale bourgeoise et puritaine inculquée par sa mère. La mort de celle-ci, son mariage en 95, les déplacements incessants, les amours successives, la grande passion pour Marc Allégret (à partir de 1917), la naissance en 23 de sa fille Catherine née de son amie Elisabeth Van Rysselberghe, les voyages historiques en Afrique Noire de 1925 à 1926, puis en URSS en 36, sans oublier une production littéraire intense, tout cela est stoppé net en septembre 39 par la guerre, qui lui fait fuir Paris et le condamne à une vie errante et désoeuvrée sur la Côte d'Azur, jusqu'à l'impulsion qui le fait s'embarquer pour Tunis.
Les premiers mois y sont assez paisibles, lui fournissant même l'occasion de « deux nuits de plaisir » (juin) relatées dans son journal. Il est entouré d'amis dévoués, en particulier le ménage Reymond, qui l'héberge, puis, forcé de partir pour Marseille pour cause de maladie, lui laisse sa maison de Tunis, en compagnie du fils et de la grand'mère, situation bizarre dont Gide doit bien s'accommoder dès lors que surgit, fin novembre 42,l'occupation de Tunis par les troupes allemandes et italiennes.
La guerre en effet avait déjà commencé, les forces de l'Axe ayant riposté au débarquement américain du 8 novembre par l'invasion de la Tunisie par air et par mer avec des effectifs considérables. Face à eux, il y avait une modeste armée tunisienne (10.000 hommes) des éléments de la 1ère armée britannique débarqués dans les ports du Constantinois et surtout l'Armée Française d'Afrique, 80.000 hommes, commandée par Juin, renforcée de quelques parachutistes et véhicules américains. Il réussissent à occuper le centre de la grande dorsale tunisienne et s'accrochent à la position de Medjez el Bab, qu'ils garderont jusqu'à la fin. Pendant ce temps, les allemands prennent Sousse, Sfax, Gabès; les Britanniques subissent un grave déficit à Tebourba. Le 26 novembre Tunis est occupée. Par ordre de Vichy, la flotte et le port de Bizerte sont livrés aux Allemands le 8 décembre. Attaques et contre-attaques se succèdent en décembre et janvier, avec beaucoup de pertes de part et d'autre.
Tunis est sévèrement bombardée. Rommel arrivé de Libye installe son PC à Tripoli mais il est talonné par la 8ème armée britannique qui entre à Tripoli le 23 janvier avec Montgomery et bientôt la colonne Leclerc, victorieuse du Fezzan.
A l'ouest Rommel livre un furieux assaut sur Kasserine, menace jusqu'à Tébessa en Algérie, est repoussé grâce à l'énergie de Juin et l'intervention du 2ème Corps d'Armée US enfin au complet et opérationnel (février). En mars, des attaques de Rommel échouent sur Médénine et Ksar Rhilane. Hitler le fait remplacer par Von Arnim.
Dans le sud, Montgomery enlève la ligne Mareth tenue par les Italiens, entre à Gabès le 29 mars, poursuit en avril sa poussée vers le nord.
L'offensive finale conduite par le général Alexander obtient la chute de Tunis le 7 mai, de Bizerte le 8. Derniers combats à Takrouna le 4 mai. Les forces de l'Axe, enfermées dans le Cap Bon cèdent 250.000 prisonniers.
Gide, privé de toute correspondance avec la France a suivi ces évènements à travers les informations contrôlées, incomplètes, souvent tardives, dans une presse soumise à l'occupant («Le Tunis Zeitung») et des émissions radio de plus en plus souvent interrompues par des coupures d'électricité. Rumeurs et ragots tiennent souvent lieu de nouvelles. Gide sera dans l'ignorance totale de l'armée française d'Afrique, et mal renseigné sur les mouvements des Américains qu'il croit prêts dès le 30 novembre à entrer dans Tunis mais estime peu combatifs, confond avec les Britanniques vaincus à Tebourba, suppose mal ravitaillés en carburant, temporisateurs et à qui il attribue une déroute à Sbeitla, annoncée, minimisée puis confirmée alors que débute leur entrée en scène effective (février). Il est mieux informé du succès de la VIIIème Armée et entend parler en janvier des exploits de Leclerc, en mer du contournement de la ligne Mareth puis de la reprise de Gabès, Kairouan… L'entrée des troupes alliées à Tunis est pour lui une surprise totale. Alors enfin, il rend hommage à la valeur de tous, et même des « rares forces françaises », mais s'étonne de la reddition totale des ennemis.
Mais dans son journal il a noté quotidiennement comment la guerre était vécue par le simple citoyen. Il note le contraste entre la bonne tenue des soldats allemands et le laisser aller des italiens. Et l'hostilité qui règne entre eux. Les bombardements, jugés d'abord inoffensifs (« l'aviation anglaise est bien supérieure à l'américaine! ») s'intensifient, le privent de sommeil, touchent ses amis et même la maison Reymond. Les dégâts en ville, la misère, les réfugiés, la pénurie alimentaire, le froid, le coût de la vie et le marché noir, remplissent des pages, concurremment avec les énormes lectures où il s'absorbe, quand la lumière le lui permet.
Pourtant deux bonheurs imprévus: un festin gargantuesque chez ses amis Cettan (avocat); la rencontre chez le libraire Tournier d'un jeune officier allemand avec qui Gide engage une conversation consacrée à la littérature allemande, dans son esprit digne du « Silence de la Mer ».
La liesse de la victoire (« Jours radieux ») fait très vite place chez Gide à sa hâte de quitter Tunis. Il ignore le défilé de la victoire le 20 mai et part le 27 pour Alger, où l'hébergent des amis. Là, le 25 juin, lui arrive une invitation à dîner de De Gaulle! Un universitaire algérois l'emmène en voiture. Le dîner ne réunit que quelques intimes, Gide à la droite du général qui lui accorde après dîner une conversation en tête à tête. L'impression que fait De Gaulle à Gide est très favorable. C'était évidemment de sa part un acte politique, la reconnaissance de l'écrivain alors le plus célèbre en France et à l'étranger, et qui ne s'était jamais compromis après le régime de Vichy.
Mais De Gaulle avait fort à faire et dès le lendemain matin 26 juin il était à Tunis.
Gide ne reverra plus jamais ni De Gaulle ni Tunis.
 
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