Gisèle Ambrosino
Editorial : « Que faire de notre nostalgie? »
On nous a souvent dit que nous ressassions à loisir et à plaisir notre passé , que notre nostalgie était désuète, qu’il fallait « tourner la page »... que nous n’avions « rien compris »...
Nous finissions par le croire, parlions un peu moins fort, « mais seigneur, faites qu’ils ne me prennent pas mon accent… », tentions de trouver une logique politiquement correcte qui puisse nous apporter la paix.
Nous avions rangé nos images dans notre tête, nos morts dans un coin de notre cœur, nos chers disparus derrière une colère impuissante.
Et puis tout change!
Jacques Chirac fait un grand voyage en Algérie serre avec joie, bonhomie et inconscience des mains pas toujours très nettes, des groupes de pieds noirs de tous milieux se précipitent en Algérie, comme si des tabous étaient levés.
Etait-il nécessaire de vivre une telle frustration? On nous a compris mais nous n’avons rien compris alors?..
Soudain cette terre aimée qui tremble, les images-souvenirs s’écroulent comme un château de sable .
Que faire de notre nostalgie?...
Continuer?... Continuer de témoigner, de raconter notre histoire, nos histoires…
Les ouvrages, les conférences, les congrès se multiplient et attirent un public de plus en plus large.
- 10 mai 2003 7ème Congrès Veritas - conférence de Mohand Hamoumou, remise du prix Véritas à Guy Forzy pour son ouvrage « Ça aussi c’était De Gaulle » (une séance de signature avait déjà été organisée Maison Maréchal Juin), point sur les actions en justice entreprises par le vice président René Blanchot, débat avec l’assistance et somptueux cocktail en clôture.
-Parution de l’Ouvrage du Colonel Lacheroy « De Saint Cyr à l’Action Psychologique ». Cet ouvrage vient combler un vide: souvent cités, manifestement peu lus, ceux qui furent qualifiés au moment de la guerre d’Algérie, de « théoriciens de la guerre révolutionnaire et de l’action psychologique » n’ont laissé que fort peu de témoignages.
Le plus célèbre d’entre eux a enfin décidé de parler, après plus de quarante ans de silence. Ce livre témoignage intéressera tout autant les historiens que les spécialistes du monde contemporain.
- « Alger Autrefois » par Teddy Alzieu aux Editions Alain Sutton , « Une vie allant vers … » par Eva Blain aux Editions Bénévent,
-CD des évènements du 13 mai 1958 enregistré par les journalistes de Radio-Algérie .
Les conférences s’enchaînent :
« L’Algérie Française ou la mémoire oubliée » par José Castano
« L’épopée du Marquis de Mores en Tunisie (1896) » « Joseph Allegro 1846-1881, agent de Rostan et gouverneur de Gabes » par André Martel.
« Le Parler d’Oran » (adiousbinagate, cassouéla, garéjo, joér, jaillouyo, lagagne, pégoté, pintcho, salagate, tchala’o, trasto, etc ) par Amédée Moreno.
« Se souvenir, cela relève du merveilleux qui a été conféré à l’homme. C’est s’embarquer dans la machine à parcourir le temps et se retrouver, par magie à l’époque et au moment choisis de son existence. C’est quitter le carcan des années pour rajeunir pendant l’espace d’un rappel. Cela suffit pour affirmer : « C’était le bon temps! »
Mais se souvenir c’est aussi témoigner, en apportant fort à propos l’éclatante lumière de la vérité, au milieu des ténèbres dans lesquelles grouillent les bêtes immondes et malfaisantes du mensonge, de la calomnie et de la désinformation ».
Expositions « Revue de presse de 1954 à 1962: Algérie » proposée par le Cercle Algérianiste d’Aix en Provence, visible à la Maison Maréchal Juin jusqu’à la mi-juillet, de peinture, d’ouvrages par J. Hollender.
Dans l’urgence les langues se délient, les souvenirs s’affichent, les témoignages affluent.
Le gouvernement se veut rassurant et à notre écoute: on nous promet des opérations dignités pour nos cimetières et on crée en mars 2003, le « Haut Conseil aux Rapatriés », organe de dialogue et de concertation créé par Jean-Pierre Raffarin qui remplace la Commission Consultative des Rapatriés et le Comité National de suivi du plan d’action en faveur des harkis. Chargé de formuler des avis et des propositions sur toutes les mesures concernant les rapatriés: mémoire de l’œuvre de la France d’Outre-Mer et questions liées à l’insertion de ces populations, le HCR sera peut-être l’île que le pays offre à ses bannis…
Alain Vauthier, président du HCR, est venu visiter les communautés harkies, rencontrer quelques habitants de la cité Brogilium à Fuveau, où réside une trentaine de familles harkies.
Les anciens, en retrait, ont écouté, les jeunes ont haussé le ton: « ...Pas d’indemnisation sérieuse, promesses non tenues, manque d’écoute, problème de l’emploi, de la reconnaissance, relations avec les élus locaux… » « Je n’ai rien de concret à vous proposer. Si je suis venu aujourd’hui c’est pour vous rencontrer et vous écouter… » avoua Alain Vauthier, mandaté par le gouvernement Raffarin, qui prend apparemment conscience progressivement de la lourde tâche qui lui incombe.
La réunion fut aussi houleuse que celle de Jouques. Alain Vauthier promit la création d’un musée de la mémoire. Les Harkis attendaient autre chose et le lui ont fait comprendre. Il reste à espérer que ce petit tour en Pays d’Aix aura au moins eu le mérite de poser les jalons d’une sérieuse réflexion sur le sujet.
Pendant ce temps, des pages se tournent… De trop nombreux pieds noirs disparaissent… Luc Tricou ancien président d’AFN Collections, Mohamed Alik, beau-frère de notre grand ami Joseph Hattab Pacha, dernier élu de l’Algérie Française de la Casbah puis du Grand Alger, Denise Moreno, Roger Pasquet, la maman de Gérard Cathala, membre du bureau du collectif, le Capitaine Leclair Secrétaire général de l’A.S.F.E.D. et auteur du « Livre Blanc des Disparus en Algérie »
Ancien capitaine de l’Armée Française, mûri très jeune dans la Résistance, le capitaine Leclair a effectué comme officier de renseignements, des missions en Extrême Orient, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Sa carrière, sa connaissance des problèmes algériens, son patriotisme foncier le prédisposaient à la défense des disparus, en liaison avec l’Agence Centrale de Recherches de la Croix Rouge Internationale. Son dynamisme et sa foi en la mission qu’il s’était donnée devant le désespoir des familles, ont fait de lui l’animateur infatigable d’une cause que l’Etat français a pratiquement refusé d’assumer.
Nostalgie que cela?
Devons-nous cesser de nous pencher sur un passé que rien ne saurait empêcher d’être ce qu’il a été, tirer un trait et porter résolument nos regards vers des lendemains sans nuages?
Impossible, ce serait insulter la mémoire des morts et désespérer de ceux qui pourraient être encore vivants. Contra spem in spem! Contre toute espérance, espérons quand même.
Contre toute critique, défendons notre passé et cultivons notre mémoire.
Gisèle Ambrosino