UN HOMME UN JOURNAL L'ECHO D'ALGER
Alain de Sérigny
Pour débuter la mise en ligne sur la toile des extraits des journaux,
de la ville d'Alger, sur une période de 1954 à 1962 un hommage
à l'ancien directeur de l'Echo d'Alger journal que nous suivrons pendant
plusieurs années jusqu'à son interdiction par le pouvoir Gaulliste.
Le comte Alain Le Moyne de Sérigny, qui "fait " la politique
de l'Algérie depuis 1945, va jouer, une fois de plus, un rôle
prépondérant durant les événements d'Algérie.
Né à Nantes en 1912, ce pied-noir d'adoption
est venu, dès l'âge de trois ans, habiter ce pays pour lequel,
comme tant d'autres, il s'est pris de passion. Il l'a réellement "dans
la peau," J'aime cette terre comme la mienne, dira-t-il. Et aussi cette
population, qui mérite l'Oscar du patriotisme et à qui on inflige
un martyre incessant. ".
Il
devient le beau-frère de Jean Duroux, le fils du grand minotier d'Alger
("la farine ", comme on dit "le vin " pour Borgeaud, "l'alfa
" pour Blachette). Et Duroux lui offre la direction de son journal, une
feuille de chou à l'époque, qui ne tire qu'à 20 000 exemplaires,
sur une page recto-verso.
" Un cuirassé à marée basse... "
C'est ainsi que le minotier appelle L'Echo d'Alger lorsqu'il le lui confie.
Sérigny en fera très vite le premier quotidien d'Algérie,
sinon par le tirage (L'Echo d'Oran, de Pierre Laffont, le dépasse à
ci égard), du moins par l'influence.
" Je compris qu'un journal est une chose qui peut faire
beaucoup de bien ou beaucoup de mal ", dira Sérigny.
Il va s'en servir pour faire le bien ou du moins le bien des Européens
d'Algérie.
mise en page, choix judicieux des informations, bonne présentation.
Grand travailleur, mettant à tout ce qu'il fait une passion débordante,
Sérigny reste souvent au marbre jusqu'à 2 heures du matin. Ce
qui ne l'empêche pas de se retrouver derrière son bureau directorial
à 8 heures. Rarement, il trouve le temps de venir se reposer dans son
château de Chaimaison, en Seine et Marne. Et lorsqu'il traverse la Méditerranée,
c'est plutôt dans les salons de l'hôtel Scribe qu'on le rencontre,
méditatif et toujours agité.
Grand, mince, chauve, les lèvres pincées,
le nez chaussé de lunettes d'écaille, cet aristocrate, volontiers
hautain, dissimule, derrière un abord sévère, une sensibilité
exacerbée. C'est un écorché vif. A l'Echo, on redoute
les colères de cet homme irascible qu'affectent d'horribles douleurs
nerveuses et que guette l'ulcère à l'estomac.
En
1948, Alain de Sérigny est élu à l'assemblée algérienne,
sous l'étiquette du R.P.F. Mais rapidement, dira t il, il a compris que
"cette assemblée n'était autre qu'un filet destiné
à camoufler ce que l'état ne pouvait faire ". Bourgès
Maunoury le nomme, en 1956, auditeur à l'Institut des hautes études
de défense nationale. Puis Robert Lacoste se souvient qu'en 1942 le directeur
de l'Echo s'est lié d'amitié avec Robert Murphy, qui préparait
alors pour le compte des Alliés le débarquement en Afrique du
Nord. Il l'envoie aux Etats-Unis pour informer les Américains de la situation
en Algérie. Là bas, le journaliste verra toutes les autorités
du State Department.
Pétainiste fervent (" Pétain a été un moment
l'âme et la pérennité de la France ", a t il écrit),
Alain de Sérigny a bâti sa carrière politique sur le non.
Un non qu'il affirme avec talent dans son journal. Il s'oppose au statut de
1947. Il s'oppose aux augmentations de salaires. Il s'oppose aux cités
musulmanes de Jacques Chevallier... Lucide, quand éclate la rébellion
de 1954, il ne la sous estime pas. Il en imagine les lendemains " si une
politique de fermeté n'est pas appliquée avec vigueur ".
"
Les rebelles, dit il, sont les hommes de choc d'un attaquant lointain. "
Il voit dans les mots d'ordre d'indépendance qui courent d'un bout à
l'autre du Maghreb le résultat d'une coalition arabo asiatique. Celle
ci ne peut manquer de déboucher sur la satellisation de l'Afrique du
Nord à l'U.R.S.S.
Condamné à mort par le F.L.N., provisoirement allié de
Borgeaud, Alain de Sérigny est l'élément catalyseur de
toute la rogne, de toute la grogne, et bientôt de tout l'espoir des pieds-noirs.
Brillant journaliste, c'est aussi un bel orateur. Il sait convaincre et il s'y
emploie. Représentant du lobby algérois, il ne cesse de se démener
avec un beau dynamisme : interviews, télégrammes aux députés,
coups de téléphone et visites aux ministres, messages directs
ou indirects à René Coty. Il sait utiliser chaque mode de pression
avec efficacité. Et tout ce que la politique compte de personnages importants
s'entretient avec le directeur de L'Echo d'Alger. Car qui, mieux que lui, connaît
la température, heure par heure, minute par minute, de l'Algérie
? Son avis, son accord sont indispensables lorsqu'il s'agit d'entreprendre quelque
chose.
D'abord
opposé à Jacques Soustelle, Alain de Sérigny a " basculé
~>, comme beaucoup d'autres, au lendemain des massacres de Philippeville.
Lui qui, peu de temps auparavant, prenait position pour le maintien du double
collège, il a compris qu'au " mythe " de l'indépendance
on ne pouvait opposer désormais que l'intégration. C'est-à-dire
la fin de toute discrimination entre les musulmans d'Algérie et les Français
de souche ou les métropolitains. Et il s'y résout. Oh ! pas de
gaieté de cur... Mais il sait bien que l'armée, dont tout
dépend en définitive, si elle est attachée à la
permanence de la présence française, n'est nullement favorable
au maintien des privilèges de la minorité européenne.
Le 9 mai 1958, Robert Lacoste, qui a vu s'accentuer l'hostilité
des socialistes envers leur ministre de l'Algérie et qui ne sait pas
très bien quelle conduite tenir, reçoit donc Alain de Sérigny
au palais d'Eté. Le directeur de l'Echo d'Alger développe ses
arguments :
- Monsieur le ministre, lui dit-il, vous m'avez souvent fait
part de votre étonnement devant le silence du général
dans la situation actuelle. Selon vos affirmations antérieures, il
est le seul capable de montrer assez d'autorité.
A l'âge de dix-neuf ans, il entre à
la Compagnie Générale Transatlantique. Il en dirige l'agence
d'Alger jusqu'en 1939... La guerre... La captivité en Silésie...
Le retour en Algérie... La démobilisation avec le grade de commandant
de réserve... Et commence, en 1941, pour Alain de Sérigny, une
carrière qui en fera le civil le plus influent d'Algérie.
Très
vite, il imprime au quotidien sa marque personnelle. Harmonie de la Apprenant
de la bouche de Gorlin qu'il n'y a plus rien à attendre de Lacoste, le
directeur de L'Echo d'Alger, amer, furieux, lance à l'attaché
de presse :
" Dites au ministre que, maintenant, j'ai compris la valeur de ses engagements.
"
" J'étais d'autant plus rempli d'amertume devant la subite volte-face
de Lacoste, écrira plus tard Alain de Sérigny, que ce dernier
ne se gênait pas pour dire à qui voulait l'entendre qu'avec un
gouvernement Pflirnlin l'Algérie courait à sa perte... Comment
expliquer, sinon par une fidélité aveugle à son parti politique,
qu'un homme de cette trempe se dérobât comme il venait de le faire,
en une heure aussi cruciale et décisive ? ".
Le
10 mai au1958 au matin, Sérigny prend l'avion pour Paris en compagnie
de Léon Delbecque : " Puisque Lacoste se dégonfle, déclare
t il à son compagnon, je vais moi-même lancer un appel au général
de Gaulle. Nous allons soumettre cette idée à Soustelle et, s'il
est d'accord, je n'hésite pas... "
Dès leur arrivée à Paris, les deux hommes se rendent chez
l'ancien gouverneur de l'Algérie. Sérigny lui fait une relation
détaillée de sa tentative infructueuse auprès de Lacoste.
Il lui dit sa déception et lui annonce son intention de s'adresser lui-même
à de Gaulle :
" Mais c'est une excellente idée lui répond Jacques Soustelle.
Rendez-vous est pris pour le soir même. Ils étudient le texte de
l'article Et, à 21 heures, le "papier " est déjà
sur les fils à destination d'Alger.
Il paraît le lendemain dans Dimanche matin, supplément hebdomadaire
de l'Echo d'Alger, sous le titre "parlez mais parlez vite, mon général...
"
Cet appel à de Gaulle fait l'effet d'une bombe. Pensez donc, le pétainiste
qu'est le comte Alain de Sérigny se ralliant l'homme de Colombey... En
préambule de son article, le directeur de l'Echo d'Alger évoque
d'ailleurs l'attachement qu'il a voué au chef du gouvernement de Vichy
et sa fidélité à ce qu'il représentait.
" En Algérie, ce n'est un secret pour personne, écrit-il,
que l'Echo d'Alger dont j'assume la direction depuis 1941 a pris, dès
cette époque, une position très nette en faveur de la politique
suivie en Afrique du Nord par le maréchal Pétain et conduite par
un chef prestigieux le général Weygand.
"
Cette position très ferme, malgré les fortes pressions et les
menaces précises dont j'ai été l'objet par la suite, je
ne l'ai jamais reniée, même lorsqu'en 1944 à Alger, certains
membres de votre entourage (M. André Philip, notamment voulaient me faire
payer le prix de cette attitude par la dévolution de l'Echo d'Alger au
profit de telle ou telle fraction du tripartisme qui venait de prendre son essor
à l'Assemblée consultative d'Alger. A cette époque, aux
yeux de maints "gaullistes ", j'étais, en somme, un des hommes
à abattre, l'affreux vichyssois... "
Puis il en vient aux raisons qui l'amènent à se tourner vers de
Gaulle :
" Aujourd'hui, mon général, la situation de l'Algérie
et, partant, de la France, est positivement dramatique. Ce n'est pas le plan
militaire qui nous inquiète, c'est ce qu'on appelle communément
le "front intérieur " qui nous angoisse.
" Ces jours ci, M. Robert Lacoste, en personne, après avoir dressé
un tableau très satisfaisant de l'évolution de la situation militaire,
n'a pas hésité publiquement à faire-part de ses craintes
d'un " Dien Bien Phu diplomatique " ! ...
" Pendant ce temps, les Soviets et nos bons amis anglo saxons, en vertu
d'un principe nouveau du droit des peuples à disposer des autres, se
livrent entre eux à une concurrence dont " notre aimée et
souffrante Algérie " est l'enjeu, dans le dessein évident
de s'emparer des richesses pétrolières sahariennes, ces richesses
qui sont le gage de l'indépendance (la vraie, celle là) de la
France et de l'Europe de demain. " Tandis que nos admirables soldats livrent
un combat qui force l'admiration de la grande famille française, étreinte
par une angoisse légitime à l'idée que leurs sacrifices,
une fois encore pourraient être consentis en vain, l'Assemblée
nationale, coupée du pays, vivant exclusivement dans son petit monde
à elle, continue de donner au pays et à l'étranger le spectacle
le plus avilissant de notre histoire. "
Et c'est "l'appel " proprement dit " A cor et à cri, l'Algérie
tout entière, privée de sa représentation légale
à l'Assemblée nationale, supplie en vain le Parlement de faire
taire ses querelles intestines pour la formation d'un gouvernement de salut
public, seul capable de sauver du désastre dix millions de Français
qui, aux yeux de certains, commettent sans doute un crime en voulant rester
français.
" Dans leur détresse, vers qui se tourneraient ces Français
sinon vers l'homme qui s'est tenu rigoureusement à l'écart de
ces luttes misérables et qui incarne l'attachement passionné à
la seule cause de la patrie ? "
" Je n'ignore pas, mon général, qu'à plusieurs de
vos amis qui s'étonnaient de votre silence vous avez répondu fort
à propos : " A quoi bon parler si l'on " ne peut pas agir "
? " Aujourd'hui, me tournant vers vous, je m'écrie : Je vous en
conjure, parlez, parlez vite, mon général, vos paroles seront
une action. "
Ce dimanche matin 11 mai 1958, le journal brûle les doigts aux Algérois.
A l'heure de l'anisette, dans les cafés élégants de la
rue Michelet comme dans les petits bars de Bab-el-Oued, c'est la même
interrogation entre amis : " Tu l'as lu, dis, l'article? "
Le retentissement est considérable. Alger n'a jamais compté beaucoup
de gaullistes. Au contraire, "l'Homme dit 18 Juin"" est pour
beaucoup, ici, celui qui n'a pas craint de faire un bout de chemin avec les
communistes, celui qui s'entoure d'hommes aux idées dites " progressistes
". Un mot qui, aujourd'hui, pour la plupart des pieds-noirs, est synonyme
de défaitisme. Un mot qui implique l'abandon, la trahison.
Un instant déconcertée, désorientée, l'opinion algéroise
prend, elle aussi, le tournant. Alain de Sérigny et son journal ne sont
ils pas le " phare " qui guide, le support des mots d'ordre et de
l'action à suivre ? Et tout de suite, derrière le nouveau "
gaulliste ", c'est le ralliement général y compris celui
de la fraction la plus conservatrice d'Alger à l'homme dont on veut croire
qu'il saura maintenir l'Algérie française.
Les activistes et les ultras d'Alger rejoignent les rangs des gaullistes qui,
dans l'ombre, préparent le retour au pouvoir du général
de Gaulle... Le mélange détonant est prêt. Il ne reste plus
alors qu'à allumer la mèche.
camionnette de livraison de l'Écho
d'Alger à la maison de la presse située
face à lagrande Poste d'Alger.
Sur le balcon de son appartement algérois
avenue Foureau-Lamy, non loin du palais d'Été,Alain se Sérigny,
à l'époque ou il avait fait de son journal un cuirassé
de haute mer, dans la tempête algérienne, portant haut le pavillon
de "l'Algérie française".
Chargement du logiciel gratuit Adobe Acrobat Reader pour
la lecture de la page Alain de Sérigny
Chargement de la page au format PdF