Equipes Médico-Sociales Itinérantes E.M.S.I
 
 
 
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LES ÉQUIPES MÉDICO-SOCIALES ITINÉRANTES (E.M.S.I.)
 

« Opération pilote »


Bouleverser profondément la cellule fondamentale, c'eût été diminuer l'autorité du chef de famille et par là même poser de nouveaux problèmes à nos « frères d'armes », je veux dire : l'armée travaillant au contact des hommes.
S'attaquer aux coutumes de l'islam, par nous jugées rétrogrades, c'eût été placer notre tâche sur un plan religieux.
Bien plus simple, bien plus vraie, était notre mission, véritable travail de « pionniers » : chercher le chemin du cœur et soulever le voile de la féminité. Allait-on parler chiffons, allait-on parler cuisine, allait-on parler mode à ces femmes faites pour l'amour?
Une « opération pilote » menée au cours de l'été de 1957 dans le secteur d'Orléansville permit le contact avec des centaines de femmes descendues des montagnes  pour fuir les  menaces  de  mort des fellaghas ; elles n'avaient pour toute nourriture à donner à leurs enfants et pour survivre elles-mêmes que de la farine et des glands ! En présence des deux jeunes femmes, Jacqueline et Yvette, ne parlant pas la même langue et semblant venir d'un autre monde, ces pauvresses tombèrent à genoux   leur baisant les pieds et demandèrent, non pas du lait, mais des chaussures à talon !

 
Equipes EMSI au travail en Algérie.
 
   
Est-ce que la promotion de la femme musulmane (celle des djebels) passerait par le pied ? Pourquoi pas ?
Sur tous les chemins de l'Algérie française, les équipes médico-sociales itinérantes   (E.M.S.I.)   ont utilisé tous les moyens de contact qui se présentaient à elles. En effet, pas de livres d'études, pas d'éducateurs. Leurs tâches, elles les ont définies seules.
L'opération pilote ayant réussi, le commandement décida l'implantation des E.M.S.I. sur tout le territoire de l'Algérie. Sorties du néant, elles furent bientôt 350 installées dans chaque secteur ; ayant un statut civil, elles furent directement employées par l'armée, leur action auprès des femmes musulmanes devant être parallèle et complémentaire de l'action de l'armée auprès des hommes.
Elles  trouvèrent  une  place  de  choix dans l'œuvre d'ensemble menée par le commandement dans chacun des trois corps d'armée, par zones et par secteurs. Si elles reçurent une mission territoriale bien définie, accompagnant le médecin militaire du secteur chargé de l'assistance médicale gratuite, elles « bricolèrent » de  toutes pièces les  amitiés naissantes.
Ici, pas d' « émancipation de la femme musulmane » telle que la conçoivent les féministes ou les sociologues. Mais des gestes de chaque jour : une maille à l'envers, une maille à l'endroit, assises à même la terre ou sur des coussins soyeux devant un café au poivre, un coup de balai au gourbi, un coup de savon par-ci, un coup de biberon par-là.
C'était une joie chaque fois renouvelée que cette visite du toubib avec son ambulance car non seulement il savait supprimer la douleur, mais il amenait aussi dans son sillage les filles aux blouses blanches venues d'ailleurs que, partout, du Constantinois au Sud oranais, les femmes ont appelées toubibas.
C'est seulement dans la mesure où elle se sentait protégée efficacement que la population fidèle à la France participait à l'action de notre armée. La place des femmes dans cette action n'a pas été négligeable.
Je ne rappellerai que « pour mémoire » le vibrant enthousiasme avec lequel, sur tout le territoire — comme les hommes —, les femmes exprimèrent leur désir de rester avec la France lors du premier référendum, bravant parfois tous les dangers et parfaitement conscientes de leur avenir. Pour nous prouver sa sincérité, notre vieille bonne Zohra veillant sur la maison des E.M.S.I. à Alger, boulevard Victor-Hugo, nous rapporta le bulletin violet exprimant le non qu'elle extirpa de son soutien-gorge avec une joie qui nous tira des larmes. Elle avait, ce matin-là, dépensé l'argent du marché non pas en victuailles, mais en fleurs garnissant chaque pièce de la maison. Jacqueline, Yvette et moi avions, au menu : roses, œillets, marguerites el asparagus !

Un vrai « menu » de victoire !


Onze nourrissons

Exposer le « problème femmes » en Algérie c'est surtout parler des équipes féminines créées pour cette action toute particulière en milieu musulman, beaucoup plus que des conditions de vie des femmes musulmanes. Mais ce que nous voulons faire ressortir ici, ce sont les spectaculaires résultats tant en milieu masculin qu'en milieu féminin, des actions menées par l'armée, trop peu connus, hélas ! Du public, pour ne pas dire totalement ignorés.
Le travail en milieu féminin, parti des tâtonnements des volontaires de 1957, fut également l'œuvre :
a)  des attachées de S.A.S. des affaires algériennes aidant l'officier S.A.S. dans ses contacts avec la population féminine, menant surtout une action sociale el médicale ;
b) des monitrices du service de formation des jeunes, donnant aux jeunes filles une éducation sportive, civique et ménagère :
c) du Mouvement de solidarité féminine, composé de personnes bénévoles dont le seul but était le rapprochement des communautés par une éducation appropriée dans des cercles féminins.
Ce « rapprochement » se concrétisa bien vite au sein même des équipes ; les jeunes musulmanes s'engagèrent, elles aussi, selon leur choix, dans l'un ou l'autre de ces services et il fut aisé, en ce qui concerne les E.M.S.I., de former des équipes mixtes : deux   chrétiennes, une musulmane, souvent même deux musulmanes.

     
 
 
     
 

Et c'est ainsi que, jour après jour, sur l'immense chantier humain s'étendant de la frontière tunisienne à la frontière marocaine et jusqu'à l'infini des déserts du Sud, toute une jeunesse aux têtes blondes ou brunes, Monique ou Aïcha, Jeannette ou Aziza, Malika ou Jacqueline, mêlèrent leur foi et leur courage pour faire sortir de leur torpeur des femmes endormies depuis des siècles, simplement en faisant naître la confiance autour d'elles.
Elles ont transfiguré les mechtas, elles ont été les commandos du cœur, et c'est, pour moi, rendre hommage à toutes que d'en citer quelques-unes :
Thérèse (Oranie), sous la guitoune à 1 000 mètres d'altitude : « Je pense que bientôt je trouverai une aide parmi la population. Les habitants sont très pauvres et affamés. Depuis le départ des rebelles,  ils peuvent circuler. Les femmes sont très peureuses ainsi que les enfants, que j'ai peine à approcher. Mais il faut aller doucement et je suis certaine que lorsqu'ils  auront compris  pourquoi je vais les voir, j'aurai gagné leur confiance. Le moral est bon. » Ourida  (Algérois)  se plaît auprès de « ses femmes » et des jeunes mamans qui, « moins peureuses qu'aux premiers contacts, viennent à présent avec confiance ».
Ariette et Louisa (Kabylie) : « Au bout de la piste poussiéreuse nous attendaient l'inconfort, le travail harassant ; mais toute fatigue fut oubliée lorsque le capitaine commandant le quartier nous dit : « Mesdemoiselles, il faut revenir » très vite, votre travail est plus efficace » que celui de trois compagnies, depuis » votre arrivée les femmes nous disent » bonjour en souriant. »
Jacqueline et Aljira (Sud constantinois) : « Vingt mois déjà que nous faisons partie de la grande famille E.M.S.I. Nous avons fait de notre mieux, mais peu de chose en regard de ce qui reste à faire. Il nous est arrivé de pleurer devant un échec et de désespérer, mais il nous suffisait  de  voir  le  regard  confiant  de nos femmes, qui nous considèrent comme des leurs, et bien vite nous oublions notre déception. »
Michèle (Sud algérois) : « A l'occasion du 11 novembre [1959], matérialisant leur rupture avec un passé séculaire, douze jeunes femmes musulmanes m'ont remis leur voile  soigneusement plié... »
Blanche (frontière tunisienne) se sent toute perdue mais ne lâche pas, bien au contraire : « Je me suis débrouillée pour obtenir un métier à tisser pour mes femmes. »
Henriette (Petite Kabylie) : « D'abord les vieilles femmes sont venues et maintenant, sans faire de bruit, les jeunes. Pas de commodités pour le travail sur mon piton, mais je suis régulièrement onze nourrissons que les femmes m'amènent elles-mêmes. »
Rokia (Ouarsenis) : « J'espérais aller, à Alger, mais je n'ai pas le temps. »
Fatouma, à qui on demandait : « De quoi avez-vous peur ?» : « J'ai surtout peur des chiens dans les douars ! »

Parmi ces extraits du Bulletin de liaison des E.M.S.I., appelé lui aussi Toubiba, il est quelques avis exprimés par de jeunes musulmanes ex-rebelles qui avaient, soit rejoint les fellaghas volontairement, soit été « enrôlées » de force dans leurs rangs. Lorsqu'une opération militaire de pacification permettait à l'armée de récupérer ces jeunes filles, je partais les chercher là où elles se trouvaient, les ramenais à Alger, leur faisais suivre un stage de « survie heureuse » et c'est avec une joie sans égale qu'elles se joignaient à nous. Deux exemples : Le scoubidou
Aziza (Sud oranais) — c'est le nom qu'elle avait choisi pour rester avec nous. Lorsque je la vis à Tiaret, elle vivait depuis deux ans dans les montagnes en véritable « combattant fellagha ».
« Acceptez-vous de venir avec moi à Alger ? Nous prendrons l'avion, vous viendrez dans notre maison et réapprendrez à vivre. » C'est à peu près ce que je lui dis. La réponse fusa : « A Alger ? Mais il n'y a plus de Français à Alger ! Ceux que je vois ici, tout comme vous, ce sont les derniers. Seuls les bateaux du Front (entendez F.L.N.) occupent les ports, les aérodromes sont au Front, les grands centres sont dirigés par le Front », etc.

     
 
 
Par décret du Président de la République en date du 25 mars 2005. Au grade de chevalier Mme Brèthes (Georgette, Clorinde, Jeanne), infirmière (er) ; 41 ans d'activités professionnelles et de services militaires.
 

« Acceptez-vous toutefois de faire le voyage ? Vos parents (riches commerçants de Mascara), à qui nous avons téléphoné, ne veulent plus vous connaître. Alors ? « Bon, dit Aziza, je pars avec vous. »
Tiaret-Saïda-Alger d'un coup d'aile. Ma voiture nous attendait à l'aéroport ; j'ai demandé au chauffeur de faire le tour de cette merveilleuse ville grouillante qu'était « Alger la Blanche », en passant par le port et tous ses bateaux. Puis la maison des E.M.S.I. Comme elle était de même taille que moi, il me fut aisé d'habiller Aziza pour aller aux grands magasins acheter tout ce qui est nécessaire à une femme. Puis dîner au restaurant et — pourquoi pas ? — cinéma. Enfin, bonne nuit dans une chambre fleurie. Tout cela presque sans paroles. Ses yeux suffisaient à Aziza. Son intelligence fit le reste. Le petit déjeuner du lendemain fut pour elle le début d'une nouvelle vie qu'elle avait choisie parce qu'on ne nie pas l'évidence.
Zakia, à la personnalité attachante, dotée d'un optimiste communicatif, avait été avant de rejoindre un grand chef rebelle, disparu depuis dans une embuscade — victime de la paperasserie de l'administration française : le poste d'institutrice libre dans son village lui avait été refusé au bénéfice de la femme d'un gendarme  métropolitain !
Après un séjour et un stage semblables à ceux d'Aziza, Zakia la souriante accepta d'expliquer aux femmes groupées sous des raïmas dans le Constantinois SA vérité et la vérité.
Elle m'écrivit, pleine d'enthousiasme : Envoyez-moi plein de fils à « scoubidou », mes femmes chantent Sacha Distel ; si le « scoubidou » a pénétré sous les raïmas, il n'y a aucune raison pour que je n'y pénètre pas moi-même ! » Elle   reçut   par   retour   du   courrier 2 500 francs de fils à scoubidou : bleus, blancs, rouges... évidemment.
C'est à Christiane Fournier que je demanderai la « conclusion » en citant un extrait de son livre Les E.M.S.I. : des filles comme ça ! :
Maintenant, je vous ai vues. Je vous ai vues travailler, les pieds dans la poussière mais la tête dans le ciel... Vos noms chrétiens et musulmans que vous empruntez les unes aux autres et que vous échangez sont des feux croisés: sur la route défrichée d'un avenir hier impénétrable.

Alice Maugé In historia  N° 345.

(1) Tentes d'habitation montées très au ras du sol, toutes groupées, formant village. Surtout employé par les nomades et semi-nomades.

 
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E.M.S.I " Les Toubibas "

1.Les missions des (EMSI) 3’03, 2.Témoignage d’une EMSI en poste à Boghni 2’10, 3.Témoignage d’une EMSI en poste à Bordj Ménaiel 1’27, 4. Témoignage d’une EMSI poste région dans l'Ouarsenis 3’08, 5. Relation des EMSI avec l’armée française et l’administration en Algérie 1’32, 6. Les femmes des douars 1’03, 7.Les SAS s’occupaient aussi des populations 1’15, 8. Vivre dans environnement essentiellement masculin - Viols du FLN dans les douars en Algérie, les Camps de regroupement une nécessité pour empêcher les viols et les massacres des populations 3’32, 9. La vie des femmes dans le bled en Algérie 1’12, 10. Massacre des villageois après la fermeture de la SAS pour des raisons administratives et le départ de l’armée 1’41, 11. Les organisations religieuses aident les EMSI 1’34,
12. Le lieutenant Si Chérif égorge 12 appelés du contingent 1’57, 13. Un travail difficile dans les villages en kabylie 4’07, 14. Notre travail secourir et aider la population 1’22, 15. Danger pendant le transport en convoi pour rejoindre les postes 2’10, 16. Rencontre avec la mère de Aït Ahmed 2’05, 17. Mariage des fillettes avec des vieux & les soins difficiles aux femmes 1’53, 18. Abandon des musulmanes du personnel EMSI à l'indépendance de l'Algérie 4’45, 19. J’étais en France au moment de l’indépendance 1’26, 20.Retour difficile des Harkis et de leurs familles le mauvais accueil de la population métropolitaine, installation dans les camps 3’04, 21. Quels souvenirs de cette aventure merveilleuse par les intervenantes ? 2’22.
Personnel : Georgette Brèthes, Danielle Baruet, Francine Bernard Corne, Rokia Amore Dupire.

 
   
 
     
  Cd audio
Type : compact Disc Philips - Sony
Durée : 50 minutes environ
Enregistrement analogique