20 ans
Cercle Algérianiste Aix-en-Provence
   
 

Le 3 février 2007, le Cercle algérianiste d'Aix-en-Provence a marqué les 20 ans de sa création par l'organisation d'une manifestation construite autour du thème « Pied-Noir dans la cité ». Gisèle Geiling, l'un des membres fondateurs du Cercle, la dédia, en notre nom, à ceux qui avaient créé notre association: le professeur Goinard, le docteur Robert Botella, Fernand Charavin et Jean-Michel Creutzer. Ce dernier, qui nous a quittés il y a juste quelques mois, nous avait fait destinataires d'un dialogue intitulé « Pied-Noir... Je l'ai été ».
Le texte, lu par deux de ses amis et illustré par quelques-unes de ses toiles, fut présenté en introduction à cette journée devant un auditoire nombreux auquel s'étaient joints d'autres Algérianistes venus des Cercles voisins, et certains élus. Suzy Simon-Nicaise, vice-présidente nationale, présenta le projet du « Mur des Disparus » qui devrait être inauguré en novembre prochain à Perpignan, et celui du « Centre de l'œuvre française en Afrique du Nord ». Elle précéda sur la scène Mme le député-maire Maryse Joissains-Masini qui promit de nous entendre sur des questions qui, aujourd'hui, nous concernent tous, que la France semble découvrir, mais auxquelles nous avons eu à réfléchir dans le passé, comme le rapport entre enseignement et laïcité par exemple. C'était bien là le sujet de notre manifestation « Pied-Noir dans la cité »; celui que j'avais développé dans l'exposé de présentation.
« Nous sommes la communauté des Français qui ne voulaient vas constituer une communauté ». J'avais voulu résumer ainsi l'idée que, revendiquer l'enracinement dans l'histoire commune de la France, faisait paradoxalement des Français d'Algérie une « minorité ». Mais que cette minorité était plutôt mal considérée par les indifférents et, davantage encore, par ceux qui tiennent pour légitime la constitution, au sein de la France, de communautés séparées en raison de leur refus d'intégrer l'histoire commune. Loin d'être prisonniers de la nostalgie et du passé c'est donc bien le présent qui nous occupe aujourd'hui. Protester parce que les symboles comme le « chant des Africains » sont investis et détournés, parce que l'histoire est falsifiée dans le film « Indigènes », parce que le
terrorisme est trop souvent légitimé en France. Dénoncer ce qu'Orwell appelait le double langage, c'est seulement ne pas reculer devant le conflit, devant la perspective d'être mis à l'écart par le plus grand nombre après avoir été ostraci-sés par quelques-uns : ceux qui détiennent le pouvoir d'informer (ou de former) l'opinion publique.
Ainsi était définie la place que nous entendons tenir dans la cité.
La deuxième partie de la manifestation fut introduite par deux projections. D'abord des extraits de l'interview de Boualem Sansal au congrès de Toulouse, dans lesquels il évoquait les rapports humains au temps de l'Algérie française. Le contraste fut saisissant entre ce qu'il y disait également de l'enseignement actuel dans son pays et ce qu'un autre film, tourné par un instituteur d'Affreville en 1953, nous montrait de l'école à cette époque. Après quoi les membres du Cercle qui conduisaient diverses recherches présentèrent leurs travaux. L'idéologie communiste a légué à beaucoup de Français une vision manichéenne et le rejet de la complexité du monde. Contre
cette simplification nous nous efforçons, au Cercle d'Aix, de préparer plusieurs études sur des thèmes aussi souvent abordés que mal connus comme la chronologie du Maghreb, le code de l'Indigénat, le 8 mai 1945... U enseignement en Algérie avant 1962 est la plus ancienne de ces études. L'importance qu'elle a prise nous a demandé beaucoup de temps et d'efforts. Elle paraîtra sous la forme d'un site internet. C'est la philosophie du site et son armature qui constituèrent le dernier point évoqué avant que l'assistance ne se retrouve, verre en main, pour terminer une journée que l'amitié partagée avait rendue très chaleureuse.

Evelyne Joyaux


 
     
   
Le discours de la présidente du Cercle algérianiste d'Aix-en-Provence Evelyne Joyaux
 
PPPied-Noir dans la Cité. « Algérianisme en Pays d’Aix ». Texte d’Evelyne Joyaux
 
   
 
 

« Pied-Noir dans la cité » : le titre que nous avons choisi appelle aujourd’hui une explication.

En effet, il est plutôt en accord avec l’air du temps, car il renvoie à l’identité d’un groupe qui s’affirme comme distincte des autres au sein de la ville et, par suite, au sein du pays entier.
De ce fait même il semble paradoxal appliqué aux Pieds-Noirs. Car en Algérie nous voulions tout de la France: son histoire, sa littérature, ses modes… Les quartiers où l’on trouvait l’air bon pour la santé s’appelaient « climat de France ». Les villages que nous avons créés portaient le nom de grandes victoires napoléoniennes ou d’écrivains comme Mondovi, Taine, Victor-Hugo ou Lamartine.
Nos pères ont chanté la Marseillaise en 1914 et en 1940. Nous l’avons chantée même lorsqu’elle nous fut interdite. Nous avons étendu notre linge au balcon : une chemise bleue, une jupe blanche, une nappe rouge, lorsque la possession d’un drapeau tricolore était considérée comme un acte séditieux qui pouvait nous valoir l’arrestation.
Autrement dit nos attentes se situaient alors aux antipodes de ce que l’on appelle aujourd’hui les revendications identitaires ; aux antipodes de celles qui semblent préparer la transformation de la France, une et indivisible, en une marqueterie d’histoires particulières. J’utilise quelquefois, et comme tout le monde, et parce qu’il faut bien nous nommer, l’expression « communauté Pied-Noire » mais je renâcle devant le mot « communauté » comme je l’ai toujours fait devant « Pied-Noir ».
Des liens étroits se sont noués entre les « Rapatriés » au moment de l’épreuve de 1962. Des dizaines d’années après, nous nous retrouvons encore par le biais d’une adhésion particulière à la France. Elle s’est formée en Algérie dans nos écoles. Elle se vivait au quotidien. Nous ne l’avons pas vraiment perdue. Nous sommes faits ainsi. C’est ce qui a orienté notre destin. Cette fidélité, exotique, pour ne pas dire archaïque aujourd’hui, nous tient lieu de référence première comme pour d’autres la religion, ou l’origine ethnique. Sauf qu’elle nous place en situation d’opposition par rapport à eux.
Nous perdons sur les deux tableaux. Nous sommes considérés comme « communauté » par ceux que la montée du communautarisme agace et inquiète, et comme dangereusement attachés à l’héritage français pour ceux qui trouvent l’héritage français incompatible avec la société multiculturelle qu’ils préparent.
Nous sommes la communauté des Français qui ne voulaient pas devenir une communauté. Puisque, aujourd’hui, on forge facilement des mots nouveaux, je prends le risque d’une construction qui n’est pas académique en disant que l’on nous a « communautarisés » Nous sommes la communauté de ceux qui ne voulaient pas venir s’installer par force en France en exigeant de changer l’histoire de France.
Nous sommes la communauté de ceux qui voulaient vivre dans le pays de leur père tout en aimant et en servant la France, comme elle était, car nous la trouvions admirable.
Alors c’est tout simple, peut-on penser, puisque cette communauté nous a été en fait imposée, il suffirait de renoncer à la faire vivre. Il suffirait de « tourner la page » comme on nous le recommande souvent.45 ans après, il serait temps de vivre en France et dans sa ville comme un autochtone ! (Ou un indigène)
   
 
 
 
   
 

Voilà bien le fond du problème !
Plus qu’un autre, un Pied-Noir voit sa place s’y restreindre s’il veut simplement être lui-même, c’est-à-dire être dans son entier. On ne demande pas à un Provençal, à un Corse ou à un Breton de renier 20, 30, 40 ans de sa vie. Pourquoi l’accepterions-nous plus que d’autres ? Un élève n’apprend plus les vers de Corneille, Voltaire devient suspect, ne parlons pas de la Chanson de Roland et oublions Austerlitz. On enseigne aux enfants une littérature et une histoire recomposées et cela semble indolore pour la plupart des parents, au moins pour le moment. Mais ce que l’on apprend aux élèves sur la colonisation, ce qui circule sur Internet, ce qui est publié jour après jour dans la presse, la violence de l’opposition à la loi du 23 février, ne l’est pas, indolore !
   
 
 
 
Après que l’Education nationale ait écarté les grandes dates de l’histoire de France, les mêmes apprises par des générations d’écoliers, celles qui formaient le socle de la conscience nationale, une grande partie de la population s’est plu à montrer qu’elle les dédaignait. Aujourd’hui les jeunes les ignorent, tout simplement. Mais un certain nombre d’enseignants en proposent d’autres comme le 19 mars ou le 17 octobre. Les plaques en l’honneur des Français complices du FLN se sont multipliées dans la capitale
Plus que jamais nous vivons sur des images, des mots, et des symboles dont le code est brouillé.
La France, davantage peut-être encore que d’autres pays, a fixé son histoire au fil des siècles à travers les édifices, la langue, et les dates qu’elle a choisi de commémorer. Sans évoquer les cathédrales, pensons aux monuments de la guerre de 1914 qui, avec l’église et la Mairie, constituent l’archétype du village français.
   
Il est significatif que le socialiste François Mitterrand ait conservé sur ses affiches électorales la silhouette d’une église, faisant ainsi référence aux racines françaises, alors même qu’il défendait la laïcité et que ses thèmes de campagne étaient : changement et progressisme. Il inscrivait son projet dans la suite de l’histoire de France.
Lorsque des femmes musulmanes voilées se drapent dans le drapeau tricolore pour prévenir que la République laïque devra s’adapter aux croyances des diverses populations de la nouvelle société française, elles investissent un symbole.
Le chant des Africains fut celui des soldats d’Afrique du Nord engagés dans les combats pour libérer la France durant le deuxième conflit mondial. Il fut le chant de la fraternité des armes, puis le chant interdit des derniers moments de l’Algérie française. Plus tard, après l’arrivée en Métropole, ce fut le chant par lequel les Pieds-Noirs terminaient leurs réunions alors qu’ils essayaient de reprendre pied dans la vie en renouant le lien entre leur présent et leur passé. C’était celui que l’on entonnait en mémoire des Disparus, de nos proches enlevés, assassinés : chant de protestation, chant de fidélité.
Le symbole là aussi a été investi. Son contenu délibérément et radicalement changé. D’abord les paroles en ont été modifiées, ensuite il fut chanté devant le tout-Paris lors de la projection du film « Indigènes ». Or ce film n’exalte pas la fraternité d’armes et l’engagement des soldats de l’armée d’Afrique, toutes origines confondues, au service de la Patrie. Ce film tait au contraire la participation des 176 000 soldats d’origine européenne. C’est ce qui accrédite la fable du soldat musulman traité en esclave, ou en mercenaire, que la France a utilisé pour épargner la vie de ses fils.
Taire l’engagement des Européens d’Algérie dont le taux de mobilisation de16,4% était très au dessus de celui de toutes les autres armées, sauf l’URSS, utiliser le mot « indigène » seul, pour sa connotation actuelle qui est celle du mépris, c’est une fois encore grossir la faute et la dette de la France, c’est une manipulation et une captation.
Je ne crois pas que le chant des Africains rassemblera vraiment ceux qui l’ont chanté, car on ne réunit pas des hommes par le mensonge et la parodie, mais on s’empare des symboles comme on investit des places fortes, pour les détruire.
¨Nous pourrions faire la même analyse pour le 8 mai 45 : Le rappel de la répression française après les massacres d’Européens à Sétif se greffe de plus en plus systématiquement sur la commémoration de la victoire.
Je sais bien que nous semblons collectionner les occasions de révolte. Nous écrivons des textes de protestation. Combien, parmi ceux qui les reçoivent, les lisent ? Et s’ils les lisent, combien en nourrissent leur réflexion ? Et s’ils trouvent les arguments fondés, combien veulent réagir vraiment ?
Nos refus complètent la caricature que l’on fait de nous : l’accent, l’anisette, la nostalgie, le repli sur le passé. Alors nous nous retrouvons, ici, dans notre maison commune où l’on vient parfois nous rendre visite.
Mais nous voyons le monde à la télévision. Comme hier, des philosophes, des sociologues, des politologues, décryptent le présent pour préparer l’avenir. Leurs analyses télescopent celles des hommes politiques.
L’Irak, le Liban, la Palestine, le terrorisme, le choc des civilisations… Le monde devient dangereux, nous dit-on. Trop dangereux pour vivre dans le passé… Voire !
Dans notre fauteuil nous écoutons Antoine Sfeir, l’un des spécialistes reconnus du Moyen Orient, enrager de l’analyse simpliste que les média font en France de « l’Orient compliqué » Il déclare fondamentale la responsabilité de la presse dans la façon dont l’opinion appréhende les problèmes. L’Occident, dit-il, ne prend pas la dimension du religieux, et la logique Islamiste est au-delà de celle des nations. Il affirme que l’approche de la démocratie ne se fait pas par le suffrage universel mais au terme d’un processus initiatique qui éclaire la population…
Toutes choses que nos pères ont découvertes il y a longtemps, lorsqu’il leur a fallu vivre, soigner, administrer, enseigner, bâtir en Algérie.
Le bulletin de vote est considéré en France comme la solution miracle. On a vu dernièrement des élus le présenter dans les banlieues comme l’alternative à la violence. Sans véritable éducation il deviendra seulement l’instrument de quelques uns pour manipuler les autres et peser sur les candidats. Cette question là non plus n’est pas nouvelle pour nous. Le philosophe Alain Finkielkraut, quant à lui, évoque sa souffrance et son indignation face aux accusations de racisme dont il est l’objet « L’antiracisme, dit-il, ne veut pas la disparition du racisme, il veut des racistes à détester, au besoin il les invente ». La formule est excellente.
Que ne l’a-t-il trouvée plus tôt, car ce procès insupportable est instruit contre nous depuis des décennies. Mais le philosophe, lui au moins, dispose de la télévision pour s’en plaindre.
Je voudrais évoquer maintenant le texte d’un autre philosophe, tunisien celui-ci, Abdelwahab Meddeb. Dans un article publié peu de temps après le 11 septembre, il écrivait qu’il avait quitté Paris « où l’évènement américain a suscité une forme de jubilation…. » « C’est en constatant cette jubilation française en milieu populaire, en milieu intellectuel, que j’ai tenu à affirmer ma position face à un tel évènement, à refuser de partager cette jubilation, à la répudier en dénonçant de la manière la plus tranchée le crime que constitue le 11 septembre. »
     
Bureau du Cercle Algérianiste d'Aix en Provence
« Le 11 septembre, doublé de l’aggravation de la cause palestinienne, repose la question du terrorisme et ouvre un débat politique et théologique sur la légitimité du terrorisme… »
« La question du terrorisme était déjà soulevée en Algérie, à l’époque, et parce qu’elle n’a pas été véritablement traitée, pensée, qu’il n’y a pas eu de prise de position tranchée sur cette question, qu’elle est même passée par un processus d’héroïsation a posteriori, elle s’est mise à appartenir à la culture politique.
Je dis que le terrorisme a constitué une culture parce que le retour à la terreur pendant la guerre civile algérienne des années 90 utilise le même type d’action que celle des années 50, mythifiée par la geste nationale . Pour ce qui concerne le terrorisme des années 50, la position d’Albert Camus mérite d’être rappelée. Il était le seul à renvoyer le terrorisme à son illégitimité morale, mais il est resté solitaire dans le milieu des intellectuels de gauche dominant à Paris. Je vois quant à moi une nécessité de revenir à la position de Camus pour ce qui concerne le refus éthique du terrorisme….
Qui peut être capable d’immenses nuisances et qui est probablement annonciateur du terrorisme atomique » (fin de citation)
A ma connaissance ce philosophe a été l’un des seuls à voir dans les attentats des années 1950, en Algérie, la matrice de ce qu’il appelle une culture du terrorisme dont la France ne se dégage pas. Dans un numéro de « La Provence » de septembre 2002, un intellectuel reconnu à Aix répondait au journaliste qui l’interviewait à propos du 11 septembre : « entendons nous sur le terme de terrorisme….. Selon vous, s’il n’y avait pas eu de terrorisme en Algérie, ce pays serait-il aujourd’hui indépendant ? Mon père a été fusillé par les Allemands, il était considéré comme un terroriste par le régime de Vichy » Les plaques que l’on appose à Paris, que j’évoquais tout à l’heure, les démonstrations d’amitiés à ceux qui assassinèrent des colons dans leurs fermes, l’hommage rendu par des autorités intellectuelles ou morales aux femmes qui posèrent des bombes dans les cafétérias, font partie de notre quotidien.
Nous sommes, dit-on, tournés vers le passé mais pourtant, et plus que d’autres sans doute, nous sommes attentifs au présent.
Nous avons essayé de dénoncer cette culture du terrorisme. Nous avons consacré des mois de travail à l’analyse des livres scolaires. Le rapport remis aux autorités françaises, dans le cadre du Haut Conseil aux Rapatriés au sein duquel j’avais été nommée, concernait surtout cette légitimation du terrorisme qui transparaît dans la présentation des mouvements dits de libération. C’est certainement la question qui aurait dû être tranchée par la loi du 23 février concernant l’enseignement. Le débat a été escamoté Etre pied-noir dans la cité c’est être à la fois concerné et écarté. Contradiction difficile à vivre.
Il existe des voies diverses pour y échapper. La nôtre, celle du Cercle, est l’affirmation. Au sein de nos associations nous avons étudié l’histoire de la France en Algérie. Je ne suis pas vraiment d’accord avec ceux qui se désolent de ce que nous restions entre nous à entendre ce que nous savons déjà. Nous sommes bien loin de tout savoir. Il est important d’apprendre, et de conserver les sources du savoir : les documents pour l’avenir. C’est d’ailleurs la promesse du don des archives à l’Algérie qui a nous a décidés à créer le cercle Algérianiste d’Aix.il y a 20 ans
La première conférence eut lieu à la salle des mariages de la Mairie d’Aix. Le professeur Goinard nous présenta une étude sur la désinformation. Puis ce fut le conservateur des archives en Algérie qui vint nous décrire l’épopée du transfert des documents mené presque sans moyens et sans préparation. Il s’agissait d’un volume insignifiant par rapport à celles laissées en Algérie ; « l’équivalent des archives de l’école des mines » précisa-t-il. Le débat à propos des dossiers de l’hydraulique était un leurre car mieux que personne il savait que toutes les archives techniques étaient restées sur place. Après quoi nous avons fait diverses recherches et monté des expositions sur le régime des terres et les créations de villages car l’accusation de spoliation, et de l’exploitation de l’homme par l’homme, était récurrente.
Nous avons élargi au fil des années le champ de ces programmes : la naissance de l’agriculture, le développement du matériel et des techniques agricoles, l’Algérie romaine, la culture berbère traitée par les tout premiers spécialistes du sujet : Monsieur et Madame Camps, la littérature.
Nous avons reçu les personnalités les plus diverses, souvent celles qui trouvaient dans notre association une possibilité d’exprimer ce qu’elles ne pouvaient dire ailleurs, (sans être pour autant proches de nous). Ainsi le préfet Vaujour qui, en Algérie, était en charge de la sécurité au moment de l’insurrection du 1er Novembre 1954. Il analysa les raisons de son échec à l’empêcher. Raymond Muelle nous parla de l’importance du terrorisme en France, du découpage de la Métropole en willayas et des réseaux de porteurs de valises, Le préfet Coutelen qui avait eu la responsabilité du transfert de Messali Hadj intervint sur le développement des courants nationalistes.
Nous avons connu des moments d’une rare intensité en entendant le témoignage d’Andréa Santoni, emprisonnée avec les droits communs à cause de son attachement à la France, ou le Commandant Hélie Denoix de St Marc qui s’exprimait pour la première fois parmi des civils sur son itinéraire de soldat, aux avant- postes de l’histoire.
Nous avons eu des soirées inattendues, mais passionnantes, lorsque trois ex-administrateurs de communes mixtes se mirent à débattre du rôle des confréries religieuses en Algérie, oubliant pratiquement le sujet annoncé. Hommes de terrain, ils auraient sans doute intéressé plus d’un spécialiste verni de connaissance théorique.
Le cercle a organisé près de deux cents conférences, toutes ouvertes aux Aixois qu’il n’était pas facile d’informer de nos activités.
Durant plusieurs années « le Méridional » (régulièrement) et « Le Provençal » (quelquefois) firent connaître nos conférences qui avaient lieu à la salle Voltaire, c'est-à-dire au centre ville
Ces deux facteurs réunis nous ont permis de développer le Cercle Algérianiste d’Aix qui avait été précédé dans sa création par une vingtaine d’autres associations de Français d’Algérie.
Cependant les choses changèrent. Au cours d’une réunion organisée pour les présidents d’association, lors de la fusion entre « Le Méridional » et Le « Provençal », j’interrogeais les journalistes sur l’impossibilité, nouvelle pour nous, de faire connaître notre programme dans la presse. L’un d’entre eux me répondit que la possibilité de ne pas informer le public des activités proches du fascisme faisait partie de l’éthique professionnelle.
Je l’ai dit déjà, le seul moyen d’échapper à l’injustice et aux accusations, pour qui refuse de renier son origine de Français d’Algérie, c’est de travailler pour comprendre, et d’affirmer quand même . «Quand même ! » est ainsi devenu ma devise. Plus ou moins clairement formulée, je crois la partager avec celles et ceux qui continuent. D’autres nomment cela « nostalgie du colonialisme » ou « passéisme ».
Dans un pays où chacun doute de soi, et de ses pères, nous nous sommes construits par cette recherche. Nous avons finalement eu un avantage. L’accusation contre notre histoire était si forte et si permanente que nous ne pouvions pas vraiment craindre de découvrir pire. Nous, nous connaissions nos pères, leurs vies. Pour eux il nous revenait de « ne pas subir » de réagir. C’est aussi par cette recherche que nous sommes devenus « Algérianistes ». C'est-à-dire nous mêmes, dans notre entier.
Certes, la fédération des Cercles Algérianistes à laquelle nous appartenons s’est inscrite dans la suite d’un courant littéraire du début du XX siècle : « l’Algérianisme » à qui des hommes comme Jean Pomier ou Robert Randau ont donné son impulsion. Mais eux-mêmes ne faisaient que prendre acte d’une réalité nouvelle en train de naître. On ne l’a jamais mieux cernée, je crois, que par la formule d’Emile-Félix Gautier « Un germe d’inconnu » . L’historien appelait ainsi cette nouveauté qui naissait de la rencontre de deux mondes jusque là inconciliables : l’Orient et l’Occident, à travers les hommes qui vivaient en Algérie : la France aux racines chrétiennes et l’Islam implanté au Maghreb.
Il a été détruit, ce germe, sans que l’on puisse savoir ce qu’il aurait produit. Peut-être n’était-il pas viable. Comment en être sûr ? Les intellectuels français le nient car ils ne peuvent pas « le penser ».
Me voici donc au bout de cette réflexion sur le Pied-Noir dans la cité. Et plus précisément de l’Algérianisme en pays d’Aix.
Qu’en est-il de l’avenir ?
On dit plus fréquemment aujourd’hui que les Français d’Algérie n’étaient pas « tous » comme on les a peints. On reconnaît aussi que la fusillade du 26 mars a bien eu lieu ainsi que les enlèvements du 5 juillet. Des émissions comme celles de Jean Pierre Carlon, il y a quelques temps, comme celle de Gilles Pérez, sur FR 3, tout dernièrement, sont importantes. Elles le sont d’abord pour ceux des Français d’Algérie qui étaient dépossédés de leur passé et qui se retrouvent dans les paroles des autres, qui ont vécu la même histoire. Nous mesurons moins l’influence qu’elles peuvent avoir sur le reste de la population. Pour autant nous ne sommes pas au bout de la route . En effet le mensonge est corrupteur. Il change les données, il les change plus profondément dans un monde qui va plus vite. On ne répare pas vraiment ce qu’il a profondément endommagé.
Il est désormais interdit de porter des accusations sur les Harkis. C’est bien ! Pour autant sait-on vraiment qui ils étaient ? Leur combat durant la guerre révolutionnaire, comme celui des soldats musulmans pendant la seconde guerre mondiale, sont présentés comme n’étant pas les leurs. On admet plus souvent que les Pieds-Noirs furent victimes des conditions de l’Indépendance, mais ils restent les acteurs de la colonisation considérée comme le mal absolu. C’est ce qui donne son sens à notre travail : faire connaître l’oeuvre française en Algérie, édifiée à la rencontre de deux mondes, par des hommes imparfaits et courageux au nom d’un idéal respectable. Même si on peut lui reprocher à cet idéal, dans une société qui est celle du relativisme, de s’être cru universel.
Evelyne Joyaux
Crédit photos :
Yves Marthot & Jean-Louis Granier
     
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