C'ETAIT,CELA L'ALGERIE FRANÇAISE :
Une terre qui, depuis 10 ans, Connaissait le rythme d'expansion des Etats Unis
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Grand reporter à « l'Aurore », Serge Groussard entama en septembre 1962 une série d'enquêtes sur l'Algérie abandonnée deux mois plus tôt par la France.


Un haut fonctionnaire français lui servit de guide et s'exprime ici.
Extraits : « L'Algérie était un pays démuni, primitif et stagnant à notre arrivée. L'immobilisme séculaire musulman était accru par une conception contemplative de l'existence. Naturellement pauvre, le pays était l'un des plus arriérés du monde. Je vais vous le présenter tel que nous l'avons laissé en remettant nos pouvoirs le 5 juillet 1962. »


UN CHIFFRE-CLÉ: 13 MILLIONS D'HECTARES


Le fonctionnaire ouvrit un tiroir et en tira une grande carte avec tableaux qu'il déplia.
« Parcourons ces chiffres. Oh! C'est moins spectaculaire qu'un flot de calomnies ou de promesses. Mais c'est notre fierté.
Sur les 21 millions d'hectares de l'Algérie, 13 millions, soit 62 % sont cultivés. Forêts, steppes, grands parcours de troupeaux composent le reste. Cela c'est le chiffre clé. C'est le sceau de notre colonisation. On peut jouer avec bien des statistiques mais pas avec celle-là... »








LE QUATRIEME PRODUCTEUR MONDIAL DE VIN


« Passons aux résultats de ces cultures. La récolte annuelle est de plus de 20 millions d'hectolitres de vin et ces dernières années on arrivait à près de 10 millions de quintaux de raisin de table. L'Algérie est le 4ème producteur de vin du monde et la qualité de ses crus est telle qu'ils auront toujours assez d'amateurs. C'est un atout qu'on leur a légué. Le vin seul peut empêcher ce pays de sombrer à nouveau dans la misère.
Seconde production de base: les céréales. Leur production moyenne en dépit des troubles se montait encore récemment à 30 millions de quintaux. L'acheteur payait très cher le surplus: il s'appelait la France, qui ensuite nourrissait à perte la Communauté.
Cette puissance de l'agriculture de l'Algérie Française au jour de sa mort représente un miracle. Les régions les plus grasses de ce pays aujourd'hui, c'étaient jadis les désespérants marécages de la Mitidja, le littoral malsain et accablé de la région de Bône, les oueds salés de la Vallée du Chélif, la brousse venimeuse de la dépression d'Orléansville ou bien c'était le Sersou pelé, les ruines de la Sebka d'Oran.


UN BUDGET QUI AURAIT METAMORPHOSE 10 DEPARTEMENTS FRANÇAIS.


Ce sont ces zones stériles et meurtrières qui sont devenues des greniers à blé, à agrumes, des vignobles.
Quelle métamorphose! Oui, mais aussi quel labeur au fil des générations!
Songez à l'afflux de matériel, de personnel technique et de devises qu'il a fallu pour faire passer les fellahs de leur traditionnelle culture à la culture intensive.
Un exemple : avec le budget qu'en 1961 la France a consacré aux seules emblavures des nouvelles terres arables nous aurions pu moderniser de fond en comble dix de nos départements métropolitains.
« La France travaillait pour les siens et non pour les musulmans! a-t-on le front de dire »
Notre pouvoir de Paris eût dû crier au monde que, sur les 13 millions d'hectares utilisés pour l'agriculture, les exploitants musulmans en possèdent 7.350.000 contre 2.706.000 aux européens, le reste étant des propriétés d'Etat.
Autre précision : au 1er janvier 1961 sur les 50.000 exploitations agricoles qui existaient en Algérie plus de 30.000 appartenaient à des musulmans.
En 1949, il y avait 10.300 tracteurs en service en Algérie. Il y en avait 30.000 au 1er janvier 1961 dont un tiers seulement appartenait à des européens.


L'EPOPEE DE L'EAU


Voyez-vous, je crois qu'à la base du progrès de l'Algérie, il y a eu la politique française de l'eau. Qui écrira un jour la geste de l'eau en Algérie? Est-ce qu'on se rend compte de ce que signifiait ce simple fait: 96 % des terres de ce pays n'ont pas assez de réserves naturelles d'eau? Nous laissons au nouvel état ces réalisations grandioses que sont les barrages du Grib, de l'oued Fodda, de Kerrata et vingt autres avec leurs usines hydro-électriques et ces milliers de conduites qui répandent fertilité et vie. L'eau des sources, des montagnes, des oueds et des puits, sans cesse découverte, recueillie, assainie, canalisée, et partout envoyée...
Douze barrages-réservoirs géants vont fournir à l'Algérie une réserve de 1000 millions de mètres cubes pour électrifier et irriguer. Un tel ensemble est sans rival. Demain, il y aurait eu l'eau de mer distillée, mais par chance, les monstrueux investissements que nous devions faire dans la région de Philippeville seront consacrés à une zone côtière de métropole.
Le résultat d'un tel engloutissement de ressources, le voici : le taux d'expansion de l'économie algérienne de 1950 à 1960 a été en moyenne de 9% par an. C'est là un rythme de développement qui ne peut se comparer qu'à celui des Etats Unis à leurs époques les plus dynamiques.
De 1945 à 1961, 210 nouvelles grandes usines sont nées en Algérie: métallurgies, mécaniques, électriques, d'alimentation, de corps gras, de textiles, de matières plastiques, de papiers, etc.


UNE INDUSTRIE SORTIE DU NEANT


Parallèlement à la grande métamorphose de l'agriculture, il y a eu, depuis 1946 surtout, le combat pour l'industrialisation de l'Algérie qui ne pouvait, sans tempête sociale, rester un pays de civilisation artisanale et archaïque... Il fallait donc forger une industrie; mais sans énergie, pas d'usines. On remplaça alors une cinquantaine de centrales régionales par de puissantes centrales modernes, thermiques et hydrauliques, qui chaque année augmenteraient en nombre et en force motrice. La production énergétique d'Algérie fut ainsi portée à plus d'un milliard de kw/h par an.
Comparons avec l'Egypte, puisqu'aussi bien pour les nationalistes algériens c'est le grand frère pilote, le fascinant champion arabe d'Afrique... Lh bien! En 1956, l'énergie de l'Egypte du Colonel Nasser n'a pas dépassé 750 millions de kw/h.
Je laisse de côté le pétrole saharien, car il ne s'agit pas ici du Sahara mais de la véritable Algérie.

 

Ce n'est pas une raison pour passer sous silence cette évidence: il n'y avait rien au Sahara. C'était le désert impitoyable; un chef d'œuvre de stérilité. Le voici devenu un pactole avec son gaz et son « or noir ». Et qui est à l'origine de cette gigantesque métamorphose? Un groupe de pieds noirs qui combattit avec acharnement pour que la France entreprit des forages à grande échelle.
Et qui a fait jaillir la richesse? La France seule. La France coupable d'avoir cru que, des dons reçus, naîtraient la solidarité et la gratitude. Laissons ces regrets de cœur pour revenir à l'Algérie.


INFRASTRUCTURES ET CONSTRUCTIONS


Tenez, prenons ces test fondamentaux que sont les routes, les voies de chemin de fer et les véhicules à moteur, et mettons encore en balance les chiffres d'Algérie et d'Egypte.
Voici les chiffres les plus récents, à une même date pour les deux pays.
En 1956, l'Algérie comptait plus de 90.000 km de routes bitumées dont 8446 de routes nationales, 27.086 de chemins départementaux ou vicinaux, 18.863 de chemins ruraux et 36.000 km de pistes sahariennes. L'Egypte totalise 14 300 km, près de 7 fois moins.
Le réseau ferré égyptien égale celui de la SNCFA qui s'étend sur 4621 km mais l'écart est encore nettement éloquent à propos des véhicules à moteur: 150.000 en Algérie (civils exclusivement), 97.000 en Egypte (civils et militaires). Si l'on se souvient que l'Egypte compte presque 3 fois plus d'habitants, où est la nation-phare?
Et l'homme musulman en Algérie où en était-il à la fin de l'Algérie Française? Le régime social algérien avait presque rattrapé le système de sécurité sociale existant en métropole depuis bientôt 25 ans et qui est l'un des plus développés du monde. En 1960, plus d'un algérien musulman sur trois bénéficiait des prestations sociales, sous forme d'assurance ou d'allocations. Le réseau hospitalier totalisait en 1962 plus de 40.000 lits. 2700 médecins civils exerçaient dans l'ensemble du pays. La lutte pour le logement des musulmans a été si ample que la population n'a pas toujours suivi nos efforts. Plusieurs centaines de milliers de logements ont été bâtis depuis 1945 pour les seuls musulmans et un service spécial commençait à s'occuper uniquement de l'entretien gratuit des maisons nouvelles!
Parmi ces réalisations, il y a eu des ensembles superbes d'audace admirés par tous les architectes du monde: Diar es Saâda, Diar el Mahçoul, le Climat de France. Tout y est, du terrain de sports et des garages au super marché et à l'école.


1000 MILLIARDS POUR L'ENSEIGNEMENT


Un mot enfin de l'enseignement. C'était pour nous la clef de l'avenir, la base de la future symbiose. Nous y avons englouti plus de 1000 milliards entre 1945 et 1962. Les écoles coraniques auraient pu proliférer à loisir. Leur effectif pourtant n'a jamais dépassé depuis 1950 3% de celui des écoles publiques.
La scolarisation de langue française touchait à la rentrée de 1960, malgré le veto du F.L.N., plus de 500.000 enfants répartis dans 3.500 écoles. Cinquante établissements secondaires fonctionnaient. Malgré les troubles plus de 5000 musulmans se sont présentés au baccalauréat en 1960. L'Université d'Alger avec ses cent chaires était la 3ème en importance de la République.
A eux de jouer désormais. Ils ont gommé la France après 132 ans et un tel bilan. Sous le bleu lumineux du ciel d'Algérie je crains que de nouveaux monuments aux morts ne viennent s'ajouter aux ruines romaines.
Pour nous c'est l'adieu et la cendre.
Je vous ai présenté l'Algérie de papa. C'était la nôtre puisque nous n'avions fait que reprendre le flambeau. Elle était belle. Elle montait, pavillon haut. Elle reste notre fierté, et demain, devant l'histoire, elle deviendra la fierté de la France. Car notre peuple a toujours su reconnaître ses injustices. Seulement cette fois, ce sera trop tard.» •