|  | 
   
    |  | 
   
    |  | 
        
         
          |  |  |  |   
          |  | Le 
              20 aout 1955 - 20 aout 2005"Témoignage pour un massacre"
 Dans la ville de Philippeville en Algérie par 
              le docteur Baldino
 |  |   
          |  |  |  |   
          |  | Dans une période où 
              il devient de bon ton de se repentir et de se mettre en accusation, 
              il m'a semblé utile de rappeler à nos compatriotes 
              (50 ans après) ce que fût le premier grand massacre 
              de Français d'Algérie lié à la guerre 
              débutante.S'en souvenir devient un devoir pour ceux qui restent et faire la 
              relation de ces évènements, sans en travestir la réalité, 
              un hommage aux victimes et aux acteurs disparus de ces journées 
              tragiques du 20 Août 1955.
 |  |   
          |  |  |  |  | 
   
    | 
        
         
          |  | Le 1er novembre 1954 
              eut lieu le premier attentat dans les Aurès qui coûta 
              la vie à un instituteur de métropole qui rejoignait 
              avec son épouse l'école où ils avaient été 
              nommés. L'instituteur Monsieur Monnerot fut abattu froidement 
              devant son épouse. Le caïd Sadok (ancien officier de 
              l'armée française) voulut protéger Madame Monnerot. 
              II fut abattu de plusieurs balles et Madame Monnerot grièvement 
              blessée.Ainsi commencèrent ce qu'on appela " les évènements 
              d'Algérie ". Cet attentat des Aurès avait ému 
              la France et inquiété les Français de ces départements 
              d'outre-mer. Le Gouverneur Général Léonard 
              envisageait, pour contrôler ce foyer d'insurrection, de regrouper 
              les populations autochtones (on fixa pour cela des délais 
              de quelques jours) puis de quelques semaines et finalement ces décisions 
              ne furent jamais appliquées.
 
 |  |  |  | 
   
    | 
        
         
          |  | Ce fut une première 
              victoire pour les insurgés. Pendant neuf mois les attentats 
              se multiplièrent : assassinats de colons, de petits agriculteurs 
              dans leurs fermes. Les routes étaient dangereuses. Les insurgés 
              dressaient des barrages et les véhicules étaient mitraillés. 
              Dans les villes des grenades étaient lancées contre 
              des établissements publics, dans des restaurants ou des cafés. 
              Des attentats individuels étaient signalés chaque 
              jour dans la région. Des médecins furent exécutés 
              ou grièvement blessés dans leur cabinet par de pseudo-patients. |  |  | 
   
    |  | 
        
         
          |  |  |  |   
          |  | La situation, dans le Constantinois surtout, devenait 
            de plus en plus critique. Il y avait peu de troupes en Algérie. 
            Nos armées venaient de subir une sévère défaite 
            à Dien-Bien-Phu et les régiments décimés 
            pendant la guerre d'Indochine n'avaient pas encore rejoint la Métropole 
            et l'Algérie. Il y avait bien quelques troupes du Contingent, 
            mais peu formées et sans enthousiasme. On aborde ainsi l'été 1955.
 Les " Pieds-Noirs " s'organisent pour les vacances et profitent 
            des joies de la plage. Mais ils sont préoccupés. Une 
            minorité privilégiée part en France (sur la Côte 
            d'Azur ou en montagne). Le malaise augmente dans la région 
            de Philippeville.
 Mais le 20 Août rien ne laissait prévoir l'insurrection 
            qui allait se déclencher en quelques heures.
 
 |  |   
          |  |  |  |  | 
   
    | 
        
         
          |  | Si les civils n'étaient 
              pas au courant des préparatifs de cette attaque, les services 
              secrets militaires dirigés par le capitaine Paul AUSSARESSES 
              étaient informés de l'imminence d'une action sur Philippeville 
              et les villages environnants. Des mouvements, depuis quelques jours, 
              se faisaient de la périphérie vers le centre ville. 
              Les taxis avaient quitté leurs aires de stationnement et 
              arrivaient en ville avec des passagers inhabituels. Les épiceries 
              étaient dévalisées par des consommateurs généralement 
              plus modestes dans leurs achats. Les futurs insurgés, une 
              fois entrés dans la ville, étaient hébergés 
              par des complices dans divers locaux (caves, réduits, garages...), 
              autant d'anomalies qui avaient alerté les services spéciaux 
              de la Région Militaire.Le chef de la rébellion, ZIGHOUT YOUSSEF, commandait la zone 
              du Nord constantinois. II voulait faire sur Philippeville, qui était 
              une ville moyenne de 50 à 60.000 habitants, une action spectaculaire 
              à l'occasion du 2e anniversaire de la déposition en 
              1953 de Mohammed V, sultan du Maroc et exilé à Madagascar 
              par les autorités françaises.
 D'ailleurs ce même jour du 20 Août 1955 des révoltes 
              dirigées contre les communautés françaises 
              eurent lieu dans les villes marocaines de Kenifra et Oued Zem. Elles 
              furent sévèrement réprimées. Cette manoeuvre 
              était destinée à montrer la solidarité 
              des pays du Maghreb contre le pouvoir " colonial ".
 Le 20 Août 1955, je consultais à mon cabinet médical 
              situé en centre ville par une journée torride comme 
              l'Algérie en connaît en plein mois d'Août. Un 
              coup de téléphone de Madame Vincent, affolée, 
              m'informa que deux blessés venaient d'arriver à la 
              clinique de son mari située à quelques dizaines de 
              mètres de mon cabinet.
 Fernand Vincent le chirurgien est à l'hôpital pour 
              son service habituel. II ne peut pas quitter la salle d'opération 
              et lui demande de m'appeler pour les premiers soins. Le premier 
              blessé est un musulman ouvrier pâtissier chez un européen 
              d'origine suisse. Un coreligionnaire lui a tiré dans la pâtisserie 
              plusieurs balles de gros calibre en plein thorax. II est dans un 
              état alarmant. Il respire difficilement et a dû perdre 
              beaucoup de sang pendant son transport. II meurt quelques minutes 
              après son admission à la clinique en récitant 
              dans un dernier souffle la prière des morts. Quelques minutes 
              plus tard un garçon pieds-noirs de vingt ans arrive à 
              la clinique. Sur la route des plages, en revenant de la baignade, 
              un jeune musulman l'aborde, un pistolet de petit calibre à 
              la main et lui demande l'heure. Sans méfiance il lui répond 
              : " Il est midi ". Son agresseur lui tire une balle d'un 
              pistolet 6,35 qui l'atteint à l'avant-bras, le traverse en 
              passant entre les deux os sans faire de dégâts et se 
              perd dans la nature. " Midi " c'était l'heure fixée 
              pour le déclenchement de l'insurrection et le jeune baigneur 
              avait pris ce geste pour... une plaisanterie. Pourquoi midi ? C'était 
              une heure favorable pour les insurgés. Les militaires sont 
              à leur cantine, les officiers et sous-officiers à 
              leur mess respectif, leur réaction demandera un certain délai 
              pendant lequel les insurgés pourront se répandre dans 
              la ville en massacrant les Français ou des musulmans connus 
              pour leur attachement à la France.
 C'était bien calculé. Mais la réaction des 
              parachutistes du ler R.C.P. du colonel Ducournau fut immédiate 
              et stoppa l'attaque. La caserne de Gendarmerie située en 
              plein quartier indigène était assiégée 
              de toutes parts. Les Paras la dégagèrent en faisant 
              de nombreuses victimes et prisonniers parmi les assaillants.
 La fusillade que nous entendions de la clinique du Docteur Vincent 
              où j'avais reçu les premiers blessés cessa 
              après une heure de combat. Mais l'attaque n'avait pas porté 
              uniquement sur la ville. A une vingtaine de kilomètres de 
              Philippeville se trouvait une mine d'extraction de minerai de fer 
              El Halia et les carrières de marbre de Fil Fila.
 La mine d'El Halia était dirigée par un jeune ingénieur 
              métropolitain récemment nommé, Monsieur Revenu.
 Deux cent cinquante familles algériennes vivaient et travaillaient 
              dans cette entreprise encadrées par cent trente européens 
              dans une cohabitation parfaite. Pour Zighout Youssef cette entente 
              entre européens et musulmans était insupportable. 
              Il finit par convaincre ses coreligionnaires de se retourner contre 
              les roumis " (les infidèles) de la manière la 
              plus barbare qui soit c'est-à-dire sans épargner femmes 
              et enfants.
 Le massacre commença quelques heures avant l'assaut sur Philippeville. 
              Mais toutes les communications avaient été coupées 
              et la mine était totalement isolée. Le directeur de 
              la mine, un athlète d'un mètre quatre-vingt dix, partit 
              en courant dans le maquis infesté d'insurgés pour 
              alerter le camp militaire Péhan situé à 12 
              kilomètres de la mine sur la route de Philippeville. Il eut 
              la chance de ne rencontrer aucun fellagha dans cette course de fond 
              et alerta les militaires du camp qui montèrent immédiatement 
              une opération mais il était trop tard. Des dizaines 
              de corps (une soixantaine) horriblement mutilés par des instruments 
              tranchants (poignards, coutelas, haches) suivant la tradition du 
              sacrifice rituel du mouton gisaient sur le carreau de la mine. De 
              très nombreux blessés par armes blanches ou armes 
              à feu tirant des halles artisanales qui font de gros dégâts 
              difficiles à corriger ensuite.
 Des armes avaient été demandées par Monsieur 
              Revenu mais elles lui furent refusées par les autorités 
              préfectorales.
 Tout près de la mine d'El Halia, les carrières de 
              marbre du Fil Fila étaient dirigées par un de mes 
              amis, le regretté Robert Fèvre, issu d'une famille 
              de carriers bourguignons installée à Philippeville 
              depuis plusieurs décennies. Il y employait des musulmans 
              et des cadres européens au nombre d'une douzaine de familles. 
              II avait enfreint les interdictions préfectorales et avait 
              acheté plusieurs fusils de chasse ou de tir. En outre il 
              avait transformé un bâtiment inutilisé en fortin, 
              ce qui permit aux familles de s'y réfugier au moment de l'attaque. 
              Un seul ouvrier, trop tard informé, n'eut pas le temps de 
              regagner ce fortin improvisé et fut abattu sauvagement.
 Pilote pendant la guerre de 39-45, Robert Fèvre avait continué 
              à pratiquer le pilotage amateur. Avec un avion de l'Aero-Club 
              il survola sa carrière pour s'assurer que la protection était 
              efficace.
 L'après-midi du 20 Août. accompagné de deux 
              amis anciens combattants de la guerre 42-45 Claude Trihaudeaui, 
              un ancien des commandos, et Eugène Kobelski, un ancien de 
              la guerre d'Indochine - ils partirent en voiture, armés jusqu'aux 
              dents, aux carrières encore mal contrôlées par 
              l'armée et ramenèrent à Philippeville tous 
              ceux qui étaient encore les cibles des insurgés et 
              leurs familles. C'était un bel exemple de courage et de camaraderie 
              qui méritait d'être relaté.
 |  |  | 
   
    | 
        
         
          |  |  |  |   
          |  |  |  |   
          |  |  |  |   
          |  | L'Hôpital 
              de Philippeville dominant la ville |  |   
          |  |  |  |  | 
        
         
          |  |  |  |   
          |  | A la clinique du Docteur Vincent 
              un coup de téléphone de mon confrère me demande 
              de venir rapidement le rejoindre à l'Hôpital. Nous 
              apprenons alors le carnage d'El Halia et surtout l'arrivée 
              de 200 blessés graves à l'Hôpital en l'espace 
              de deux heures. " Viens, me dit-il, avec Gisèle. On 
              aura besoin d'elle ". Gisèle Vincent était sage-femme 
              et aidait son mari à la clinique et en anesthésie. 
              Nous prenons la rue principale qui conduit à l'Hôpital 
              une longue rue qui partage la ville en deux et qui s'appelle tout 
              naturellement rue Georges Clémenceau. La situation qui nous 
              attendait était dramatique mais Gisèle Vincent et 
              moi n'avons pas pu éviter un sourire devant le spectacle 
              de  |  |   
          |  |  |  |  | 
   
    | 
        
         
          |  | cette rue déserte 
              après la réaction des parachutistes et jalonnée 
              de toutes sortes de chaussures, espadrilles ou babouches qu'on abandonne 
              pour échapper le plus vite possible aux forces de l'ordre. 
              L'Hôpital de Philippeville, construit sur une colline qui 
              dominait le port, datait du début de la colonisation. Un 
              Hôpital militaire jouxtait l'Hôpital Civil. Celui-ci 
              avait été agrandi au fil des décennies et des 
              besoins. Mais il restait suffisant pour une ville moyenne d'Algérie. 
              II pouvait accueillir 400 à 500 malades chirurgicaux ou médicaux 
              et surtout beaucoup de cas sociaux.
 Le personnel infirmier et technique correspondait à l'importance 
              de l'établissement. En ce mois d'Août la moitié 
              des agents était en congé annuel. C'est donc dans 
              cette situation qu'il fallait faire face à l'arrivée 
              brutale de 200 blessés graves par des agresseurs déchaînés 
              qui avaient utilisé les méthodes les plus barbares 
              qui soient. (L'officier des Pompes Funèbres perdit la raison 
              devant tant d'horreurs.*)
 L'Hôpital disposait d'une ambulance qui était plutôt 
              une camionnette de transport. Tous les blessés d'El Halia 
              ou de la ville avaient été transportés à 
              l'Hôpital sans précautions de manipulation ou d'hygiène 
              dans des véhicules divers. Certains blessés moururent 
              pendant leur transport par impossibilité de soins d'urgence.
 L'insuffisance de personnel infirmier fut en partie compensée 
              par une communauté religieuse rattachée au centre 
              hospitalier. Certaines religieuses avaient des connaissances médicales. 
              Elles furent d'un dévouement remarquable. Toutes donnèrent 
              leur sang pour les premiers blessés et certaines à 
              plusieurs reprises à la limite du possible : un soutien psychologique 
              avant l'époque avec l'efficacité de leur foi.
 Quelle était la situation sur le plan médical ? II 
              y avait à Philippeville toutes spécialités 
              confondues 25 à 30 médecins. Un certain nombre était 
              en vacances, en France ou à l'étranger.
 Dans la ville même la situation était mal perçue, 
              l'information avait mal circulé. Les habitants craignaient 
              de nouvelles attaques et restaient à l'abri. Nous nous retrouvions 
              six chirurgiens médecins pour gérer cette situation. 
              Le Docteur Vincent, chirurgien installé à Philippeville 
              en 1946, avait été mobilisé dans un Hôpital 
              militaire de campagne pendant la guerre de 42-45, en Italie puis 
              en France.
 II était chef du service de chirurgie de l'Hôpital 
              civil et aussi de l'Hôpital militaire. Il avait acquis une 
              grande expérience en chirurgie de guerre. L'organisation 
              des soins de ces journées tragiques lui revint.
 Un jeune chirurgien, Alain Farruggia, qui finissait son internat 
              à l'Hôpital Mustapha à Alger était à 
              Philippeville pour remplacer le 2e chirurgien de la ville, le Docteur 
              Grasset, parti en vacances quelques jours avant. C'était 
              son premier remplacement et il fut confronté à une 
              situation et à une chirurgie qui ne lui étaient pas 
              familières. Il donna le maximum de lui-même. Je l'aidais 
              de mon mieux à la table d'opérations.
 Un médecin généraliste, le Docteur Gabriel 
              Godard, était l'aîné de ce petit groupe. Il 
              avait été mobilisé de 1942 à 1945 dans 
              un Hôpital de campagne où il fit la connaissance de 
              Fernand Vincent. Il était tout désigné pour 
              l'aider à la table d'opérations.
 Le Docteur Hughes Blanc était radiologue, installé 
              à Philippeville après la guerre de 42-45. Il fut décoré 
              de la Légion d'Honneur sur le champ de bataille pour son 
              attitude courageuse et son dévouement. Il était aussi 
              le responsable du service de radiologie de l'Hôpital.
 Le Docteur Pierre Sultan, médecin pneumo-phtisiologue, était 
              installé depuis peu de temps dans la ville. Il dirigeait 
              en outre le service de cette spécialité à l'Hôpital. 
              Avec Hughes Blanc, il fut chargé du tri des blessés, 
              de la radiologie générale et du repérage des 
              projectiles.
 Pour ma part, installé depuis deux ans à Philippeville 
              comme pédiatre, mon cabinet jouxtait la clinique du Docteur 
              Vincent. Il m'appelait fréquemment pour l'aider aux interventions. 
              C'est ce que j'ai fait pendant ces deux journées opératoires 
              en alternance avec mon confrère Godard.
 |  |  | 
   
    | 
        
         
          |  |  |  |   
          |  | Gisèle Vincent nous aidait 
              efficacement pour les anesthésies. Elle faisait le va-et-vient 
              entre l'Hôpital et la clinique où il lui t'allait s'occuper 
              de quelques malades encore hospitalisés. L'Intendance Hospitalière 
              (stérilisations, instruments, lingerie) était suffisante 
              pour un fonctionnement normal de l'établissement mais très 
              vite débordée par l'afflux de blessés. Il y 
              avait bien deux jeunes internes algériens nommés officiellement 
              à l'Hôpital pour leur stage interné. Nous les 
              avons " aperçus " nais rapidement ils nous ont 
              fait savoir qu'ils étaient souffrants et qu'ils ne pourraient 
              pas nous aider. Nous n'avons pas insisté car ils étaient 
              incompétents et auraient pu être, aussi, malveillants. |  |   
          |  |  |  |  | 
        
         
          |  |  |  |   
          |  |  |  |   
          |  |  |  |   
          |  | 60 cercueils alignés...... 
              des familles entières |  |  | 
   
    |  | 
        
         
          |  |  |  |   
          |  | C'est dans une ambiance de souk 
              ou de marché persan que nous nous sommes mis au travail. 
              Nous disposions de deux salles d'opérations précédées 
              d'un sas où les infirmiers préparaient les blessés. 
              Fernand Vincent opérait dans l'une d'elles avec son ami Gabriel 
              Godard. Alain Farruggia occupait la deuxième salle et avait 
              commencé à opérer aidé par un interne 
              algérien qui accumulait les fautes et travaillait lentement 
              volontairement ou pas. Je le remplaçai à la table 
              d'opérations et Alain retrouva un rythme normal.Dans les 
              couloirs qui conduisaient aux salles d'opérations les chariots 
              ou les brancards faisaient une chaîne. Sur l'un des chariots, 
              j'avais remarqué un algérien qui manifestement faisait 
              partie des insurgés. Il avait les deux jambes brisées 
              par une rafale d'arme automatique. II avait un visage exalté 
              sur lequel se lisait une haine intense. Ses yeux étaient 
              exorbités, il se tordait les mains d'impuissance. Une arme 
              en mains, il aurait continué son oeuvre. Il était 
              manifestement sous l'emprise de la drogue. Il fut opéré 
              par le Docteur Vincent.  |  |   
          |  |  |  |  | 
   
    | 
        
         
          |  | L'anesthésie 
              fut difficile en raison de son imprégnation par le kif ou 
              autre drogue. On sût par la suite qu'il avait assassiné, 
              entre autres, un notable musulman fidèle à la France 
              et ses cinq enfants. Il fallut mettre en garde les agents des services 
              spéciaux qui menaient leurs enquêtes colt à 
              la ceinture, colt qui aurait pu servir au geste désespéré 
              d'un terroriste kamikaze qui n'aurait pas eu son compte de victimes 
              françaises.Ainsi les heures commencèrent à se dérouler 
              dans un cortège de blessures horribles (abdomens ouverts 
              au poignard, femmes enceintes éviscérées, blessures 
              par balles artisanales de gros calibre qui pénétraient 
              dans l'abdomen ou le thorax en faisant des dégâts souvent 
              irrécupérables).
 J'ai encore le souvenir d'un grand gaillard, employé de la 
              mine d'El Halia qu'on amena dans la salle où travaillait 
              Alain Farruggia. On le plaça à plat ventre sur la 
              table d'opérations trop courte pour lui. Sa tête dépassait 
              et bascula dans le vide c'était impressionnant. II avait 
              reçu un coup de coutelas qui lui avait tranché tous 
              les muscles de la nuque jusqu'aux vertèbres cervicales. Alain 
              et moi n'avions jamais été confrontés à 
              ce type de blessure qu'on ne peut voir qu'en chirurgie de guerre. 
              On sutura vaille que vaille les muscles de la nuque, les aponévroses, 
              les tissus cutanés. On confectionna une minerve en plâtre 
              pour bloquer sa colonne cervicale. Quel ne fut pas notre étonnement 
              de le croiser une dizaine de jours plus tard se promenant dans la 
              rue Clémenceau avec sa minerve et une démarche un 
              peu guindée. Je me souviens 50 ans après de son nom 
              : Rivière.
 Ainsi les deux équipes chirurgicales se partageaient les 
              victimes au hasard de leur arrivée dans le sas qui précédait 
              les salles d'opérations et suivant les critères de 
              gravité qu'avaient retenus les confrères chargés 
              des diagnostics et du tri.
 Le rythme était rapide et il était illusoire, dans 
              cette agitation et le va-et-vient du personnel réduit, de 
              respecter des règles strictes d'asepsie.
 Ainsi l'après-midi du 20 Août se passa en interventions 
              les plus urgentes et les plus graves. L'été était 
              particulièrement chaud et on ne connaissait pas la climatisation. 
              Nos tenues étaient très allégées. Nous 
              buvions beaucoup, on grignotait quelques biscuits entre deux transferts 
              de table. Les cigarettes défilaient à un rythme accéléré 
              et il y avait une grande consommation de café pour essayer 
              de garder l'exil vif. La nuit qui suivit connut le même rythme 
              avec une température un peu plus supportable en salle d'opérations, 
              fenêtres grandes ouvertes pour essayer de faire pénétrer 
              une brise marine.
 Le lendemain nous retrouvons les deux équipes au grand complet 
              mais déjà assez fatiguées par une nuit blanche 
              et des interventions lourdes. Les installations de stérilisation 
              et les blanchisseries sont sur utilisées et menacent de nous 
              lâcher. Les quelques flacons de sang dont nous disposions 
              au début sont épuisés.
 Le stock d'antibiotiques baisse à vue d'oeil et on les utilise 
              très largement en raison des risques d'infections post-opératoires 
              dans ce type de chirurgie. II fallut faire appel aux pharmacies 
              de la ville.
 Une collecte de sang au niveau de la cité est difficile à 
              mettre en place. Quelques donneurs généreux se présentent 
              à l'Hôpital mais on redoute les erreurs de groupage 
              et des fautes d'asepsie dans le recueil tant la situation est confuse.
 Le Dimanche 21 Août à midi la direction de l'Hôpital 
              dépassée par la situation prend conscience que nous 
              n'avions pratiquement rien mangé depuis plus de 24 heures. 
              Ce sont les soeurs de la communauté religieuse qui corrigent 
              cet oubli. Elles nous préparent un vrai repas avalé 
              rapidement puis elles iront donner encore un peu de leur sang. Alain 
              Farruggia, exténué, va se reposer quelques heures 
              dans l'après-midi et revient dans la soirée en salle 
              d'opérations pour quelques inter-ventions. En fin d'après-midi 
              c'est le tour de notre aîné Gabriel Godard de nous 
              abandonner. La station verticale prolongée crée des 
              oedèmes des jambes qui deviennent très vite douloureux. 
              Il y a encore un certain nombre de Les obsèques des victimes 
              d'El Halia, de Fil-Fila, de Philippeville et de sa région 
              eurent lieu quelques jours plus tard. Soixante cercueils étaient 
              alignés à l'entrée du cimetière de la 
              ville : ceux des 34 victimes d'El Halia, des 14 de Philippeville, 
              et 12 militaires tombés au cours des combats de rue contre 
              les assaillants. Les autorités préfectorales avaient 
              fait le déplacement de Constantine : les mêmes qui 
              avaient refusé d'armer le personnel de la mine d'El Halia. 
              Toute la population Philippevilloise était réunie 
              autour des familles des victimes. La colère était 
              à son comble et, une réaction violente risquant de 
              survenir d'un moment à l'autre, les autorités furent 
              tenues à l'écart.
 Paul-Dominique Benquet-Crevaux, maire de la ville, (décédé 
              il y a quelques jours à Aix-les-Bains après une longue 
              maladie) calma la population en entonnant une vibrante " Marseillaise 
              ". Les gerbes officielles furent malmenées et les représentants 
              de la Préfecture s'éclipsèrent discrètement. 
              La cérémonie put alors se dérouler dans la 
              dignité malgré une très intense émotion.
 Tous les confrères qui ont participé à ces 
              jour-nées tragiques du 20 août ont été 
              dispersés après l'indépendance de l'Algérie, 
              sept années plus tard.
 Le Docteur Gabriel Godard s'est installé et a fini sa carrière 
              à Grasse. Il avait reconstitué une belle clientèle. 
              Il y est décédé dans les années 70. 
              Le Docteur Pierre Sultan fut reclassé à l'Hôpital 
              de Montbéliard à la tête du service de pneumo-phtisiologie. 
              Il y est décédé dans les années 80.
 Le Docteur Fernand Vincent avait pris sa retraite à Paris. 
              Après une carrière épuisante il nous a quitté 
              il y a une dizaine d'années pendant une croisière 
              aux Seychelles.
 Le Docteur Hughes Blanc, après l'indépendance, a traversé 
              la Méditerranée sur son bateau et a jeté l'encre 
              à Saint-Tropez où il a créé plusieurs 
              cabinets de radiologie. Retraité, il a gardé un anneau 
              au port.
 Il me faudra enquêter sur la carrière du benjamin, 
              Alain Farruggia. Je n'ai pas suivi son cursus, mais son premier 
              remplacement de chirurgien, je pense qu'il ne l'oubliera jamais. 
              Depuis le 20 Août 1955, j'ai évoqué chaque année, 
              en moi-même, le souvenir de ces années tragiques. Cinquante 
              ans après ce carnage et avant la disparition des derniers 
              témoins, j'ai voulu, en quelques pages, rendre hommage aux 
              victimes d'El Halia, de Fil Fila et de Philippeville, dire ma reconnaissance 
              au personnel de l'Hôpital et à la communauté 
              religieuse, évoquer le souvenir des confrères aujourd'hui 
              disparus, et faire que ce premier massacre de la Guerre d'Algérie, 
              qui fit tant de victimes innocentes, ne tombe pas dans l'oubli...
 Charles BALDINO 
 Bibliographie 
 Paris-Match n°336, Septembre 1955.Echo d'Alger : 16 et 17 février 1958 (Procès des tueurs 
              d'El Halia)
 L'Oradour Algérien (Massacre du 20 août 1955) - Revue 
              "Etoiles du Sud" N°4 et 5 Janvier et Avril 1999.
 " J'étais à El Halia " Témoignage 
              de madame Jeanne Pusceddu ln revue " L'Algérianiste 
              " N° 94 -2001
 Liste des victimes : " L'Algérianiste " N° 
              95- Sept. 2001 Page 126
 * ln : Henri Borgeaud de Michèle Barbier. Page 157 Editions 
              WALLADA -1995
 |  |  | 
   
    |  |  |  |  |  |  |  |