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En portent témoignages,
les responsabilités qu'il a assumées en milieu universitaire
- n'a-t-il pas été le dernier doyen de la Faculté
des sciences d'Alger - et encore les fonctions qu'il a exercées
comme conseiller scientifique au Service de la carte géologique
de l'Algérie, également comme administrateur à
la S.N. REPAL (Société Nationale de Recherche et d'Exploitation
des Pétroles en Algérie), à la C.P.A. ( Compagnie
des Pétroles d'Algérie ) et à la SEREPT ( Société
d'Exploration et de Recherche des Pétroles en Tunisie ),
etc.
Après ses études scolaires à Paris. Robert
Laffitte avait obtenu sa licence és sciences à la
Sorbonne à l'âge de vingt ans et dès l'année
suivante, en 1932, il avait intégré le laboratoire
de géologie du Muséum National d'Histoire Naturelle.
Il était alors parti préparer en Algérie sa
thèse de doctorat d'État qu'il soutint également
en Sorbonne en 1939.
Outre une année de service militaire, il fut mobilisé
à trois reprises : avant et pendant la Seconde Guerre mondiale,
en particulier en 1942-1944, au total trois ans et six mois de service
dont 19 mois de service à la mer en temps de guerre, en qualité
d'Officier de Réserve Interprète et du Chiffre de
la Marine nationale.
En avril 1944, mis à la disposition du Ministère des
Affaires étrangères, il est nommé professeur,
chef du département de géologie de la faculté
des sciences de 1' Université Farouk Ier à Alexandrie.
En août 1945. il devient maître de conférences
à la faculté des sciences d'Alger, puis en 1948 professeurs
sans chaire et enfin, en 1950, professeur titulaire de la chaire
de géologie appliquée à la même faculté.
Dès 1958, il assure les fonctions d'assesseur du doyen et
en mars 1961, devient doyen de la faculté des sciences d'Alger,
à une époque où des événements
tragiques rendaient cette fonction particulièrement délicate.
En 1962, comme la plupart d'entre nous, la fin du statut français
des départements d'Algérie l'oblige à quitter
Alger. Il est alors nommé pour quelques mois professeur à
l'Université de Nancy et enfin, à l'automne 1963,
professeur au Muséum National d'Histoire Naturelle, titulaire
de la chaire de géologie, fonction qu'il conservera jusqu'à
sa retraite en 1980.
Quand sa carrière scientifique débute en 1932, ce
jeune parisien n'a pas 21 ans. Il se voit confier l'étude
géologique du massif de l'Aurès. Robert Laffitte n'est
jamais allé en Algérie et, avant de partir, on dit
qu'il a cherché la position de ce massif sur un atlas. Il
avait à étudier et à cartographier une superficie
de l'ordre de 10 000 km2, couvrant deux cartes au 200 000ème.
L'Aurès est un pays attachant mais rude, coupé de
vallées encaissées et de gorges par-fois infranchissables.
Le relief y était accusé, allant des sommets les plus
élevés de l'Algérie - largement enneigés
l'hiver - à des zones les plus boisées du pays et
jusqu'aux dépressions désertiques nord-sahariennes.
C'était à l'époque un pays peu accessible,
dépourvu de routes et même de pistes carrossables,
aux implantations européennes très rares. Notre jeune
géologue parcourut ainsi, le plus souvent à pied et
logeant chez l'habitant, ce vaste massif pendant 24 mois, entre
1932 et 1936, sur une distance totale qu il estime lui-même
à 25 000 km
Les résultats de cette étude ont été
un mémoire magistral de plus de 300 pages et une magnifique
carte géologique au 200 000ème, tous deux publiés
par le Service de la carte géologique de l'Algérie.
Cette étude s'est avérée fondamentale pour
la connaissance du Crétacé de l'est algérien
et même de la Berbérie dans son ensemble. Ces travaux
de recherche furent couronnés par le prix Victor Rolin de
l'Académie des Sciences en 1941 et le prix Fontannes de la
Société de France en 1942. Un géologue d'une
université de l'est algérien me disait il y a quelques
semaines : " malgré de nombreux travaux de détail,
malgré des précisions locales récemment apportées,
la géologie de l'Aurès c'est toujours dans Laffitte
qu'on la trouve ", en dépit des 64 ans écoulés.
Par la suite, il étendit ses recherches aux régions
les plus diverses du territoire algérien et tunisien, travaillant
aussi bien dans l'Atlas saharien que dans les régions plus
septentrionales du Tell et en particulier dans le massif du Dahra,
dans le bassin du Chélif et dans de très nombreuses
provinces. Ces recherches avaient en général un caractère
académique, mais d'autres s'inscrivaient dans la mission
sur les potentialités pétrolières de l'Algérie
qui lui avait été confiée par le Service des
Mines sur requête du Gouvernement Général, de
1940 à 1942.
Dès 1950, il déploya une activité considérable
pour préparer la 19ème session du Congrès Géologique
International qui s'est tenu à Alger en 1952. De l'avis de
tous, ce Congrès fut un succès remarquable, 440 délégués
et 1129 membres représentèrent 82 pays à cette
manifestation. Les itinéraires des quelques 50 excursions
que Robert Laffitte coordonna et contribua à organiser, permirent
pendant plus de deux mois de parcourir l'Algérie, la Tunisie,
le Maroc et l'Afrique occidentale française, sur 145 000
km au total. Travaux en salle et excursions géologiques permirent
d'illustrer l'oeuvre considérable accomplie par des géologues,
des mineurs, des hydrogéologues, des pédologues français
sur cet immense pays en à peine plus d'un siècle.
Pour ce même congrès, Robert Laffitte a également
assuré un travail éditorial considérable, avec
la préparation des monographies régionales avant le
Congrès et les travaux des différentes sessions après
sa tenue. Ces publications représentent au total l'équivalent
d'environ 35 volumes in quarto.
La diversité des terrains d'étude couverts par Robert
Laffitte l'avait préparé aux travaux de synthèse.
Il allait donner sa mesure dans ce domaine en partit de façon
très active à la rédaction de la deuxième
édition de la carte géologique au 500 000ème
de l'Algérie du Nord et du Sahara, publiée en 1952,
et aux quatre feuilles de la très belle carte géologique
de l'Afrique du Nord d'ouest au 2 000 ème également
publiée à l'occasion du Congrès. Rappelons
aussi qu'il avait initié un grand nombre de thèses
universitaires et patronné un certain nombre de thèses
de géologues praticiens (pétroliers, hydrogéologues,
podologues, géologues miniers, etc.), les unes et les autres
couvrant l'Algérie et son Sahara et une partie de la Tunisie.
Il avait également initié une étude de géologie
marine profondément originale en Algérie, grâce
à laquelle cette marge, inconnue avant ces travaux, avait
en quelques années fait l'objet de reconnaissances et d'études
prometteuses.
Dans sa longue carrière scientifique, Robert Laffitte a occupé
de nombreuses fonctions importantes dans les instances de réflexion
et de direction de la recherche française et de son administration.
Il a été président du Comité National
Français de Géologie, a siégé plusieurs
fois au Comité National du C.N.R.S. ainsi qu'au Comité
Consultatif des Universités et au Conseil National Supérieur
de l'Enseignement et de la Recherche. Il a été président
de la Société géologique de France et directeur
scientifique au B.R.G.M. (Bureau de Recherche Géologique
et Minière. Sa compétence scientifique étant
largement reconnue à l'étranger, il a été
vice-président de l'Union Internationale des Sciences Géologiques.
Il était officier de la Légion d'Honneur, commandeur
des Palmes Académiques et officier du Mérite saharien.
Robert Laffitte restera comme le prototype de cette pléiade
de savants, d'ingénieurs, de techniciens, d'officiers qui
ont consacré leur vie à l'étude de cette Afrique
du Nord dans des conditions difficiles et parfois même dangereuses,
du fait de l'isolement, des difficultés d'accès et
de circulation, de l'immensité des régions désertiques
et des conditions climatiques. Il faut réaliser que si dans
le domaine de la civilisation et de la culture, Emile-Félix
Gautier a pu parler des " siècles obscurs ", dans
le domaine de la connaissance naturaliste et géographique,
l'Afrique du Nord en 1830 se trouvait dans les ténèbres
les plus épaisses. A côté de l'essor économique
imprimé par la France à la Régence d'Alger
qui végétait dans la misère la plus totale,
on ne parlera jamais assez de ces hommes, de ces géographes,
de ces topographes, de ces géologues, de ces zoologistes,
de ces botanistes, de ces hydrogéologues, de ces prospecteurs,
de ces pédologues, de ces météorologistes et
de ces historiens, de ces préhistoriens, de ces archéologues,
de ces médecins qui ont accompli une oeuvre magnifique, la
plus indiscutablement désintéressée. Ils ont
hissé en un peu plus d'un siècle cette terra incognita
au niveau d'exploration et de connaissance d'un pays civilisé.
Robert Laffitte était l'un des premiers d'entre eux.
Il était d'un abord affable et avenant. Il par-lait volontiers
et témoignait alors d'une très vaste culture, il avait
beaucoup lu et, en outre, était un excellent observateur,
il avait circulé un peu partout dans le monde, attentif à
l'homme autant qu'aux paysages et à la géologie. Il
aimait cette Algérie profonde, si sévère, si
rude, parfois si désolée mais toujours si attachante.
Il avait épousé une jeune Française d'Algérie,
bibliothécaire à l'université Renée
Saquenet et ils eurent trois enfants, Bernard, Frédéric
et François. Il était décidé à
accomplir toute sa carrière en Algérie et même
à y finir ses jours. Un destin injuste en décida autrement.
Pendant ces années de travail sur le terrain, en particulier
dans l'Aurés, l'isolement de ce jeune métropolitain
au milieu des populations berbères a été le
plus souvent total. Il a pu ainsi passer, dès l'une de ses
premières missions, plus de trente jours sans entendre un
mot de français. Ayant contracté la mal-aria, il est
resté un mois entre la vie et la mort dans un douar isolé,
sans même que l'administrateur de la commune mixte en fût
prévenu. Cette immersion dans la population indigène,
dont il avait appris la langue, l'a enrichi d'une connaissance parfaite
de cette population, de ses mentalités, de son histoire contemporaine.
Il ne connaissait pas moins bien le petit peuple des Français
d'Algérie, ces petits blancs, ces colons du bled qui s'efforçaient
de faire produire une terre pauvre, trop souvent salée ou
marécageuse, ou craquelée de sécheresse et
brûlée d'un soleil dont l'éclat cru et impitoyable
était plus apprécié du peintre ou du touriste
que du laboureur.
Fort de cette expérience. Robert Laffitte a écrit
et publié à 83 ans un livre magnifique : " C'était
l'Algérie ". Je ne rappellerai au sujet de
ce livre - couronné du Grand prix algérianiste Jean-Pomier
- que deux points parmi une multitude qui m'ont frappé.
Robert Lafitte y explique que, s'il a pu pénétrer
et comprendre la mentalité des indigènes du bled,
encore peu affectés par les influences de la modernité,
ce fut d'abord grâce à ces centaines de journées
et de soirées passées en compagnie de ces hommes sur
le terrain ou dans les gourbis et les mechtas, dans la plus totale
intimité avec eux.
Et plus encore, s'il a pu comprendre les fondements souvent irrationnels
de leur personnalité, c'est parce qu'il a su écouter
ces hommes avec une patience et une sympathie pro-fonde, à
l'exclusion de toute moquerie, de toute dérision et même
de tout humour.
Un autre fait est historique. Certains auteurs citent encore les
écrits de Germaine Tillion, ethnologue aux à priori
idéologiques, qui a parcouru l'Aurès vers la même
époque et affirma que les chaouïas ont été
" clochardisés par la colonisation française
".
Robert Laffitte, quant à lui, montre clairement dans son
livre que la paix française - opérée sans coup
férir dans l'Aurès par les troupes du général
de Saint-Arnaud -, en mettant fin aux raids et aux razzias des nomades
du Sud, a permis une augmentation rapide et très sensible
des surfaces emblavées par les indigènes eux-mêmes,
qui se sont mis aussi à planter des arbres et à édifier
des maisons en dur : Ce qu'ils avaient renoncé à faire
dans l'insécurité antérieure.
Son livre fut son ultime message et nous pouvons lui être
reconnaissants car il nous fait bénéficier d'une étude
quasiment ethnographique, éclairée d'anecdotes multiples
et illuminées de l'amour qu'il portait à ce pays et
à ceux qui l'avaient façonné et progressivement
civilisé.
Georges DILLINGER
Bibliographie
Robert LAFFITTE. - C'était l'Algérie. - Chiré
en Montreuil : Editions Confrérie-Castille, 1996. en vente
à Diffusion de la Pensée française, B.P. 1-86190
Chiré en Montreuil.
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