Le goût
du pittoresque, de la lumière, de la couleur, l'ont poussé
à traverser la Méditerranée. Mais c'est à
Bordeaux qu'il est né, « par accident » disait-il
car sa famille et sa jeunesse étaient toute parisienne. Ses
parents - bourgeois - le poussent à préparer les Hautes
Etudes Commerciales, d'où il sort diplômé (
sourire quand on sait la façon très peu hautement
commerciale dont il a exploité son talent !). En réalité,
sa vocation le réclamait; il n'avait pas pour rien grandi
vers le haut de la rue Lepic, et proche de l' « Allée
des Brouillards » . Il fait les Beaux Arts où un temps
même, il enseigne - temps très court, trop attaché
à sa liberté - .
Toute sa vie cependant, il leur restera fidèle, même
en partant pour la guerre sans renoncer à son crayon. Il
la fera de bout en bout, la seconde comme la première. Blessé
ou malade des fièvres pendant la campagne d'Orient, il repartira
et comptera six titres de combattant volontaire. Il la fera obstinément,
écrivant en juin 40 qu'il ne se considère pas comme
atteint par l'armistice. Il la fera comme fantassin sur l'Yser et
la Marne, puis blessé et réformé comme radio,
puis comme mitrailleur et observateur en avion dans la célèbre
escadrille du capitaine COLIS. Il la fera à plus de cinquante
ans déjà comme adjudant de blindés puis dans
les Forces Françaises Libres, dans les mehallas chérifiennes,
« peintre de la guerre », reporter en première
ligne avec sa djellaba de goumier et, dans la neige des Vosges,
l'hiver 44-45, la « baignoire » du side piloté
par un garde mobile! Il a fait tous les fronts, 14 campagnes, 3
blessures, 8 citations, 32 combats en avion, 2 croix de guerre,
la Médaille militaire et bien d'autres médailles,
barrettes et agrafes. En 1941, invité à signé
les papiers pour la Légion d'Honneur, il a répondu
qu'il ne jugeait pas le moment particulièrement propice aux
distributions de récompenses. Ce qui lui vaudra de la recevoir
treize ans plus tard ! De son oeuvre de peintre de l'armée,
il reste 3000 croquis de guerre. La plupart sont conservés
au Musée de l'Armée, aux Invalides, d'autres en province
(Toulon... ). Ils ont illustré plusieurs ouvrages dont ceux
consacrés à la 3ème DIA (La victoire sous le
signe des 3 croissants ), à la libération de la Corse,
de Marseille, au service de santé dans la guerre. Certains
dessins du Front d'Orient (Musée d'Histoire contemporaine)
ont été utilisés par les Grecs dans la reconstitution
de l'ancienne Salonique et pour en tirer des cartes postales.
Durant ces campagnes, il trace des centaines de portraits depuis
ceux des généraux - Juin, de Lattre, Leclerc, de Montsabert
-, à ceux des officiers, des simples goumiers, ou des soldats
américains.
Son talent de portraitiste n'était déjà plus
à faire à la veille de la première guerre.
Au
lendemain de celle-ci, il repris cette activité, collaborant
à de nombreux journaux de Paris et de province (La Rampe,
Cyrano, Comédia. ..) ; à partir de 1924, à
l'Echo d'Alger, Terre d'Afrique... croquant ainsi la plupart des
personnalités de l'époque de part et d'autre de la
Méditerranée .
L'inventaire de l'oeuvre d'IRRIERA est presque impossible à
dresser. C'est le résultat d'une activité prodigieuse
et d'une extraordinaire facilité à surprendre l'expression
d'un visage, une attitude, un mouvement. Le résultat aussi
d'un talent très varié: du croquis le plus simple
ou suggestif à l' oeuvre la plus achevée, la grande
toile inspirée justement de ces croquis pris sur le vif au
coin de la rue ou au fin fond des Aurès. Du crayon, à
l'encre de chine, à l'aquarelle au pastel, à l'huile,
dans tous les genres il a su exceller.
Chargé de mission en Orient en 1920, il parcourt le Liban,
la Palestine, puis l'Egypte et le Soudan en 1921-1922. Il en rapporte
ou y laisse une importante moisson de dessins documentaires et de
portraits, dont ceux de Fouad 1er, roi d'Egypte, ou du Gouverneur
anglais de Palestine.
Résidant plusieurs années en Algérie,
il accumule les portraits : personnalités (Gouverneur général
Violette, messieurs Steeg, Dubief, Ginoux, Général
Boichut - commandant en chef des troupes de l'A. F.N .des Caïds,
des Bachagas), de simples particuliers ou enfants, tant au crayon
qu'au pastel, « d'une ressemblance saisissante et d'un coloris
puissant et exquis ». Il s'attache au type populaire et indigène
avec « un sens averti du dessin, de la touche juste, du trait
vivant » (Terre d'Afrique, 1924).
En 1925, pour une exposition au Syndicat d'Initiative
d'Alger, Terre d'Afrique lui consacre un long article dont nous
citons quelques extraits: «Roger IRRIERA est le type du peintre
complet. ..Le paysagiste se révèle sûr de sa
maîtrise. ..La même maîtrise dans les huiles,
encres de chine, pastels », plus loin « tous ces croquis
rapides dont aucun ne ressemble au voisin parce que l'auteur a mis
dans chacun d'eux l'âme même de son modèle...
Quel est le secret d'IRRIERA ? Ce secret, lui-même nous l'a
révélé: « Toute main qui dessine sait
tracer exactement une bouche, un nez, et je ne cherche que les yeux
», et c'est parce qu'il a reçu ce don, rare infiniment
de « saisir » le regard que le moindre de ses croquis
vit, criant de vérité. Comment obtient-il cela ? Il
nous a déclaré ne pas le savoir parce que «
cela » ne s'apprend pas. C'est justement lorsque ce qui ne
s'apprend pas se trouve dans une oeuvre que l'auteur de cette oeuvre
est un grand |