ROGER IRRIERA est le type du peintre complet. ..Le paysagiste se révèle sûr de sa maîtrise. ..La même maîtrise dans les huiles, encres de chine, pastels », plus loin « tous ces croquis rapides dont aucun ne ressemble au voisin parce que l'auteur a mis dans chacun d'eux l'âme même de son modèle.
               

Autoportrait

Roger J. IRRIERA 1884-1957
Il est des hommes chez qui l'amour de l'art, du vrai et de la discrétion font qu'ils
n'apparaissent au premier plan que lorsque s'effacent l'artificiel et les dérives d'une mode
aussi pusillanime qu'absurde. Roger JOUANNEAU, dit Roger IRRIERA est de ceux-là. Son talent très sûr et sa grande simplicité n'ont jamais cédé aux sirènes de l'argent facile et d'un art aussi factice qu'intellectuellement correct.
Dès lors, son chemin s'est écarté des voies toutes tracées d'un monde moderne coupé de ses racines, en panne de simplicité, de spontanéité et d'authenticité. Il l'a mené des coulisses des théâtres parisiens au fin fond du Sahara, le crayon toujours en poche prêt à croquer un artiste célèbre, un roi, un simple artisan avec ce sens inné de l'instantané, cette capacité à saisir l'étincelle, le pittoresque, l'important, la vie. Capable de créer en tout lieu, en toute circonstance, et « la faculté de dessiner en avion, même retourné » dans son escadrille d’ observation ( 1915).
Le goût du pittoresque, de la lumière, de la couleur, l'ont poussé à traverser la Méditerranée. Mais c'est à Bordeaux qu'il est né, « par accident » disait-il car sa famille et sa jeunesse étaient toute parisienne. Ses parents - bourgeois - le poussent à préparer les Hautes Etudes Commerciales, d'où il sort diplômé ( sourire quand on sait la façon très peu hautement commerciale dont il a exploité son talent !). En réalité, sa vocation le réclamait; il n'avait pas pour rien grandi vers le haut de la rue Lepic, et proche de l' « Allée des Brouillards » . Il fait les Beaux Arts où un temps même, il enseigne - temps très court, trop attaché à sa liberté - .
Toute sa vie cependant, il leur restera fidèle, même en partant pour la guerre sans renoncer à son crayon. Il la fera de bout en bout, la seconde comme la première. Blessé ou malade des fièvres pendant la campagne d'Orient, il repartira et comptera six titres de combattant volontaire. Il la fera obstinément, écrivant en juin 40 qu'il ne se considère pas comme atteint par l'armistice. Il la fera comme fantassin sur l'Yser et la Marne, puis blessé et réformé comme radio, puis comme mitrailleur et observateur en avion dans la célèbre escadrille du capitaine COLIS. Il la fera à plus de cinquante ans déjà comme adjudant de blindés puis dans les Forces Françaises Libres, dans les mehallas chérifiennes, « peintre de la guerre », reporter en première ligne avec sa djellaba de goumier et, dans la neige des Vosges, l'hiver 44-45, la « baignoire » du side piloté par un garde mobile! Il a fait tous les fronts, 14 campagnes, 3 blessures, 8 citations, 32 combats en avion, 2 croix de guerre, la Médaille militaire et bien d'autres médailles, barrettes et agrafes. En 1941, invité à signé les papiers pour la Légion d'Honneur, il a répondu qu'il ne jugeait pas le moment particulièrement propice aux distributions de récompenses. Ce qui lui vaudra de la recevoir treize ans plus tard ! De son oeuvre de peintre de l'armée, il reste 3000 croquis de guerre. La plupart sont conservés au Musée de l'Armée, aux Invalides, d'autres en province (Toulon... ). Ils ont illustré plusieurs ouvrages dont ceux consacrés à la 3ème DIA (La victoire sous le signe des 3 croissants ), à la libération de la Corse, de Marseille, au service de santé dans la guerre. Certains dessins du Front d'Orient (Musée d'Histoire contemporaine) ont été utilisés par les Grecs dans la reconstitution de l'ancienne Salonique et pour en tirer des cartes postales.
Durant ces campagnes, il trace des centaines de portraits depuis ceux des généraux - Juin, de Lattre, Leclerc, de Montsabert -, à ceux des officiers, des simples goumiers, ou des soldats américains.
Son talent de portraitiste n'était déjà plus à faire à la veille de la première guerre. Au
lendemain de celle-ci, il repris cette activité, collaborant à de nombreux journaux de Paris et de province (La Rampe, Cyrano, Comédia. ..) ; à partir de 1924, à l'Echo d'Alger, Terre d'Afrique... croquant ainsi la plupart des personnalités de l'époque de part et d'autre de la Méditerranée .
L'inventaire de l'oeuvre d'IRRIERA est presque impossible à dresser. C'est le résultat d'une activité prodigieuse et d'une extraordinaire facilité à surprendre l'expression d'un visage, une attitude, un mouvement. Le résultat aussi d'un talent très varié: du croquis le plus simple ou suggestif à l' oeuvre la plus achevée, la grande toile inspirée justement de ces croquis pris sur le vif au coin de la rue ou au fin fond des Aurès. Du crayon, à l'encre de chine, à l'aquarelle au pastel, à l'huile, dans tous les genres il a su exceller.
Chargé de mission en Orient en 1920, il parcourt le Liban, la Palestine, puis l'Egypte et le Soudan en 1921-1922. Il en rapporte ou y laisse une importante moisson de dessins documentaires et de portraits, dont ceux de Fouad 1er, roi d'Egypte, ou du Gouverneur anglais de Palestine.

Résidant plusieurs années en Algérie, il accumule les portraits : personnalités (Gouverneur général Violette, messieurs Steeg, Dubief, Ginoux, Général Boichut - commandant en chef des troupes de l'A. F.N .des Caïds, des Bachagas), de simples particuliers ou enfants, tant au crayon qu'au pastel, « d'une ressemblance saisissante et d'un coloris puissant et exquis ». Il s'attache au type populaire et indigène avec « un sens averti du dessin, de la touche juste, du trait vivant » (Terre d'Afrique, 1924).

En 1925, pour une exposition au Syndicat d'Initiative d'Alger, Terre d'Afrique lui consacre un long article dont nous citons quelques extraits: «Roger IRRIERA est le type du peintre complet. ..Le paysagiste se révèle sûr de sa maîtrise. ..La même maîtrise dans les huiles, encres de chine, pastels », plus loin « tous ces croquis rapides dont aucun ne ressemble au voisin parce que l'auteur a mis dans chacun d'eux l'âme même de son modèle... Quel est le secret d'IRRIERA ? Ce secret, lui-même nous l'a révélé: « Toute main qui dessine sait tracer exactement une bouche, un nez, et je ne cherche que les yeux », et c'est parce qu'il a reçu ce don, rare infiniment de « saisir » le regard que le moindre de ses croquis vit, criant de vérité. Comment obtient-il cela ? Il nous a déclaré ne pas le savoir parce que « cela » ne s'apprend pas. C'est justement lorsque ce qui ne s'apprend pas se trouve dans une oeuvre que l'auteur de cette oeuvre est un grand

artiste ». Plus loin: « IRRIERA n'est pas venu pour vendre ses toiles à l'Algérie, mais bien pour faire de celle-ci son modèle et en livrer la beauté à la métropole, au monde entier plutôt, car les gravures tirées de ses originaux vont jusqu'en Amérique porter l'image d'une Algérie sans fard, sans faux orientalismes, d'une Algérie prise sur le vif.. .Ainsi ces exquises petites aquarelles, croquis de la route et de la rue, qui reproduites en cartes postales constituent l'effort de propagande le plus artistique et le plus heureux….».
Ces oeuvres ont illustré de nombreux ouvrages: « Ceux d'Algérie » (Duchêne), « Les Mecs du Rif» (Hugues), « Le voleur de lumière » (Boutet), « L'Aurès, escalier du désert » (Rozet), « Algérie, atlas historique géographique », et un ouvrage collectif « L'Afrique du Nord française dans l'histoire » (Albertini, Marçais, Yver, Prigent) parue pour le centenaire.
Des affiches très prisées ont été réalisées pour les Chemins de Fer algériens, pour le Gouvernement général. L'attachement à l'Algérie n'a pas modéré l'esprit bohème. Le peintre est aussi en Tunisie (portrait du Bey, réalisation d'affiches et nombreux croquis), au Maroc (portrait du roi Mohammed V, scènes de rue, petits métiers).
     
 

Yvonne SERGYL
 
     
   
 

Maréchal Alphonse Juin
Chargé de mission, il parcourt à la veille du second conflit mondial l' A.E.F et l'A.O.F en préparation d'une « Histoire de l'Afrique noire française », qui étant données les
circonstances, ne paraîtra jamais.
Après l'armistice de 1945 et jusqu'en 1951, il séjourne à Baden-Baden, « peintre honoraire de l'armée », participant à la « Revue d'information des T.O.A. », illustrant le livre : « Présence française en Allemagne », et achevant son oeuvre pour le Musée de l'Armée.
De retour en Algérie, il réside à OUARGLA en 1952, et y réalise un reportage graphique sur le Sahara qu'il connaît si bien pour l'avoir parcouru à maintes reprises, à dos de chameau, allant jusqu'au Fezzan avec son ami Konrad Killian, célèbre géologue qui affirmait déjà la présence de riches gisements de pétrole dans le Sahara français contrairement à l'affirmation officielle.
En 1953-54, il est à l'Ecole militaire de CHERCHELL, puis jusqu'en 1956, au cercle des officiers d'ALGER, où il participe à l'organisation d'un musée, et peint plusieurs toiles, décors des salles du Cercle. Ainsi durant sa carrière, quand en un lieu il demeurait plus longuement qu'à l'habitude, il
aimait à transposer ses croquis dans de grands tableaux à l'huile. Fatigué, désespérant d'une bureaucratie qui lui laissait entrevoir, sans jamais la lui accorder, une retraite d'officier (il a fini lieutenant), que ses années de guerre, puis de peintre de l'armée auraient dû lui valoir, il vient s'installer à Marseille où vit en famille, sa fille aînée et où il collabore au « Provençal ». Il décède en 1957, à Aix-en-Provence, dans un dénuement presque complet, inquiet pour l'avenir de son fils de quinze ans. Le refus d'un art commercial, artificiel ou industriel, et de la publicité avait rendu difficiles ses dernières années.Au lendemain de sa mort, la « Revue des F.F. de l'Est » a écrit: « Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi simple que lui et qui tenait aussi peu au choses matérielles de la vie », et souligne : « l'aspect combattant de cet homme pacifique, l'un de ceux, en notre temps, qui a aimé la France comme elle veut l'être, pour elle-même et sans haine pour personne. En cela, ainsi d'ailleurs que par sa courtoisie et toute son éducation, un homme aux manières d'aristocrates, sous la bohème du rapin ou l'uniforme inimitablement « réserviste». Las d'une mode exclusive où s'expriment beaucoup de mots savants et peu de talent, beaucoup reviennent aujourd'hui à un art qui sait faire vivre autant la couleur que le dessin par une approche créatrice, mais naturelle. L'orientalisme est de cette tendance et l' oeuvre de Roger IRRIERA, dans toute sa variété, reprend sa place, celle où elle se trouvait dans les années 1930 en Algérie.

Patrick JOUANNEAU

     
 

Le Général de Monsabert
 
     
             
   
 
             
 
Bibliographie :
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ALBERTINI, Eugène, MARÇAIS, Georges, YVER, (G.). – L’Afrique du Nord dans l’histoire. – Lyon : Ed. ARCHAT, 1937.
Atlas Historique, Géographique, Touristique de la Tunisie. – Paris : Horizons de France, 1936.
DUCHENE, Ferdinand. – Ceux d’Algérie. – Paris : Horizons de France, 1929.
MOREAU, (C.A°. – Présence Française en Allemagne.- Paris : Ed. H. NEVEU, 1949.
ROZET, Georges. – L’AURES, escalier du désert. – Alger : Ed. BACONNIER, 1935. TERRE d’AFRIQUE ILLUSTREE.