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ERNEST
COMTE Ambitionnant
le rôle de vedette dans tous les spectacles vers lesquels
se ruait la foule, Ernest Comte, fils de déporté,
avait fait la conquête d’ALGER au tournant du XX°
siècle. Ayant roulé sa bosse un peu partout, il était
même, à vrai dire, regardé avec une extrême
complaisance dans l’ALGERIE entière. Brave et fougueux,
joyeux viveur, ce garçon athlétique était prompt
aux paris les plus extravagants. Assez enclin aux querelles il était,
dans tous les cas, mauvais comme une teigne quand une tête
ne lui revenait pas.
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COMTE
fut tour à tour belluaire, chanteur d’opéra,
lutteur, champion cycliste et pour finir candidat à la députation
contre Edouard DRUMONT. Avant de connaître une popularité
de gros aloi, c’est pourtant comme pourfendeur de fantômes
qu’il se fit connaître.
Dans le quartier du HAMMA, près de la grotte de CERVANTES
et au dessus du Jardin d’ESSAI, une villa qu’on disait
hantée faisait le désespoir de son propriétaire
le baron P…La nuit venue des formes blanches erraient sous
les grands arbres du jardin et on y entendait toutes sortes de bruits
effrayants : longs soupirs de détresse…, froissements
de chaînes.. ; gémissements déchirants. Les
locataires s’étaient empressés de déguerpir
et le voisinage frissonnait de terreur. La police de MUSTAPHA, (la
commune ne sera rattachée à ALGER, qu’en 1903),
était intervenue à maintes reprises mais en vain.
Le mystère demeurait complet.
Mis au courant de ces faits étranges, COMTE décida
de rencontrer le baron. Il lui proposa d’occuper gratuitement
sa maison pendant 2 ans, délai suffisant pour lui faire perdre
sa mauvaise réputation. N’ayant d’autre alternative
sérieuse, le propriétaire s’empressa d’accepter
cette offre originale.
Le jour même équipé d’un énorme
gourdin, d’une solide corde et d’un fusil de chasse,
COMTE se rendit à la villa malfamée. Il repéra
très attentivement les lieux et, dès la nuit tombée,
il vint se poster à l’intérieur de la maison.
Un peu avant minuit deux spectres blancs s’avancèrent
jusqu’au milieu du jardin ; après avoir lancé
de longues plaintes stridentes tous azimuts, ils finirent par se
diriger vers la maison. Sitôt la porte d’entrée
refermée les deux fantômes se retrouvèrent face
au double canon d’un fusil pointé sur eux. Pétrifiés,
ils se plièrent à l’ordre impérieux lancé
par Ernest : « les mains en l’air ! » Sous les
haïks, COMTE découvrit alors la mine déconfite
de deux jeunes musulmans. Promptement ligotés les trublions
furent enfermés à double tour dans une pièce.
Pour plus de sûreté Ernest s’installa sur un
matelas adossé à la porte ; après quoi il s’endormit.
La maréchaussée vint récupérer dans
la matinée ces squatters d’un nouveau genre.
Ayant ainsi gagné un gite Comte évita de le crier
sur les toits…craignant, sans doute par amour propre qu’on
puisse l’imaginer dans la misère, pour se trouver de
la sorte logé sans bourse déliée. |
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A quelque
temps de là un dompteur vint exhiber ses fauves au Casino
de la rue d’Isly tenu par les époux PROVOST. COMTE
lança le pari d’entrer dans la cage aux lions sans
la présence du belluaire. Répercuté jusqu’au
fond des faubourgs l’engagement, risqué, draina une
multitude haute en couleurs. Non content de déchaîner
les éclats de rire par ses mimiques, il subjugua l’assistance
par sa crânerie face aux bêtes sauvages. COMTE ensuite
s’éclipsa et nul ne le revit pendant des semaines.
Quand il se décida à réapparaître c’est
un personnage métamorphosé qu’on put alors découvrir
: cheveux longs « à l’artiste », moustaches
en crocs, barbe en pointe et vêtu comme un milord. |
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Opéra d'Alger |
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A tous
ses admirateurs ébahis COMTE annonça qu’il était
devenu chanteur et que ses débuts à l’Opéra
d’ALGER étaient imminents. Et de fait, après
avoir harcelé quotidiennement monsieur COULANGES le directeur
du Théâtre Municipal, il obtint gain de cause. Ernest
doté d’une voix éclatante, baryton, mais aussi
basse chantante et ténor, interpréta « Guillaume
Tell ». Il fut pathétique et burlesque autant que son
rôle le permettait. C’était en 1895 et jamais
auparavant la scène du Square Bresson n’avait connu
de telles tempêtes d’applaudissements mêlées
de sifflets et de quolibets saugrenus. Ne voulant retenir que les
bravos COMTE sut transformer cet accueil chahuté en un triomphe
unanime. Ce diable d’homme n’en resta pas là.
Ce qu’il allait accomplir ensuite entretint longtemps de passionnelles
joutes verbales à travers la ville entière. Le hardi
Ernest osa défier le colosse GERARDYS qui faisait courir
les foules au Théâtre-Cirque de BAB-EL-OUED. Présenté
sur toutes les scènes d’EUROPE comme l’ «
homme le plus fort du monde » cet hercule arrivait d’une
triomphale tournée en ITALIE. Dès son arrivée
sur le port d’ALGER, et aussitôt débarqué
du « Languedoc » avec 520 kilos de matériel,
GERARDYS avait sidéré les portefaix « biskris
»…. des costauds pourtant … Refusant les tarifs
exagérés qu’on lui proposait l’athlète
loua un charreton . Il chargea ses imposants bagages et s’en
fut par les rampes jusqu’à son hôtel de la place
de CHARTRES…escorté par une kyrielle d’oisifs
aux yeux admirateurs.
Le spectacle de GERARDYS était très impressionnant.
Il jonglait avec des boulets de 30 kilos puis semblait s’amuser
avec des haltères qui en faisait 80. Au beau milieu de son
numéro, il invitait un spectateur à venir s’asseoir
sur une chaise ; prenait ce chargement entre ses dents et parcourait
la scène…. Entre autres tours de force cet authentique
phénomène était inégalable dans «
l’écartèlement humain » : GERARDYS s’enroulait
un cable autour de chaque bras puis 8 spectateurs venaient s’y
atteler de chaque côté. Le colosse joignait alors ses
deux mains avant de donner le signal de l’effort…Malgré
la prime de 1000 francs promise les tractions rageuses et conjuguées
de 16 hommes ne parvenaient jamais à disjoindre les mains
du colosse. C’est à ce personnage, au fait de sa célébrité,
que COMTE osa s’attaquer sans faire aucun cas des ricanements
de certains. Pour abriter ce choc, les 3000 places du Théâtre-Cirque
s’avérèrent bien insuffisantes. Dans une ambiance
de corrida, les deux combattants eurent bien du mal à se
frayer un passage pour se hisser sur le « ring ». COMTE,
héroïque jouteur, survolta le public en parvenant à
faire toucher les épaules de l’ « Atlas ».
Son nom fut dès lors prononcé avec respect dans toute
la ville. Aux quelques détracteurs qui donnèrent à
penser qu’il y avait eu « arrangement » Ernest
fit savoir qu’il les recevrait pour évoquer la régularité
du combat. Ces sceptiques se le tinrent pour dit.
Au cœur de l’hiver 1898, COMTE parvint enfin à
faire l’unanimité. Cette fois là son exploit
« chiffré » ne souffrira d’aucune contestation.
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Alger les Rampes du Port |
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Le cyclisme
brillait d’un vif éclat à cette époque
et tous les journaux étaient remplis des hauts faits des
« rois de la pédale ». Très prisé
en ALGERIE, le « Petit Journal » avait relaté
les exploits de CORRE puis de STEPHANE qui, en métropole,
venaient tour à tour de battre le record des 24 heures sur
piste. L’Algérie n’était pas en reste
: BLIDA, ORAN, SETIF venaient d’être dotés d’un
vélodrome. WILLIAMS, le « terrible NIVERNAIS »,
avait établi le record CONSTANTINE-ALGER en 23 heures et
4 minute ; de nouvelles courses naissaient chaque semaine pour la
plus grande joie d’un public conquis par ce sport nouveau.
COMTE fit annoncer par toutes les gazettes qu’il battrait
le record des 24 heures sur le vélodrome du CHAMP de MANŒUVRES.
Inaugurée en Septembre, la |
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piste
cimentée de 333 mètres, 33 était dûe
aux efforts d’ERNEST MALLEBAY, le directeur du « TURCO
» et de la « Depêche algérienne »,
qui n’avait pas hésité à se rendre à
PARIS pour en rapporter les plans de Paul FORESTIER qui avait réalisé
la piste municipale de VINCENNES. La prétention d’Ernest
COMTE semblait folle, irréalisable. Il n’était
plus de première jeunesse mais surtout il n’avait aucune
préparation pour se lancer dans cet effort de très
longue haleine. Son assurance fit sourire certains algérois
qui le mirent au défi d’aller jusqu’au bout ;
ceux là même qui lui avait démontré l’impossibilité
de réussir. C’était en fait le meilleur moyen
pour empêcher le têtu Ernest de renoncer.
Cet événement déplaça à ALGER
des cyclistes « pros » de métropole mais aussi
le champion d’ITALIE sur piste PONTECCHI. Le transalpin était
fermement convaincu que COMTE ne parviendrait pas à franchir
le cap des 12 heures.
Ernest avait décidé de se mettre en piste à
17 heures. Il était managé par DAVRIL, l’expérimenté
« soigneur » de WILLIAMS, qui avait préparé
les stimulants et autres philtres à décupler l’énergie.
Son vélo ne pesait pas moins de 13 kilos et les cale-pieds
n’ existaient pas….
Bien avant ledépart, un très nombreux public, où
l’on remarquait toutes les « poules » de la ville,
s’était mis à encourager joyeusement le candidat
recordman. Au coup de feu libérateur COMTE s’élança
dans un style puissant et rageur au milieu de vivats sincères
et de quelques lazzis. Bien concentré, régulier, le
pistard bouclait ses tours de pistes rythmés par les encouragements.
Les passages s’enchainaient….
Dans la soirée, le ciel qui s’était peu a peu
chargé de nuages, lâcha ses écluses. Ruisselant,
blême, COMTE baissa de cadence mais resta sourd aux exhortations
qui fusaient pour le forcer à s’arrêter. La pluie
persistante mais aussi le froid eurent tôt fait d’éclaircir
les tribunes. Imperturbable, Ernest continua à mouliner sous
un vrai déluge qui, dans la nuit, transforma la piste en
patinoire. Il fit une première chute dans la boue…
puis une seconde un peu plus tard ; chaque fois il se releva pour
repartir. Dans sa pathétique chevauchée il n’était
plus suivi que par les contrôleurs officiels et quelques poignées
d’irréductibles. A l’approche de l’aube,
alors qu’il pleuvait toujours et qu’il n’avait
pas encore effectué la moitié de son temps, le brave
COMTE eut une crise de désespoir. Frigorifié, les
reins « brisés », le « cœur au bords
des lèvres », il baissa de cadence. A chacun de ses
passages on pouvait entendre ses sanglots rauques et deviner ses
larmes mélées à la pluie. Mais avec une farouche
énergie, cramponné à son guidon, il «
s’accrocha » en puisant jusqu’au fond de sa volonté.
Au lever du jour et la pluie ayant cessé, le vaillant Ernest
put relancer son allure. Revenus au vélodrome par curiosité,
les badauds du petit matin n’en croyaient pas leurs yeux.
Les encouragements reprirent de plus belle et ces bruyants éclats
alertèrent d’autres spectateurs. Attirés par
la poursuite de l’exploit des groupes, puis des vagues humaines,
envahirent les tribunes. Le côté « tartarin »
de la tentative s’était évanoui pour laisser
place à d’admiratifs et respectueux commentaires. La
frénésie populaire fit grand bien à COMTE qui
n’était pourtant pas au bout de son calvaire. Livide,
le visage déformé par l’effort le pugnace champion
était toujours en piste à midi mais il dut encore
souffrir pendant 5 longues heures. A 17 heures le record tombait.
Dans des conditions parfois épouvantables COMTE avait réalisé
l’exploit de parcourir 380 kilomètres ! Dans une ambiance
frolant l’hystérie il fut aussitôt empoigné
par cent bras et porté en triomphe jusqu’au quartier
des coureurs. Là, le héros fut déshabillé,
frictionné à tour de bras et roulé dans des
linges fumants comme une momie ….Toute la ville résonna
de cette performance extraordinaire. D’aucuns pensèrent
qu’il ne se remettrait jamais d’une telle débauche
d’efforts et qu’on resterait des semaines sans le revoir.
Ceux-là c’est sûr, ne connaissaient pas Ernest….le
soir même vers 22 heures, rasé de frais, pimpant comme
un sou neuf, il parut au TANTONVILLE sous les ovations et put savourer
sa nouvelle popularité de recordman cycliste.
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Son exploit
suscita une belle émulation et tous les gamins d’ALGERIE
réclamèrent une bicyclette. Ce fut sans doute le cas
du Blidéen GALIERO et de l’Algérois GODARD qui,
douze ans plus tard, furent les premiers cyclistes d’AFRIQUE
du NORD à s’élancer dans le Tour de France récemment
crée.
Après les intenses émotions du théâtre
et du sport, Ernest fut tenté par celles de la politique.
A l’approche du XXème siècle ALGER, ne parlait
que d’Edouard DRUMONT, que le Maire, Max REGIS était
allé chercher à PARIS pour en faire un député.
COMTE se présenta comme candidat dans cette élection
dont le député sortant était Paul SAMARY.
Cette fois pourtant, le succès ne dépendant ni de
l’énergie ni du courage, il échoua. Ses admirateurs
d’hier lui refusèrent leurs suffrages. COMTE n’obtint
que …4 voix ! La sienne comprise… et ne devança
que de 3 voix le brave père SEMONT, candidat perpétuel
de la liste « Celte-Gaulois » ! Anéanti, estomaqué
par ce résultat, Ernest insinua qu’on avait tripatouillé
les urnes…
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Paul Samary |
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Monsieur Sémont |
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Sa popularité
ensuite, s’atténua lentement. Sa photo en tenue cycliste
n’orna plus que de rares vitrines dans les magasins d’ALGER
et c’est bien tristement que survint sa mort. Un beau soir
d’août 1906, dans la ville presque desertée par
l’exode estival, on apprit sa disparition. On se souvint alors
de ses excentricités et de ses promesses en tous genres et
on imagina un accident.
En réalité le malheureux Ernest était, depuis
des mois déjà, dévoré par ce qu’on
nommait alors la phtisie et c’est le bacille de Koch qui avait
eu raison de ce gaillard si solidement charpenté. Avec la
disparition d’un tel personnage ce fut un peu du vieil ALGER
qui s’en allait. L’ancienne cité des Corsaires
voyait son pittoresque décroitre, « remplacé
de plus en plus par la banale somptuosité des grandes villes
européennes » comme l’écrivit alors MALLEBAY.
John Franklin
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Bibliographie :
ARNAUDIES, Fernand. – Histoire de l’opéra d’Alger.
– ALGER : Ed. Victor Heintz, 1941.
MALLEBAY, Ernest. – “50 ans de journalisme en Algérie”.
Tome 2. – Alger : Ed. Fontana, 1938.
La Revue Algérienne collection 1947-1948
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