DENISE FERRIER
Le sifflement d’un obus, puis un énorme fracas…. Le 24 janvier 1945, à 7 heures du matin, l’aspirante Denise FERRIER aux multiples citations était mortellement blessée à quelques kilomètres de MULHOUSE. La jeune fille, qui venait d’avoir 20 ans, attendait sa première permission pour aller revoir ses parents et sa maison d’HYDRA sur les hauteurs d’ALGER.
 
                   
 
     
   
     
Née le 16 novembre 1924 à l’ARBA, Denise passa son enfance, c’est à dire presque toute sa vie, dans la région algéroise. Son père Henry, ingénieur des ponts et chaussées, sera de 1947 à 1953 conseiller municipal d’ALGER. Sa mère était institutrice. Denise, la plus jeune de quatre frères et sœurs, fit sa scolarité à MAISON CARREE puis à l’Ecole de la rue TIRMAN à ALGER. Très sportive elle évolua à l’ « ALGERIA-SPORTS » et à "l ‘HEURE JOYEUSE " comme basketteuse, aux « Groupes Laïques » et aux « Capucines » comme gymnaste puis au G.S.A.HYDRA pour y pratiquer l’athlétisme.
En 1938, elle fut choisie pour accompagner la délégation française, dans le cadre de la Grande fête gymnastique des SOKOLS à PRAGUE. Elle participa aussi à la fête fédérale de DIJON. Ayant décidé de passer son monitorat d’Education Physique, elle avait commencé ses cours à SAINT EUGENE quand le débarquement « allié » survint.
Quelques mois après ce 8 novembre 1942, les murs des villes d’Algérie se couvrirent d’affiches invitant les jeunes femmes à s’engager. Cette initiative du Général MERLIN, pour étoffer ses effectifs trop limités, entraina l’adhésion de 3000 jeunes filles en l’espace de deux ans. L’officier-mathématicien avait
 
démontré qu’une « merlinette » ou (« chaufferette ») en libérant un téléphoniste, un opérateur radio ou un conducteur, permettait à celui- ci non seulement d’aller combattre mais encore d’encadrer plusieurs néophytes. Décidée à s’engager tout de suite, Denise fut approuvée par ses parents pourtant très inquiets. Des lointaines DARDANELLES son père avait rapporté la Médaille militaire. Elle fut affectée dans le corps des conductrices du 27ème train qui seront formées à ORAN, CONSTANTINE, MARENGO ou CHERAGAS. Les promotions suivirent des leçons de conduite auto, des cours de mécanique, de topographie et de brancardage. Aussitôt prêtes, les jeunes filles étaient envoyées vers les champs de bataille de Tunisie ou acheminaient les blessés débarqués à ALGER vers les hôpitaux dispersés jusque dans le sud.
 
Début mai 1943, Denise signa son engagement pour la suite de la guerre. Tous ses examens réussis, elle opta pour le Corps Expéditionnaire appelé à opérer en France. Un ultime stage de perfectionnement se déroula à l’ALMA durant un mois et demi. Cette épreuve fut très dure et Denise pleura souvent. Les entrainements, parfois de nuit, furent heureusement entrecoupés par quelques moments de détente et de baignade au barrage du Hamiz.
C’est de l’ALMA qu’elle envoya un premier courrier à ses parents. Cent-vingt cinq autres lettres suivront, toutes amoureusement numérotées par sa maman, qui décriront les états d’âme de Denise, ses espoirs, ses craintes et tout ce qu’une jeune fille de son âge pouvait éprouver face à la guerre. Sa dernière missive sera écrite quelques instants seulement avant sa mort.
Le 15 juillet Denise et son groupe furent envoyés à SETIF puis près de TENES, à EL MARSA, où la jeune fille contracta le paludisme. Ce fut ensuite ORAN et une nouvelle crise dûe aux moustiques qui lui vaudra un repos forcé à l’hôpital BAUDENS. Guérie et affectée à une section territoriale, Denise pourra suivre une école de cadres et obtenir le grade d’aspirante. Les 4 mois suivants se passeront en évacuations sanitaires vers les hôpitaux de BLIDA, MILIANA, MEDEA, MAISON CARREE, MICHELET etc…. Permissionnaire en fin d’année 1943, Denise retrouvera ses parents à HYDRA et passera les fêtes en leurs compagnies. Pour la dernière fois…. Car son destin fut scellé 3 mois plus tard lorsqu’elle décida de rallier le 25ème bataillon médical. Formé de volontaires uniquement.
Avec le débarquement en Corse, dès le 5 mai 1944, la discipline se fit plus sévère. Denise avec 7 jeunes filles sous ses ordres, n’eut plus un moment à elle. Fait unique, elle resta 3 jours sans pouvoir adresser un petit mot à sa famille. Le bataillon passa ensuite sur l’île d’ELBE où d’âpres combats se poursuivaient encore. D’innombrables blessés furent secourus et Denise obtint sa première citation. Fin août les ambulancières mirent pieds en Provence. Depuis LA NARTELLE elles furent dirigées sur TOULON, théâtre de rudes affrontements. « Cest la guerre dans toute son horreur » constata Denise dans une de ses lettres.
A partir de là il n’y eu guère de répit avec la remontée vers les ALPES et toujours plus de blessés. Le froid était arrivé… , dans l’ISERE, le DOUBS, les combats s’intensifièrent encore. Bien qu’épuisée la jeune fille ne laissa rien filtrer dans le courrier destiné à ses parents. Ne surtout pas les inquiéter….
Avançant sur les talons de l ‘Armée d’Afrique les jeunes ambulancières firent étapes à MONTBELIARD, BELFORT, MULHOUSE, COLMAR. Denise, affectée aux évacuations du « Régiment d’infanterie coloniale du Maroc », le décrivit comme : « le régiment de reconnaissance qui partout passe le premier ». Dans les paysages enneigés de cette longue bataille, au milieu de tant de dangers courus et d'horreur chaque jour rencontré, elle n’eut guère le temps de récapituler ses émotions. Son régiment sans cesse sur la brèche sera cité à l’ordre de l’armée et Denise, en récompense de son activité incessante et de son courage, obtiendra le « Distinguished Service ».
En novembre la dernière semaine sera tragique pour sa section. Certaines de ses amies seront très grièvement blessées ; d’autres tomberont aux mains de l’ennemi. Pour « évacuation sous le feu », Denise sera citée à l’ordre de la Division en décembre. Le 14 du même mois elle avait reconnu pour ses parents, sa très grande lassitude, tout en concluant avec courage : « mais je ferais comme mon père, j’irais jusqu’au bout ». La rencontre inopinée de Robert, un cousin engagé dans un régiment de chars lui redonna un peu de baume au cœur.
Quelques jours avant Noël, les pilonnages autour d’ALTKIRCH redoublèrent de violence. Au milieu de combats de plus en plus rapprochés les infirmières auront les pires difficultés pour évacuer un nombre, sans cesse croissant, de blessés graves.
     
   
     
Le soir du 31, Denise connut un léger répit, abritée dans un blokhaus à moins de 300 mètres des lignes ennemies. Elle avait déjà longuement fait ses preuves et rien ne pouvait plus affecter son ardeur de secouriste. Elle n’osait jamais évoquer la moindre permission sachant que 4 départs seulement étaient autorisés tous les 10 jours ; et le bataillon comptait 900 personnes… Après une très courte accalmie début janvier, les combats retrouvèrent toute leur violence. Le 21, la section de Denise fit son entrée à PFASTTAT et s’installa dans l’hôpital civil totalement débordé. Le 23, les ambulancières furent envoyées à RICHWILLER pour secourir les blessés au milieu des ruines. Au bout d’une épuisante journée elles purent dénicher un gîte dans une auberge miraculeusement épargnée. L’ennemi avait évacué le village. Une chance encore ! : la propriétaire possédait un piano et après diner on allait pouvoir faire de la musique…. chanter…. Denise était joyeuse ce soir là ; elle avait reçu une longue lettre de ses parents ainsi qu’un télégramme de son père qui lui conseillait de se faire muter à la « territoriale ». En riant elle montra ce message à sa supérieure : « Ce papa ! … » Mais il a raison Denise ! Réfléchissez ! … » répondit mademoiselle
MOHRING.
Puis près d’une amie qui s’était installée au piano, Denise commença à chanter. A ses camarades elle avait appris « ALGER la blanche », chanson pleine de nostalgie sur son pays natal, que toutes avaient maintenant l’habitude de reprendre en chœur au moment du refrain. Plus tard…. après demain ! elles ne pourront jamais plus chanter cette chanson sans éclater en sanglots.
Les jeunes filles fatiguées ne prolongèrent pas cette soirée musicale improvisée. En rentrant se coucher elles entendirent au loin les tonnerres de l’artillerie. Ça promettait pour le lendemain… Dès 6 heures en effet, elles furent réveillées pour faire mouvement. Denise rédigea une rapide missive pour ses parents puis vint effectuer le contrôle technique quotidien de son véhicule. Elle venait de terminer ce « check-up » quand on l’appella pour le petit déjeûner. Elle descendit, releva le marche pied…. L’obus mortel survint alors…
Le lendemain de ce 24 janvier 1945, Denise reçut la Médaille Militaire. Le 17 avril suivant, la Croix de Guerre avec palme lui fut décernée avec la mention « …Jeune Française animée du plus noble idéal, toute imprégnée de la devise de sa section « Franchise et Vaillance », restera pour tous ceux qui l’ont connue et aimée un modèle très pur d’ardent patriotisme et de souriant héroïsme. »

N.B : Considérée comme l’archétype des femmes françaises d’A.F.N. engagées pour la défense de la Patrie, Denise donna son nom à l’un des principales rues d’HYDRA.
Les parents de Denise, attachés à l’Algérie, y restèrent après ce drame. Sa sœur s’installa aux Etats-Unis après son mariage et un des ses frères au Venézuela.
Monsieur Henry FERRIER présida l’association des Anciens des DARDANELLES et des poilus d’Orient. Il animait plusieurs associations de bienfaisance d’ALGER. Il fut également président de la Fédération féminine de gymnastique et d’éducation physique. Décédé à ALGER le 1er janvier 1962, il fut enterré au cimetière de saint Eugène.
John Franklin d’après l’ouvrage de Lucienne Jean-Darrouy
               
   

Hydra par Léon Carré
   
               
 
Bibliographie :
DARROUY, Lucienne-Jean. – Vie et mort de Denise Ferrier. – Alger : Ed. G. DINESCO, 1945.
FAT, Blanche. – Avec l’Armée des Femmes de France. – in LE JOURNAL D’ALGER, 25 juillet 1956.
MORALES, Roger. – Denise Ferrier. – in l’ALGERIANISTE n°6, 1979.
Dépèche quotidienne d’Algérie. – Décès d’Henry-Eugène Ferrier. - 2 et 3 janvier 1962.