LE CHASSELAS DORE DE GUYOTVILLE Tous les ans, à l'approche des premiers jours de l'été, un petit village de la côte Turquoise à 17 kilomètres d'ALGER, entrait en effervescence . La récolte du chasselas n'allait en effet plus tarder et les 5 ou 6 semaines à venir seraient pour GUYOTVILLE l'événement de l'année. Puis à l'intense activité, de nombreuses festivités succèderaient. |
|||||||||||
Tout
commença en 1853, quand Monsieur Charles Pons revint de FONTAINEBLEAU
avec quelques milliers de boutures. Ces plants, d'abord testés
à la Trappe de Staoueli, s'avèrérent une capitale
innovation pour toute la région Ouest du Sahel d'ALGER et pour
la commune de GUYOTVILLE en particulier, car les Guyotvillois firent très
tôt preuve d'incontestables compétences pour produire et
commercialiser ce délicieux raisin de table. Si THOMERY en métropole
attacha son nom au chasselas de qualité conservé tard en
saison, GUYOTVILLE fut le numéro un pour le chasselas précoce
livré dans toute l'EUROPE. Quelques temps après Pons, Louis
Galaud propriétaire des " Dûnes précoces ",
terres en friches non loin du rivage servant à la chasse, introduisit
encore d' énormes quantités de chasselas choisies avec soin
près de MONTPELLIER. Il étudia les vents marins puis établit
un système de protection pour les jeunes plants. La forme, la proportion
et l'orientation de ces abris nécessitèrent de longues et
patientes recherches mais Galaud parvint enfin à fixer des données
précises sans lesquelles toute culture de ce raisin fragile serait
devenue bien aléatoire dans cette région. Pour ses investigations
et ses essais Galaud se rendit dans le Midi de la FRANCE, et partout où
du raisin de table était produit. Il poussa ses recherches jusqu'en
BELGIQUE où les cultures en serre avaient un très grand
développement et il constitua à GUYOTVILLE une très
importante collection de plants. Il envisagea même un système
de canalisations à eau chaude destiné à hâter
la maturité des fruits. GALAUD, né en 1831, fut appelé
le Parmentier algérien car c'est lui qui introduisit et propagea
la pomme de terre hollandaise. Il fut Maire de GUYOTVILLE de 1882 à
1888. Sa fille épousa le Docteur PATRY de CHERCHELL. |
|||||||||||
La cueillette du chasselas à Guyotville. |
Une réussite
brillante vint récompenser cet innovateur qui n'en négligea
pas pour autant les moindres détails de la commercialisation du
chasselas. Pour ce produit, venant à maturité 4 semaines
avant la métropole, il établit un courant d'exportation
régulier et, pour servir de monitrices à la main d'uvre
locale, fit venir des équipes d'emballeuses expérimentées
recrutées à MAUGUIO dans l'HERAULT. Aux premiers résultats
obtenus, GALAUD, dans un but généreux de vulgarisation,
offrit à qui en voulait, des plants de ses chasselas selectionnés.Charles
BERTHIER, fondateur du syndicat d'irrigation de GUYOTVILLE en 1867, fut
un autre ardent propagateur du chasselas. Il demanda, et obtint, l'érection
de GUYOTVILLE comme commune de plein exercice. En 1875, les vignobles de raisins dorés atteignirent CAP CAXINE et ZERALDA mais GUYOTVILLE grâce à son micro-climat, sa qualité de terre, son savoir-faire rapidement reconnu, n'eut plus jamais de concurrent à son niveau. Entre 1950 et 1960, la commune parvenait à produire, quotidiennement et pendant une quarantaine de jours, jusqu'à 30 000 caissettes de 3 à 15 kilos. En quasi totalité pour l'exportation outre Méditerranée. Deux facteurs écologiques importants incitèrent l'ensemble des agriculteurs Guyotvillois à abandonner leur culture première, le blé, pour se consacrer au chasselas, dont les grains brillants et dorés furent vite comparés à un " pluie d'or " venant annuellement récompenser leurs méritants efforts : Le premier facteur touchait à la nature du sol : Des dûnes sablonneuses très anciennes qui restaient fraiches et humides en profondeur en toutes saisons grâce à leur légèreté et à leur perméablité. Des conditions climatiques très spécifiques ensuite : la commune était protégée des étouffants vents d'été venant du sud par le Mont BOUZAREA et la forêt de BAÏNEM ; celle -ci fut réalisée par le Service des Forêts après une décision ministérielle du 20 Août 1852 créant dans tout le Sahel des réserves forestières. De plus, GUYOTVILLE exposée à l'ouest bénéficiait l'hiver des attièdissants vents d'occident . Aux moments si sensibles du bourgeonnage, de la floraison et du mûrissement les variations de températures y étaient infimes. L'ensoleillement était constant après la venaison et les précipitations très faibles dès la floraison. Les seuls inconvénients, et donc dégats, ne pouvaient venir que de la grêle et de la fréquence, ou violence des vents. La grêle ne survenant qu'en hiver s'avérait peu génante en cette période. Elle fut combattue, quand elle arrivait très rarement au printemps, par des tirs de canon effectués depuis les hauteur de la BOUZAREA. Avec plus ou moins de succès. Pour briser les vents, des milliers de kilomètre de haies durent être édifiés. Constituées de roseaux et parfois de cyprès, tous les 4 ou 5 rangs de vigne, ces haies donnèrent aux paysages de GUYOTVILLE son aspect si particulier sur la côte algéroise. Remparts efficaces contre les vents, elles permettaient aussi de conserver une chaleur constante au moment de la maturité des fruits.Les premières exportations vers la métropole,par Messieurs GROS et TARTARIN, effectuées en 1876 furent à l'origine de débouchés tout autant rémunérateurs dans l'immédiat que prometteurs pour l'avenir. Entre 1900 et 1912, l'engouement des cultivateurs pour le raisin doré fut tel que l'étendue des plantations tripla. En 1913 quand Monsieur ROUX de BADILHAC, du Syndicat agricole de GUYOTVILLE, annonça la découverte des premières traces de phylloxera, l'inquiètude fut grande. Tout comme l'anguillule, petit ver s'incrustant dans les ceps, l'insecte minuscule causa d'importants ravages. Les viticulteurs sinistrés recourirent alors aux plants américains plus résistants. Les principaux centres de culture du chasselas restèrent compris dans la trentaine de kilomètres séparant POINTE PESCADE de ZERALDA. Au milieu de cette bande cotière GUYOTVILLE produisait sur plus de 700 hectares à la veille de la première guerre mondiale et devançait largement CHERAGAS et ZERALDA, 100 hectares chacun , et STAOUELI, 200 hectares. Dans cette dernière commune, Messieurs BORGEAUD firent défricher des terres rocailleuses et parvinrent à produire sur 128 hectares au domaine de la Trappe. En 1951, toutes ces superficies ayant doublé les quatre villages produisaient 2164 hectares sur un total de 2365 hectares en ALGERIE. |
||||||||||
Quelques petites exploitations
de chasselas subsistèrent longtemps tout autour d'ALGER. A EL BIAR,
BIRKADEM ,HUSSEIN-DEY, KOUBA, SAOULA, de même que sur la côte
ouest de CASTIGLIONE mais ces vignes, tout comme les excellents cépages
Kabyles d'AMEUR BOU AMEUR ne parvenaient à maturité que
deux semaines après GUYOTVILLE. Trop tard pour concurrencer un
produit déjà expédié sur PARIS, 6/10°
de la production, l'ALLEMAGNE (1/4), en ANGLETERRE, et sans doute aussitôt
dégusté. Sur tous les marchés le raisin guyotvillois
devançait également les produits français d'AGDE,
de RIVESALTES ou bien encore d' HYERES. " Vite " mais aussi " Bien " étaient devenus la règle car des soins très attentifs devaient entourer le délicat chasselas et les guyotvillois furent en peu de temps experts en la matière. |
|||||||||||
Les ceps très bas
du chasselas favorisaient réchauffement et maturation mais exigeaient
par contre la formation de cuvettes pour éviter tout contact avec
la terre. Des effeuillages partiels très fréquents s'imposaient
pour permettre à chaque grain de dorer sous l'effet progressif
du soleil tout en évitant le frottement de la pruine (duvet du
raisin), sur le sol. Pour supporter chaque sarment de petits roseaux devaient
être soigneusement taillés " en fourchette ". La cueillette demandait encore d'habiles manipulations . Par des températures de 35-36°, fréquentes en juillet, il fallait examiner chaque grappe pour ne tailler que les fruits suffisemment mûrs. On employait pour cette opération des ciseaux spéciaux à la pointe recouverte d'une mousse protectrice. Ainsi sélectionnées, les grappes étaient délicatement déposées dans des paniers spécialement aménagés pour les recevoir puis acheminées ensuite sur des charrettes à ressorts renforcés qui évitaient tout risque d'écrasement de la récolte pendant la durée du transport. Un nouveau tri intervenait alors qui était suivi d'un ciselage méticuleux. On arrivait enfin à l'emballage et dans cet " art " consistant à disposer les grappes et à les agrémenter dans des cagettes revêtues de papier-dentelle, les fillettes et les jeunes femmes de Guyotville excellaient. |
Un porte greffe admirable 216-3 de castel pied de 3 ans (collection Goyard) |
||||||||||
Le comte Guyot |
Sur la vente brute le pourcentage
se répartissait ainsi : au propriétaire du vignoble : 50%,
au fournisseur d'emballage : 5%, Les commissionnaires percevaient 9%,
les transitaires (ALGER-FRANCE) : 3% et les compagnies maritimes : 26%. L'acheminement du chasselas suivit le progrès. Au tout début la production des Trappistes de STAOUELI ne pouvait desservir que l'agglomération d'ALGER mais avec la fréquence et l'accélération des relations maritimes, le sensible raisin put atteindre la métropole sans avoir subi d'altérations. Entre GUYOTVILLE et ALGER, d'abord reliés par le service de diligence à 3 chevaux de Messieurs GALIERO et ORIENTI, il y eut à partir de 1901 le petit train ALGER-KOLEA-ALGER qui pendant 34 ans joua un rôle primordial pour le transport régulier des récoltes sur les quais d'embarquement. Les transports routiers reprirent ensuite le relais : GALIERO, autocars bleus, CORTES, autocars rouges, et les sociétés de camionnage : BALLESTER, AMAS etc GUYOTVILLE allait connaître pendant presque trois décennies sa plus belle période. |
||||||||||
Le Comte
GUYOT qui avait vu, de son vivant, son nom choisi pour baptiser
" un pauvre petit village perdu sur le bord de la mer " n'aurait
pas reconnu la ruche bourdonnante du siècle suivant.
C'est à lui en effet qu'avait incombé la tâche de fonder un village de pêcheurs entre ALGER et SIDI FERRUCH, sur instructions du Maréchal SOULT le 28 janvier 1843. Cette région difficile d'accès à l'époque était de plus, triste et désolée. On ne trouva qu'un seul point d'eau potable près du cap ACONATER. Puis les ruines d'un aqueduc témoignant d'un lointain passé et une centaine de dolmens dressés au milieu de ronces et de broussailles. Au grand Rocher enfin, quelques ossements humains , des outils en silex et des poteries très grossières furent mises à jour. La tentative de colonisation maritime échoua. Les produits de la pêche de pouvant être écoulés le maintien des colons pêcheurs s'avéra impossible. Ce fut la misère et peu de temps après la maladie En 1847, SOULT, opta pour une colonisation agricole. Cette initiative fut la bonne, comme nous venons de le voir, surtout quand les concessions de 6 hectares, trop petites, doublèrent à partir de 1852. Dès l'année suivante le préfet d'ALGER après une visite à GUYOTVILLE pouvait écrire : " Je n'ai vu nulle part ailleurs de gens plus contents, plus travailleurs et surtout si reconnaissants ". Rattaché initialement à CHERAGAS, le territoire de GUYOTVILLE fut érigé en commune le 28 novembre 1874. La culture du chasselas, source de richesses inattendues, avait déjà modifié la situation économique de tous ses habitants. Cette culture qui concerna jusqu'à près de 400 petits propriétaires, en majorité d'origine espagnole, convenait tout à fait à une exploitation en famille. Comme l'immense majorité des colons d'ALGERIE, les petits colons Guyotvillois n'eurent jamais mauvaise conscience et pour cause : ils n'avaient spolié personne. Ils créèrent du travail après avoir vaincu mille difficultés et payèrent des salaires. Il était évident que leurs départs entrainerait une régression continue dont les musulmans seraient les premières victimes. John Franklin Bibliographie ayant suscité cet article et consultable au CDHA DEMONTES, Victor : Histoire de Guyotville, Bulletin de
la société géographique d'Alger. Tome 8, 1903. |
|||||||||||