A
LA PORTE DE L'OUED
Auteur : MESQUIDA FRANÇOISE
ISBN : 2747549550
Editeur: L'HARMATTAN
Prix : 14,49 Euros Frais de port : 2,80 Euros.
Editeur : L'Harmattan
Genre : BIOGRAPHIE
Date de Parution : 15/09/2003
Nombre de pages : 180 - ISBN : 2747549550 - EAN : 9782747549554
Extrait des chapitres 11 et 30
Chapitre 11
Ce matin-là n’est pas un matin comme les autres. Il
y a de la bonne humeur et de l’excitation dans l’air.
Mes deux soeurs aînées et maman se sont parées
de leurs plus beaux atours : elles ont un rendez-vous très
important. C’était le 4 juin 1958. De Gaulle visitait
les français d’Algérie, pour une audience. Le
point de chute en était le forum.
Nicole et moi restons à la maison avec papa. Quel dommage
! Tout Alger y sera, sauf nous. Tout ça parce que nous n’avons
pas l’âge de nous noyer dans un bain de foule. Et encore,
les prévisions sous-estiment l’ampleur du nombre !
Papa craint également l’attente dans une station debout
prolongée, à cause de sa jambe. Pour nous consoler,
mes soeurs nous disent, juste avant de partir :
« On vous racontera tout à notre retour ! »
Elles ont attendu le général au forum, sous un soleil
de plomb, paraît-il. Quand le général a fini
à pied son trajet jusqu’au forum, mes soeurs, dépassées
de quelques têtes par la foule, n’ont même pas
vu son képi. Mais elles se sont jointes aveuglément
et à grands cris aux acclamations de cette foule. Enfin,
entouré de galonnés, le général est
apparu au balcon du forum. Et tout le monde a pu le voir.
« C’est lequel ? a demandé l’une de mes
soeurs à ma mère.
- Le plus grand.
Il paraît qu’il dépassait tous les généraux
d’une tête, au moins.
Ainsi apparut le Sauveur. Dans toute sa splendeur. Les deux bras
en V dressés jusqu’au ciel en direction du Père,
et le visage incliné vers les néophytes transfigurés
: ce fut comme une extraordinaire conjonction du Père et
de ses fils. Et puis soudain, le Père eut ces mots magiques
:
« Je vous ai compris ! »
Tout le monde entonna en choeur la Marseillaise. Ce fut la première
fois que mes soeurs chantèrent si fort au grand jour.
Des posters du général circulaient sur le forum. Et
dans leur grande bonté, mes soeurs songèrent à
nous.
« Pour vous consoler, nous dit Jackine à son retour.
Religieusement déroulé, le visage du général
m’apparaît soudain à la puissance dix.
Je demande, étonnée :
- C’est lui, De Gaulle ?
- Ben, oui ! me répond-elle. »
Je m’attendais à autre chose. Un autre général
aperçu dans un magazine, et à la mine plus douce.
Du coup, j’étais déçue. Le général
en papier, à la puissance dix, nous donna à toutes
les quatre l’occasion d’un grand débat : sur
quel mur allions-nous le scotcher ? Face à la chambre que
je partageais avec Nicole il y avait un petit renfoncement. Deux
murs étaient disponibles à cet endroit. L’un
affrontait le grand couloir, l’autre ma chambre. Le choix
de ce dernier mur me lança dans une polémique. Ma
première d’ordre politique. Je déployai l’argument
contre, l’unique en ma possession, mais cause véritable
de la controverse : mon lit tombait pile face au mur destiné
au général ; celui que mes soeurs venaient d’élire.
La perspective d’un vis à vis nocturne ne m’enchantait
guère.
« J’ai pas envie de faire des cauchemars ! »
Aucun argument ne vint s’opposer au mien. Le verdict tomba
donc en ma faveur, et le général dut battre en retraite.
D’un mur ! Et c’est là, sur le second mur, dans
ce petit espace, que le général prit sa place. Tout
près de la porte de notre chambre, face à celle des
commodités. Dans ce choix, aucun acte intentionnel. Nous
respections trop cet homme sur lequel tous les espoirs reposaient
maintenant. Mais c’est sûr ! On n’endort pas les
enfants avec la photo d’un général. Maman non
plus n’aurait pas accepté qu’il soit épinglé
dans son salon, même si par modestie nos murs étaient
dénudés ! D’un point de vue esthétique,
et malgré toutes ses décorations, le général
n’était pas très décoratif !
Chapitre 30
Ce lundi 26 mars aurait pu être un lundi comme les autres.
Mieux encore : à cause des bombes, des enlèvements,
des massacres, de cette guerre en somme ou de la grève -
je ne sais plus - l’école était fermée.
La veille au soir, je ne m’étais pas couchée
avec le cafard provoqué par la perspective d’une longue
et horrible semaine d’école à attaquer, dès
le lendemain. La guerre m’offrait un sursis. Je l’en
remerciais presque. Elle détournait l’attention paternelle
de ma scolarité. Oui, je me croyais en vacances et presque
libre, quasi enfermée dans notre appartement, dans ce pays
en guerre...
Ce matin-là, en place de courrier, il y avait un tract dans
la boite aux lettres. Signé de l’OAS, il demandait
à tous les pieds-noirs de venir, sans armes, sans cris, drapeaux
en tête, porter soutien aux habitants de Bab-el-Oued qui,
privés d’eau et de vivres, étaient prisonniers
des forces de l’ordre. Des bruits couraient sur ce tract pressenti
comme un piège des parties adverses. Papa et maman hésitaient.
Quand l’un disait oui, l’autre disait non. Mes soeurs
et moi espérions secrètement qu’ils y aillent.
Un peu moins de tension, à cause de cette guerre, un peu
plus d’espace et de liberté en leur absence. Enfin,
ils tombèrent d’accord.
Je les regardais se préparer tout en craignant qu’ils
ne se ravisent. Toujours possible avec les parents ! J’observais
mine de rien, pour ne pas trahir ce désir coupable de les
voir partir.
Papa venait de prendre la meilleure décision possible, pour
moi. J’échappais de justesse à la dictée
d’un texte rempli de pièges et dans lesquels, à
coup sûr, je serais tombée. Il aurait enchaîné
sur un problème de trains, d’horaires et de rencontre
à me faire dérailler. Et pour m’achever, il
aurait dérivé sur l’histoire du robinet qui
goutte jusqu’à débordement, à cause de
mon inattention.
Elle, maman, partait avec lui. C’était ensemble ou
rien. Alors, sans aucune alternative... ! Je l’observais se
préparer. Déjà coiffée, habillée
tout de blanc, elle était allée dépendre un
vêtement accroché sur le fil à linge du balcon.
Elle prit son sac noir, il mit sa veste, et ils sortirent. Je ne
sais plus s’ils nous ont dit au revoir en partant... |
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