D'autres enfin allèrent occuper à Paul-Cazelles les places encore chaudes des détenus F.L.N. qui venaient d'être libérés. Ceux-là eurent droit à un voyage spécial. La route est longe d'Alger à Paul-Cazelles. On pouvait tout craindre durant le trajet. Toutes les précautions furent prises et on leur «passa ainsi les menottes comme à des bandits ou des gangsters professionnels. Lorsqu'ils commencèrent d'être libérés une semaine plus tard, ils durent rentrer par leurs propres moyens, l'autorité militaire ne pouvant mettre à leur disposition les véhicules nécessaires.
Des C.R.S., des gardes mobiles, parfois mais plus rarement des militaires, assuraient la garde de ces camps de «
pas prisonniers, mais.... » A Ben-Aknoun où sévissaient uniquement les gendarmes mobiles et les C.R.S., les détenus furent parqués comme des bêtes dans de vastes hangars. Pour toute literie de la paille à même le sol. N'ayant droit qu'à 1 heure de sortie par jour, enfermés donc 23 heures sur 24, portes closes, fenêtres closes, pendant plus de dix jours l'air devint rapidement irrespirable. Certains durent être évacués.
A Château-Holden il y eut même un mort. En effet dès son arrivée an camp, un des prisonniers fit savoir qu'il avait besoin chaque matin de piqûres d'insuline. On refusa de l'entendre et il succomba.
C'est le dimanche 25, à l'heure du déjeuner que des C.R.S. vinrent fouiller l'immeuble où j'habitais avec mes parents. Ils furent corrects et la fouille de l'appartement ne dura pas même cinq minutes. Ils nous demandèrent de descendre avec nos papiers pour un simple contrôle d'identité. On nous dirigea vers le Garage Peyre, près de la Place du Tertre, cœur de la Bassetta, puis plus haut vers des véhicules militaires qui nous attendaient. Sur la colline, à droite, des musulmans assistaient au spectacle, s'avançant même jusqu'aux abords immédiats de la route. Pleins d'assurance derrière un cordon de gardes mobiles, ils exultaient, suant le triomphe. Les «
braves petits gars du contingent » nous firent embarquer à coups de crosses dans les reins, plus de quarante dans un seul véhicule. Sur la colline c'était du délire. Les femmes poussaient leurs «
you-you » et les « braves petits gars du contingent » riaient, riaient. Tout en eux respirait le «
bleu ». Arrivés depuis trois ou quatre mois en Algérie, intoxiqués, ils tenaient leur exploit, eux qui n'avaient même pas participé à la chaude journée du 23. Ils pouvaient tout de même et enfin jouer à la guerre sous les yeux d'officiers indifférents.
Nous ignorions encore notre point de chute. Les camions étaient débâchés. Ils empruntèrent le Boulevard de Champagne jusqu'au «
Triolet », puis ce fut la «
Voie Royale ». Lentement, presqu'au pas, on nous fit défiler par le Frais Vallon, le Climat-de-France, le Marché aux Puces, la rue Marengo, donc la Basse Casbah, autant dire tous les quartiers musulmans qui bordent Bab-el-Oued. Sur les bas-côtés de la route, ils étaient tous là. C'était leur jour de gloire ; ils l'attendaient depuis si longtemps. Nous fûmes ainsi insultés, lapidés par une foule hystérique, crachant en même temps sa haine et sa joie. Jadis, à Rome, traînant leurs prisonniers, les généraux vainqueurs montaient au Capitole pour le triomphe. Nous arrivons ainsi à Beaulieu. Nos rapports avec nos gardiens qui étaient des coloniaux du contingent, furent au début très tendus. Les officiers avouaient leur impuissance à commander leurs hommes : «
Ils étaient de tout cœur avec nous ; ils ne nous considéraient en aucune façon comme des tueurs, mais leurs hommes ne comprenaient pas et il fallait les ménager ». Dans notre baraquement les lampes restèrent allumées durant toute la première nuit. Deux hommes veillaient à l'intérieur, P.M. armé. |
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