les gendarmes mobiles prennent en enfilade chaque artère et
tirent à priori sur les façades de tous les immeubles.
 
     

Les gendarmes mobiles prennent en enfilade chaque artère et tirent à priori
sur les façades de tous les immeubles.

 

A 14 heures commence, en fait, la vraie bataille de Bab-el-Oued, celle qui va mettre en œuvre, non seulement les commandos O.A.S., mais dans toutes les rues, sur toutes les terrasses, toute la population. C'est à cette heure, en effet, que les premières rafales de F.M. partent du Frais Vallon en direction de la Bassetta. La Bassetta c'est ce vaste secteur compris entre l'Avenue de la Bouzaréa prolongée, le Boulevard de Champagne et la rue Cardinal-Verdier. Si Bab-el-Oued est le bastion sacré de l'O.A.S., tout le monde a toujours considéré que la Bassetta formerait le dernier carré. Et la Bassetta répond.

 

De toutes parts on tire sur les gendarmes mobiles qui tentent d'installer des barbelés pour boucler le quartier. La fusillade est générale. Sur les terrasses, sur les balcons, dans les encoignures des portes, derrière les voitures en stationnement, à chaque carrefour, des civils prennent place, armés aussi bien de lance-grenades que de 7,65. Certains ont passé un ceinturon et des cartouchières sur leur complet et tirent calmement, sans s'affoler. C'est la bataille de rues avec tout ce que cela comporte de désordre et de confusion et qui risque de s'éterniser, car avec leurs seules troupes à pied, les forces de l'ordre sont incapables de venir à bout de gens à qui pas un pouce de terrain n'est étranger.
Alors les blindés commencent à s'infiltrer par le haut du Boulevard de Champagne. Ils sont attaqués au bazooka. Des terrasses pleuvent grenades et cocktails Molotov. A bord d'half-tracks, crispés sur la détente de leurs mitrailleuses lourdes 12-7 et 30, les gendarmes mobiles prennent en enfilade chaque artère et tirent à priori sur les façades de tous les immeubles. Personne, je crois, ne peut, aujourd'hui encore, oublier leur visage. Blêmes, les yeux fous, ce n'est pas la haine ou la rage qui les taraude mais quelque chose de pire, la peur ; la peur la plus vile, la plus basse, la plus lâche, la peur physique, la peur panique, celle qui vous tord les boyaux. Ces futurs vainqueurs n'ont rien d'humain ; ce ne sont plus des hommes, encore moins des combattants, seulement des loques, des bêtes traquées. Et lorsque, dans quelques heures, enfin satisfaits, ils mettront Bab-el-Oued à sac, c'est moins à Martinez ou à Lopez qu'ils penseront qu'à leur peur récente. L'ordre avait décidément ce jour un, bien sinistre, un bien pauvre visage.
Déjà et pour la première fois les canons de 37 se font entendre Avenue des Consulats, près de l'Hôpital Maillot, alors qu'au square de la Place du Tertre, la fusillade fait rage. Au dernier étage d'un immeuble, rue de Normandie, face au siège du S.A.B.O., on est allé chercher dans une buanderie le couvercle d'une chaudière et, à l'abri derrière ce bouclier d'un autre âge, deux civils tirent à la mitraillette en direction du square, tandis qu'un troisième remplit les chargeurs. | Lire la suite |