Mourad Kaoua député d'Alger
 

Intervention du député Kaoua

A 16 h. 25 le 25 mars 1962 . Le député d'Alger M. Kaoua au volant de sa voiture, est arrêté aux barrages. Après avoir exhibé ses papiers, il est autorisé à passer. Derrière lui se présente une ambulance de la Croix Rouge conduite par une Jeune fille, elle passe sans difficulté.
Puis c'est un fourgon funéraire chargé de fleurs qui est stoppé, les gendarmes le fouillent longuement avant de l'autoriser à poursuivre sa route.
Un pick-up d'un apparemment privé dont les fenêtres sont grandes ouvertes clame à tous les échos le chant des partisans


Bab-el-Oued en hibernation


L'étau des forces de l'ordre s'est encore resserré autour de Bab-el-Oued cerné de toutes parts, investi quartier après quartier, selon un plan de progression concentrique. Depuis hier, craignant une tentative de sortie des commandos O.A.S. le commandement a pris de nouvelles mesures. Des hommes du génie, en combinaison étanche, armés de bazookas, la musette de grenade et le masque â gaz en bandoulière ont pris position à l'entrée des égouts du quadrilatère interdit

     
 

Les habitants de Bab-el-Oued s'installent et s'organisent peu à peu dans leur sorte de cloître. Mais c'est le ravitaillement qui est aujourd'hui leur souci essentiel. Par un système de va et vient installé d'immeuble à immeuble, de fenêtre à fenêtre, on échange des bouteilles de lait, les flûtes de pain, les couffins de légumes et de fruits que les Algérois du centre ont apporté ce matin par camions entiers, parfois un pain vole d'un balcon â l'autre.
De loin en loin un camion de l'armée équipé d'un haut parleur diffuse des messages de reddition. Le camion circule dans les rues désertes, rappelle à la population que le couvre-feu est maintenu et que personne ne doit apparaître aux balcons. Le nasillement du haut parleur est recouvert par les cris, les injures, les coups de sifflet des assiégés.


« Nous soignons nous-mêmes nos blessés »


Dans les immeubles, les femmes sont en robe de chambre, les hommes de 18 à 55 ans, le manteau à portée de la main, sont habillés, pré la à être " embarqués ". Un millier d'entre eux environ été ainsi emmenés vers les centres de tri depuis le début des perquisitions. Certains ont pu réintégrer leur domicile après un bref interrogatoire d'identité. Beaucoup d'autres sont gardés par les militaires. Le service d'ordre déclare « Tout Bab-el-Oued sera fouillé maison après maison, tous les habitants en seront contrôlés les uns après les autres, ça durera ce que ça durera... »
Dans certains milieux bien Informés on estime que ces opérations réclament trois semaines.
Les blessés des combats de rue de vendredi en tout cas ne sont pas sortis ce matin comme le préfet de police les y avait invites. Les gens de Bab-el-Oued, ou d'ailleurs, obéissent à un mot d'ordre, deviennent muets à peu près lorsque l'on aborde le chapitre. « Les blessés, il y en a, oui. mais nous les soignons nous-mêmes... Nous avons nos blocs opératoires et nos médecins. » Il est impossible de leur arracher autre chose.

   
                   
 

« Nous n'avons trouvé que de la bricole »

Jusqu'à présent nous n'avons guère trouvé que de la bricole, disait à midi un capitaine de C.R.S. " Des fusils de chasse, quelques armes individuelles, des vêtements militaires... Or nous savons que Bab-el-Oued est un véritable arsenal et il faudra bien que nous découvrions leurs stocks ! " Mais, pendant ce temps, sur des véhicules militaires stationnés près du P.C. des forces de l'ordre, au bar « Triolet ». des jeunes gens viennent coller sur les pare-brise un papillon tricolore portant l'inscription « Je suis Français ».

 
   
 
Huit cents arrestations ont été opérées à Bab-el-Oued depuis vendredi soir Jusqu'à aujourd'hui dimanche 14 heures, apprend-on de source officielle.
Les personnes arrêtées ont été dirigées vers des centres de tri. Au cours des perquisitions opérées aujourd'hui, ont été récupérés, entre 8 et 16 heures : 30 pistolets, 10 fusils, 16 grenades, un camion plein d'effets militaires.
D'autre part, les magasins d'alimentation et les pharmacies de Bab-el-Oued pourront ouvrir de 6 heures à 8 heures du matin, annonce la préfecture d'Alger, mais seules les femmes sont autorisée à y faire des achats.
Le communiqué de la préfecture indique également que les forces de l'ordre ont reçu l'ordre de s'opposer aux collectes organisées pour la population de Bab-el-Oued.
   
                   
     
Appartement après la fouille par des CRS
 

Troisième nuit de siège

A l'Intérieur du « périmètre interdit ». En plus des sections de fantassins dont les hommes ont postés de 5 mètres en 5 mètres, des patrouilles de Jeep sillonnent sans cesse les rues vides sur lesquelles tombe peu à peu la nuit. Derrière les volets clos, de timides et tremblotantes lumières vacillent. Sous les pins d'Alep qui bordent le cimetière d'el Kettar. Des tirailleurs ont allumé des feux de camp. Leurs ombres se découpent sur les flammes dansantes.
En bas, dans le silence, Bal-el-Oued s'installe dans sa troisième nuit de siège.
Sur les hauteurs, plusieurs pelotons de chars M 24 pointent leurs canons et leurs mitrailleuses vers les maisons situées en contrebas. Au total, ce sont quatre régiments de l'armée blindée, appuyés par des bataillons d'infanterie, qui assurent le bouclage de Bab-el-Oued. Tandis que C.R.S. et gendarmes mobiles perquisitionnent.
La Croix-Rouge Française a été autorisée à pénétrer dans Bab-el-Oued.
Une certaine émotion se serai manifestée chez les avocats d'Alger. Le bâtonnier a été alerté à la suite de faits qui se seraient déroulés à Bab-el-Oued avant-hier samedi, notamment au 37 rue Mizon. Les gendarmes mobiles ayant effectué des perquisitions dans cet immeuble auraient, avant de partir, détruit des appartements en y jetant des grenades. La raison donnée serait que des tirs auraient été effectues depuis le toit de cet Immeuble.
Le conseil de l'ordre s'efforce de dresser la liste des lieux où ces faits se seraient déroulés. Les avocats rappellent qu'en droit français le principe de la répression collective est absolument inadmissible.

 

Explosions, rafales d'armes automatiques, voiture piégée dans le centre et le sud d'Alger


ALGER. 25mars 1962
-Vive agitation dans la nuit de samedi à dimanche, dans le centre et le sud d'Alger. On a compté de nombreuses explosions, des tirs d'armes automatiques dans la banlieue de Maison Carrée. A 21 h. 30, notamment, une patrouille a essuyé des coups de feu depuis la Cité Radieuse. Les militaires, dont deux ont été blessés, ont vigoureusement riposté. A 22 h. 15, retentissait une explosion suivie du tir prolongé d'armes automatiques.
Dans le centre d'Alger, boulevard Saint-Saëns, une voiture piégée a explosé, à 21 h. 10, blessant quatre personnes dont trois militaires de la coloniale, le lieutenant Le Pey, les soldats Hamon et Jambon et une musulmane Mme Sabaoui. L'engin était commandé à distance par pile et par fil quatre autres véhicules ont été endommagés.
A Fort de l’Eau, ce sont les gendarmes mobiles qui à 21h ont tiré sur une voiture, tuant M. Georges Cordard. 22 ans instructeur, et blessant M.Davezac et Laraki.


Des dégâts considérables


L'animation a repris ce matin dans le centre d'Alger, où la circulation automobile est dense pour un dimanche et où les passants ont nombreux. Les ménagères font leurs achats. Tous les commerces d'alimentation sont ouverts et, parfois, il y a queue, notamment devant les boucheries. Les marchés sont abondamment approvisionnés. Les musulmans ont tous installé leurs étals, rue Michelet, des familles entières, père, mère et enfants, le missel à la main, se rendent à l'office dominical. Ailleurs, des petits groupes se forment. On discute sur le trottoir. Les cafés qui, tous, ont levé leurs rideaux, sont encore vides. Ce n'est que vers midi que leurs tables seront « lies, au moment de l'anisette.
Boulevard Saint-Saëns. débris de verre et gravats de toutes sortes, témoins des fusillades du 22 mars, jonchent encore le sol. Près du tunnel des Facultés, des curieux se sont assemblés. Un peu plus haut sur ce même boulevard, des bouquets de fleurs sont accrochés au grillage qui protège un arbre frêle, nouvellement planté. Sur la vitrine d'un magasin, une pancarte : « Ici le 22 mars, un de nos camarades est mort glorieusement pour l'Algérie française. » Une femme passe, fait le signe de croix, reprend son chemin.
D'autres explosions ont dans le même secteur, tordu les volets métalliques des magasins, arraché des fenêtres et des stores, les façades ont également subi de gros dégâts et des débris de pierre, de briques, de plâtras encombrent les trottoirs.
Après s'être rendu compte de L'ampleur de dégâts, les passants reprennent leur chemin, qui vers l'église, qui vers un marché, qui vers son domicile.
Dans les rues du centre, les militaires ne patrouillent presque plus et au tunnel des facultés, aucune force de l'ordre n'est visible. | Lire la suite le témoignage d'une victime |