Amédée Froger occupe une place éminente et inoubliable. Né le 23 mai 1882 à Philippeville, Froger tout jeune licencié en Droit fut mobilisé dans les Zouaves. Il accomplit une guerre de 14-18 douloureuse mais brillante. Marqué dans sa chair par de terribles blessures reçues sur le front ennemi et décoré de la Croix de Guerre sur place, il s'avéra inapte pour l'Infanterie. Froger décida de reprendre du service dans la 1ère Aviation de combat (Nieuport) et se révéla comme un pilote militaire d'une valeur exceptionnelle. Le 28 décembre 1915, son avion fut abattu entre Soissons et Paris. Il resta trois mois dans le coma et fut reconnu invalide à 75%.
Il s'installa à Boufarik dès la fin des hostilités et fut élu au Conseil général de l'Arrondissement en décembre 1919. Il en deviendra le Président de 1937 à 1944. Ayant fait son entrée au Conseil Municipal en 1922, il succéda trois ans plus tard au maire, le docteur Péduran. Cette même année, il entra aux Délégations financières et au Palais Carnot, se spécialisant dans les problèmes de transports maritimes, très aigus à l'époque.
Ses interventions sages et mesurées, et toujours très biens documentées firent autorité.
En 1948, dès la création de l'Assemblée algérienne, Froger fut élu délégué de la 14e circonscription (Boufarik). Apprécié par ses collègues des deux assemblées pour son exquise bonté et la sûreté de ses jugements, il fut élu à l'unanimité Président des Maires d'Algérie. Il sera également, de longues années, vice-président de la Fédération des Maires de France.
Dans sa commune, et bien avant que des lois en fixent les impératifs, Amédée Froger réalisa d'innombrables œuvres sociales touchant aussi bien la Santé Publique que l'Habitat ou l'Education. Pour rendre hommage aux immenses sacrifices des générations passées, il contribua très activement à faire ériger le Monument au Génie colonisateur de la France. Par sa rectitude sans faille et son ardeur combative, Froger faisait l'orgueil des boufarikois. Son grand cœur et ses qualités altruistes firent converger vers lui, au fil des ans, des amitiés sans nombre. Véritable guide et chef digne de ce nom, Froger emportait l'estime de ses rares adversaires, séduits par sa simplicité et sa spontanéité. Ce fin lettré qui n'avait de plus grande joie que la lecture des Classiques, avait la poésie pour violon d'Ingres. Ce dernier penchant fut un levier pour son action et un refuge contre l'ingratitude. En effet, le paradoxe de son existence fut de passer aux yeux de certains pour le porte étendard d'une prétendue oligarchie terrienne ; lui qui, d'un total désintéressement, ne posséda jamais d'autres biens que le trésor d'une vie familiale heureuse, l'affection de ses très nombreux amis et les fruits de son labeur quotidien. Le président Froger était aussi un très brillant causeur dont les conversations riches d'anecdotes et de souvenirs littéraires marquaient les mémoires.
Plus que tout, cet homme était attaché à sa terre natale. Ses ancêtres de Bretagne s'étaient installés en Algérie en 1836. Le 6 février 1956, agrippé aux grilles du Square Laferrière, houspillé par les forces de police d'un gouvernement d'abandon, il fut le premier à crier son amour pour la patrie bafouée en hurlant ce qui devint notre devise : « Algérie française ! » Ses obsèques rassemblèrent une foule impressionnante, venue de tout le pays. Les terroristes ne respectèrent pas ce deuil : quatre bombes provocatrices explosèrent dans les églises du Sacré-Cœur, de St Vincent de Paul, de Ste Marie de Mustapha et dans la Cathédrale. Une cinquième, sournoisement dissimulée dans le cimetière de St Eugène, ne put produire l'effet meurtrier escompté : l'interminable cortège ayant été ralenti tout au long du parcours, cette bombe éclata « trop tôt » ! Le meurtrier du président Froger fut arrêté, quelques semaines après son ignoble forfait, par les légionnaires parachutistes du colonel Jeanpierre. Condamné à mort, à une époque où on ne refusait pas d'appliquer une sanction sous prétexte d'ignorer le crime, il fut exécuté le 25 juillet 1957.
John Franklin.
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