SOUVENIRS INÉDITS
Témoin des premiers mois de 1962, Serge Jourdes raconte dans le détail les différents événements qu’il connut en Algérie, de janvier 1962 au 22 juin de la même année.
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Quarante cinq ans se sont écoulés, les souvenirs restent très présents dans ma mémoire.
Aucun d’entre nous ne peut oublier cette période où, du plus humble au plus grand dans l’organigramme de l’Organisation, nous avons refusé le parjure, ayant dans nos cœurs cette devise latine :potius mori quam foedari (plutôt mourir que de se déshonorer). Ci-après un flash pour me situer au sein de l’OAS durant le premier semestre 1962.
L’arrivée à Alger en janvier
Après mon procès et quelques mois passés à la prison de la Santé à Paris, pour ma participation au putsch des généraux en avril 1961, Pierre sergent m’a proposé, à la demande du colonel Godart, de rejoindre l’OAS à Alger. Départ le 26 janvier 1962 de Marseille avec le colonel de Sèze, après trois semaines de semi-clandestinité passées dans une ambiance tendue, en attendant mon départ. Je suis agréablement surpris à mon arrivée, en rade d'Alger, où le jour se lève, de voir une vedette de la police venir nous chercher : à son bord, nos amis de l'OAS. Le colonel de Sèze ira voir le général Salan, moi je suis dirigé vers une planque où mes amis viennent me voir. L'OAS tient la ville; l'Organisation, grâce à Roger Degueldre (Delta), a pu contrer les équipes des barbouzes envoyées par le pouvoir gaulliste. Cette lutte fut impitoyable, il a fallu répondre coup pour coup. Articles et commentaires de la presse nous ont présentés comme "les grands méchants", oubliant les sévices et tortures qui nous étaient infligés quand nous tombions dans les griffes des "gentils du pouvoir".
Premier rendez-vous avec Yves Godart, un conseil : "Le colonel Gardes souhaite que vous restiez dans le département d'Alger". Je suis nommé commandant de la zone Ouest Mitidja, sous l'autorité de Jean-Claude Perez, responsable de l'ORO (Organisation, Renseignements, Opérations) et de Roger Degueldre, patron du BAO (Bureau Action-Opérations) qui sera un maillon important entre ses anciens camarades de l'armée et l'OAS.
La zone OAS Ouest Mitidja
Mon adjoint est Norbert Phal, dit "Stéphane", il a rejoint l'OAS après le putsch et organisé la zone (Boufarik, Blida, Marengo, Cherchell, Tipaza-Castiglione), garçon intelligent et courageux, il a sauté sur Diên Biên Phu. Nous nous partageons les responsabilités de la zone, il gardera les finances et le groupe "action" composé de six hommes.
Mission prioritaire en ce qui me concerne: contact avec l'armée grâce à Roger Degueldre afin d'organiser le ralliement d'éléments de l'armée condition sine qua non pour espérer enfin obtenir l'adhésion physique et massive des Pieds noirs.
Avec Stéphane, nous décidons de rester à Alger où notre sécurité et notre hébergement sont assurés dans de bonnes conditions. Autre avantage : être en contact permanent avec J.C. Perez et R. Degueldre.
Grâce à Roger Degueldre, j'ai une vraie fausse carte d'identité au nom d'Henri Cazes. Pour mes déplacements mon ami Henri Zammit, en accord avec M. Marcel Weckel (directeur général de l'EGA: Electricité et Gaz d'Algérie), m'a procuré une carte professionnelle de contremaitre des "Lignes et Postes", qui me permet de circuler sans problème dans tout le département d'Alger. J'aurai même à plusieurs reprises la possibilité d'utiliser un Land Rover de dépannage, avec échelles et isolateurs.
Missions : organisation, renseignements
1 - Avec les responsables civils de l'OAS.
À Blida : le responsable est le docteur Boilet, homme d'une grande compétence. Il sera enlevé et découpé à la hache par le FLN. À Cherchell, Marengo, El Affroun: des responsables efficaces qui seront en contact avec l'armée et maintiendront l'ordre dans leur secteur.
2 - Avec les responsables militaires.
Au PC de J.C. Perez à Alger, boulevard du Télemly, je rencontre régulièrement Roger Degueldre. C'est lui qui me donne tous les contacts avec les militaires qui nous fourniront armes, munitions, explosifs et les ordres de missions et renseignements qui nous permettront de mieux circuler. Nous aurons ainsi des appuis à Blida, Tipaza (1e le Choc), El Affroun, Castiglione, Cherchell (École militaire), Marengo, des rapports avec certains patrons de Harkas qui suivront (si leurs chefs s'engagent). À noter que nous avons créé à Souma, près de Boufarik, un centre logistique devant permettre la survie pendant quelques jours, d'éventuels ralliés à l'organisation. D'où l'établissement d'un plan de dispatching pour stocker dans les fermes amies du matériel et de la nourriture. En fait, et malgré les promesses, les ralliements furent rares et individuels.
Maquis dans la zone
Maquis implanté à Ouedjer
Jacky Perez, le frère cadet de Jean-Claude, organisera et prendra le commandement d'un maquis d'une quinzaine de jeunes garçons des quartiers du Ruisseau et du Champ de Manœuvre d'Alger.
En transit, ce maquis fut implanté près du village de Ouedjer. Ma visite sur place me rassure, car je constate qu'il est sous la protection de l'armée. Lors de la création du maquis de l'Ouarsenis, ce petit commando prendra le train, parti de Maison-Carrée le 28 mars vers 2 heures du matin, avec les 80 Deltas de Roger Degueldre. Quatre de ces jeunes garçons trouveront la mort dans l'opération de l'Ouarsenis qui fut hélas un échec.
Maquis implanté à Meurad
Charles, le responsable OAS de Marengo, m'informe qu'il a récupéré une dizaine de rescapés du maquis de l'Ouarsenis et qu'il les a installés près de Meurad à quelques kilomètres de Marengo. Ils sont sous sa protection avec pour mission d'assurer la sécurité du Bachagha Larradji. Avec Henri V..., responsable de l'OAS d'El Affroun, je vais à Marengo. Avec Charles, nous passons la nuit à Meurad, où le Bachagha me demande: "si la France va le laisser aux mains du FLN ?". De retour à Alger, je vois le colonel Gardes, c'est lui qui réglera le problème du retour en France du Bachagha et des siens.
Début avril 1962, le responsable du maquis, un jeune lieutenant, on l'appelle "Béatrice", vient m'informer qu'il dissout le maquis. Six hommes trouveront refuge dans la ferme de Roger Daboussy, aux environs d'Alger. Avec Stéphane nous allons les voir, nous sommes inquiets. Ils seront arrêtés et emprisonnés à Tizi Ouzou. C'est encore le colonel Gardes qui interviendra pour les faire libérer. Ils rentreront en France grâce à Marcel Weckel,
le patron de l'EGA, qui me procurera les six billets pour leur retour.
Vers le 15 juin, je retrouve Jean Gardes chez "Jiménez". Il s'occupe du départ de Stéphane et de moi-même, en nous faisant incorporer comme moniteurs dans une colonie de vacances. Départ le 22 juin, direction Le Luc, dans le Var.
Le 5 août 1962, le lieutenant Godot nous transmet les instructions de Pierre Sergent : "Dissolution de l'OAS Algérie".
De retour à Paris
Début octobre 1962. Je suis toujours en situation irrégulière et sans travail. Je revois à Paris Jean-Louis Tixier-Vignancourt et Jacques Isorni. Même conseil : partir, ou reprendre mon identité.
Le 17 octobre 1962, ministère de l'Intérieur, je rencontre le commissaire Frigola, rendez-vous pris par Tixier, même langage avec une menace : « Dans 36 heures je lâche les chiens ».
Le soir même, Marcel Weckel me réintègre à mon poste d'ingénieur d'essais, Centrale Thermique EGA Paris.
Début 1963, grâce à Jacques Isorni et Georges Bidault, je suis muté à la Compagnie Nationale du Rhône à Lyon, comme ingénieur principal.
Fin d'un épisode de ma vie, que je garde jalousement dans ma mémoire et dans mon cœur. Une des dernières rencontres avec le colonel Gardes, après un souper chez des amis en 1977, Jean, me raccompagnant à mon hôtel à Paris me dira : « Serge, nous avons sauvé l'honneur, mais quel gâchis ».
Sans commentaire.
II y a eu des Pieds Noirs extraordinaires, mais la grande majorité furent "pour nous" mais pas forcément "avec nous". Quant aux musulmans, ils attendirent que les meilleurs gagnent, une grande partie aurait souhaité que la France reste.
Serge JOURDES |