La colonisation, l'esclavage et nos armées
L'Histoire, c'est aussi une collection de fautes, de crimes et de tyrans, chez nous comme ailleurs. Louis XIV et le sac du Palatinat, le Terreur, etc. Cela dit, raconter l'Histoire en partie simple, où les Français et les Européens seraient capables d'horreurs que les autres se seraient gardés de commettre, c'est à la fois simpliste et faux.
La colonisation a aujourd'hui mauvaise presse. Je saisis mal comment on peut à la fois vouer aux gémonies la colonisation européenne passée, et prôner aujourd'hui le devoir d'ingérence au Congo ou au Darfour. La situation au Darfour ou en république démocratique du Congo serait-elles pires aujourd'hui que celles qu'Archinard ou Lamy rencontrèrent en Afrique, il y a un ou deux siècles ? J'observe tout d'abord que nul ne se permet de mettre en cause les colonisations musulmanes et turques qui se poursuivirent du VII° au XIX° siècles, jusqu'à ce que nous les arrêtions. Or les Turcs laissèrent de forts mauvais souvenirs au Liban, en Syrie et en Jordanie. Relisez Lawrence d'Arabie et les Sept Piliers de la Sagesse !
Comme mon ami l'ambassadeur de Coignac, je crois que la colonisation européenne fut le moins mauvais moyen que l'on ait trouvé pour partager les techniques et les richesses, pour faire évoluer les mentalités et pour arrêter d'intolérables abus. En Amérique latine, dans le Pacifique, en Afrique, la colonisation a permis d'arrêter les sacrifices humains : un cas de cannibalisme en AOF fut encore jugé en 1952. Je voudrais insister sur le problème de l'esclavage, remis à la mode par Madame Taubira, Dieudonné et leurs compères. Après la malheureuse expédition menée à Haïti de 1791 à 1803, par les troupes de la Révolution et de Bonaparte, pour tenter d'y maintenir notre domination et l'esclavage, à partir de 1830, nos armées ont lutté contre la traite négrière, en particulier en Afrique, et notre pays a interdit l'esclavage à partir de 1848. Quel Etat musulman en fit autant ? Quel auteur musulman ou africain critiqua colonisation et esclavage avant le XX° siècle ?
Rappelons que l'on estime que, du XV° au XIX° siècle, environ 40 millions d'Africains furent capturés par des négriers noirs ou musulmans. 11 millions furent vendus sur les côtes de l'Atlantique aux négriers européens et déportés aux Amériques. 17 millions furent vendus en Afrique du Nord et au Proche-Orient par les négriers musulmans. 12 millions furent vendus en Afrique noire. (O. Pétré-Grenouilleau : Traites négrières, 2004. Le piège des mémoires antagonistes, professeur G. Meynier, Le Monde du 12 mai 2005)
L'expédition d'Alger en 1830 mit fin à la piraterie en Méditerranée et permit de libérer 30 000 esclaves. Les livres scolaires en Afrique présentent Béhanzin, Samory, Rabah comme des résistants, alors qu'ils furent aussi des négriers. Nos troupes coloniales arrêtèrent la traite négrière en Afrique occidentale et centrale à partir de 1875 avec Savorgnan de Brazza. Oui, il fallut recourir à la force. En 1911, deux ans après notre arrivée à Abéché, au Ouaddaï, dans l'Est du Tchad actuel, voici ce qu'écrivait le commandant Hilaire, futur général : « A la base de l'organisation sociale ouadaienne, sa pierre angulaire, était encore en 1911 l'esclavage, la captivité de case, c'est-à-dire la domesticité à vie, faisant partie des biens de famille et en constituant même l'article essentiel. Cet esclavage constituait l'unique main-d’œuvre du pays. La captivité de case, familiale, héréditaire et inaliénable, n'avait rien de barbare, de cruel. Il en allait, hélas, tout autrement de la traite extérieure, qui avait constitué, jusqu'à notre conquête, le principal trafic d'exportation du Ouaddaï, vente intensive d'esclaves jeunes ou adultes, des deux sexes - et même, hélas, si je puis dire - d'un troisième, l'eunuchat, le mieux payé. L'atroce mutilation se pratiquait en grand - c'était l'occasion de grandes fêtes - avec une révoltante sauvagerie, sur de malheureux enfants résignés, au prix d'une mortalité de 60 %. Un captif, sous les anciens sultans, se vendait couramment pour un fusil Gras, Martini ou Remington, soit 40 francs. Et, à la côte, l'esclave, lorsqu'il y arrivait, était revendu suivant l'âge, le sexe, la force, la beauté, de 200 à 500 francs or. Les jeunes eunuques, qui faisaient prime pour les harems de Turquie, dépassaient notablement ces prix. Il va de soi que nous arrêtâmes net cette traite extérieure. Il suffit de rigoureux exemples sur des négriers obstinés pour y mettre un terme rapide et définitif. Quant à l'esclavage de case, nous arrivâmes patiemment, à la longue, c'est-à-dire au bout de cinq ou six années d'occupation, à le supprimer ». (Du Congo au Nil, par le général Jean Hilaire, ASCG Marseille 1930) Le commandant Hilaire se trompait : les troupes françaises interceptèrent au Tchad en 1919 le dernier convoi d'esclaves destinés à l'Arabie.
Jean SALVAN (décembre 2005) |