CARNET DE
ROUTE A MADAGASCAR par Michel LAGROT
Madagascar, deux ans après les élections
présidentielles qui ont bouleversé le paysage politique
et amené au pouvoir par un coup d’état le président
Ravalomanana, est encore en convalescence. Le dictateur marxiste
Ratsiraka, après avoir ruiné son pays en 29 ans de
pouvoir presque continu, s’est réfugié en France,
bien sur : il avait expulsé tous les Français à
sa prise de pouvoir en 1972, ce qui le désigne tout naturellement
à la sympathie de nos gouvernants….il n’en néglige
d’ailleurs pas pour autant les faveurs bancaires de la Suisse
!
Politiquement, le pays se stabilise : une forte opposition subsiste
seule dans le nord-est, fief des Betsimisaraka, ethnie du président
déchu, tant il est vrai que dans la grande Ile, tout est
affaire de clans et de tribus. L’ensemble de la population,
affamée par 30 ans de régression, nourrit d’immenses
espoirs : on perçoit ça et là, d’ailleurs,
des signes de déception et d’impatience ; mais le nouveau
président jouit de la confiance de l’étranger
et il réintègre peu à peu le pays dans la communauté
internationale. Il en a bien besoin : pendant presque 2 ans, l’économie
s’est effondrée, les recettes fiscales ont chuté
de 80 %, le tourisme a disparu, le chômage s’est vertigineusement
accru, et le redressement ne peut venir que de l’extérieur…
Pourtant le règne a commencé par la commande, en toute
priorité, d’un Boeing 737 à usage exclusif du
président, dénommé, excusez du peu, «
Force one », sur le budget public, ce qui augure mal de la
suite…Il faut préciser que « Marc », comme
on l’appelle familièrement, est un homme d’affaire
avisé : multimilliardaire, il possède depuis longtemps
le trust des produits laitiers, plus récemment celui des
boissons non alcoolisées et des huiles alimentaires, et médite,
dit-on, de mettre la main sur l’industrie de la canne à
sucre. C’est au moins un bon gestionnaire de ses propres affaires,
qui a su se faire aider par les américains, et dont il est
l’homme lige : c’est pourquoi sa campagne électorale
présidentielle, après qu’il eut conquis la mairie
de Tananarive grâce à eux, a été axée
en partie sur des attaques virulentes contre la France, téléguidées
par les USA…
Or, qu’en est-il de l’influence française là-bas
? On est surpris de constater que, 43 ans après l’indépendance,
le pays reste très francophile et aussi très francophone
: quel plaisir d’entendre parler par un vieux pousse-pousse
de Tamatave, formé « à l’ancienne »
par un instituteur, un français qu’on aimerait entendre
de la bouche d’un de nos baveux de la télé !
Et la France reste encore la référence pour tous,
malgré les maladresses et les bourdes de nos politiques,
telles par exemple que la reconnaissance tardive du nouveau régime
par notre diplomatie, laquelle n’a pas compris que la francophobie
affichée pendant la campagne n’était qu’un
gage donné à l’Amérique…le catastrophique
danseur mondain qui nous sert de ministre des affaires étrangères
a encore sévi, sans doute fort de ses brillants résultats
en Cote d’Ivoire !.. ; N’empêche, notre pays vient
d’inaugurer un lycée français tout neuf à
Tana, et pour une fois on pourra s’en réjouir, tant
il surgit en terrain favorable…
Influence française, disais-je, mais aussi respect de cette
France coloniale si vilipendée chez nous : partout les rues
ont gardé les noms (et les vieilles plaques) des Joffre,
Lyautey et surtout Gallieni, lequel est présenté dans
nos manuels scolaires comme le « boucher de Madagascar »
: c’est avec émotion qu’on découvre derrière
les guichets de la Grande Poste de Tana un immense planisphère
de l’Empire colonial français remontant aux années
trente, scrupuleusement entretenu, avec toutes les routes maritimes
de nos messageries, comme la marque d’une nostalgie entretenue
des deux cotés, complices à travers une histoire occultée…émotion
encore de savoir que le 14 juillet est célébré
avec ferveur à Diégo Suarez, dans les pas de la Légion
Etrangère, par les anciens combattants malgaches , fiers
de leurs décorations pendantes !
Un signe discret et nouveau également : l’Ile Rouge
avait été couverte, dans tous ses villages, de monuments
célébrant la date du 29 mars, marquant le début
de l’insurrection nationaliste anti-française de 1947,
considérée comme l’acte fondateur de la République
malgache ; or, on peut voir maintenant presque partout qu’un
badigeon de chaux blanche sur ces dalles reçoit une nouvelle
date, celle de la proclamation d’indépendance le 26
juin 1960.
Quelques indices d’un renouveau économique, résultat
de la confiance dont jouit désormais le président
à l’extérieur, après qu’il eut
fait la manche dans nombre de capitales : des travaux routiers importants
sont menés dans le nord par la Colas, et on peut même
voir des ponts en cours de réfection. Il faut savoir que
depuis le départ de la France en 1972, pas un coup de pinceau
n’a été donné sur un ouvrage de génie
civil ; que les ligne de chemin de fer joignant la capitale à
Tamatave et Fianarantsoa, orgueil de la colonisation, indispensables
à la vie du pays, sont devenues si dangereuses, faute d’entretien,
que le trafic est suspendu sine die. J’ai pu voir à
Andasibe, derrière une énorme gare de style normand
( !), la voie ferrée totalement obturée par un village
qui, en quelques mois, s’est construit sur les rails…Les
ponts Eiffel écroulés dans les rivières sont
remplacés par des bacs de pirogues…Il faut 3 jours
en 4x4 pour aller de Tana à Diégo, 450 Kms impraticables
quand il pleut (200 jours par an).
Dans ces conditions, l’Ile, en voie de sous développement,
contrairement à la terminologie correcte, depuis 30 ans,
ne peut qu’espérer. La population des campagnes s’est
spontanément repliée sur une économie rurale
qui n’avait pas disparu et personne ne meurt de faim, sauf
dans les quartiers pauvres de Tana où certains déshérités
ont un sort véritablement tragique. La situation sanitaire
n’est pas brillante, surtout chez les côtiers où
les CSB (centres sanitaires de base) sont inefficaces, bien qu’approvisionnés
en quinine et en médicaments, à cause de l’inaptitude
des populations à appliquer un programme de soins ne cadrant
nullement avec les pratiques du sorcier traditionnel !
Il faut constater par ailleurs que Madagascar, exportatrice de riz
à l’époque française, ne nourrit plus
sa population ; il s’ensuit un déboisement par le feu
qui est la plaie du pays, causant d’immenses dégâts
totalement irréversibles. On estime que la grande forêt
primaire, une des merveilles écologiques de la planète,
une précieuse ressource en bois exotiques de grande valeur
également, a disparu à plus de 75 %...malgré
l’action de l’ANGAP, un organisme de gestion écologique
créé et financé par les américains,
qui a le mérite d’avoir créé des parcs
naturels protégés, nombreux et très visités.
Cet organisme, d’ailleurs, n’échappe pas à
la corruption ambiante, et les Malgaches ont astucieusement évincé
les fondateurs de sa gestion pour se livrer à cette occasion
à des pratiques douteuses… lesquelles ne se limitent
pas à ce domaine, mais se développent parfois dans
des structures maffieuses telles que celles qui prolifèrent
autour de l’exportation de la vanille, l’or parfumé
de la côte Est : il faut avoir vu les gousses transportées
par avion dans des caisses scellées, de crainte des attaques
sur la route, s’être trouvé arrêté
à l’entrée des villages producteurs par des
hommes qui fouillent les voitures à la recherche de la vanille
volée, savoir que ce trafic sert à des Chinois au
blanchiment d’un argent venu d’ailleurs, pour comprendre
que rien n’est simple dans ces contrées au visage innocent.
Par ailleurs, sur les hauts plateaux où les vols de bétail
par l’ethnie des Baras sont traditionnels et confinaient au
folklore, ils relèvent maintenant du grand banditisme : l’opinion
s’est émue récemment de l’attaque d’un
village par une bande, armée de kalachnikov, qui a brûlé
vive une famille de 7 paysans enfermés dans leur grenier
à riz, pour lui voler son troupeau. Et puis les récentes
« ruées vers le saphir » dans les régions
centrales, avec la création de cités bidonvilles en
pleine nature, sont contrôlées de près par les
maffias thaïlandaises…
Sur ce terreau fleurit une autre plaie, je veux parler des ONG,
organismes « caritatifs », défenseurs du pauvre
et de l’orphelin, qu’on voit partout se pavaner en 4X4
de luxe et fréquenter les hôtels à journalistes
plus que les villages Sakalaves... pire encore, servant parfois
de couverture à des activités pédophiles financées
par l’argent de la charité européenne ; exception
pourtant, des missions religieuses installées et respectées
depuis longtemps et poursuivant en silence une œuvre admirable.
A ne pas confondre avec certaines missions religieuses ou scientifiques,
récentes et provisoires, qui ne sont en réalité
que des organismes de renseignement ou de pénétration
politique étrangère ; les universités américaines
sont puissantes et actives !
Ces constats pessimistes peuvent être faits peu ou prou dans
toute l’Afrique noire, mais Madagascar possède un énorme
atout : son insularité l’a mise à l’abri
de la contamination africaine, lui épargnant les horreurs
des guerres tribales et des désordres endémiques du
continent. Le voyageur aventureux qui craint le tourisme de masse
(pas demain la veille !) et se régale des petits hôtels
«coloniaux » ou des descentes en pirogue a encore de
belles virées devant lui : avis ! Et puis pour l’avenir
du pays, une certitude, hélas : quel que puisse être
son développement, il est par avance absorbé par la
folle démographie de l’Ile. Nul besoin de statistiques
pour s’en convaincre, le sympathique et terrifiant spectacle
de la sortie des écoles dans n’importe quel village
de la brousse suffit…. Michel Lagrot
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