Tizi-Ouzou par Edouard Scotti
 

Tizi-Ouzou porte et capitale de la Grande Kabylie


Situé au cœur de la Grande Kabylie, cet humble village va prendre son essor. Après l'affrontement avec les Français, les Kabyles considèrent que sans perdre leur âme, leur personnalité, sans abandonner leur langue, le " tamerzight " ou " tamazirt ", ils peuvent désormais travailler leurs terres, cultiver leurs figuiers et leurs oliviers. Commence alors, pour le pays Kabyle, une période de relations fructueuses, avec les commerçants et artisans installés entre bordj et douar.
Un rapport du 16 mai 1872 de la commission du centre propose l'aménagement de plusieurs sources situées sur le Belloua, susceptible de fournir un débit de 86 litres à la minute. Ce débit permettrait la construction d'une nouvelle fontaine sur la place. L'alimentation en eau serait alors suffisante. Il signale aussi la sécheresse de cette année qui influence le débit de l'unique fontaine du village. Les puits sont taris. " Et l'on peut être certain que si une année semblable se reproduit, lorsque les nouveaux colons seront fixés à Tizi-Ouzou, la pénurie d'eau sera complète, elle produira alors un véritable désastre ".Afin de prévenir les effets de cette pénurie d'eau potable, un projet d'alimentation est présenté par M. Thiebaud. Il propose d'installer une pompe à vapeur qui refoulerait l'eau de l'oued Sébaou à Tizi-Ouzou. Cela en dépit d'une dénivellation estimée à 80 mètres au-dessus du niveau de la rivière. Cette station d'élévation des eaux sera construite ultérieurement. L'alimentation en eau, sera ainsi assurée à partir des sources du Belloua, complétées par les apports de l'oued Aïssi et du Sebaou. Dans son rapport sur la période du 18 au 25 juillet 1873, le chef de bataillon Ed. Juiniay, signale que l'installation des colons est toujours subordonnée à l'envoi d'un plan du village, mettant fin à une situation précaire, et que les colons alsaciens et lorrains demeurés français, sont toujours dans l'attente de voir commencer les travaux de construction pour leur installation à Bou-Khalfa.


L'urbanisation de Tizi-Ouzou





Entre le douar Belloua et le bordj, subsiste un vaste espace en pente relativement peu accentuée. C'est à partir de cette zone d'échanges entre deux versants de vallée, située sous le fort que vont se déployer les grandes artères de Tizi-Ouzou. Dans cette ville administrative et commerciale au confluent des deux Kabylies, l'une ancestrale, profondément ancrée dans ses traditions et l'autre ouverte, dynamique, résolument tournée vers l'avenir, s'installent, fonctionnaires, militaires, artisans, mais aussi des médecins, avocats, etc.
Mettant à profit ce potentiel de locataires solvables, des familles kabyles avisées fait construire de petites maisons le long de ces avenues et notamment sur la partie haute du boulevard Beau prêtre et dans la rue principale qui deviendra plus tard la rue Ferdinand Aillaud.
Ainsi les familles Belhadj Hamoutène et bien d'autres, construisent de petites maisons en pisé, la pierre de taille, trop chère est réservée aux édifices publics, Mairie, Justice de paix, Banque. Ces maisons basses à simple rez-de-chaussée, comportent déjà 3 ou 4 pièces distribuées autour d'un couloir. Dans la partie arrière, une buanderie, un petit poulailler, un jardinet.
Dès son origine, Tizi-Ouzou, qui n'est encore qu'un village s'articule autour de deux vastes places, elles-mêmes séparées par la grande rue, future avenue Ferdinand Aillaud. En arrivant par la route de la gare et de Mirabeau, le voyageur trouve la place de la mairie et de la poste, bordée par l'hôtel Lagarde avec sa terrasse, hôtel qui deviendra plus tard celui de M. Koller. Dans le centre, en contrebas de l'église Saint-Eustache, une autre place, sur laquelle se retrouvent les gens du village et où se déroulent les concerts et les grandes fêtes. La grande place est, elle aussi, traversée par la route de Tamda et d'Azazga vers Bougie.


Le douar Belloua




Face au bordj, le douar s'agrippe au flanc du djebel Belloua (695 mètres) qu'il recouvre jusau'à mi-hauteur, sur un peu plus de quatorze hectares. Les hommes travaillent à Tizi et le soir remontent avec les achats faits au marché ou en ville. Les tuileries briqueteries, huileries et ateliers de triage des figues occupent une importante main-d'œuvre. Au douar, les femmes élèvent de la volaille, confectionnent des objets de vannerie sur lesquels il est aisé de découvrir dans les coloris et les dessins un art typiquement kabyle.
Dans les champs environnants, quelques fellahs, en période de semailles enfouissent des grains d'orge avec une araire tirée par un mulet et un âne. Fin mai, début juin, on retrouve ces mêmes animaux, tournant sans arrêt sur des aires de dépiquage. Tableau d'un autre âge: des femmes soulevant à la fourche de bois, la paille et les glumes, que le vent sépare du grain.
Dans les années vingt le promeneur accédait au djebel Belloua par un petit sentier serpentant entre les champs avant de s'enfoncer dans une forêt de chênes-lièges.
Le soir par temps calme, des fumées bleutées traînaient sur les toits de tuiles. Dans les ruelles des enfants poussaient un vieux pneu ou un cercle de futaille, cerceau improvisé, ou dévalaient en chevauchant une carriole faite de planches montées sur roulements à billes.
Le douar Belloua était administré par les notables de la " djemaâ " dont le président était en 1901, M. El Hadj Madhiou avec la qualité de caïd. Lors de l'investiture de M. Madhiou, le jeudi 6 février 1901, le Dr Huchard maire, lui remettait solennellement en présence de M. Tournier, administrateur et de nombreux conseillers municipaux, un burnous rouge frangé d'or.
Le douar ne cessera de se développer. En 1948, il abritait 2 300 familles comprenant 10 105 personnes.


La fontaine des orangers





Après le douar et le cimetière, à travers les arbres et les rochers, le sentier débouchait sur la maison du garde forestier. L'incessant gargouillis de l'eau coulant dans un bassin de pierre, annonce une fontaine délicieusement fraîche. La " fontaine des orangers " domine la vallée du Sebaou dont les eaux coulent 500 mètres plus bas, sous la route en corniche, mince ruban, qui suit les méandres de l'oued avant de le franchir sur le pont de Bougie. En automne les fleurs de cyclamen jaillissaient sous les touffes de fougère. Gorgés d'eau et de soleil, les orangers au printemps, embaumaient ce balcon sur le Sébaou, d'où montaient l'écho d'un appel en kabyle, le braiment d'un âne ou le klaxon d'une voiture signalant prudemment sa progression dans les virages de la route étroite et sinueuse construite en surplomb, de l'oued.
Un haut lieu de Tizi-Ouzou
Dès 1858 et avant l'arrivée du chemin de fer, des diligences tirées par quatre ou six chevaux, suivant les étapes à parcourir, assuraient les relations entre Alger et Tizi-Ouzou. Au cours du trajet, en passant par l'Alma, Ménerville, Bordj-Ménaïel, des " fondouk " assuraient aux passagers des pataches gîte, couvert et aux chevaux litière et picotin d'avoine après une harassante étape da ns le froid, la neige ou sous le sirocco. A Tizi-Ouzou, en 1887, M. Joseph Tuduri ouvre à l'entrée du village l'hôtel des postes, situé maison Laune et Carbonel dans la Grande Rue. Le 3 février 1888, M. Joseph Lagarde devient propriétaire de l'hôtel des postes, dont l'activité sera très profondément modifiée par l'arrivée de la voie ferrée. L'hôtel Lagarde deviendra le centre de l'activité économique, politique et mondaine de la sous-préfecture avec toutes les réunions électorales, les conférences ainsi que des concerts. Après M. Féiix Lagarde, c'est M. Joseph Lagarde fils qui, le 1erjuillet 1905, prend la succession de son frère. Par la suite l'établissement sera plus connu sous le nom d'hôtel Koller.

Le chemin de fer arrive à Tizi-Ouzou

A partir de 1877 le réseau des Chemins de Fer Algériens de l'État, prolonge vers l'est le tronçon Alger-Maison-Carrée. Ce tronçon long de 10,300 Km sera mis en voie double à compter de 1893. En 1881, cette ligne à voie normale reliera Maison-Carrée à l'Alma et à Ménerville (43 km) pour être par la suite en 1886, prolongée de 52 km jusqu'à Tizi-Ouzou.En 1887 et en l'étude de Me Pareux, notaire à Alger, la société des Chemins de Fer de l'État achète à M. Boyer André et à Mme née Marie-Rose Viola une parcelle de 2 ha 69 ares 13 ça pour y construire la future gare de Tizi-Ouzou. Le mardi 13 mars 1888, à 17 heures, un premier train d'essai arrive en gare de Tizi-Ouzou, après un trajet relativement rapide. La mise en service définitive est cependant retardée par un glissement de terrain dans la traversée de Bou-Khalfa. Une grève des ouvriers employés sur la " variante ", (déviation) de BouKhalfa, retarde encore l'inauguration.





Enfin, le dimanche 10 juin 1888, se déroule la grande fête d'inauguration de la gare: discours des autorités, avec banquet, mat de cocagne, jeu de la poêle, repas des aveugles, jeux de ciseaux pour les demoiselles, jeux du baquet, des pots cassés, courses en sac.
La gare, située à 1800 mètres de la localité, sur la route départementale de Mirabeau à Ménerville est voisine du marché du samedi. Elle devient vite un but de promenade dominicale.
En 1937, après la construction de la nouvelle gare, les trains de voyageurs arrivent en ville à proximité immédiate de la mairie et des grandes artères du centre ville.
Avec l'affectation aux forces alliées en 1942 des locaux d'enseignement, les enfants suivent les cours dans cette nouvelle gare jusqu'en 1945, où le bâtiment est réaffecté à la S.N.C.F.A. pour ses services de voyageurs.
Tizi-Ouzou, est aussi un important centre de pénétration. Une route ombragée franchit le pont de Bougie, remonte vers le nord-est, le cours du Sébaou jusqu'à Tamgout pour desservir les villages de Tamda, Mékla et de Fréha. Vers le sud-est, la route relie Tizi-Ouzou à Fort-National et Béni-Mansour.
A partir de Tizi-Ouzou des services de diligences et, par la suite, des autobus de marque Berliet, puis Saurer, exécutent les liaisons avec les Ouadhias, Boghni, Azazga et Michelet. En 1902, l'entreprise de M. Pierre Provenzano, assure à 13 heures et à 23 heures un service de Tizi à Fort-National. Vers 1910, Ies petits autobus de la société Passicos, plus rapides, conduisent au retrait définitif des vieilles pataches.
Vers la fin des années trente, les cars de la Compagnie Amar assurent la liaison routière Alger-Tizi-Ouzou par Ménerville, Bordj-Ménaïel. Plus tard cette ligne passera sous le contrôle des Messageries de la Grande-Kabylie.
Ces robustes véhicules voyagent toujours à pleine charge, le toit encombré de sacs, petits meubles, colis divers et animaux, chèvres ou moutons entravés, notamment les jours de marché. Les liaisons Tizi-Ouzou-Azazga sont assurées par les gros autobus de marque Saurer de l'entreprise Vaucelle. Stationnement au départ d'Alger sur le bastion central, départs à 13 h - 17 h et 17 h 30. La vie à Tizi était alors rythmée par les arrivées et les départs de ces services auxquels il convient d'ajouter ceux de l'entreprise Deschanel.


La poste en pays kabyle





A Tizi-Ouzou, la poste a, dès son implantation, pris une grande importance. Dans un premier temps avec les militaires qui y tenaient garnison, puis avec les colons, commerçants et artisans qui s'y sont par la suite installés. Le premier bureau de poste a, surtout depuis le début de ce vingtième siècle, reçu en abondance, courrier et mandats en provenance notamment de la région parisienne et des départements du nord et de l'est, ainsi que de l'étranger, Belgique, Etats-Unis, Canada.
Dès cette époque les Kabyles émigraient volontiers pour subvenir aux besoins de leur famille.
Le premier receveur, M. Clovis, Eugène Clerc est entré dans l'administration en 1869, affecté à Tizi-Ouzou en 1879, il meurt subitement le 14 mars 1902, après vingt-trois ans de bons et loyaux services. Ses obsèques civiles se déroulent au milieu d'une très nombreuse affluence le samedi 15 mars 1902 à 14 heures.
Venant d'Affreville, M. Nadal, succède à M. Clerc, le 29 mars 1902, jusqu'au 6 juillet 1907, date à laquelle il sera remplacé par M. Campagnal, le 27 juillet 1907. L'ouverture d'un deuxième guichet est demandée avec insistance en raison de l'importance du volume de courrier et de mandats traités. Enfin, vers 1908, le déplacement de ce premier bureau est envisagé avec l'acquisition par l'administration des P.T.T. d'un terrain, très bien situé en face de la mairie, appartenant à M. Larané.
En 1948, Tizi-Ouzou abrite 1 412 foyers représentant 6 320 personnes, sans compter 43 931 habitants de Guynemer et des douars environnants, Belloua, Betrouna, Maatkas, Sikh ou Meddour, Zemenzer.
Par décret en date du 11 septembre 1873, la ville de Tizi-Ouzou est érigée en commune de plein exercice, avec un territoire de 3 059 hectares. Parmi les premiers magistrats de la commune, nous relevons en 1873: Maire, M. Boyer; adjoint, M. Boulard; conseillers municipaux, MM. Ferdinand Aillaud. Barthet, Dubreuil, Bernard, Pépe, P.H. Martin, Berthon.
A l'orée du XXe siècle, Tizi-Ouzou, va connaître une ère de croissance favorisée par la salubrité de son climat et un grand dynamisme inhérent au tempérament entreprenant et industrieux de sa population, de ses commerçants et artisans.
En 1902, la population de Tizi-Ouzou et des douars environnants est forte de 25 662 personnes dont 1 446 européens. Au début du siècle, Tizi-Ouzou s'éclaire encore à la lampe à pétrole. La population demande la construction d'une usine de production électrique pour l'alimentation des habitations, des moteurs et du poste d'élévation d'eau du Sébaou.
Urbanisation, construction d'habitations, adduction, épuration, assainissement, desserte des villages environnants, vont à partir de cette époque, retenir l'attention de toutes les municipalités successives.
Les premières municipalités seront très longtemps confrontées à une douloureuse mortalité périnatale: les familles Leutnegger et Muller, entre autres, seront affectées par la perte d'un enfant; mais en fait toutes les tranches d'age sont concernées.
Sont à l'origine de ces affections intestinales, les eaux de ruissellement du Belloua qui, avant de s'infiltrer dans la nappe phréatique, traversent les zones surpeuplées du douar, où elles se chargent de germes pathogènes.
Les inhumations d'enfants sont si nombreuses que lors de la session ordinaire, tenue le 12 novembre 1908 à la maison du peuple le maire est autorisé par le conseil municipal à faire l'acquisition d'un " poêle ". Ce drap couvrait les petits cercueils et ses cordons étaient tenus par des enfants durant la marche du cortège funèbre.


Les cultes à Tizi-Ouzou




Les religions sont bien représentées à Tizi-Ouzou. Pour les musulmans une mosquée a été construite vers 1865, en lisière du douar Belloua.
En 1895, le muphti de Tizi-Ouzou est Si Mohamed ould Sadok ben Ahmed qui sera remplacé en 1901 par le muphti Ben Zekri.
Le Kabyle est un croyant, il a le sens du sacré. Il respecte le monothéisme judéo-chrétien.
Il ne confond pas l'appel lancé par les cloches de l'église Saint-Eustache, avec celui lancé par le muezzin du haut de sa mosquée, mais l'admet et le comprend.
Dans cette première moitié du siècle, le Kabyle considérait alors que les croyants, musulmans, israélites et chrétiens, lançaient un message et un appel à un seul Dieu, tout puissant et miséricordieux, dans des langues et avec des moyens différents.
L'église Saint-Eustache de Tizi-Ouzou, s'élève à proximité de la place centrale, en face de la sous-préfecture et du monument aux morts.
En 1888, le chanoine Augan, accueille un jeune vicaire nouvellement ordonné prêtre, qui assure, en outre, pendant une année, la charge d'aumônier militaire; né près de Chambéry le 2 août 1865, Joseph Bollon, répondant à l'appel de l'épiscopat algérien arrive à Alger en 1882 avec un condisciple, Augustin Leynaud, futur archevêque d'Alger. (cf " I'Algérianiste " n° 43 de septembre 1988).





En 1901, ces deux ecclésiastiques, sont remplacés par M. Ie curé Deyrieux et par le vicaire Morthout. En 1930, le chanoine Garganico est en charge de la paroisse.
Auprès de la communauté protestante, c'est le pasteur Lasserre qui exerce son ministère en 1880. Son action porte surtout sur la formation professionnelle des jeunes garçons et jeunes filles. Le pasteur Célestin Philit, lui succède jusqu'en 1902. Son œuvre sera poursuivie par le pasteur Emile Rolland.
Très connue et appréciée à Tizi, la " mission " implantée en bordure du douar Belloua abrite un " ouvroir " où les petites filles kabyles apprennent la vannerie, le tissage et s'initient aux soins ménagers.
L'apostolat de la famille Rolland ne s'est pas limité à former des mères de famille, l'enseignement dispensé aux garçons comme aux filles, a permis à un certain nombre d'entre eux de faire des études universitaires débouchant sur des carrières de médecins, de juristes ou de journalistes.
Durant la guerre de 1914-1918, la famille Rolland sera douloureusement éprouvée. Deux de ses enfants y laisseront leur jeune vie.
–Daniel Rolland, le 16 juin 1915,
–Samuel Rolland, le 25 juillet 1918.
L'œuvre profondément humanitaire du pasteur Émile Rolland sera poursuivie par son troisième fils.
Durant de nombreuses années, la famille sera entourée du respect et de la confiance unanimes de toutes la population de ce gros village, où les qualités de travail et de scrupuleuse intégrité de toute la communauté protestante sont reconnues et estimées.
La communauté israélite, numériquement très importante à Port-Gueydon et à Dellys, n'a pas de consistoire à Tizi-Ouzou. C'est à Dellys que se trouve en 1870, son délégué M. Fredj Eliaou.
L'assassinat le 20 février 1902 de M. Braham Hadjadj, un des plus anciens commerçants en grains de la région est douloureusement ressenti à Tizi-Ouzou où les prières et la célébration des grandes fêtes se déroulent avec la participation de jeunes rabbins en garnison au bordj.

Le marché de Tizi-Ouzou

Tout Tizi-Ouzou, descendait la nationale 12, pour se rendre le samedi matin au " souk es sebt ", situé près de la gare. Pour y arriver il fallait passer devant les aires où séchaient des moellons d'argile ordinaire mélangée de paille, qui entraient dans la construction des maisons. Du marché, se dégageaient par matins calmes, des fumées et des odeurs d'huile, de suint, d'épices et de viandes grillées. Dans un coin les ânes, attachés autour d'un tronc d'arbre maigrelet; plus loin, les mulets encore harnachés de leur "chouari ". Au marché de la viande, s'échangeaient contre des pièces, des quartiers de moutons, des abats ou des peaux d'ovins fraîchement abattus. Le marché aux légumes offrait aux chalands des pyramides de pastèques ou d'oignons, en automne des figues de barbarie brillantes de rosée matinale, des grenades, tandis que, un peu plus loin un marchand criait " tizourine, tizourine ", en tendant vers le client de beaux grains oblongs, fermes et de belle couleur ambrée, des variétés de raisins kabyles, " Elahmer-Bouamar " et ." Bou-Afrara ". Sur des sacs recouvrant le sol, les vendeurs de céréales se livraient au remplissage méticuleux des décalitres, savamment surmontés d'un cone ou " gharrouï " de grains de blé, d'orge ou de " béchena " offert en prime à l'acheteur. Dans le coin des vanneries et des objets en bois de grands plats de faible profondeur, creusés dans un tronc d'oléastre centenaire. C'est dans ce " djefna " qu'était servi le ~ souksouk " ou " siksouk ", en kabyle de Tizi.
Dans ce même secteur, les poteries, parmi lesquelles des "tajins ", ces plats de terre cuite, utilisés par les femmes pour préparer et cuire la " kess'ra ".
Un peuplus loin, le carreau réservé auxmarchands d'huile d'olives. Venus de toute laKabylie avec leurs estagnons arrimés sur le bat du mulet, ils versaient litre par litre dans bidons et bouteilles, une huile dont l'odeur imprégnait les vêtements. D'autres vendaient des pièces de tissu, dont la laine avait été filée et tissée par les femmes de la " kharouba " ou de la maison prise dans le sens de la famille. Plus surprenant encore, en plein été, sur les marchés de Tizi-Ouzou, d'Azazga ou de Boghni, des blocs de glace, descendus à dos de mulet des champs de neige du Lalla Khadidja, étaient proposés encore vers 1928 aux acheteurs qui voulaient garnir leurs glacières.
Le soir venu, tout le monde rejoignait son village, à pied, à dos d'âne ou de mulet. Ceux qui remontaient vers le douar Belloua, empruntaient le boulevard Beauprêtre, chargés de sacs de grains, de couffins de légumes, de quartiers de viande et à l'époque de l'Aïd el Kebir, de moutons cornus et rétifs qu'ils tiraient à l'aide d'une longe de laine ou de palmier nain.

L'école en pays kabyle


A Tizi-Ouzou, la première école, située rue du fondouk est ouverte en 1862 par M. Pascal Leoni.
Aussitôt après, de nombreuses classes sont ouvertes dans les villages des alentours, mais aussi dans les douars perchés sur les collines, desservis par de mauvais chemins. Des instituteurs venus de France vivent dans des conditions matérielles difficiles, conditions heureusement compensées par le soutien moral que les parents apportent spontanément aux éducateurs de leurs enfants.



En septembre 1901, alors que s'amorce une nouvelle année scolaire, les instituteurs suivants prennent leur poste:

  1. Mlle Girardot venant de Boukhalfa, prend la direction de l'école de Téniet-el-Haad.
    - M. Bounois à Dellys,
    - M. Pascal Paul à l'école d'EI-Klaa Fort-National
    - M. Camille Verdi à Taourirt Mimoun.
  2. - M. Marius Gousse à l'école de Fort-National,
  3. - M. Eugène Métivet à Djemaa-Saaridj, Mékla,
  4. - M. Adolphe Brulard à l'école des Ait-Ali, Dra-el-Mizan,
  5. - M. Simon Hélot aux Aït-Laziz, (Djurdjura)
  6. - M. Gustave Pélissié à l'école d'Aïn-Sultan
  7. - Mme Pélissié à l'école d'Aïn-Sultan
  8. - M. Lakraout Ahmed ben Amara à Mira Taboudoucht, Azefoun,
  9. - Mme Delaye à l'école de Yaskren.

Ces instituteurs et notamment M. Verdi à Taourirt Mimoun formeront de nombreux enseignants. Aussi ne dira-t-on jamais assez, les éminents services rendus à Tizi-Ouzou et à la Kabylie toute entière, par des générations d'instituteurs comme M. et Mme Charles Hassen.
Ces petites écoles des douars kabyles dispensent un enseignement général débouchant sur des études secondaires qui conduiront une élite vers des carrières de médecins, avocats, ingénieurs, journalistes.
Pour les enfants qui resteront au pays, ces écoles seront progressivement dotées d'un jardin, où sous la conduite de l'instituteur ou de l'institutrice, les élèves acquerront les techniques de semis, de taille et surtout de conservation de l'eau.
Beaucoup plus tard, M. Hippolyte Truet, professeur à l'école normale de la Bouzaréa, mettra à leur disposition un traité de culture potagère.

L'école communale de garçons

La première école arabe-française, il fallait peut-être dire, kabyle-francaise, est construite en pisé; trop réduite pour une population d'age scolaire en rapide expansion, elle est mise en vente par adjudication.
L'annonce en est faite par M. Larané, chargé de recevoir les propositions des personnes intéressées.
La construction d'une nouvelle école, édifiée rue Gambetta, derrière l'hôtel Lagarde, est envisagée.
La publication faite par M. Larané, tambour de ville porte sur:


- Travaux à entreprendre..

54 543,27 F

- Frais imprévus de surveillance

5 456,73 F

 

6000,00 F

Cette adjudication ouverte le 3 avril 1888, fait partie des dernières décisions de la municipalité de M. P.H. Martin, élue en 1881.
Instituteurs et élèves des écoles communales
En 1901, institutrices et instituteurs font des conférences, organisent des cours d'adultes, ouvrent des bibliothèques. Une conférence sur Mme de Sévigné est faite par Mme Crama; M. Turcat, infatigable instituteur donne des cours aux adultes. Jeudi 11 avril M. Vuichard, parle de " I'Avenir de nos fils ou le choix d'un métier ". Un cours de vacances est ouvert par M. Hassen. L'école de garçons est, en 1901 dirigée par M. Schaeffler avec comme adjoint M. Sommeyre et M. Kouadi. A l'école de filles il y a Mme Crama, adjointe et Mlle Bresson.
A la rentrée de 1902 M. Chesneau prend la direction de l'ëcole de la rue Gambetta, laissée vacante par la nomination à Alger de M. Schaeffler. A partir du lundi 3 novembre 1902, il y organise des cours d'adultes, les lundis, mercredis et vendredis, de 20 heures à 21 heures. A la demande de M. Chesneau, la municipalité vote en novembre 1902, un crédit de 125 francs pour l'achat de cartes murales. Certaines étaient " muettes " d'où la terreur des élèves, lorsque appelés au tableau, ils devaient désigner l'emplacement de Blois, Chatellerault ou de Cette.
En 1902, les petits Kabyles, descendus du douar Belloua ou venus des rives du Sébaou, par le pont de Bougie, rejoignent les enfants du village. En hiver, il neigeait souvent. Dans les classes, comme dans toutes les écoles de France, un poêle en fonte permettait à ces enfants de manger leur morceau de galette, " kess'ra " au chaud. Le conseil municipal, dans sa séance du 22 novembre 1902, décide l'augmentation de la rétribution de la femme de charge, qui passe de 60 à 150 francs, pour le surcrolt de travail occasionné pour la surveillance des enfants pendant l'interclasse et le temps passé à chauffer leur frugal repas.

Le certificat d'études primaires

En cette année 1902, sont déclarés reçus au certificat d'études primaires, Charles Bouvier, Haouchine Akli, Mahidine Ahmed, Laubach Eugène, Larbi Mohamed, Couhen Ernest, Hassen Adrien, Weinmann Léon.
D'autres élèves sont admis à la Médersa d'Alger: Belhadj, Haouchine, Zériat, Hamoutène.
L'école Gambetta de Tizi-Ouzou, sous les platanes, les enfants devant la porte. Les petites chéchias plates, coiffantes jusqu'aux oreilles, écarlates ou d'un rouge délavé, se détachent sur les bérets basques. A côté d'Areski, il y a Georges, Mohand, Roger, Idir, Akli, Vincent, Amrane, Marcel, Hamou et Kaci.
Fin juin 1902, comme chaque année, instituteurs, parents et élèves, se retrouvent à l'école de la rue Gambetta.
A l'appel de leur nom, béret ou chéchia à la main, les écoliers se présentent devant l'estrade pour recevoir leur prix.

- Tuduri Emile, élève hors concours,
- Weinmann Arsène, Prix d'excellence,
- Dupuy Jean, Prix d'honneur ex-aequo,
- Ben Achour Tahar, Prix de lecture et récitation,
- Reinaldi Louis, Prix du C.E.P.,
- Mokrani ben Salah, Prix d'écriture et récitation,
- de Sales Pierre, Prix de sciences,
- Majesté Edmond, Prix d'écriture,
- Ali ben Djilali, Prix d'orthographe,
- Condamine Charles, Prix de composition française,
- Mouraille Lucien, Prix de géographie,
- Humbert Edmond, Prix d'ortho-graphe, récitation.
A l'école des filles du boulevard du Belloua. .
- Jammes Laure, Prix d'orthographe,
- Giraud Jeanine, Prix de français,
- Weinmann Marie, Prix de calcul,
- Latrobe Marthe, Prix de composition française,
- Blanc Henriette, Prix d'écriture,
- Valensot Jeanne, Prix de sciences.
Pour Ali, Mokrani et Tahar, leurs prix de français, d'orthographe ou de récitation ne diminuent en rien leur attachement au parler de leurs parents.
Ces enfants du douar dont les parents ne parlaient souvent ni le français, ni l'arabe, mettaient beaucoup d'application à apprendre les verbes dont ils maîtrisaient parfaitement l'usage de tous les temps, y compris de ceux du subjonctif. ll est probable qu'à cette époque, les Kabyles, trouvaient dans notre alphabet, l'écriture qu'ils n'avaient pas dans leur langue maternelle.
Combien d'hommes et de femmes en Kabylie, se souviennent aujourd'hui de ces directeurs, instituteurs et institutrices des écoles d'Azazga, des Béni-Yenni, des Mechtras, de Michelet, Tizi-Ouzou ou de Taourirt-Mimoun.
Les instituteurs kabyles ne badinaient pas avec la syntaxe, le calcul, les sciences, l'histoire, la géographie. Leurs petites écoles devaient faire de ces " fils de pauvres " de hauts fonctionnaires, des avocats, des médecins, pharmaciens, ingénieurs, peintres, journalistes, écrivains, dont il serait vain de vouloir citer les noms tant ils sont nombreux.
Imghir neçaba maaqul sedou thmourthi idismouqul
(proverbe kabyle)(Une bonne conduite et une vive intelligence se reconnaissent dès le premier âge, comme les germes de blé, lorsqu'ils sont vigoureux, dès leur sortie de terre.)

L'école de garçons dans les années trente


L'école de la rue Gambetta, était dirigée par M. Eglin, homme de grande taille, enseignant sévère, inoubliable. Vêtu de façon toujours très stricte, chemise à col cassé, nœud papillon, gilet, M. Eglin, durant les dictées cheminait entre les rangées de bancs. Ses guêtres grises,courtes, recouvrant le dessus du soulier, attiraient nos regards. Avec son adjoint M. Riéra, ils représentaient l'archétype de ces instituteurs qui ont conduit au Certificat d'Etudes Primaires, des milliers de jeunes. lls leur ont non seulement appris à lire, à écrire et à compter, mais ils leur ont aussi donné le goût de l'effort nécessaire à l'apprentissage de la vie. En bref, ils ont donné à ces garçons d'origines très diverses une structure mentale, une enveloppe d'hommes libres.
Dès le retour des beaux jours, par les fenêtres largement ouvertes, parvenait à nos oreilles, le martèlement d'une pièce de fer sur l'enclume d'un forgeron voisin. Perchées sur leur nid de branchages enchevêtrés lui-même posé sur une des cheminées de la " Grande Poste " des cigognes craquetaient. De la cour de récréation nous les voyions s'envoler vers les marécages voisins et revenir tenant dans leur bec une proie encore vivante, que se disputaient leurs cigogneaux affamés.
Dans notre classe de quarante à quarante cinq élèves, M. Riéra, nous a dès la première année, appris à lire écrire et à compter. Comment ne pas se souvenir de cette classe où durant les leçons de calcul, on ne parlait pas encore de mathématiques, nous récitions nos tables de multiplication par deux et par cinq.
Exception faite de la rentrée scolaire, où les parents venaient présenter les nouveaux élèves, les enfants n'étaient jamais accompagnés, ni à la rentrée, ni à la sortie des classes. Quelques chiens attendaient, sur la petite place, la sortie bruyante des enfants, pour retrouver avec de fougueuses démonstrations, leurs camarades de jeux. A l'écart, un chat plus discret en raison du voisinage de ses éternels ennemis, assis aux aguets sur une borne fontaine, bondissait à la rencontre de deux petits écoliers.
En groupe, les petits Kabyles prenaient le chemin du douar ou la route du pont de Bougie, tandis que nous regagnions nos maisons du boulevard Beauprêtre ou de la rue Ferdinand Aillaud.

L'école des filles dans les années trente


Après Mme Tudury, directrice de l'école des filles de 1914 à 1919, c'est Mlle Rose Mouraille qui prend la direction de cet établissement en juin 1919.
En 1928, Mme Eglin dirige l'école du boulevard du Belloua, où dans les années trente Mmes Pousse, Porot, Mattéi et Mlle Quilghini assument successivement cette direction.
Les petites filles du douar Belloua, venaient nombreuses à cette école. Elles mettaient beaucoup d'application à suivre les leçons de leurs institutrices, généralement très jeunes, qu'elles venaient attendre une ou deux rues avant l'école, avec la joie de remonter, accrochées en grappes à leurs bras,
Ces petites filles kabyles, affectueusement groupées autour de leur très jeune " maîtresse ." caressaient alors de façon intuitives, un espoir un peu fou. Celui de devenir des mères efficaces et utiles à la Kabylie et non des femmes usées et vieillies prématurément. L'enseignement général ou ménager dispensé à l'école n'a jamais conduit à la débauche, comme tant de bons apôtres l'affirmaient déjà, pour imposer un fanatisme dominateur et misogyne.

Les hommes passent, les idées cheminent


Pour comprendre, aujourd'hui, cette ville, il était nécessaire d'évoquer et de remettre en mémoire les difficultés rencontrées pour amener l'eau potable, construire des routes, une voie ferrée, des lieux de culte, des écoles avec des " maîtres " au sens le plus noble du terme.
Même si beaucoup de ces écoles des douars ont été impunément incendiées ou détruites entre 1954 et 1962, leurs résultats sont probants et concrets.
Il ne parait pas présomptueux de penser qu'avec le courage et l'intelligence kabyles, ces structures sont l'origine de ce qu'est aujourd'hui Tizi-Ouzou " le col des genêts " trait d'union entre la Kabylie profonde fidèle à son passé et le monde extérieur.

Tizi-Ouzou (Le col des genêts)


Habitants des montagnes pauvres, surpeuplées, les kabyles ont su conserver leurs coutumes, leur langue, leur culture. Le nom de "Amazigh " ou de " Tamazight " fréquemment employé, signifie homme libre, en berbère. L'étymologie même du mot " kabyle " est incertaine. Pour certains, elle pourrait dériver de l'arabe " Kapila " ou de " Bila " tribu berbère. Pour d'autres, " Abel ", c'est celui qui, à défaut de la langue, a accepté vers 707, la foi des " cavaliers d'Allah ". Enfin une origine phénicienne lui est même parfois attribuée.
Au VE siècle, I'historien Ibn-Khaldoun relate que dans les villages kabyles " fleurissent les vertus qui honorent l'humanité, la noblesse d'âme, la haine de l'oppression, la bravoure, la fidélité aux promesses, la bonté pour les malheureux, la charité, la constance dans l'adversité. "
En raison de la pauvreté des sols, pentus, ravinés par l'érosion, la densité de la population, (136 habitants au km2 en 1936, dans l'arrondissement de Tizi-Ouzou), I'économie de la Kabylie repose sur l'arboriculture, l'artisanat et surtout sur l'émigration. Les figuiers, dont deux variétés, " Taaran'imt " et " Tameriout " se distinguent par l'inoubliable succulence de leurs fruits, poussent jusqu'à une altitude de 1200 mètres. Les Berbères, premiers occupants de l'Afrique du Nord appartiennent à la civilisation de l'olivier. Cet arbre fait partie de l'Histoire des peuples méditerranéens. Deux variétés se côtoient, " Chemlal " et " Azeradj ". Aussi, figues et huiles constituèrent pendant longtemps la base de l'alimentation des Kabyles et servirent de produits d'échange contre de l'orge ou du blé dur, les sols siliceux ne produisant guère que du "béchena ". (sorgho)
Aux ressources apportées par les arbres fruitiers et la culture des légumes, il convient d'ajouter la cueillette des glands doux et les produits de l'apiculture, à laquelle beaucoup de Kabyles étaient très attachés.
Enfin à ces ressources agricoles, il convient d'ajouter le liège. En 1905, la chefferie des Eaux et Forêts de Tizi-Ouzou en a produit 10 560 quintaux, soit plus de 90 % des 11 705 quintaux récoltés dans le département d'Alger.
L'artisanat actif a su évoluer, par le travail de la poterie à TaourirtAmokrane, de la laine pour les tapis des Aït-Hichem et de la bijouterie aux Beni-Yenni.

Tizi-Ouzou porte et capitale de la Grande Kabylie


" O village rêveur ! Non, tu n'es pas un trou,
Couché sur /e Belloua, qui sur son cœur te serre.
Tu resteras toujours pour nous le Belvédère,
D'où nos yeux, plongeront dans l'espace infini
D'un tableau saisissant, comme l'aiglon au nid !
Dr Ferdinand Huchard ancien maire de Tizi-Ouzou


 



Capitale de la Grande Kabylie, la ville de Tizi-Ouzou est située au pied du djebel Belloua qui culmine à 695 mètres d'altitude, au-dessus de la vallée du Sébaou. Le vénéré marabout éponyme, Sidi-Belloua, était souvent invoqué dans les conversations en témoignage de sincérité ou de véracité absolue.
" Hak Rabbi, Sidi-Belloua "
Sa kouba, étincelante de blancheur, se dressait solitaire, à l'abri d'un olivier noueux, au milieu des pierres blanchies d'un petit cimetière. De nombreuses processions de femmes convergeaient fréquemment vers ce lieu de prières et de recueillement.
Par sa situation géographique, au centre d'un important massif montagneux, Tizi-Ouzou est une agglomération propice aux échanges et aux rencontres.
Son marché du samedi, notamment, est particulièrement apprécié en raison de sa fréquentation par des commerçants venus de fort loin proposer des dattes et des céréales en échange d'huile et de figues.
Par Tizi-Ouzou, il est possible d'accéder à des villages kabyles portant des noms bien particuliers, comme Tikobaïn, Oumzizou, Tamda situés au nord-est, après avoir franchi le pont de Bougie sur lequel n'étaient admis que les véhicules pesant moins de 10 tonnes en charge. Au sud-est, d'autres villages dont l'origine toponymique soulève beaucoup de questions, comme Tirmitine, Alt-Ouanech, Ichardiouène, Taguemount-Azzouz, Taguemount-Oukerrouch, Igoulmimène.

L'arrivée des Français


Jusqu'en 1848, la pénétration française en Kabylie était seulement limitée à l'occupation de quelques points, comme Djidjelli en 1837, Dellys 1844, Bougie 1847.
En 1851, Bou-Baggla, " I'homme à la mule ", pousse ses attaques contre les tribus fidèles à la France, jusque dans la vallée du Sebaou. C'est alors que le gouverneur général Randon ouvre des routes stratégiques de Dellys à Aumale par Dra-el-Mizan et Bouira. En 1854, les colonnes françaises traversent de part en part le massif kabyle et acquièrent une meilleure connaissance de cette région. En 1856, un nouveau fanatique, Hadj-el-Amar, soulève les tribus du littoral; le 22 janvier, une colonne venant d'Alger dégage Tizi-Ouzou, rétablit une tranquillité momentanée dans la vallée du Sebaou.
En 1857, les 30 000 hommes de trois divisions commandées par les généraux Renault, Mac-Mahon et Yusuf sous la direction du gouverneur général Randon attaquent le 19 mai le centre des Beni-Raten. Le 14 juin la première pierre du Fort Napoléon est posée suivant les plans du général Chabaud la Tour. En dix-sept jours, une route carrossable relie ce fort à Tizi-Ouzou et le télégraphe électrique transmettant des signaux " morse " les unit l'un et l'autre à Alger. En laissant aux Kabyles, leurs biens, leurs coutumes, leur administration municipale, " djemaa ", leurs institutions particulières, Randon obtint la pacification de la région. Jusqu'en 1857, Tizi-Ouzou fait partie du dispositif de défense mis en place à Dellys.
Durant les insurrections d'avril 1871, les villages isolés comme Bordj-Ménaïel et Palestro seront saccagés et leur population européenne massacrée. Dans les villes et postes fortifiés, les assauts seront repoussés par les garnisons de Bougie, Tizi-Ouzou, Dra-el-Mizan. Fort National résistera durant soixante jours, jusqu'à l'arrivée d'une colonne de secours. La population de Tizi-Ouzou avait pour consigne, en cas d'attaque, de se replier sur le fort, l'école de garçons et la prison civile.


Tizi-Ouzou et son bordj





La construction de Dra-el-Mizan, (le bras de la balance) en 1851 et de Tizi-Ouzou en 1855 démontre la volonté des Français de s'opposer à la farouche résistance Kabyle.
En 1855, I'armée française s'installe au " bordj ", ancien fort turc construit sur l'emplacement de fortifications romaines. Situé au sud de Tizi-Ouzou, face au djebel Belloua, il dispose d'épaisses murailles, surmontées de casemates s'ouvrant sur l'extérieur par d'étroites meurtrières. Dans la cour du fort, une " kouba " et un puits; de nombreuses sources jaillissent dans les environs. L'une d'entre elles ruisselle au-dessus du bordj, accroche les rayons du soleil au zénith comme les facettes d'un diamant.
Le " bordj " va se transformer rapidement en un important entrepôt fortifié. En effet, jusqu'à la construction en 1857 de Fort Napoléon, (Fort National), Tizi-Ouzou est un point d'appui stratégique dans la région et notamment pour Bou-Khalfa, situé à quatre kilomètres sur la route d'Alger. Le bordj, enfoui dans les arbres, se dresse face au Belloua au nord et à la vallée de l'oued Sébaou à l'ouest.

Création spontanée du village


Vers la fin de 1856, le maréchal comte Alexandre Randon, gouverneur général de l'Algérie, inspecte à Tizi-Ouzou les travaux d'ouverture de routes et de construction de fortifications. ll constate l'établissement d'une nombreuse population de cantiniers et d'ouvriers, sur les pentes, autour du fort, dans des conditions précaires et sans aucune protection contre les attaques. Un projet, approuvé par le gouverneur général, permet l'attribution de lots à bâtir à des commerçants et ouvriers possédant les moyens d'y élever des constructions. D'autres commerçants affluent et s'y établissent sans autorisation. Au mois de juillet 1857, le commandant Lallemand, responsable au sein de la subdivision de Dellys du cercle de Tizi-Ouzou, remarque que ce village créé par la force des choses n'a pas d'existence légale. En effet, aucun décret n'autorise sa création. Plus grave encore, le deuxième plan d'allotissement ne prévoit pas de terres agricoles. Toutes celles des environs sont déjà cultivées par les Kabyles dont le douar est mitoyen avec le village en projet. Pour compenser l'absence de surfaces agricoles, le déplacement d'une " smala " de spahis de la tribu des " Amaraoua " est envisagé. ll permettrait la libération de terres susceptibles d'être affectées à des indigènes en compensation de celles qui seraient utilisées pour la création du village.
Le 8 juillet 1858, le commandant Lallemand fait dresser un état des 57 premiers concessionnaires. Les terres disponibles ne permettent pas à raison de 4 hectares par famille de les satisfaire tous. Plusieurs dizaines d'autres attendent.


Incertitudes sur l'orientation économique





Par lettre du 21 mai 1858, le secrétaire du Gouvernement général s'adresse au Général commandant la subdivision de Dellys. " Comme vous, mon cher Général, je pense que Tizi-Ouzou sera bien longtemps encore un centre plus commercial qu'agricole et qu'on peut dès lors réserver une bonne partie des lots urbains aux industriels qui viendraient s'y établir et à qui l'on n'accorderait point de terres de culture
Mon opinion est, du reste, que la population de Tizi-Ouzou tendra plus à décroître qu'à augmenter et que sur les 102 lots urbains inscrits au plan il n'en restera pas de longtemps occupés plus de 50. J'estime en conséquence qu'il y a lieu de répartir les 246 hectares disponibles à Tizi-Ouzou, entre les 50 premiers habitants de ce centre qui paraissent devoir se livrer à la culture des terres avec le plus d'avantages. Si plus tard le village prend de l'extension on verra à augmenter aussi son territoire agricole.
Veuillez bien donner des instructions dans ce sens. "
Ces incertitudes se poursuivront après la création par décret du 27 octobre 1858, du village de Tizi-Ouzou. Un territoire agricole de 286 hectares 5 ares et 65 centiares lui est affecté. Cependant les parcelles réservées à divers usages militaires urbains, carrières, marché, briqueterie, cimetières, couvrent plus de 58 hectares limitant sensiblement le territoire agricole, qui ne dépasse pas 200 hectares. Comme ces reprises sont postérieures au travail de lotissement. M. Tharaud, chef du service topographique, estime qu'il serait nécessaire d'indemniser les colons qui se trouveraient ainsi dépossédés avant même d'avoir la jouissance de leur lot.
Par décret de Napoléon lll en date du 27 octobre 1858, il est créé sur la route de Dellys à Bougie, à proximité de " Bordj Tizi-Ouzou " dans la subdivision de Dellys, province d'Alger, un centre de population comprenant 94 lots urbains, non compris les établissements militaires.
En 1860, le lieutenant colonel d'infanterie Martin prend le commandement de la place, le lieutenant Gaulet du 2e Spahis prend la direction du " bureau arabe ". Un état-major de défense des places de guerre est constitué à Alger. Le capitaine Bruneau, jusqu'en 1867, représente la place de Tizi-Ouzou, il sera remplacé en 1868 par le capitaine Jarrié.

Une accumulation d'obstacles


La délimitation des lots et l'installation des colons sur les terres, soumises à de nombreuses difficultés, retardent leur mise à disposition. L'Administration ne dispose pas suffisamment de géomètres susceptibles d'accomplir ce travail. C'est M. Garié géomètre qui est chargé de délimite; les lots et de procéder à l'installation des colons sur leurs terres. Cependant par une dépêche du 6 novembre 1858, le général commandant la subdivision de Dellys, signale que le géomètre est employé encore pour longtemps à Bordj-Ménaïel pour un travail dont il ne peut être distrait et qu'il est urgent d'envoyer un second géomètre. Du fait de cet empêchement, c'est M. Chêne qui est envoyé à Tizi-Ouzou, où il est d'ailleurs fort mal reçu. Par la suite, M. Verpriot, reçoit l'ordre de procéder au relevé cadastral. Pas avant, cependant, de terminer le travail commencé à Dra-el-Mizan.

Les premiers colons


Souvenons-nous des noms de ces premiers colons, en soulignant que colon dérive du latin " colonus " habitant non indigène qui cultive une terre. Leurs noms figurent sur l'état de lotissement dressé le 14 septembre 1859 par M. Tharaud, chef du service topographique.



M. Faure Sauveur, journalier
- Ledoux Louis, forgeron
- Birbet Bernard, journalier
- Berthon J. P., commerçant
- Paulin Fossati, conducteur
- Despax Jean, cafetier
- Richeran Marc, charretier
- Presty Antoine, cafetier
- Hilbert Jean, charretier
- Coccia Jean, entrepreneur
- Sala François, chauffeur
- Page Auguste, tailleur
- Guillaumiez M., joumalier
- Cheuzeville Louis, boucher
- Morigia Antoine, jardinier
- Devillers Jean, cafetier
- Munkisturn Barthélémy
- Rens Joseph, ferblantier
- Mery Jean, jardinier
- Portet Aubin, maréchal ferrant
- Guilleton Benoit
- David Guillaume, boulanger
- Valensot Claude, Charcutier
- Bouquet Jean Baptiste
- Pécollo Michel
- Cataly Jean, Perruquier

- Saint-Pierre, Paul, serrurier
- Guyard François, journalier
- Guerber Jean, maçon
- Bedouille F., tailleur de pierre
- Goisnard Marie, tailleur de pierre
- Lespases Barthélémy, tailleur de pierre
- Borelly Pierre, charpentier
- Babin Léon, tailleur de pierres
- Ménard Gilbert, maçon
- Wassermann Charles, cafetier
-Thibaut Edouard, Auguste Hippolyte, épicier, boulanger
- Maïni Richard, peintre
- Pépe Virgile, boucher
- Auradou Clara, tenant brasserie
- Fournet Louis, successeur
- Berliotz Auguste, patissier
- Faure Théodore, cafetier
- Ménard Philibert, commerçant
- Gruet Charles, commerçant
- Viala Joseph, maçon
- Arnaud Benoit, maltre d'hotel
- Chénevière Louis, cafetier
- Rerrisse J., tailleur de pierre
- Faure Jean Baptiste, cafetier
- Foulier Florent, boucher

- Richard Sebastien, meunier
- Montbrun Jean-Baptiste
- Grimal Adolphe, commerçant
- Bourret Paul, marchand
- Girard Henri, commis
- Géry Joseph, voiturier
- Bouvier, tailleur de pierre
- Flocard Nicolas, forgeron
- Brau Paul
- Weinmann Jean-Michel
- Lestang Joseph-Marie
- Sirlone François
- Viala Gérémie
- Larané Jean
- Esquerré Janvier, commerçant
- Barami, amin des Barami
- Sacane Gabriel, charretier
- Ali ben Hamoud, entrepreneur
- Mme Alcaraz, droguiste
- Heurtaux Alfred,
- Ferro-Vecchio Alexandre
- Soulié Pascal, Pierre
- Ferran Jean
- Poussard Jean-Marie
- Lavagne Théodore
- Orlandil Ignace
- Rogliani Marius,


Ces premiers colons seront suivis par beaucoup d'autres parmi lesquels nous relevons notamment les noms de:
–Privat Joseph, Antoine, né le 10 mars 1837 à La Bastide en Aveyron, marié sans enfant, il est en Algérie depuis 1875.
Le 30 avril 1879, il obtient le lot urbain n° 177.
–Verny Joseph est arrivé en Algérie en 1860, c'est un ancien militaire, il habite à Tizi-Ouzou depuis 1862. Marié, deux enfants, il obtient le 30 avril 1879, le lot urbain n° 298.
–Branche Alexandre né à Randan, Puy de Dome, le 17 aout 1827 époux de Panine Madeleine avec leur fils Eloi, 22 ans. Viennent de Randan, Puy-de-Dôme, obtient un lot urbain de 6 ares 63 centiares, prise de possession le 10 février 1880.
–Alibert Jean né à Montauban, Tarn et Garonne en 1826 ; Iot urbain n° 110 et un lot rural n° 104 bis.
–Brau Paul titre du 23 février 1864; lot à bâtir de 5 ares 67 centiares n° 82.
–Brau Guillaume et son épouse Marie Rouyaroux, lot rural n° 41 de 13 hectares 22 ares 80 centiares, lot rural n° 126 de 2 hectares 5 ares 70 centiares
Ces deux lots seront cédés à Barthet Joseph.
–Tête Lucien né à Saint Laurent sur Gorre, Haute Vienne, lot urbain n° 141: 6 ares 30 centiares, lot rural n° 50: 31 ha 6 ares 10 centiares.
–Bovis Jean-Baptiste, lot urbain n° 122: 6 ares 60 centiares, lot rural n° 117: 26 ha 62 ares 50 centiares.
–Boyer André né à Saint-Germain, Puy de Dôme, lot urbain n° 215: 6 ares, lot rural n° 54: 24 ha 98 ares 60 centiares.
–Bouvier Charles né en 1819 à Sarville dans la Meurthe.
–Antoine Georges né à Echery, Haut-Rhin.
–Bouland Antoine né à Beaudreville, Eure et Loire.
–Bot François Louis né à Villefranche de Lauragais le 21.02.1848.

Une famille de colons raconte les événements de Tizi-Ouzou


Fils d'Augustin Thibaut, Edouard, Auguste, Hippolyte Thibaut a servi en Algérie comme capitaine. Séduit par la beauté du pays il y revient en 1849 avec son épouse, née Rose Mazet et sa fille Marie âgée de six mois. La traversée de la Méditerranée effectuée en voilier, ils débarquent à Alger. Ils parcourent à cheval les cent quatre kilomètres qui séparent Alger de Tizi-Ouzou, où ils ne trouvent qu'un douar accroché au flanc du djebel Belloua. La forêt est toute proche. Les incursions de bêtes sauvages sont nombreuses. Une panthère attirée par l'odeur d'un jambon qui séchait sur une fenêtre est mise en fuite par Rose Thibaut. Edouard Thibaut, attendra jusqu'en juillet 1858, pour voir son nom figurer sur un état nominatif des colons susceptibles de recevoir un lot de culture de 4 hectares. ll devra encore attendre jusqu'au 14 septembre 1859 pour que son nom soit porté sur l'état de lotissement dressé par M. Tharaud, chef du service topographique.
Il obtient enfin :
– Un lot à bâtir n° 35 de 6 ares 15 centiares,
– Un lot de culture n° 37 de 4 ha 99 ares 60 centiares, soit au total: 5 hectares 5 ares 75 centiares.
Le lot à bâtir est situé à l'entrée de Tizi, près de la porte d'Alger. Le lot de culture n° 37 est desservi par le chemin dit " du camp " et par une autre voie désignée sur la carte par " triq Bourkar ".
Pendant plus de dix ans Edouard Thibaut exercera le métier de boulanger épicier.
Née en 1896, madame Gilberte Molinart a rédigé en 1988, un témoignage sur l'insurrection de 1871, inspiré par les récits recueillis au cours des conversations de ses ancêtres et de leurs amis,premiers colons de RziOuzou.
A la tombée d'un jour d'avril, sa grand-mère, Mme Marie Lefèvre, fille d'Edouard et de Rose Thibaut, voit arriver furtivement un Kabyle qu'elle avait jadis soigné : " Madame, il va y avoir la révolte, monte vite te réfugier au fort, soussem t (tais-toi!)" Là, elle retrouva la population européenne. Les familles s'y installèrent comme elles purent. Toute la nuit, les incendies illuminaient le ciel, les bruits de la révolte arrivaient aux oreilles des réfugiés. Son mari, Constant Lefèvre, officier des Eaux et Forêts en tournée dans les cantonnements de la circonscription ne pourra la rejoindre que le lendemain. ll est indemne, mais tous les gardes des environs de Tizi-Ouzou ont été massacrés. A son arrivée les assiégés lui annoncent l'incendie de sa maison; " Qu'importe, répondit-il en riant, j'ai la clef dans la poche ". Le siège dura longtemps. Beaucoup de défenseurs devaient y laisser la vie. Parmi les blessés, Marie Lefèvre et sa sœur Constance. Les vivres s'épuisaient, I'eau surtout fut rationnée, les chevaux et les mulets manquaient de nourriture. " Les jours passaient et les secours n'arrivaient pas. Le désespoir gagnait les assiégés, les rations étaient réduites au minimum, puis à rien "
Il fut décidé à l'unanimité d'attendre un jour encore et, si les secours n'arrivaient pas, de faire sauter le fort avec ses occupants. Ils y vivaient depuis quarante jours.
Le guet était effectué sur les remparts. Le 12 mai 1871, le jour baissait, le guetteur en faction aperçut, à l'horizon un nuage de poussière. Un mirage pensa-t-il ! dû à ma grande fatigue. Le nuage avançait rapidement. Bientôt des coups de feu, des cris. Un important renfort arrivait d'Alger. La délivrance avec ! Tous les assiégés, maintenant rassurés, se portèrent aux remparts, aux meurtrières. Quelle joie délirante, des embrassades des pleurs !
La paix retrouvée, chacun regagna sa maison plus ou moins endommagée ou complètement détruite, les magasins pillés, dévastés. Très longtemps après on retrouvait dans les douars, des objets ménagers disparus durant la révolte. En dépit des souffrances endurées durant le blocus, la confiance revint; blessée lors du siège, Mme Marie Lefèvre met au monde en 1873, une fille prénommée Rose. Chaque année, à Tizi-Ouzou, on commémorait les journées des 11 et 12 mai. Réunie autour des drapeaux des associations de vétérans, la population se rassemblait au cimetière, devant le cénotaphe, dressé au fond de l'allée centrale, puis à l'église où, durant la messe, étaient cités les noms des victimes associés à ceux du commandant Boyer de Rebeval et du lieutenant Pierre Versini, leurs frères d'armes morts en 1857. En évoquant le souvenir de ce siège de Tizi-Ouzou, on songe à la somme de privations, de souffrances, de ruines et de désespoirs de ceux qui reposent dans ce cimetière.

La protection de Bou-Khalfa


Jusqu'aux environs de 1890, la sécurité des populations demeure une des principales préoccupations des autorités tant civiles que militaires. Par lettre du 30 janvier 1889, adressée au préfet d'Alger, M. Vitalis sous-préfet déclare:
" En raison de son territoire très réduit et du petit nombre de ses habitants, ii est regrettable que le hameau de Bou-Khalta ne puisse poursuivre son agrandissement . Comme le dit M. le maire, ce centre se trouve dans des conditions toutes spéciales puisqu'au point de vue de la colonisation, il dépend exclusivement de la société de protection des Alsaciens-Lorrains. Il y a donc lieu de ne se préoccuper que de ses moyens de défense, qui devront consister d'après la lettre ci-jointe de M. Ie maire de Tizi-Ouzou en un réduit défensif édifié sur le plateau qui domine le village et entourera I'église ".
Cette lettre du sous-préfet entraîne aussitôt une réponse négative rédigée le 12 mars 1889 par M. Dandrade du troisième bureau du Gouvernement Général.
" Tizi-Ouzou-Bou-Khalfa, ne doit pas être considéré comme un centre qui périclite, sa population augmente au contraire de jour en jour, dans des proportions très sensibles. Quant à la construction d'une redoute défensive à Bou-Khalfa, préconisée par le maire, elle ne me paraît pas plus justifiée qu'à vous.
Ce centre n'est situé qu'à une faible distance de Tizi-Ouzou, où il existe un fort et une garnison et où les colons de tous les environs, trouveront un abri sûr en cas de danger.
D'ailleurs le centre de Bou-Khalfa est entièrement dominé par le Belloua, la défense de ce village serait dès lors très difficile à organiser. En cas d'insurrection, les habitants de ce centre auront tout avantage à se replier sur Tizi-Ouzou "


Etat de population au 14 décembre 1888


Centres

Nombre de feux

Population

Travaux à effectuer

Tlzi-Ouzou

408

1322

Pas de travaux

Bou-Khalfa

48

125

Réduit défensif à construire

Coût du réduit défensif à construire autour de l'église de Bou-Khalfa: 14 000 francs


Bou-Khalfa-Guynemer



Non loin du Sebaou serpentant à ses pieds
Comme une nymphe en pleurs qui laisserait sur l'onde,
Flotter en vagues d'or, sa chevelure blonde
De la plaine de Bou-Khalfa à Fort-National,
Oui brille chaque nuit comme un lointain fanal.
Docteur Ferdinand Huchard Ancien maire de Tizi-Ouzou.
Rattaché à la commune de TiziOuzou, ce hameau est situé dans la vallée du Sebaou. en contrebas du djebel Belloua, après Mirabeau et à quatre kilomètres du centre.

Noms et prénoms des
Alsaciens-Lorrains

Naissance

Date d'arrivée
à Bou-Khalfa

date

lieu

Linder Marie-Emma
Martin Marie-Albert
Molk Jacques
Ackermann François
Boëglin Jean
Gourrieux Martin
Gutgusnt Jacques
Harand Jean
Humbel Lucien
Hurst Louis
Jacob Sébastien
Joly Emile
Naigelin-Sol Catherine
André Rosalie
Bergtold Philippe
Prouvé Antoine
Ducourthial Edouard
Piernet Nicolas
Schaëller André Adam
Schneider Jean-Jacques
Spiess Joseph
Wantz Michel
Ulsas Mathias

04/06/1844
05/07/1841
09/04/1836
05/09/1839
20/09/1829
13/10/1840
25/06/1848
24/06/1830
19/04/1842
30/07/1840
04/05/1838
12/04/1848
09/07/1844
15/12/1839
24/08/1849
10/03/1846
21/01/1830
01/01/1845
08/11/1831
08/03/1831
17/01/1844
07/07/1826
10/06/1839

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03/08/1872
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20/05/1872
03/09/1872
30/07/1872
11/06/1872
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19/05/1872
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11/06/1872
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28/09/1872
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25/07/1872
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07/08/1872
15/06/1872
11/06/1872
23/05/1872
11/06/1872


(Sources: Généalogie Algérie, Maroc, Tunisie, antenne de Nice)
Rattaché à la commune de TiziOuzou, ce hameau est situé dans la vallée du Sebaou, en contrebas du djebel Belloua, après Mirabeau et à quatre kilomètres du centre.
C'est sur la concession de M. Jean Dolfuss de Mulhouse, que s'installent vers 1871, neuf familles d'Alsaciens-Lorrains. En raison des redoutables difficultés qu'elles rencontrent sur des terrains marécageux M. Dolfuss confie à la Société de protection des Alsaciens-Lorrains le soin d'implanter de nouveaux concessionnaires. La société a construit vingt et une maisons.
Vingt-cinq familles tentèrent successivement de s'y installer .
Parmi les derniers Alsaciens-Lorrains installés à Bou-Khalfa, relevons l'acte passé le 28 juillet 1884 devant Me Brice, notaire à Alger. Par cet acte la Société de protection des Alsaciens-Lorrains demeurés français, accorde des concessions à:
–Abraham Adam et à Eve Huckeltubler, son épouse.
–Antoine Koehl et à ses enfants.


En mémoire des habitants de Bou-Khalfa





Malgré les considérables difficultés du terrain, les colons parvinrent à assécher les marécages. Cependant décimés par les fièvres, nombreux seront ceux, qui dès le remboursement de leurs dettes revendront leur lot. Vers 1886, il ne restait plus à Bou-Khalfa que quatre familles d'Alsaciens Lorrains. En 1901, toujours rattaché à Tizi-Ouzou, le village est administré par M. Hygonnet, adjoint conseiller municipal. Le crieur public est M. Rooz, le garde champêtre, M. Brossard.
Bou-Khalfa possède un café-restaurant tenu par M. Vix et quelques agriculteurs et viticulteurs; Mme Vve Bertrand, Mme Vve Houtmann, MM. Hurtiger, Hygonnet, Kieffer, Kuntz, Lemoine, Martin, Salzmann, Vix.
Par décret du 28 janvier 1917, le nom de Guynemer, sera associé au nom arabe de Bou-Khalfa. Chassés de leurs villages parce qu'ils voulaient demeurer français ces Alsaciens-Lorrains ont usé leurs forces dans les méandres du Sébaou. Plus personne aujourd'hui ne se souvient d'eux. Aussi, afin de rappeler leur souvenir, emprunterons-nous au Dr Ferdinand Huchard, maire de Tizi-Ouzou quelques alexandrins. En effet dès 1908, ce magistrat municipal leur ménageait sur le mode plaisant et spirituel une petite place à côté de tous ceux qui ont fait cette Kabylie.
" Non loin de Mirabeau, de Camp du Maréchal,
Où l'on entend la nuit, plus qu'ailleurs le chacal,
Siffler ses sons aigus en courant sur les routes, Où l'attire dit-on le fumet des choucroutes ".
Par la suite, la Kabylie et Tizi-Ouzou, sortent de la rébellion. La ville met un terme à son isolement. Elle va prendre son essor.
La Kabylie sans perdre son âme et sa personnalité, sans abandonner sa langue le "tamerghiz " ou " tamazirt " ou encore " tamazigh " ses assemblées de sages, ses "djemââ ", s'engage à fond sur la voie de la modernisation et de l'ouverture culturelle et économique. Profondément attachés à leurs montagnes, les Kabyles considèrent qu'après l'affrontement, ils peuvent désormais travailler leurs terres et nouer des relations d'affaires avec les commerçants et artisans installés entre bordj et douar. Mettant à profit l'enseignement du français, un tissu d'échanges s'instaure dans l'intérêt commun. Les Kabyles adoptent et maîtrisent aisément notre langue, ils trouvent à cette époque dans notre alphabet l'écriture qu'ils n'ont pas dans le " tamerghk ", leur idiome berbère.



Edgar SCOTTI
Références bibliographiques
L. Mélia, La ville blanche Alger et son département, Paris Typographie Plon, 8, rue Garancière, 1939.
A. Ibazizen, Le pont de Bereq'Mouch, 1979 La table ronde. Les archives d'outre-mer Aix-en-Provence.
Le petit Kabyle, publication hebdomadaire, fondée en 1885.
Le récit de l'insurrection de 1871, par Mme Gilberte Molinard.
Le livre d'or du Centenaire de l'Algérie, confié par M. Courtin.
La documentation et les conseils de M. T. Bignand.
Le recensement du 31 octobre 1948.
L'œuvre agricole française en Algérie, 1830-1962, 430 pages, ouvrage rédigé par les anciens élèves des écoles d'agriculture d'Algérie, éditions de l'Atlanthrope, Versailles 1990.
Généalogie, Algérie, Maroc, Tunisie, antenne de Nice pour la liste des Alsaciens Lorrains demeurés français, établis à Boukhalfa.
La documentation et les souvenirs de M. Louis Salcédo.
La documentation et les souvenirs de M. Louis Hassen.
La documentation et les souvenirs de M. Jean Chabrol.
Les conseils du Docteur Raymond Féry.
La documentation de M. Martial Pons.
Iconographie
Cartes postales de la collection du Dr Georges Duboucher.
Cartes postales de la collection de l'auteur.
Cartes postales de la collection de M. Paul Teisseire.
Cartes postales de la collection de M. Francis Curtes.


Edgar SCOTTI in L'Algérianiste n°57 de mars 1992 p42