|
Cette déconfiture interne est la conséquence du travail de guerre psychologique intense menée par les hommes du BEL. Nous connaissons tous l’entreprise de démolition conduite par le capitaine Léger : intoxication des maquis, désinformation, provoquant au sein des bandes rebelles une véritable psychose : celle de la trahison avec son cortège d’exécutions massives de coupables ou de supposés coupables.
Une autre composante de ce désastre est illustrée dans le tragique isolement de ces maquis. Ils perdent en effet le contact avec l’extérieur. C'est-à-dire avec le CCE et le CNRA d’abord, puis avec le GPRA. Ils ne reçoivent plus d’informations. L’armement n’est plus acheminé. Car rien ne passe au travers des barrages montés par l’armée française. Ce qui contribue à développer rancœur et haine au sein des maquis contre les "révolutionnaires de palace qui plastronnent à l’étranger".
Si Salah voit arriver à grande vitesse l’anéantissement inéluctable. Or, De Gaulle a offert à maintes reprises « la paix des braves ». Après tout pourquoi pas ?
Ce chef rebelle prend tout d’abord contact avec les willayas voisines. Ce qu’il cherche, c’est s’extirper de son isolement, à tout prix, dans le souci primordial de mettre ses effectifs à l’abri d’une élimination totale.
Pas de problème avec la willaya V, celle qui se situe en Oranie. Pour la raison toute simple qu’elle n’existe pratiquement plus. Son chef, Lotfy, vient d’être tué près du djebel Béchar.
La willaya III, celle de Kabylie, offre une écoute attentive et favorable aux propositions de Si Salah. Son chef Mohand Ould El Hadj, est d’accord. D’autant plus que l’opération Jumelles du mois de juillet 1959 a provoqué un véritable désastre dans ses propres maquis.
Les willayas du Constantinois, la I et la II, suivront sans difficulté. En effet, elles sont asphyxiées. Complètement débandées, elles oeuvrent pour leur propre compte.
Au début du mois de mars 1960, les propositions de Si Salah, pour l’étude d’une « paix des braves » sont transmises au gouvernement gaulliste par l’intermédiaire du caïd de Damiette et du procureur général de la République d’Alger. Le colonel Mathon, représentant le cabinet du premier ministre Michel Debré, et Bernard Tricot représentant du général De Gaulle, effectuent un déplacement dans cette région située au sud d’Alger dans le but d’organiser un premier contact officiel, mais ultrasecret, avec Si Salah.
"Non, mais pour qui me prenez-vous ?"
Ainsi pourrait être formulée la réponse de Si Salah. Les porte-bidons ne l’intéressent pas. Il veut traiter avec De Gaulle et seulement avec lui.
On discute, on marchande et c’est finalement au mois de juin 1960 que Si Salah et ses deux adjoints, Si Mohamed et Lakdar, sont reçus par le général De Gaulle.
Il faut lire la relation de cette rencontre entre le chef "apache" Si Salah et le "général de cavalerie" De Gaulle à l’intérieur des lieux saints, le propre bureau du président. Bernard Tricot. Le général Nicot, avec un haut responsable de la sécurité rapprochée du président se camouflent en embuscade, l’un derrière une tenture, les autres dans un petit salon adjacent. Prêts à intervenir, les armes à la main, pour sauver la vie du général, en cas d’agression de la part du "sauvage" qui est reçu à l’Elysée ! John Wayne, Clint Eastwood sont là et bien là, prêts dégainer. Nos chers fellouzes n’ont qu’à bien se tenir ! Car le héros national, De Gaulle joue sa vie en recevant Si Salah…
Résultat : un bide complet.
Pourtant, théoriquement, je dis bien théoriquement, la paix se trouve là, bien présente dans le bureau du président. La paix, petite colombe frileuse, qui demande du grain et de l’amour. Et qu’on expulse par la fenêtre à la merci du premier charognard qui s’en régalera.
Mais…il y a plus encore.
De Gaulle va dénoncer les initiatives de Si Salah…au GPRA. Edmond Michelet a déjà prévenu son correspondant favori, Krim Belkacem. Comme le dit Tricot :
"De belles purges se préparent".
Oraison funèbre laconique bien dans le ton des hommes politiques de l’époque.
Et puis…tout est foutu. Lakdar, dès le retour en Algérie, comprend qu’il a été floué comme son chef par De Gaulle lui-même. Il est affolé. Il essaie de réintégrer l’orthodoxie FLN. On le tue. Si Salah sera véhiculé vers une mort inéluctable en Kabylie, du côté de Bouïra. Si Mohamed enfin sera tué un peu plus tard à Blida par un détachement d’élite du 11ème Choc qui viendra tout spécialement de Corse pour conclure l’affaire. Plus de témoins ! Bon débarras !
Voilà mon cher lecteur un résumé volontairement succinct de l’affaire Si Salah. Les écrits qui la relatent ne manquent pas dans la littérature canonique. Il vous serait facile de vous y reporter.
Pourquoi avoir réduit cette narration aux dimensions d’une peau de chagrin ? Pourquoi ne pas vous avoir fait connaître la genèse véritable de cet événement ?
Tous ces faits, tels que nous les avons relatés, n’ont en effet rien à voir avec la réalité.
Reprenons.
L’affaire Si Salah, la mal nommé, car on pourrait très bien l’appeler « l’affaire De Gaulle », est née effectivement dans l’esprit du général quand il manifesta l’intention en 1958, réaffirmée en 1959, de rencontrer un chef de maquis.
C’est au mois de novembre 1958, alors que le général est encore Président du conseil de la IVème République, que l’occasion se présente. Dans la région de Palestro une opération est conduite par le colonel Bigeard qui commande à cette époque le 3ème RPIMa. Un notable fellouze, de second ordre, est capturé. Il s’agit de Si Azzedine. Pour celui-ci, à partir de cette capture, s’ouvre une brillante carrière.
Il est connu des services de police d’Alger. Il est originaire de Belcourt, un quartier populaire à l’est d’Alger. Il devient très rapidement l’objet d’une attention toute particulière de la part du général Massu, commandant le Corps d’Armée d’Alger. Une idée germe soudain dans l’esprit de cet officier général : prendre en main Si Azzedine et amorcer un retournement de ce rebelle. Le capitaine Marion, officier parachutiste de l’état-major du général Massu, reçoit la mission secrète de contrôler Si Azzedine et de l’amener à coopérer avec l’armée française. Celui-ci, sans difficulté, sans réticence apparente, accepte de collaborer avec le général Massu.
Si Azzedine, du fait de sa collaboration avec les forces de l’ordre contre le FLN, bénéficie d’un traitement de faveur. Il peut rendre visite, librement, à sa famille dans le quartier de Belcourt. Sans risque pour lui. Sans risque pour les siens. Personne ne le menace ni l’agresse.
A la demande des spécialistes du Corps d’Armée d’Alger il accepte la mission que l’on attend de lui. Il rédige une lettre destinée à un chef de maquis pour le convaincre d’accepter une rencontre avec des émissaires français qui ont pour mission de lui offrir « la paix des braves ». Quel est le chef de maquis destinataire du courrier de Si Azzedine ?
Celui qui commande la willaya IV, Si Salah. Cette lettre a été publiée dans son intégralité dans la revue Historia Magazine.
A partir de la fin de l’année 1958, dans le but d’obtenir une réponse positive de Si Salah, le commandement déclenche les opérations adéquates pour conditionner la Willaya IV. On utilise les compétences du BEL, de tous les services spéciaux, particulièrement efficaces dans le domaine de la guerre psychologique. La première est une forme spéciale de propagande. La seconde utilise toutes les techniques de la guerre secrète basée sur la désinformation de l’ennemi. Le colonel Jacquin et se principaux lieutenants se mettent au travail. Ils pensent, sainement, que mettre à genou la willaya IV, c’est gagner la guerre.
Ni plus ni moins.
Ce qu’ils ignorent, c’est que, pour le général De Gaulle, il faut effectivement mettre à genou la willaya IV, dans le but de PERDRE LA GUERRE. C’est-à-dire être dans la possibilité d’offrir l’Algérie au FLN.
Non, au GPRA.
Jacquin, après ses brillantes opérations fait savoir que la victoire est là. Il ne sait rien de l’usage pervers qui sera fait de cette victoire militaire.
Car De Gaulle a rejeté la paix. Les chefs de la willaya IV ont été tués, mais nos soldats continueront à remporter de belles victoires pour le compte du roi de Prusse. En l’occurrence le GPRA. On a honte de le dire. On a honte d’affirmer que toutes ces belles opérations ont été montées pour le bénéfice du gouvernement algérien en exil. Celui-ci voulait être débarrassé de ces gêneurs dangereux que représentaient les hommes du maquis de l’intérieur. Ceux-ci avaient fait savoir, en effet, et à maintes reprises, qu’ils trancheraient la gorge de chacun des membres de ce gouvernement fantôme, dès leur retour en Algérie.
On comprend que Si Azzedine, manipulé, puis renvoyé à Tunis auprès du GPRA par le général Massu, qui croyait le tenir en main, n’ait pas été condamné par ses chefs pour trahison. L’anéantissement de la willaya IV, en effet, qui trouve son point de départ dans sa lettre rédigée en 1958, entrait dans les projets conjoints du GPRA et du général De Gaulle.
Si Azzedine a d’ailleurs connu les honneurs. Il est revenu à Alger, après la capitulation d’Evian du 18-19 mars 1962. A la tête de la ZAA, il a organisé le combat contre l’OAS, en accord opérationnel total avec la sécurité militaire gaulliste.
Entre-temps, De Gaulle avait fait usage d’une réflexion malheureuse. Il avait déclaré lors d’une conférence de presse, que pour faire la paix, il suffisait d’avoir recours à un usage militaire bien connu : celui de "hisser le drapeau blanc". Ce qui lui a valu une répartie de Ferhat Abbas résumée en ces termes :
« C’est à celui qui demande la paix que revient l’initiative de hisser le drapeau blanc. ».
Effectivement, De Gaulle a fini par le brandir, ce drapeau blanc. Mais il exigea auparavant des victoires spectaculaires. Celles du plan Challe qui lui ont permis d’offrir au GPRA une Algérie débarrassée de ses maquisards des montagnes et des crêtes qui faisaient peur aux gouvernementaux de l’extérieur.
Donc, des victoires ? Oui, certes. Mais des victoires virtuelles. Des victoires pour rien. Des victoires dont on voulait qu’elles permettent de perdre dignement la guerre. Mais surtout d’autoriser "les extérieurs" de la révolution algérienne à prendre le pouvoir sans problème à partir du 3 juillet 1962.
C’est dans le cadre de cette perspective opérationnelle qu’il faut inclure l’opération "Tilsitt". L’opération Si Salah. Mais nos morts, militaires et civils ne sont pas, quant à eux, des morts virtuels. Ils ont été trahis par une impitoyable lâcheté.
Jean-Claude PEREZ
d’après le livre "Vérités tentaculaires sur l’OAS et la guerre d’Algérie"
Editions DUALPHA
10 rue Primatice, 75013 Paris
Tél. 01 42 17 00 48 – Fax. 01 42 17 01 21
Courriel : primatice@francephi.com
Directeur : Philippe Randa
Vérités tentaculaires sur l'OAS et la Guerre d'Algérie
Auteur : Dr Jean-Claude Pérez
Collection : Vérités pour l'Histoire Ref. 168 Prix : 26 € |
|