Former la jeunesse
A cette éducation « de base », les SAS ajoutent une formation professionnelle. Cette action spécifique car professionnelle reste encore assez floue. La SAU de Mostaganem mène une « action au centre de préformation professionnelle sur une quarantaine de jeunes chaque jour » sans plus de précision. Idem dans la SAS de Magenta où un « foyer pour une centaine d’adolescents » est créé. Quelles formations y sont dispensées ? Par qui ? Autant de questions en suspens, faute de sources. Dans l’ensemble, il s’agit d’une part d’offrir de réelles opportunités de travail à une population souvent peu qualifiée. D’autre part, il y a chez les responsables la volonté d’occuper une jeunesse, qui désœuvrée, pourrait être tentée par la rébellion.
Les adultes ne restent pas à l’écart de l’enseignement dispensé. Dans le domaine agricole, les SAS mène une action concrète en dispensant cours et conseils sur les méthodes de conservation des sols, d’exploitation. A la SAS de Taguine, c’est un agronome breton qui apprend les notions d’irrigation à la population. A Oum Toub, c’est un moniteur du paysannat. Comme toujours, les compétences des chefs SAS sont très variables. Le capitaine Leussier a passé huit ans à l’Officie chérifien d’irrigation dans le Tadla… ce qui lui donne une connaissance de l’agriculture méditerranéenne assez pointue
Occuper les loisirs
L’action des SAS et des SAU en direction de la jeunesse dépasse la sphère de la stricte scolarisation. Le Guide de l’Officier AA insiste sur ce point, l’officier doit « s’intéresser à la jeunesse, non seulement pour la scolariser, mais aussi pour lui procurer des distractions saines : sports, terrains de jeux, salles de gymnastiques, scoutisme, théâtre d’amateurs, chants, etc » La note de service n°3045 du 11 juillet 1957 sur le fonctionnement des SAU précise dans leurs missions la mise en place de foyers sportifs, ainsi que d’ouvroirs pour les fillettes.
L’armée mène en Algérie une politique globale en faveur de la jeunesse. Dès 1956 sont créés à Constantine des groupes « Sports et Loisirs ». Le général Massu met en place, de son côté, les Centres de Formation de la Jeunesse Algérienne, confiés à des officiers SAS. Les moniteurs, musulmans pour la plupart, sont formés en France au Centre d’entraînement de moniteurs de la jeunesse algérienne d’Issoire, centre confié en juillet 1957 au capitaine Lemaire. Cette politique trouve un cadre légal par la publication de l’arrêté du 1er décembre 1958 qui crée une structure encadrante, le Service de Formation de la Jeunesse Algérienne, dirigé successivement par les généraux Gribius, Dunoyer de Segonzac et Boudjoua. Le SFJA encadre les Foyers de Jeunes, les Foyers Sportifs grâce à 46 officiers d’active, 316 officiers du contingent, 1400 moniteurs et 774 ouvriers professionnels. Par le sport, notamment par les sports collectifs, il s’agit de donner aux jeunes une éducation de base, le sens de la citoyenneté et du respect. Une pédagogie toujours d’actualité…. Le chef SAS n’a pas autorité, en théorie, sur les moniteurs qui travaillent dans sa zone, mais il est évident que les contacts sont facilités. En pratique, les directeurs des foyers de jeunes sont souvent des appelés du contingent, sous l’autorité de la SAS, comme ce fut le cas à Magenta où le jeune aspirant s’occupait d’une centaine d’élèves, moitié filles, moitié garçons, de 10 à 20 ans. Même chose à Mostaganem, où les 4 moniteurs sportifs sont placés sous la direction d’un aspirant du Service Départemental de la Jeunesse. Ces moniteurs sont de réels aides pour les chefs SAS comme en témoigne le capitaine Berthault qui les considère comme la catégorie de personnels la plus importante pour le seconder dans sa tâche de chef de SAS. C’est par leur intermédiaire qu’il avait des contacts avec les jeunes et les mères de ces enfants. Dans sa SAU, il a constitué des foyers des équipes sportives : une équipe de football qui fut championne d’Algérie en 1961, et une équipe féminine de volley-ball qui connut le même succès.
Où se passent ces loisirs ? Dans la SAU de Mostaganem, l’action « en faveur des jeunes de Tigditt se fait sur le terrain militaire contigu à la SAU », où chaque jour, « l’après midi, une quarantaine d’enfants y participent ». Une opportunité que peu d’enfants refusent. « Nous les avons attirés à la SAS avec des ballons empruntés aux militaires et un bon goûter prélevé sur les secours aux agriculteurs sinistrés. », dit en souriant le lieutenant Le Merre. Les jeunes filles sont aussi invitées à participer à ces activités, même si « ça a été dur mais les pères ont compris ; Coran en main, nous leur avons fait comprendre que les femmes sont des êtres humains et non des animaux. »
Cette association, fondée en avril 1957 sous l'impulsion de la générale Massu, recevait des « jeunes adolescents de 14 à 17 ans qui se trouvaient après leur scolarité livrés à la rue et dangereusement exposés ». Elle gérait plusieurs établissements : le centre de jeunesse de Bab-el-Oued, pouvait recevoir 82 mineurs, orphelins et vagabonds ; deux autres foyers, dits « foyers des yaouleds », respectivement d'une capacité de 45 et 20 mineurs, se trouvaient à Alger, l'un à proximité de la casbah, l'autre à côté du port.
« La scolarisation devra s’adresser aux filles autant qu’aux garçons. L’évolution de la femme est capitale. Elle conditionne toute émancipation réelle. Elle contribuera à résoudre la démographie galopante de ce pays.»
L’action des SAS peut se résumer dans une citation du général Dunoyer de Segonzac du 3 mars 1961 : « Libérer la femme musulmane, c’est-à-dire lui donner une place égale à celle de l’homme, voilà la mission exaltante qui est proposée aux monitrices de Nantes … Elles doivent croire à ce qu’elles font, croire à la réussite finale de ce qui est pour elles un véritable apostolat, croire à la beauté profonde de leur mission ».
Au printemps 1957, l’opération Pilote démontre la nécessité de venir en aide aux femmes et de les faire évoluer. Dans le même esprit que les missions proprement sanitaires, les ASSRA s’occupent en liaison avec les attachées féminines des SAS, de « l’occidentalisation » du statut de la femme musulmane. Ces dernières aspiraient à une vie meilleure, et comptaient sur l’aide et la compréhension de ces équipes, souvent composées d’une Européenne et d’une musulmane, pour donner à la fois le gage du respect de la tradition et la possibilité d’accéder à la modernité.
Le capitaine Vincent note que « l’équipe féminine, par son action continue, en dehors des soins médicaux, [permet] une action en profondeur sur la population féminine musulmane qui semble très prometteuse sur l’évolution de celle ci ». Il poursuit : « Elle était la véritable clef pour résoudre à terme le problème démographique et l’ouverture de la société musulmane au monde moderne ».
Plus qu’une action ouvertement destinée à réduire les problèmes éventuels liés à une démographie galopante, l’action en direction des femmes est une volonté d’émanciper les femmes musulmanes. Deux raisons à cela ; dans une société traditionnelle où le matriarcat reste fort, surtout en pays kabyle, la réussite de la pacification passe par la conquête des femmes. Par elles, il s’agit d’atteindre la famille. Le FLN a en effet beaucoup misé sur les femmes dans le développement de l’insurrection, en proposant selon les Wilayas, un programme politique ouvertement socialiste prônant l’égalité entre hommes et femmes. Seconde raison, les femmes constituent un poids démographique non négligeable, surtout dans les espaces où les hommes sont partis à la recherche d’un emploi, en ville ou en métropole, ou ont pris le maquis. Elles deviennent de ce fait un enjeu politique entre la France et la rébellion, puisqu’une étude estime leur potentiel électoral à deux millions de voix.
La politique de la France dans le domaine de l’émancipation n’est cependant pas une nouveauté. En 1922, le droit de divorce est accordé aux femmes kabyles et en 1930, le mariage des filles impubères est interdit en Kabylie. Ces réalisations doivent être étendues au reste du pays.
Cet aspect singulier doit être souligné. Les actions de stabilisation aujourd’hui se déroulent bien souvent dans des Etats musulmans où la femme n’est pas considérée comme l’égale de l’homme. Lettre du général Olier, Tizi-Ouzou, 22 mars 1956.
Le centre de Nantes forme les monitrices comme celui d'Issoire les moniteurs. |