Sections Administratives Spécialisées (en abrégé, SAS)
 
 

La SAS, bureau de bienfaisance


L’officier SAS représente la France et doit apporter la civilisation dans tous ses départements. Aider une population indigente fait partie de ses missions. « La misère était notre premier souci » souligne d’Andoque. Distribution de farine, de lait concentré, de céréales, de vêtements sont organisées dans les SAS : « J’avais distribué de la semoule aux indigents de la commune de Guern Ahmar… J’avais distribué de la farine donnée par le Secours Catholique américain à Bir Bahir Chergui et à Aïn Chedja ». Cette aide matérielle est inscrite dans les missions des SAS et SAU. Dans celle de Mostaganem, des distributions de « vivres, semoule, lait, vêtements » sont effectuées. Dans les villes, d’autres associations prennent le relais des SAS, comme les œuvres de bienfaisance qui s’occupent aussi des nécessiteux.
Ces mesures d’urgence sont parfois relayées par des actions civiles comme les distributions de tissus et de machines à coudre lancées par Mme Massu. Le manque de moyens est cependant dénoncé par tous les chefs SAS, tout comme le risque de transformer cette aide d’urgence en assistanat.
L’officier SAS refusait souvent l’assistanat, puisque son projet s’inscrivait dans une démarche de développement économique à long terme, où la bienfaisance ne servait qu’à encourager les populations à se remettre au travail.

 
         
   

Une action sanitaire


Les AMG mises en place vont plus loin dans leur mission sanitaire, se transformant en lieux d’apprentissage de l’hygiène. Nombre de femmes de militaires témoignent de ces scènes : « on leur distribuait du savon, ils le mangeait ! ».
Les rapports d’inspection des personnels féminins présents dans les SAS révèlent les nombreuses actions en ce domaine. Le 18 mai 1961, « je trouve Mlle Corneau en pleine activité, en train d’épouiller, passer au shampoing et doucher une quarantaine de fillettes de l’école ».
Tâches simples, mais porteuses de sens. Les SAS s’ancrent véritablement dans le monde réel, leurs actions concrètes. Mission demandée par la Direction du service de santé des forces terrestres en Algérie qui note que l’action médicale doit « se doubler par un effort de surveillance en profondeur portant sur l’application systématique d’un ensemble de mesures de prophylaxie et d’hygiène individuelles et collectives… nécessaires à une diminution de la morbidité et de la mortalité »

     
 
 
     

- Une mission sanitaire et sociale - Des actions en direction de la Jeunesse


« Occupez-vous des enfants, le moment venu ouvrez des écoles de garçons, en plein air s’il n’y a pas de locaux. Soyez en contact permanent avec la jeunesse. Si tu veux savoir ce qu’un voisin pense de toi, regarde ses enfants ».


Scolariser les enfants


Dans ce cadre, l’Armée ouvre des classes dénommées « dépannage » par l’administration pour palier l’absence de scolarisation : dans certains secteurs, le taux de scolarisation pratiquement nul en 1954 atteint près de 50 % en 1962 ! Plus de 2000 classes sont ouvertes en décembre 1960. Une réussite indéniable. Le cas de la SAS de Magenta peut être pris pour exemple. Le capitaine Vincent précise que le « développement de l’enseignement primaire dans la zone fut spectaculaire. L’aide de l’armée dans un premier temps, a permis d’ouvrir de nombreuses classes « hors normes » avec l’aide de jeunes militaires du contingent comme instituteurs. Ensuite, les progrès de la pacification aidant, construction de nouvelles classes officielles dans les villages et regroupements. A la fin juin 1961, dans la nouvelle commune musulmane entre 60 et 63% de la jeunesse était scolarisée. Dans l’autre commune plus ancienne, la proportion devait être de 80% ». Les chefs SAS sont très nombreux à raconter comment ils ont créé de toutes pièces une école dans leur circonscription. A la SAS d’Irden, en grande Kabylie, six écoles ont été construites ou reconstruites.
Pour ce faire, le chef SAS agit plus comme un coordinateur : il dispose du matériel des régiments du génie pour la construction du bâtiment ; la compagnie militaire la plus proche lui fournit souvent un instituteur bénévole et la sous-préfecture lui fournit le matériel scolaire. Ce tableau idyllique est bien évidemment à nuancer : par manque de moyens, les tentes remplacent parfois un local en dur ; papiers, crayons, livres…et moyens de transports pour permettre aux enfants de venir sur place font défaut.

A l’époque de la conscription, de nombreux instituteurs militaires du contingent sont appelés à remplir cette fonction d’éducation. C’est le cas par exemple dans la SAS d’El Hamel où les 4 classes (180 élèves) sont tenues par des militaires. Ecriture, lecture, mathématiques, sont les bases enseignées dans ces écoles. Le capitaine Leussier raconte : « J’ai eu l’occasion dans un taxi parisien conduit par un chauffeur kabyle de recevoir ce témoignage. Il était originaire d’Art Frah, il avait été scolarisé grâce aux militaires et il recherchait l’instituteur qui lui avait appris les connaissances de base pour le remercier ».
Les auxiliaires féminines des SAS s’occupent souvent de l’éducation des fillettes, comme dans la SAS de Bezzit où la jeune femme « s’occupe à la fois des soins et d’une quarantaine de fillettes : classe, couture, tricot, hygiène.. ».
Cette action en faveur des jeunes est considérée comme dangereuse par le FLN comme en témoigne cette lettre de menace adressée à un musulman algérois : « si votre fils est demain à 7 heures à l’école, il ne reparaîtra plus l’après-midi ». En mars 1958, le FLN déclare : « ces ouvertures d’écoles sont dangereuses en ce sens qu’elles permettent de toucher les parents d’élèves, de les posséder même, surtout si l’on songe à ces cantines scolaires qui, soulageant les familles nombreuses et pauvres, éveillent la reconnaissance, donc la confiance».
Il faut noter la précarité de ces écoles qui dépendent de la présence de l’armée. Par exemple, le LTN d’Andoque raconte qu’en novembre 1960, au départ du 67ème BI, les trois écoles furent fermées. « Plus de soldats, plus de maîtres d’école ». Cette situation instable est moins sensible dans les SAU car les écoles ne dépendent pas de la SAS, mais du rectorat.
La présence d’écoles de « dépannage » est parfois vue avec réticence par l’éducation nationale, comme en témoigne le rapport d’inspection de la SAS de Bouinian. L’inspecteur primaire de l’EN s’élève contre ce qu’il considère comme des immixtions des chefs de SAS dans le domaine de l’éducation et a exigé qu’aucun rapport de service ne subsiste entre l’enseignement local et l’autorité militaire. Les relations entre les SAS et les rectorats apparaissent assez confuses. A côté de ces frictions, le sous-lieutenant Auburtin se présente au contraire comme le « représentant de l’inspecteur d’académie sur place ». Ces situations apparemment incohérentes sont le reflet de toute l’ambiguïté du travail des SAS, mais aussi du manque de coordination entre les institutions civiles et militaires. Au delà de ces différences, tous veulent œuvrer pour la formation de la jeunesse.

 
 
 
 
 
 

Former la jeunesse


A cette éducation « de base », les SAS ajoutent une formation professionnelle. Cette action spécifique car profession­nelle reste encore assez floue. La SAU de Mostaganem mène une « action au centre de préformation professionnelle sur une quarantaine de jeunes chaque jour » sans plus de précision. Idem dans la SAS de Magenta où un « foyer pour une centaine d’adolescents » est créé. Quelles formations y sont dispensées ? Par qui ? Autant de questions en suspens, faute de sour­ces. Dans l’ensemble, il s’agit d’une part d’offrir de réelles opportunités de travail à une population souvent peu qualifiée. D’autre part, il y a chez les responsables la volonté d’occuper une jeunesse, qui désœuvrée, pourrait être tentée par la rébellion.
Les adultes ne restent pas à l’écart de l’enseignement dispensé. Dans le domaine agricole, les SAS mène une action concrète en dispensant cours et conseils sur les méthodes de conservation des sols, d’exploitation. A la SAS de Taguine, c’est un agronome breton qui apprend les notions d’irrigation à la population. A Oum Toub, c’est un moniteur du paysannat. Comme toujours, les compétences des chefs SAS sont très variables. Le capitaine Leussier a passé huit ans à l’Officie chérifien d’irrigation dans le Tadla… ce qui lui donne une connaissance de l’agriculture méditerranéenne assez pointue


Occuper les loisirs


L’action des SAS et des SAU en direction de la jeunesse dépasse la sphère de la stricte scolarisation. Le Guide de l’Officier AA insiste sur ce point, l’officier doit « s’intéresser à la jeunesse, non seulement pour la scolariser, mais aussi pour lui procurer des distractions saines : sports, terrains de jeux, salles de gymnastiques, scoutisme, théâtre d’amateurs, chants, etc » La note de service n°3045 du 11 juillet 1957 sur le fonctionnement des SAU précise dans leurs missions la mise en place de foyers sportifs, ainsi que d’ouvroirs pour les fillettes.
L’armée mène en Algérie une politique globale en faveur de la jeunesse. Dès 1956 sont créés à Constantine des groupes « Sports et Loisirs ». Le général Massu met en place, de son côté, les Centres de Formation de la Jeunesse Algérienne, confiés à des officiers SAS. Les moniteurs, musulmans pour la plupart, sont formés en France au Centre d’entraînement de moniteurs de la jeunesse algérienne d’Issoire, centre confié en juillet 1957 au capitaine Lemaire. Cette politique trouve un cadre légal par la publication de l’arrêté du 1er décembre 1958 qui crée une structure encadrante, le Service de Formation de la Jeunesse Algérienne, dirigé successivement par les généraux Gribius, Dunoyer de Segonzac et Boudjoua. Le SFJA encadre les Foyers de Jeunes, les Foyers Sportifs grâce à 46 officiers d’active, 316 officiers du contingent, 1400 moniteurs et 774 ouvriers professionnels. Par le sport, notamment par les sports collectifs, il s’agit de donner aux jeunes une éducation de base, le sens de la citoyenneté et du respect. Une pédagogie toujours d’actualité…. Le chef SAS n’a pas autorité, en théorie, sur les moniteurs qui travaillent dans sa zone, mais il est évident que les contacts sont facilités. En pratique, les directeurs des foyers de jeunes sont souvent des appelés du contingent, sous l’autorité de la SAS, comme ce fut le cas à Magenta où le jeune aspirant s’occupait d’une centaine d’élèves, moitié filles, moitié garçons, de 10 à 20 ans. Même chose à Mostaganem, où les 4 moniteurs sportifs sont placés sous la direction d’un aspirant du Service Départemental de la Jeunesse. Ces moniteurs sont de réels aides pour les chefs SAS comme en témoigne le capitaine Berthault qui les considère comme la catégorie de personnels la plus importante pour le seconder dans sa tâche de chef de SAS. C’est par leur intermédiaire qu’il avait des contacts avec les jeunes et les mères de ces enfants. Dans sa SAU, il a constitué des foyers des équipes sportives : une équipe de football qui fut championne d’Algérie en 1961, et une équipe féminine de volley-ball qui connut le même succès.
Où se passent ces loisirs ? Dans la SAU de Mostaganem, l’action « en faveur des jeunes de Tigditt se fait sur le terrain militaire contigu à la SAU », où chaque jour, « l’après midi, une quarantaine d’enfants y participent ». Une opportunité que peu d’enfants refusent. « Nous les avons attirés à la SAS avec des ballons empruntés aux militaires et un bon goûter prélevé sur les secours aux agriculteurs sinistrés. », dit en souriant le lieutenant Le Merre. Les jeunes filles sont aussi invitées à participer à ces activités, même si « ça a été dur mais les pères ont compris ; Coran en main, nous leur avons fait comprendre que les femmes sont des êtres humains et non des animaux. »
Cette association, fondée en avril 1957 sous l'impulsion de la générale Massu, recevait des « jeunes adolescents de 14 à 17 ans qui se trouvaient après leur scolarité livrés à la rue et dangereusement exposés ». Elle gérait plusieurs établissements : le centre de jeunesse de Bab-el-Oued, pouvait recevoir 82 mineurs, orphelins et vagabonds ; deux autres foyers, dits « foyers des yaouleds », respectivement d'une capacité de 45 et 20 mineurs, se trouvaient à Alger, l'un à proximité de la casbah, l'autre à côté du port.

« La scolarisation devra s’adresser aux filles autant qu’aux garçons. L’évolution de la femme est capitale. Elle conditionne toute émancipation réelle. Elle contribuera à résoudre la démographie galopante de ce pays
L’action des SAS peut se résumer dans une citation du général Dunoyer de Segonzac du 3 mars 1961 : « Libérer la femme musulmane, c’est-à-dire lui donner une place égale à celle de l’homme, voilà la mission exaltante qui est proposée aux monitrices de Nantes … Elles doivent croire à ce qu’elles font, croire à la réussite finale de ce qui est pour elles un véritable apostolat, croire à la beauté profonde de leur mission ».
Au printemps 1957, l’opération Pilote démontre la nécessité de venir en aide aux femmes et de les faire évoluer. Dans le même esprit que les missions proprement sanitaires, les ASSRA s’occupent en liaison avec les attachées féminines des SAS, de « l’occidentalisation » du statut de la femme musulmane. Ces dernières aspiraient à une vie meilleure, et comptaient sur l’aide et la compréhension de ces équipes, souvent composées d’une Européenne et d’une musulmane, pour donner à la fois le gage du respect de la tradition et la possibilité d’accéder à la modernité.
Le capitaine Vincent note que « l’équipe féminine, par son action continue, en dehors des soins médicaux, [permet] une action en profondeur sur la population féminine musulmane qui semble très prometteuse sur l’évolution de celle ci ». Il poursuit : « Elle était la véritable clef pour résoudre à terme le problème démographique et l’ouverture de la société musulmane au monde moderne ».
Plus qu’une action ouvertement destinée à réduire les problèmes éventuels liés à une démographie galopante, l’action en direction des femmes est une volonté d’émanciper les femmes musulmanes. Deux raisons à cela ; dans une société traditionnelle où le matriarcat reste fort, surtout en pays kabyle, la réussite de la pacification passe par la conquête des femmes. Par elles, il s’agit d’atteindre la famille. Le FLN a en effet beaucoup misé sur les femmes dans le développement de l’insurrection, en proposant selon les Wilayas, un programme politique ouvertement socialiste prônant l’égalité entre hommes et femmes. Seconde raison, les femmes constituent un poids démographique non négligeable, surtout dans les espaces où les hommes sont partis à la recherche d’un emploi, en ville ou en métropole, ou ont pris le maquis. Elles deviennent de ce fait un enjeu politique entre la France et la rébellion, puisqu’une étude estime leur potentiel électoral à deux millions de voix.
La politique de la France dans le domaine de l’émancipation n’est cependant pas une nouveauté. En 1922, le droit de divorce est accordé aux femmes kabyles et en 1930, le mariage des filles impubères est interdit en Kabylie. Ces réalisations doivent être étendues au reste du pays.
Cet aspect singulier doit être souligné. Les actions de stabilisation aujourd’hui se déroulent bien souvent dans des Etats musulmans où la femme n’est pas considérée comme l’égale de l’homme. Lettre du général Olier, Tizi-Ouzou, 22 mars 1956. Le centre de Nantes forme les monitrices comme celui d'Issoire les moniteurs.