En 1963 nationalisation des terres agricoles détenues par les Français d'Algérie , retour des agriculteurs et installation en France un exemple de réussite dans le Bordelais.

         

En 1963, le gouvernement algérien avait décidé de nationaliser les terres agricoles pour confier leur gestion à l’administration.


Avant l'indépendance, les Français d'Algérie possédaient des terres du Tell: les plaines du Chelif, de la Mitidja, de l'Oranais et de la région de Bône.

Quelque 22.000 exploitants propriétaires disposaient de 2,7 millions d'hectares; soit près d'un quart des terres agricoles, 40% des surfaces effectivement cultivées et, en valeur, une part de la production agricole qu'on a estimée aux deux tiers.
Le vin, produit de quelque 360.000 ha de vignobles, assurait, à lui seul, bon an mal an, près de la moitié des revenus extérieurs de l'Algérie.
Le secteur indigène consistait essentiellement en exploitations de petite taille (en moyenne: 12 hectares, jachères comprises), avec des cultures vivrières pratiquées sur des surfaces morcelées, sans moyens techniques puissants.

Auprès des villes se trouvaient de petites exploitations maraîchères; tandis qu'à l'écart des zones prospères, des populations, laissées à elles-mêmes, perpétuaient les traditions agricoles anciennes.
Mais, à côté des petits fellahs (paysans), subsistaient de véritables grands propriétaires Algériens environ 9000.
Lors de l'indépendance, en 1962, les ouvriers agricoles eux-mêmes prennent l'initiative de s'approprier les anciens domaines coloniaux. Mais un décret d'Octobre 1963 nationalise toutes les terres détenues par les étrangers: c'est déjà le Secteur Socialiste d'État, avec 22.000 fermes autogérées, regroupées en 3000, puis 2000 domaines. Au pouvoir depuis le 19 Juin 1965, le Gouvernement du Président Boumediène crée, sur 200.000 ha de ce secteur autogéré, 350 CAMA: Coopératives Agricoles d'Anciens Moudjahidines (anciens combattants de la guerre d'indépendance).
La famille Perrin viticulteurs Rapatriés d'Algérie
       

Le grand cru de pessac-léognan, historiquement célèbre pour son blanc, est depuis plus de cinquante ans propriété d'une famille de viticulteurs venue de la région d'Oran, à l'indépendance de l'Algérie

Carbonnieux, avec un accent d'Oranais

Il y eut autrefois, un peu de vin d'Algérie dans certaines bouteilles de Bordeaux, même si ça ne se dit qu'à demi-mot, longtemps après la prescription... Mais on trouve aussi, dans le monde des grands châteaux, des familles venues d'outre Méditerranée. Les Perrin, propriétaires de Carbonnieux, prestigieux domaine établi sur Villenave-d'Ornon, Léognan et Cadaujac, en sont une.

 
   
       

C'est Philibert Perrin, qui dirige aujourd'hui le domaine avec son frère Eric, qui raconte l'histoire, dans le bureau aux peintures orientalistes hérité de son père, Anthony.

« Mon grand-père a acheté Carbonnieux en 1956, en plein hiver, l'année de grand gel. Des amis qui avaient acheté Giscours, Rauzan-Gassies, l'ont convaincu de s'intéresser à la Gironde. Il avait été en partie exproprié par l'armée US pour construire une base aérienne en Algérie. Il a consacré cette somme à acquérir Carbonnieux, qu'il a préféré à Rauzan-Ségla et à Le Tuquet. »

En Algérie, la lutte pour l'indépendance avait commencé deux ans plus tôt. « Mais ils ignoraient encore ce que cela deviendrait. » La famille Perrin, qu'un aïeul Philibert, originaire de Nuits-Saint-Georges en Bourgogne, avait implantée près de Sidi-Bel-Abbès en 1845, y avait fait prospérer une fortune coloniale, avec 400 hectares de terre et de vignes.

     
 
 
     
     

Avec les employés d'Algérie

En 1963, la famille quitte définitivement l'Oranais. Des employés algériens et marocains suivent. « Nous avons leurs enfants et petits-enfants à Carbonnieux, dans les maisons vigneronnes », souligne Philibert Perrin.

Comme de juste, les nouveaux venus ont dû faire leurs preuves dans le milieu si fermé du vignoble. « La marque était connue. Mon père a tout de suite eu des positions dans le milieu professionnel et le négoce. Mais on ne peut pas dire qu'on accueillait les rapatriés à bras ouverts. Même aujourd'hui, quand arrive dans une propriété quelqu'un qui n'est pas Bordelais, disons qu'il est regardé curieusement », s'amuse le propriétaire.

La solidarité des rapatriés, nombreux dans le Sud-Ouest, a tempéré le choc du climat et du mode de vie. « À Oran, ils vivaient un peu comme dans le sud de l'Espagne. ». Pas dans le Médoc ou les Graves.

 
 
     

Le travail acharné d'Anthony Perrin et de ses fils pour développer le prestige mondial du domaine, mais aussi le Sartre, Haut-Vigneau et Lafont-Menaut, occupait de toute façon tout le monde.

Un temps, le château joua le rôle de noyau familial. « Un peu en autarcie », avance Philibert Perrin, « il y avait deux potagers, un verger, une basse-cour, un âne. » Aujourd'hui, il habite seul le château avec sa mère.

Sept siècles viticoles

Le superbe bâtiment, remontant au XVIIIe siècle et aux moines bénédictins de Sainte-Croix dans sa forme actuelle est le coeur d'une entreprise de 45 personnes. Il est aussi devenu partie intégrante de l'image du château. « L'oenotourisme prend la place de la vie familiale. Il m'arrive de regretter ce temps », confie Philibert Perrin.

     
 
 
     
 
 
     

La cour, flanquée de quatre tours, reçoit des concerts de temps à autre. Sa vigne vierge enveloppe sept siècles de vie viticole, de fortunes tantôt étincelantes, tantôt contraires. On y trouve, aux XVIe et XVIIe, une saga de la famille Ferron, jurats et parlementaires bordelais. Ou les moines de Sainte-Croix, au XVIIIe, dont l'emblème, associé à la coquille jacquaire, orne toujours les bouteilles. « L'étiquette a très peu changé. » Le nom des Perrin est discrètement inscrit au blason.

Entre histoire et légende, il y a cette Bordelaise, captive des Ottomans, qui obtint de recevoir de « l'eau de Carbonnieux » au harem du sultan.

Le dernier siècle est au musée, dans le caveau de la propriété, où repose une collection complète des millésimes depuis 1904.

L'an prochain, les Perrin auront réorganisé les anciens locaux d'exploitation pour accueillir le public. La jolie collection de voitures anciennes du père, mieux mise en valeur, un vrai local de vente sera installé. Nostalgie mise à part, Philibert Perrin croit à cette ouverture.

Mais la récolte 2009 aura aussi un caractère particulier. Ce sera la première depuis le décès d'Anthony Perrin. Une nouvelle page tournée avec émotion.

Auteur : Gilles Guitton & JLG

 
 
 
Anthony Perrin
 
     
 
Aujourd'hui, la famille Perrin est aussi propriétaire des châteaux Le Sartre, La Tour-Léognan, Bois-Martin, Lafont-Menaut, Haut-Vigneau.