Blida ville des Roses
 
                                                   
                           

De toutes les villes de l'Algérois, celle de Blida illustre le mieux un art de vivre aux douceurs provinciales, cependant accessible aux citadins algérois par la micheline. Dans une région riche en curiosités de toutes sortes, proche de l'immense forêt d'orangers, de la station de ski de Chréa, du ruisseau des singes, Blida possède sa vie propre, parfois agitée par les blagues des potaches en internat au lycée Duveyrier.

Au début du XIXe siècle, la petite ville s'appelle Ounda, la rose. À l'origine, elle est fondée par des Maures andalous ayant quitté l'Espagne en 1499. Ahmed el Kebir leur donne ce site pour le coloniser en 1553. Ce grand marabout à l'immense notoriété est réputé avoir visité Alep, Damas, La Mecque, Constantinople, Cordoue, avant d'attirer à lui les Maures d'Espagne. Il leur confie les travaux hydrauliques de l'Oued-el-Kebir afin d'irriguer les terres encore incultes mais prometteuses. Ce sage meurt sur place, suscitant des pèlerinages à sa koubba. Les Andalous acclimatent l'oranger. En plein essor, cette petite bourgade voit naître l'artisanat des broderies polychromes sur cuir Avec la décadence de cette communauté, la ville s'étiole et les orangeraies disparaissent.

 
 
- Blida -
   
 
   
                           
La station de ski de Chréa
L'arrivée des colonisateurs ottomans donne à la ville un second souffle, offrant aux janissaires les délices de Capoue et des maisons de tolérance. Retombée dans l'anarchie, la région sert de repaire à la tribu des Beni-Salah. Plusieurs opérations de l'armée d'Afrique sont nécessaires pour les réduire entre 1832 et 1840. Une base logistique se constitue au pied des montagnes où pullulent les insoumis. Dans le but d'y aménager un lieu de détente pour les troupes en transit, le général Michel Bizot trace un jardin d'agrément en 1850. Dans ce Bois sacré s'élève la petite koubba de Sidi-Yakoub au milieu d'oliviers centenaires. Derrière le jardin, le bruissement des feuilles garde peut-être l'écho de l'épopée au sommet d'un mamelon sur la rive gauche de l'Oued-el-Kebir : c'est là que le général Bizot fit construire un de ces blockhaus ressemblant à s'y méprendre aux donjons de l'an 1000, un cube de madriers sous un toit à quatre pentes. Parsemant l'Algérie qui n'était alors terre française que de papier en vertu des décrets, ces blockhaus aux faibles garnisons ont repoussé les assauts des insoumis et rassuré les populations rackettées. Dans celui de Blida, le général Duvivier engage même un duel d'artillerie avec deux pièces de montagne. Il en reste un charmant belvédère, but de promenade en famille.
 
 
Principal lieu de culte, l'église Saint - Charles, voit son maître-autel consacré en 1901, par Monseigneur Henry, natif de Blida, évêque de Grenoble. Il avait été baptisé le 16 août 1851 et eut pour parrain Jacques Frèche, capitaine de zouaves. Il fut accueilli par toute la population, en tète de laquelle figuraient des vétérans de l'armée impériale et des dames de charité venues de Joinville, Montpensier et Dalmatie. Chaque année, la paroisse de Blida ne manqua jamais sa kermesse attirant des fidèles de tout l'Algérois. La ville organise des fêtes civiles tout aussi appréciées celle des fleurs, des écoles et des moulins.
               
  église Saint-Charles  
               
                                               
 
 
     

La station de remonte et son dépôt d'étalons

Cette grande coquette qu'est Blida dans son écrin de roses et d'orangers ne peut manquer d'être saluée par les hennissements des plus beaux étalons de souche barbe et arabe. Fondé en 1852 pour la remonte des chas'd'Af et des spahis, le dépôt étend son activité au profit des colons du bled. Ses 10 pur-sang arabes, 50 barbes, 80 arabes barbes, 42 postiers bretons, 48 baudets donnent des saillies dans une quarantaine de stations essaimant jusque dans le M'zab, à Aïn Bessem, Aumale, Sidi Aïssa, Bou Saàda, Charon, Bourlier, Taguine, Zénma, Montenotte. Oued-el-Alleug, Am-Boucif, Aïn-Bessem, Boghari, Maginot et Vialar. Il existe aussi un centre d'insémination doté de six taureaux. Les deux inséminateurs opèrent dans toute la Mitidja, et même au-delà.

Une ville de garnison

Le 1er RTA est le plus prestigieux régiment d'infanterie de l'armée d'Afrique. Sa caserne porte le nom du sergent Blandan 26e de ligne, tué à Bem-Mered le 11 avril 1841, ses vingt hommes ayant été assaillis par trois cents cavaliers.

Le 65e régiment d'artillerie, dans le quartier Salignac-Fénelon, s'enorgueillit du cheval entièrement blanc de son porte-étendard. Doté de pièces de 75 hippomobiles et de petites pièces de 80 de montagne Lahitolle, il s'illustre pendant la Grande Guerre puis en Tunisie en 1943 dans un terrifiant duel antichar. Le 1er régiment de chasseurs d'Afrique s'installe en garnison à Blida dès 1832. Son étendard rappelle ses faits d'armes : Isly 1844, Balaklava 1854, Solférino 1859, San Pablo del Monte 1863, Extrême-Orient 1885, Madagascar 1895, Maroc 1907-1908-1934, Flandres 1914, Uskub 1918. Montbéliard 1944, Tubïngen 1945.
                                               

Galoufa et quelques figures impérissables

Il y a bien sûr les jeunes cireurs narrés par Maupassant, le marchand d'allumettes aux anchois, le marchand d'oubliés (pâtisserie d'origine provençale), celui des billets de loterie, celui du journal Le Tell. Parmi les plus hautes en couleurs, il faut citer Henri le roi des canaris parce qu'il braconne des passereaux et Badiguel l'entremetteur : une sorte de Marius blidéen. Mais il y a celui qui les surpasse tous, immortalisé par Camus, le fameux attrapeur municipal de chiens errants : "Galoufa" saisissait alors sur le sommet de la voiture un nerf

     
 

de bœuf terminé par une chaîne de fer qui coulissait par un anneau le long du manche. Il avançait du pas souple, rapide et silencieux du trappeur vers la bête, la rejoignait et, si elle ne portait pas de collier qui est la marque des fils de famille, courait vers lui avec une brusque et étonnante vélocité, et lui passait autour du cou son arme qui fonctionnait alors comme un lasso de fer et de cuir. La bête étranglée d'un seul coup, se débattait follement en poussant des plaintes inarticulées. Mais l'homme la traînait rapidement jusqu'à la voiture, ouvrait l'une des portes barreaux et, soulevant le chien en l'étranglant de plus en plus, le jetait dans la cage en ayant soin de faire repasser le manche de son lasso à travers tes barreaux..

 
         
Autocars blidéens

La vie culturelle

À son apogée, avant la catastrophe de 1962, Blida est la capitale de la Mitidja avec 70 000 habitants. Son climat sain bien aéré au pied de l'Atlas Tellien, attire les visiteurs algérois. Les "Autocars blidéens" rouge vif stationnés dans d'immenses hangars, puis la micheline desservent le centre ville. Projetée dès 1920, réalisée en 1947, elle fonctionna jusqu'au 30 mai 1959 : le trajet était devenu dangereux à cause des embuscades, malgré la présence d'un wagon de marchandise aménagé en poste de tir pour une escouade des Unités territoriales. Au centre ville, sur la place d'armes, l'ineffable kiosque à musique de style mauresque trône sous son immense palmier et au milieu de la double file de platanes.

Fière de son charme provincial parfois un peu ostentatoire, cette sous-préfecture déploie le long de son artère principale, le boulevard Trumelet, sa Brasserie de la Paix, ses Galeries de France, sa station de calèche devenue celle des taxis, la caserne du 1er régiment de tirailleurs algériens. La ville est particulièrement fière de sa "Blidéenne", coquet pavillon qui abrite la salle d'honneur du 1er RTA, à la majestueuse grille d'enceinte entourant de vénérables bougainvilliers toujours en fleurs. Cette curiosité a été honorée de visiteurs de marque : Napoléon III en 1865, Emile Loubet en 1903, Edouard VII et la reine Alexandra en 1907, le couple ducal de Connaught en 1909, Gaston Doumergue et Paul Doumer en 1930. Camille Saint-Saëns compose Rêverie d'un soir à Blida. Le roi Béhanzm (1841-1906) renversé après la conquête du Dahomey, mis en résidence surveillée à Blida. A marqué la mémoire des anciens.
Tout le monde connaît la banque de l'Algérie, mais surtout la quincaillerie Schencker, le bar Biglia et sa kémia, la papeterie Klein, le garage Peugeot de Jacky Clément, le magasin de meubles de Salvano, l'hôtel Géronde. En 1894, la baronne de Vialar fonde la halle aux tabacs, somptueux bâtiment de style hispano-mauresque : il est transformé en école en 1959. Dans les environs immédiats se trouvent des installations surprenantes pour une ville de province : ouvert en 1933, près de Joinville, le seul hôpital psychiatrique de toute l'Algérie est le plus important de France, une véritable petite ville autarcique de 2 200 lits avec ses équipements urbains, une mosquée, une chapelle, une étable, un atelier d'espadrilles tressée en sisal d'aloès. Le porteur de valises Franz Fanon y exerce avant de rallier les terroristes en 1957. Contrairement à ce que prétend la rumeur qui le dit mort au combat, il est décédé bien à l'abri dans le pays de Kennedy tenu par les multinationales des hydrocarbures.
La jeunesse est scolarisée dans neuf écoles primaires, dont trois religieuses, un collège et le lycée Duveyrier. Il existe aussi sept cinémas, un orchestre symphonique, plusieurs formations de variété, de danse et de jazz, la nouba du 1er tirailleurs, la fanfare du 1er chas'd'Af, le théâtre, la galerie Salvano d'art et de peinture, de nombreux clubs de sports ayant obtenu des classements en coupe de France.
Il y eut un projet de jumelage entre la ville de Metz et la ville de Blida en 1956. Le maire de Blida, M. C. Baujard précise : « Lors de son récent congrès de Vichy, l'Union nationale des combattants soulignait la nécessité d'une mobilisation de l'opinion publique française pour provoquer le sursaut national devant les événements d'Algérie. » Que reste-il de Blida aujourd'hui ? Une cloche de Blida sonne désormais dans le clocher de l'église Sainte Agnès construite au XI siècle à Tréfumel en Côtes-d'Armor. Elle avait eu pour marraine Mlle Denise Cathou. Il reste aussi la statue de pierre du monument commémoratif du 65e RA exilé de Blida à l'école d'artillerie de Draguignan.

         
 

La source Leblanc

Un colon acharné au travail, l'un de ceux qui illustrent le mieux l'énergie impossible à décourager de ces pionniers du temps de la pacification, a trouvé une source à plus de 80 m sous terre : la source de Gilbert Leblanc a fini par donner son nom à la meilleure eau minérale d'Algérie, avec des qualités dignes de celles de Vichy.

   
 
Philippe Lamarque Docteur es lettres en droit
 
   
     
   
 
 
Guerre d’Algérie-Magazine,
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