« Le jour où j'ai perdu mon pays. » Pierre Dubiton, 66 ans
« J'avais 14 ans quand mon père, qui était fonctionnaire municipal, a été assassiné par le FLN. Trois ans plus tard, je me suis engagé dans le 1er régiment étranger parachutiste. » Le regard dur, les mâchoires serrées, Pierre Dubiton raconte, sans nous épargner aucun détail, la guerre impitoyable que se livrent alors légionnaires et maquisards du FLN. « Un jour, nous sommes appelés après le massacre d'une famille. C'était celle de ma demi-soeur. Les quatre têtes étaient posées dehors. Ma soeur avait 11 ans. Ils l'avaient violée, éventrée, mutilée. » En mai 1961, après le putsch, Pierre Dubiton, en cavale, passe à l'OAS-Oran. « Je me suis battu en faisant parfois des trucs désespérés. Mes compagnons de l'OAS, ce n'étaient que des fils de prolos, de communistes, pas un seul enfant de bourgeois. En 1945, il aurait fallu une partition. Mais nous n'avions pas de Ben Gourion. » Peu après l'arrestation du général Jouhaud, de violents combats de rue opposent gardes mobiles et commandos de l'OAS. « Ça tirait dans les rues, sur les immeubles. Mes trois soeurs ont été blessées, l'une d'elle a été amputée d'une jambe. » La guerre de Pierre Dubiton s'achève lors d'un duel avec un tireur d'élite de la gendarmerie. « J'ai pris une balle explosive dans le bras. On a réussi à m'évacuer. Quand l'avion a grimpé dans le ciel, j'ai compris que tout était fini, que j'avais perdu mon pays. »
« On a décidé de tirer de Gaulle au fusil à lunette. »
Gaby Anglade, 74 ans, dit « l'Argenté »
« En 1955, je fais mon service dans les commandos parachutistes quand, le 20 août, le FLN massacre les Européens de Philippeville. A la mine d'El-Halia, nous trouvons des femmes, des enfants tués dans des conditions épouvantables. » Gaby Anglade ralliera l'OAS. « Il n'était pas question de prendre le pouvoir, mais de garder notre place. Les "opérations ponctuelles" consistaient à abattre des gens qui avaient clairement pris position pour l'indépendance, et donc contre nous. Ils savaient ce qu'ils risquaient. » « L'Argenté »-son surnom dans l'OAS-mène guerre contre les barbouzes gaullistes aux premières loges. C'est lui qui intercepte des caisses de matériel qui leur sont destinées. Il en piège une : « 35 kilos de plastic et trois grenades dont les goupilles étaient reliées à un fil. » Le quartier général des barbouzes, la villa Andréa, est rasé par l'explosion. Dix-neuf d'entre eux sont tués.
« Quand les gardes mobiles, les "rouges", ont commencé à torturer certains des nôtres, l'affrontement est devenu impitoyable. » Après l'arrestation de Roger Degueldre, Gaby Anglade rejoint Paris afin de monter une opération pour le libérer. « C'était impossible. Alors on a décidé d'assassiner de Gaulle en le tirant au fusil à lunette depuis l'atelier d'un peintre russe qui se trouvait en face de l'Elysée. Mais nous avons été arrêtés. Cela dit, je ne vois pas ce qu'on nous reproche. Nous avions raison. De Gaulle aurait pu résoudre le problème de l'Algérie sans l'abandonner. Qu'on reconnaisse au moins qu'il a fait cette erreur-là. »
« De temps en temps, je me réveille, et je me dis qu'ils vont me fusiller. »
Joseph « Nani » Rizza, 80 ans,
Le pionnier.
Il a été l'un des tout premiers activistes algérois avant de devenir, au sein de l'OAS, le « bras séculier » du lieutenant Degueldre. Joseph Rizza était employé des tramways d'Alger, quand se produit l'insurrection FLN, à la Toussaint 1954 : « On ne pouvait pas se laisser tuer sans faire quelque chose », explique-t-il aujourd'hui. Il crée un groupe d'autodéfense qui assassine, le 16 novembre 1954, un cordonnier proche du FLN. « Les services secrets nous envoyaient faire le boulot. Il y avait des choses qu'ils ne pouvaient pas commettre eux-mêmes », dit-il. Dès 1955, il entre dans la clandestinité. Quand le FLN, le 10 juin 1955, mitraille un car d'Air France, Rizza et ses hommes vident en réponse leurs armes sur un car de musulmans, qui percute un mur. Bilan, 60 morts et plus de 40 blessés. Puis il tire sur les deux chefs des « barbouzes » gaullistes chargées de réduire l'OAS : « J'avais tout préparé, mais ils sont sortis en marche arrière. J'ai tiré, balancé une grenade, mais ils n'ont été que blessés. » Combien d'actions a-t-il menées ? Jo Rizza soupire. « Je ne sais plus, j'en ai tellement fait. Au début, on y croyait. Mais, après l'arrestation de Degueldre, il n'y avait plus d'espoir. Susini m'a dit : "Il faut décrocher". » Jo Rizza parvient à rallier Alicante, en Espagne. Aujourd'hui, il vit en France, et il avoue : « De temps en temps, je me réveille. Je me dis qu'ils vont me prendre comme les autres et me fusiller ou me couper la tête. »
« Comment je suis devenu un militant soldat. » Jean-Pierre Ramos, « le Pasteur », 74 ans
Sur la terrasse ensoleillée de la Cité radieuse de Le Corbusier, à Marseille, Jean-Pierre Ramos, 74 ans, corps d'athlète, dit « le Pasteur » au sein de l'OAS, est un ancien chef d'un commando Delta. Vice-président des étudiants d'Alger, il résilie son sursis en 1956. Le voilà, à 21 ans, chasseur-parachutiste dans les djebels de Kabylie, spécialiste de la guerre subversive. « J'ai eu une passion pour la Kabylie et ses habitants. D'ailleurs, je n'en veux pas aux fellouzes, mais à l'appareil du FLN qui a fait massacrer tant d'Algériens. Au sein de l'OAS, nous n'étions pas des racistes tueurs d'Arabes. Les ratonnades auxquelles j'ai pu assister m'ont donné envie de vomir. Non, nous nous sommes battus contre des membres du FLN, les gaullistes et des communistes. » C'est après le putsch, auquel il participe, que Jean-Pierre Ramos rejoint l'OAS d'Alger : « Je suis devenu un militant soldat. J'ai formé mon commando. Degueldre nous a rapidement demandé de passer aux "opérations ponctuelles", mais je préfère l'expression israélienne d'"exécutions ciblées". » Jean-Pierre Ramos figurera parmi les plus actifs, mais, dit-il, en refusant le terrorisme de masse. « Je me suis opposé à toute politique de terre brûlée. J'appelais cela le "départ la tête haute". » Blessé lors d'une embuscade contre les gardes mobiles, il est l'un des derniers à quitter l'Algérie. « Ensuite ? J'ai fui en Italie et suis resté en exil jusqu'à fin 1965. Là, les gaullistes nous ont repêchés dans toute l'Europe. Leur devise était : " Mieux vaut un soldat à la maison qu'un loup affamé en liberté." »
« Je n'ai tué personne. mais j'en ai fait tuer beaucoup. »
Athanase « Tassou » Georgopoulos, 81 ans, un des patrons d'Oran
« Je n'ai tué personne. Mais j'en ai fait tuer beaucoup. » Au départ, rien ne prédestinait Athanase « Tassou » Georgopoulos, 81 ans, à devenir un « révolutionnaire » et, au fil des événements, l'un des chefs de l'OAS-Oran. « J'avais une brasserie, le Grand Café riche, et, à l'été 1960, j'ai été contacté par différents réseaux d'Européens qui n'étaient pas d'accord avec la politique de De Gaulle. Plus tard, je suis allé à Madrid, où l'on m'a confié la constitution de l'OAS à Oran. Nous voulions conserver l'Algérie à la France. Mais nous n'avions rien, pas d'armes, pas de moyens et surtout aucune expérience militaire. Nous ne savions pas tuer. » Ils apprendront vite. « C'est au lendemain du putsch que les coups de calibre ont commencé. Le folklore, c'était fini. » Semi-remorques bourrés d'armes volés à l'armée, infiltration par les égouts du quartier arabe d'Oran, prise de la prison où sont enfermés bon nombre de condamnés à mort du FLN : « On a fait entrer camions et voitures bourrés d'explosifs, de bouteilles de butane et d'essence. » Après avoir quitté Oran, Tassou Georgopoulos passe de longues années en Espagne avant de rejoindre la France. « Il faut comprendre qu'on avait une adoration pour la France, son drapeau, chaque "Marseillaise" nous donnait des frissons. Mais aussi que c'est le peuple qui a fait l'OAS, pas les bourgeois ou les riches colons d'Algérie. » |