Algériens Les combattants de la 25e heure
 

Faux anciens combattants


Alors que l’Algérie commémore le 54e anniversaire du déclenchement de la guerre pour l’indépendance, le pays est en proie au scandale des " faux moudjahidines " dont certains touchent les pensions auxquelles ont droit les anciens combattants. Glorifiée et sanctifiée depuis l’indépendance en 1962, l’histoire officielle de l’Algérie revient aujourd’hui comme un boomerang aux visages de ceux qui l’ont écrite.

Début octobre, en pleine séance plénière du Parlement, un député de l’opposition, Nouredinne Ait Hamouda - fils du colonel Amirouche, héros de la guerre d’Algérie - a jeté un pavé dans la mare. Il a révélé le scandale des "faux moudjahidines", qui usurpent les faits de guerre et pour certains les pensions des anciens combattants de la guerre de libération.

D’une part, le député a affirmé que le chiffre d’un million et demi de morts durant la guerre n’était pas crédible et d’autre part, que plus de 20 000 "faux moudjahidines" touchaient injustement des dividendes pour cause d’invalidité depuis de nombreuses années.


" Un côté noir et peu honorable de l’histoire algérienne "


Le procédé de falsification est simple. Il consiste à se faire délivrer par la municipalité de sa ville ou de son village un certificat de nationalité. Pour cela, nul besoin de constituer un dossier ou d’apporter des preuves tangibles de son incorporation dans l’Armée de libération nationale (ALN). Deux témoins, pouvant attester de la bravoure du prétendant au titre, suffisent.

Ces révélations, intervenues quelques jours avant la célébration du 54ème anniversaire du début de la guerre, le 1er novembre, ont eu l’effet d’un séisme auprès de la classe politique algérienne et dans les médias.

Ces soubresauts ont même atteint les sphères du pouvoir. Des hauts fonctionnaires de l’Etat seraient concernés par ce scandale, si l’on croit Fayçal Métaoui, journaliste spécialisé dans les affaires politiques au quotidien "El Watan".
" Le régime algérien refuse d’admettre qu’il y a un côté noir et peu honorable de l’histoire. Les vrais moudjahidines meurent dans le dénuement le plus total. L’organisation des anciens combattants a toujours tendance à accuser l’étranger, au lieu d’enquêter pour déterminer qui a fait vraiment la guerre et qui profite indument de l’argent du peuple."

En Algérie, la guerre contre la colonisation a toujours été un enjeu politique majeur. Plus que cela, "c’est toute l’histoire du pays qui continue à être un grand facteur de légitimation du pouvoir", explique l’historien français Benjamin Stora.


12 000 "faux moudjahidines" déjà débusqués


Le chercheur ne s’étonne pas de voir la polémique sur les " faux moudjahidines " rejaillir cycliquement sur la scène nationale. La raison en est que le système algérien n’est pas parvenu à faire de l’histoire un objet du passé, ni à accéder de la légitimité révolutionnaire à la légitimité démocratique par la voie des urnes. "Il ya des pans entiers de l’histoire algérienne qui ne trouvent pas d’épilogue. Je peux citer, entre autres, l’assassinat du colonel Amirouche ou encore les rapports entretenus entre les maquis de l’intérieur et les forces militaires postées aux frontières vers la fin de la guerre. La vérité est que tous les scandales sur l’histoire sont liés à des enjeux d’Etat opaques", analyse Benjamin Stora.

Opaque ou pas, Nourredine Ait Hamouda, le député par qui le scandale est arrivé, a juré de faire éclater la vérité.
Il s’interroge : " Pourquoi dans tous les pays du monde, le nombre d’anciens combattants baisse d’année en année, sauf en Algérie ou il augmente grâce à la volonté de Dieu et de Bouteflika ?". Et d’ajouter : "Il faut bien que ce pouvoir nous donne un jour les chiffres exacts des Algériens morts au maquis et de ceux qui se sont autoproclamés anciens combattants."

Pour tenter d’apporter un peu de lumière sur ce dossier jugé explosif, Mohamed chérif Abbas, ministre algérien des Anciens combattants, a chargé récemment un inspecteur d’éplucher tous les dossiers. Résultats : 12 000 " faux moudjahidines" ont été débusqués et suspendus, tandis que 85 000 autres dossiers de demande de reconnaissance de statut d’anciens combattants sont bloqués au niveau de la commission ministérielle.

Paraphrasant Henri Louis Mencken, ancien journaliste et essayiste américain, Najib Moussaoui, étudiant en histoire à la faculté d’Alger, conclut : "Une guerre laisse le pays avec trois armées : une armée d'infirmes, une armée de pleureuses, et une armée de voleurs." La dernière partie du dicton semble convenir à l’Algérie d’aujourd’hui.

Source : http://www.france24.com/fr/20081102-alg%C3%A9rie-faux-moudjahidines-anciens-combattants-guerre-liberation-armee
- Par Tahar HANI