Editorial
Dans la littérature cyniquement aseptisée du « politiquement correct », véritable anthologie de toutes les calomnies que les médias peuvent déverser sur le compte de la colonisation française en Algérie, il en est une qui, de « petit vent rasant la terre », va s'enfler en se propageant, « s'enfler, s'enfler en grandissant » jusqu'à devenir un « crescendo public », « qui éclate et qui tonne » provoquant « aussitôt un chorus général de haine » et « donnant le signal de la proscription »... Cette calomnie, c'est l'affirmation, de plus en plus présente, selon laquelle les Français auraient détruit les cursus scolaires et plus grave, auraient interdit l'école aux petits musulmans algériens.
Détruit les cursus scolaires et -pourquoi pas - universitaires ?... Dernièrement, une radio périphérique interrogeait, avec la complaisance qui s'impose, une intellectuelle algérienne qui affirmait qu'elle était fille de médecin - Tiens donc ! Ce dernier aurait-il contourné la loi française qui devait l'interdire d'école !!! - mais, que son père avait été obligé de présenter sa thèse de doctorat à Paris, l'Université française ayant « décapité » (sic) les facultés d'Alger...
Ainsi donc, tous nos médecins - dont un prochain éditorial soulignera certainement l'œuvre colossale accomplie en Algérie, sous le drapeau tricolore - diplômés de l'Ecole de médecine algéroise, ayant accompli tout leur cursus dans les amphis d'Alger la Blanche, seraient des imposteurs qui se seraient arrogé un titre de docteur que ne pouvait leur attribuer une Université... « Décapitée » qu'elle était par la volonté de la France ?... Sans doute nous rétorquera-t-on que c'était vrai lorsqu'il s'agissait de spécialités, comme la cardiologie, par exemple, qui nécessitait un passage dans les hôpitaux parisiens pour confirmer une certaine expérience.
Fort bien ! Alors, changeons de perspective. Comment expliquer que des Algériens, aient pu être enseignants — et d'excellents enseignants, rendons leur cette justice - dans des établissements français, si l'école primaire, le collège, le lycée leur avaient été interdits et si un enseignement supérieur « décapité » n'avait pu les barder de tous les diplômes exigibles et exigés pour occuper leur chaire. Plusieurs Oranais de la dernière génération des Pieds-Noirs, avant l'exode, se souviennent des cours magistraux d'un Haddam, en mathématiques, d'un Allai en physique ou d'un Hirèche en sciences naturelles ; et la liste est bien sûr, loin d'être exhaustive.
Et nos gogos d'intellectuels de gauche (pardonnez le pléonasme) d'avaler avec béatitude de telles scandaleuses affirmations. Leur délectation est telle que l'on peut se demander si elle est sincère ou si elle participe de cette campagne, soigneusement concertée, de démolition de l'œuvre civilisatrice de la France en Algérie. Ne devrait-on pas évoquer à leur sujet, cette remarque de Coluche, frappée au coin du bon sens : « Les journalistes ne croient pas les mensonges des hommes politiques, mais ils les rapportent. Ce qui est pire ! ».
Mais pourquoi chercher nos exemples dans les sphères de l'enseignement supérieur. Restons au niveau de l'enseignement primaire élémentaire, voulu pour tous par le socialiste Jules Ferry (il est vrai qu'en France, pays des bons sentiments, on lui reprochait sa politique coloniale). Nul ne peut nier que nos écoles ouvraient leurs classes et offraient leurs bancs à tous les enfants musulmans-algériens qui sollicitaient leur inscription. Cependant, nombreux sont ceux qui continuent d'affirmer, de ce côté de la Méditerranée, que l'école française était interdite aux Algériens.
L'écrivain-journaliste Assiya Hamza, personnalité au demeurant fort sympathique, qui ose - vu sa condition de femme musulmane - affirmer dans son ouvrage Mémoires d'Enracinés, (Edition Michalon), la richesse que lui apporte sa double culture et que « élevée à l'école républicaine... les mots Liberté, Egalité, Fraternité et, ajoute-t-elle Laïcité, n'ont jamais été pour elle, des mots vides de sens », ne peut s'empêcher d'écrire que son père a été « privé d'école à l'époque coloniale » (op.cit. p. 13).
Aussi quelle surprise, lorsqu'aux premiers jours de juillet 1962, sont apparus en Algérie, des intellectuels, des journalistes, des médecins, des avocats, des commissaires de police, des écrivains, des chercheurs... tous francophones. Privée d'école pendant la colonisation, ce ne pouvait être qu'une génération spontanée, née en une seule nuit, à l'aube de l'indépendance. Adieu les théories de ce grand géant de la science qu'était Louis Pasteur, adieu ses tubes à essai, ses éprouvettes alambiquées et soudées, et ses expériences concluant à l'impossibilité de la génération spontanée. Du jour au lendemain, les Algériens lui apportaient un cinglant démenti... Peut-être est-ce pour le consoler que le Lycée Lamoricière - que voilà un nom gênant pour ceux qui vomissaient la conquête - s'est appelé Lycée Pasteur.
Soyons sérieux — si nos détracteurs ne le sont pas - ! Essayons d'apporter notre modeste éclairage sur l'enseignement des enfants algériens pendant la présence française. En 1833 (1), soit trois ans seulement après l'arrivée des Français, s'ouvre une école pour l'étude de la langue française, de l'écriture et du calcul, école destinée aux petits « indigènes », d'après la nomenclature de l'époque. Il fallut déchanter. Selon Maurice Pouland « les Maures déçurent nos espérances et bien peu franchirent le seuil de la nouvelle école ». Sans se décourager, on créa en 1836, à Alger, une école arabo-française, et une autre à Bône en 1837. Le 6 août 1850, on décida une scolarisation « concertée et systématique ». Il fut créé six écoles arabes-françaises à Alger, Constantine, Oran, Bône, Blida et Mostaganem. De 1850 à 1870, il s'ouvrit 36 écoles en ville ou dans les tribus. Hélas ! Elles sont peu fréquentées. En 1876, il n'en reste plus que 16.
C'est en 1883, que l'on observe pour la première fois depuis la conquête, la mise en place d'un système d'enseignement institutionnalisé destiné aux enfants algériens. En l'espace de 15 ans, sans tâtonnements ni hésitations, cet enseignement, étendu dès le départ, à l'ensemble du territoire algérien devient gratuit, laïque et obligatoire, même si l'obligation n'est pas effective à l'époque pour préserver les réserves de certaines consciences.
En 1891 est créé un cours normal pour la formation des maîtres algériens et une section spéciale où seront formés les maîtres européens destinés au nouvel enseignement. Qui n'a pas entendu parler de l'Ecole Normale de la Bouzaréa ?... Depuis la France n'a cessé de perfectionner son dispositif scolaire en faveur des écoliers algériens, remaniant les programmes en 1898, créant des emplois d'inspecteurs pour améliorer l'enseignement donné, organisant des fermes-écoles en 1910, créant des cours complémentaires d'enseignement professionnel en 1919, abordant un nouveau plan de scolarisation en 1944, rapprochant jusqu'à la fusion les deux enseignements, européen et indigène en 1949.
Pourtant les critiques des grincheux « bien-pensants » demeurent virulentes. Les caricatures ne manquent pas. Chacun cite, par exemple, l'obligation pour les petits Arabes (comme pour les petits Annamites ou les petits Sénégalais) de réciter : « Autrefois, notre pays s'appelait la Gaule et ses habitants les Gaulois ! »... S'était-on seulement donné la peine de lire les Instructions officielles données aux enseignants ?... On aurait vite découvert les buts généreux que se fixait l'école française en Algérie.
En Histoire, « il ne s'agit pas d'enseigner l'Histoire en tant que récit des événements mémorables. La suite des rois, les traités, les récits de bataille sont bannis de notre programme. Nous nous proposons de montrer l'état des populations de la France et de l'Algérie, aux principales époques de leur histoire, pour faire saisir le progrès de la civilisation, le développement des idées de justice et d'humanité, et enfin faire comprendre le rôle bienfaisant de l'Ecole en Algérie. » Nous sommes bien loin de l'affirmation ridicule citée plus haut.
Les Instructions avaient même créé une discipline originale, les « Connaissances usuelles » : « Sous le nom de Connaissances usuelles sont réunies un certain nombre de leçons, diverses par leurs objets, mais semblables par leur but, qui est l'utilité pratique et l'amélioration des conditions de la vie : conseils d'économie domestique, d'hygiène, notions scientifiques élémentaires sur quelques grandes lois de la nature, éléments de la législation usuelle. Le programme des connaissances usuelles est un de ceux qui marquent le mieux, le caractère pratique de notre enseignement ».
Au fil des ans, jusqu'à la fin, la France a poursuivi son effort. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, à partir de 1949-1950, dans un plan baptisé d'intérêt régional, de nouvelles mesures sont décidées pour scolariser les enfants du bled, mais aussi les adultes en cours du soir. De nombreux douars sont dotés d'une école toute neuve à une ou deux classes, jouxtant un appartement meublé, à inaugurer, pour attirer dans cet ultime effort de scolarisation, de jeunes couples d'enseignants. Plusieurs de ces écoles, isolées, seront pillées et brûlées, pendant les « événements » et plus d'une enseignante, plus d'un enseignant, sera assassiné dans sa classe.
Pourtant, ils avaient apporté dans les douars, non seulement la lecture et le calcul, mais encore une multitude de services. Riches de la confiance que leur faisaient les populations locales, ils se faisaient écrivains publics, ils se chargeaient de démarches administratives au chef-lieu le plus proche, ils s'improvisaient ambulanciers ou chauffeurs de taxi, ils assumaient les fonctions de secrétaires de communes mixtes, ils devenaient médiateurs entre les fellahs et les diverses administrations... Mais, c'est surtout en jouant le rôle d'auxiliaires médicaux, d'infirmiers quasi-permanents qu'ils se montraient le plus utiles. Au hasard des rapports d'inspection de l'époque, on peut lire : « La visite de propreté est effective et efficace : les visages, les mains sont propres, les têtes sont nettes, les cheveux coupés courts ; comme chaque matin, le maître met des gouttes dans les yeux des élèves. L'état sanitaire est bon et le trachome est en régression. Les fiches sanitaires, minutieusement tenues par le maître, sont un auxiliaire précieux de son action pédagogique et guident le travail de dépistage du médecin d'hygiène scolaire ». On peut s'arrêter encore sur cette conclusion : « Dans une classe qu'il a créée et qu'il aime, Monsieur X..., se révèle excellent éducateur. Son action, heureuse dans tous les domaines (pédagogique, moral social) contribue à donner aux enfants le goût de s'instruire et à assurer dans ce petit pays la grandeur de l'Ecole » (2).
Mais à quoi bon écrire tout ceci ?... Nous le savons, nous, Pieds-Noirs convaincus, et nous, métropolitains de bonne volonté, comme nous savons qu'il n'est pire aveugle et pire sourd que celui qui ne veut ni voir ni entendre. Mais que l'on présente l'effort de scolarisation des enfants algériens dans sa chronologie administrative ou dans les sacrifices consentis par nos enseignants dans le bled, nous avons, hélas, trop souvent, le sentiment que notre effort de témoignage de la vérité s'avère inutile puisque les lignes de notre éditorial ne sont lues que par nos compatriotes de là-bas... et quand bien même elles seraient lues par un autre public, elles se heurteraient au mauvais vouloir de ceux qui, conditionnés par la politique ambiante, veulent tout ignorer de la vérité et se refusent à rendre justice à la grandeur de l'œuvre civilisatrice de la France en Algérie.
Nous faut-il donc poursuivre ce travail de Sisyphe, remontant sans cesse son rocher, pour le voir dévaler la pente à nouveau, sitôt la crête atteinte Oui ! Toujours oui ! Et sans se décourager. N'est-ce pas notre grand Camus qui disait : « Il faut imaginer Sisyphe heureux » ?... Alors, comme ce héros mythique condamné par les dieux, trouvons du bonheur - bonheur amer s'il en est - à poursuivre notre combat contre la désinformation, jusqu'au jour où, dans un pays permettant l'expression des opinions à contre-courant du « politiquement correct » sans encourir le moindre procès, l'Histoire reconnaîtra que les Français ont multiplié les écoles sur tout le territoire algérien, qu'ils ont alphabétisé les populations partout où cela était possible, jusque sous la tente des nomades sahariens, qu'ils ont enseigné outre la lecture, l'écriture et le calcul, des règles d'hygiène et les principes médicaux fondamentaux ; alors, pourra-t-on entendre et faire écho, non pas à nos voix, chacun sait que les Pieds-Noirs sont pénibles et ne veulent asséner que leur seul son de cloche, mais à la voix des Algériens, comme celle d'un authentique adversaire des Français, Abderrahmane Farès, qui a eu l'honnêteté, et peut-être aussi le courage, d'affirmer au milieu de dirigeants qui ne cessent d'exiger une repentance : « S'il est en Algérie, un domaine où l'effort de la France ne se discute pas, c'est bien celui de l'enseignement.
On doit dire que l'Ecole a été un succès certain. Les vieux maîtres, les premiers instituteurs, ont apporté toute leur foi pédagogique, sans arrière-pensée, et leur influence a été extrêmement heureuse », ou mieux encore cette phrase de l'écrivain kabyle Belkacem Ibazizen, qui sera le point d'orgue final de notre conclusion, affirmant avec une franchise qui l'honore : « La scolarisation française en Algérie, a fait faire aux Arabes un bond de mille ans.'!!»....
Que tous ceux qui nient l'évidence se le tiennent pour dit...
L'Echo de l'Oranie
Notes
1. - Source de renseignements : Fanny Colonna, Instituteurs Algériens de 1883 à 1939, Presses de la fondation nationale de sciences politiques.
2. - Rapports Vertalier, Inspection primaire de Relizane
L'ECHO DE L'ORANIE 345 | MARS-AVRIL 2013
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