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Discours prononcé par M. Hubert Colin
de Verdière, Ambassadeur de France en Algérie, à
l’Université de Sétif le 27 février 2005,
à l’issue de la cérémonie de signature
de la "Convention de partenariat entre l’Université
de Clermont-Ferrand et l’Université Ferhat Abbas de
Sétif."
Monsieur le Wali,
Monsieur le Recteur,
Monsieur le Président,
La signature qui vient d’être
faite de la convention entre l’Université Ferhat Abbas
de Sétif et l’Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand
revêt une importance particulière. Le partenariat qu’elle
institue dans le domaine des mathématiques appliquées
accompagne en effet la réforme de l’enseignement supérieur
en Algérie, qui prévoit une organisation des filières
d’enseignement en trois niveaux : licence, mastère,
doctorat (LMD). Ce faisant, l’Algérie se joint au mouvement
qui a conduit l’Université française à
se réorganiser selon le même schéma et à
se rapprocher des partenaires européens, en facilitant ainsi
la reconnaissance réciproque des diplômes, les échanges
entre Universités et les cursus alternés. L’objectif
de tous est aujourd’hui de former des étudiants hautement
qualifiés et de mieux les préparer aux emplois qui
seront les leurs dans des économies en mutation accélérée.
Nous nous réjouissons que l’Algérie se joigne
à cette démarche, dont les étudiants algériens
peuvent à l’avenir profiter largement à l’instar
des étudiants européens.
La convention qui vient d’être
signée s’ajoute à un ensemble d’accords
interuniversitaires déjà en vigueur entre l’Université
de Sétif et sept autres universités françaises
: Paris 6, Rennes, Reims, Strasbourg, Chambéry, Mulhouse
et Metz. Il s’y ajoute des projets de recherche en coopération,
dans le cadre de formations doctorales, qui lient votre Université
à celle de Strasbourg, Paris 6, Marseille 2, l’INSA
de Lyon et Paris Orsay : en 2004, 30 enseignants-chercheurs de Sétif
ont bénéficié de stages en France et sept universitaires
françaises sont venus ici dans le cadre du même programme.
Deux projets de recherche « Tempus » sont aussi en cours,
ainsi que trois projets entre le département de physique
de l’Université et le CNRS français.
On peut en conclure que l’Université
de Sétif est un partenaire tout à fait substantiel
et apprécié de nos Universités. Je m’en
réjouis profondément. Et je ne doute pas que le très
important programme de coopération qui sera lancé
en Algérie à la prochaine rentrée universitaire,
programme dit « Ecole doctorale de français »
qui couvrira chacun des trois niveaux LMD, permettra de renforcer
encore plus cette coopération, avec cette fois le département
des langues de votre Université.
Toutes ces actions et projets s’inscrivent
d’ailleurs dans un ensemble de mécanismes de coopération
couvrant l’ensemble de nos partenaires algériens et
qui se sont, au fil des années, beaucoup diversifiés.
Ils relèvent, depuis l’automne dernier, du Haut Conseil
Universitaire et de Recherche franco-algérien, qui fixe le
cap et valide les programmes. Pour n’en donner qu’un
bref aperçu, je les présenterai comme suit :
un programme de bourses ouvert
aux étudiants, aux enseignants-chercheurs et aux cadres du
secteur public : 5.000 boursiers formés en France depuis
1986.
un programme de projets de recherche d’une durée de
2 à 4 ans, sélectionnés sur appel d’offres
par des experts des deux pays : 600 projets de recherche conjoints
ont été menés à bien, plus de 500 thèses
ont été soutenues et plus d’un millier de communications
de niveau international ont été produites ; 32 nouveaux
projets de recherche ont été sélectionnés
en décembre dernier.
un programme de mise en place d’une école doctorale
de français, qui vise à préparer, sur une période
de 4 ans, 2000 docteurs, appelés à occuper des fonctions
d’enseignement dans les universités algériennes.
l’Ecole supérieure algérienne des affaires d’Alger
(ESAA), qui assurera la formation et le perfectionnement de cadres
et dirigeants d’entreprises : les enseignements du MBA exécutif
ont débuté en janvier 2005, ceux du Mastère
débuteront en septembre prochain.
des programmes de coopération particuliers entre diverses
institutions supérieures algériennes et de grands
organismes de recherche français, tels l’IRD, le CNRS,
l’INSERM et le CIRAD.
J’ajoute, même si cela
déborde le cadre strict de la coopération universitaire,
que plus de 21.000 étudiants algériens sont inscrits
dans des Universités françaises, pour l’immense
majorité au niveau des 2ème et 3ème cycles
: ils ont évidemment vocation à revenir en Algérie
et à y rejoindre leurs collègues enseignant dans vos
Universités ou à prendre des responsabilités
dans les entreprises.
Et je n’oublie pas, au titre
de sa contribution budgétaire, qui est très significative,
comme à celui du concours de ses experts, la forte présence
de la France dans les projets pluriannuels de coopération
entre l’Algérie et l’Union Européenne
: au titre notamment de la réforme du système éducatif
et de l’appui à la modernisation de la formation professionnelle,
complétés d’ailleurs, dans ce domaine, par un
important programme bilatéral.
Comme vous le constatez et en quelques
années, la coopération franco-algérienne s’est
beaucoup élargie et ses procédures se sont modernisées.
Ce qui se fait au niveau des universités et du système
éducatif ou en matière de formation professionnelle,
comme au travers d’autres programmes dans les secteurs technique,
économique et social, vise à accompagner et faciliter
les réformes que l’Algérie a engagées
: réforme économique, avec le développement
d’une économie de marché ; réformes institutionnelles
et des normes de droit ; réformes en matière d’éducation
et de formation des cadres ; modernisation des administrations publiques
; grands travaux d’infrastructures et de caractère
social. L’ampleur de ces chantiers est impressionnante, à
la mesure des contraintes de développement du pays. La France
est associée, par sa coopération, à la plupart
d’entre eux, à un titre ou à un autre, avec
en perspective une double ambition commune : la construction, d’une
part, d’un ensemble euroméditerranéen, celui
notamment de la Méditerranée occidentale, portée
par une dynamique collective de changement ; la recherche, d’autre
part, d’une croissance soutenue au Sud comme au Nord, propre
à assurer des emplois qualifiés à chacun et
des conditions de vie meilleures. C’est là une ambition
forte et l’expression concrète de notre solidarité.
Monsieur le Wali,
Monsieur le Recteur,
Monsieur le Président,
Je ne puis manquer, lors de cette rencontre, d’évoquer
la haute personnalité algérienne qui a donné
son nom à votre Université, le Président Ferhat
Abbas : homme de culture, homme de convictions, très tôt
hanté par le sort de son peuple, fondateur de l’Association
des étudiants musulmans d’Afrique du Nord. Toute sa
vie, il s’est soucié de la jeunesse, notamment de la
jeunesse intellectuelle, dont il pensait qu’elle serait le
fer de lance des luttes à venir. En sa qualité d’élu,
de Chef de parti politique ou de journaliste, il n’a cessé
de défendre sa conception d’une république algérienne
ouverte sur le monde.
Ferhat Abbas fut un temps, pour nous, un adversaire.
Mais sa longue intimité avec notre peuple et notre culture
faisait de lui un adversaire respecté. Et c’est au
GPRA, qu’il présidait, que le Général
de Gaulle proposa en janvier 1961 « une conversation officieuse
entre personnes qualifiées, sur tous les aspects du problème
algérien », conduisant ainsi aux rencontres préliminaires
de Lucerne et de Neuchâtel, puis aux négociations d’Evian,
conclues le 19 mars 1962.
Je salue ici, dans cet amphithéâtre
de l’Université Ferhat Abbas de Sétif, la mémoire
d’un homme d’Etat qui incarnait avec une grande dignité
la rigueur intellectuelle si nécessaire dans notre monde
compliqué, ainsi que l’exigence de justice et de liberté
de son peuple. Il était né et a longtemps vécu
à Sétif. Aussi me dois-je d’évoquer également
une tragédie qui a particulièrement endeuillé
votre région. Je veux parler des massacres du 8 mai 1945,
il y aura bientôt 60 ans : une tragédie inexcusable.
Fallait-il, hélas, qu’il y ait sur cette terre un abîme
d’incompréhension entre les communautés, pour
que se produise cet enchaînement d’un climat de peur,
de manifestations et de leur répression, d’assassinats
et de massacres !
Le 8 mai 1945 devait être l’occasion
de célébrer l’issue tant attendue d’une
guerre mondiale, pendant laquelle tant des vôtres avaient
donné leur vie pour notre liberté, cette liberté
qui devait être celle de tous les algériens. Ce fût
hélas un drame. Celui-ci a marqué profondément,
nous le savons bien, les algériens qui, dès cette
époque, rêvaient de liberté. Ferhat Abbas était
de ceux-là. Le jeune Kateb Yacine en était aussi.
L’été dernier, à l’occasion
du soixantième anniversaire du débarquement en Provence,
le Président Jacques CHIRAC a voulu témoigner de manière
exceptionnelle la reconnaissance de notre pays à l’égard
de tous ces algériens qui ont combattu à nos côtés
pendant la deuxième guerre mondiale. Soixante anciens combattants
algériens ont ainsi été décorés
de l’ordre de la Légion d’honneur. Et c’est
avec beaucoup d’émotion que j’ai remis hier,
dans les locaux de l’Assemblée populaire communale
de Sétif, les insignes de cette distinction aux enfants de
l’un de ces braves, M. Aouakla Amar, malheureusement décédé
récemment : paix à son âme.
Ce que je viens de rappeler conduit à m’interroger
sur la manière dont se construisent les mémoires dans
nos pays et entre nos pays. Des mémoires longtemps à
vif, cicatrices exacerbées par trop d’années
de guerre, reposant notamment sur des récits personnels,
récits d’identité, récits de souffrance,
récits d’exil.
On parle souvent, entre la France et l’Algérie,
d’une « mémoire commune », liée
à mille faits quotidiens tissés entre les communautés
musulmane, juive et chrétienne pendant la période
coloniale. « Mémoire commune » certes, de voisinage
et parfois d’œuvres collectives ; mais aussi «
mémoire non-commune », chargée de ressentiments,
d’incompréhensions, d’hostilités. Il n’y
a jamais unicité des mémoires, ni d’explication
catégorique ou définitive des grands évènements
historiques, comme il ne peut y avoir concurrence des victimes,
ni négation des malheurs, quels que soient ceux-ci.
Les jeunes générations d’Algérie
et de France, la vôtre en l’occurrence, n’ont
aucune responsabilité dans les affrontements que nous avons
connus. Cela ne doit pas conduire à l’oubli ou à
la négation de l’Histoire. Mieux vaut se charger lucidement
du poids des bruits et des fureurs, des violences des évènements
et des acteurs de cette histoire, en évitant si possible
les certitudes mal étayées, voire les jugements réciproques.
Cette charge est lourde et le travail à mener considérable.
C’est là me semble-t-il, que se situe
notre et votre responsabilité. Celle qui s’appuie sur
les exigences du savoir pour tenter d’ouvrir, avec méthode,
les chantiers d’un travail historique, comme le font déjà
certaines ou certains d’entre vous. Et cela, comme l’a
écrit l’historien Benjamin Stora, « pour forger
des valeurs d’égalité sur les ruines du mépris
et de la haine ». Certains pensent qu’il faut oublier
le passé pour qu’il n’enterre pas le présent.
Je ne partage pas cet avis, même si nous ne devons pas non
plus nous enfermer dans l’histoire. C’est la connaissance
lucide du passé et des mémoires diverses, complétée
par la vision d’un avenir différent, qui conduit à
la tolérance, à la construction de l’espace
démocratique et aux valeurs universelles.
Dans l’un de ses écrits, le philosophe
français Paul Ricoeur se disait « troublé par
l’inquiétant spectacle que donne le trop de mémoire
ici, le trop d’oubli ailleurs ». Et Paul Ricoeur de
s’interroger sur le concept de « juste mémoire
», qu’il envisageait dans sa triple dimension «
de souci d’autrui, de sens de la dette et de respect dû
aux victimes ».
Monsieur le Wali, Monsieur le Recteur, Monsieur
le Président, j’espère que vous ne m’en
voudrez pas de m’être un peu écarté de
l’objet premier de notre rencontre. Mais cette assemblée
d’étudiants et d’enseignants de l’Université
de Sétif m’imposait d’exprimer du fond du cœur
les réflexions que l’on peut retenir ici de l’histoire
et les fortes convictions que les français en tirent aujourd’hui
sur la nécessité d’un rapprochement sincère
avec l’Algérie.
C’est tout le sens des efforts engagés
depuis l’an 2000, au plus haut niveau des deux Etats, qui
doivent conduire à une coopération rénovée,
à un partenariat d’exception, à l’amitié
des algériens et des français. Dans le domaine qui
est le vôtre, la formation des élites de ce pays, nous
sommes résolus à joindre nos efforts à ceux
que vous déployez. Et nous nous enrichirons mutuellement
de ce que nous ferons ensemble.
Je vous remercie.
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