DISCOURS DE NICOLAS SARKOZY UNIVERSITE DE MENTOURI
Constantine - Mercredi 5 décembre 2007

 
         
 
 
 

Monsieur le Président de la République, Cher Abdelaziz, qu'il me soit permit en commençant de vous dire mon amitié, mon respect et mon admiration, Monsieur le Premier ministre, Mesdames et Messieurs les ministres, Mesdames et Messieurs,

C'est une immense joie pour moi de pouvoir m'adresser à vous aujourd'hui, et à travers vous à la jeunesse et au peuple algériens.
Si j'ai souhaité le faire ici, à Constantine, ce n'est pas seulement parce que cette ville est, comme tant d'autres villes de la Méditerranée, l'héritière d'une histoire plusieurs fois millénaire qui a mêlé depuis la plus haute Antiquité les destins de tant de peuples.
Si j'ai souhaité venir dans cette ville qui porte encore le nom du premier Empereur romain converti au christianisme, ce n'est pas seulement parce que Constantine est depuis si longtemps le symbole de l'identité arabo-musulmane de l'Algérie.

 
 

Tout homme qui vient à elle ne peut s'empêcher, quelles que soient ses croyances, d'éprouver à son contact ce sentiment religieux d'être dans un de ces lieux sacrés où le Ciel paraît si proche et la foi si naturelle.
Combien de visiteurs ont ressenti ce qu'avait ressenti ce voyageur des siècles passés qui, voyant apparaître Constantine au-dessus des brumes matinales, croyait « voir quelque cité fantastique éclose tout à coup des ombres de la nuit et portée dans le ciel par deux oiseaux blancs » ? Cette ville est une ville de foi.
Combien d'hommes qui n'avaient pas la même religion, qui n'avaient pas la même culture, qui n'avaient pas la même origine, se sont pourtant sentis saisis par la même émotion, celle que j'ai éprouvée tout à l'heure en arrivant devant Constantine que tant de travail, que tant de peine, que tant de volonté farouche ont suspendue au-dessus des ravins comme pour témoigner qu'il n'est rien de plus fort que la volonté humaine lorsqu'elle est soutenue par une foi vivante ? Ainsi est votre ville de Constantine.
J'ai donc souhaité parler dans ce lieu, ce lieu qui appartient à tous, les hommes parce que ce lieu incarne pour tous les hommes l'esprit de résistance, l'esprit de conquête, l'esprit de dépassement de soi.
J'ai souhaité parler dans ce lieu où l'identité et la civilisation musulmanes parlent à tous les hommes.
Et j'ai souhaité parler à la jeunesse algérienne parce que la jeunesse d'Algérie tient dans ses mains une partie du destin d'une grande civilisation qui a tant apporté à l'Humanité de sagesse, d'art, de culture et de science, et dans laquelle tant d'hommes dans le monde espèrent encore.
Jeunes d'Algérie, je suis venu vous dire que vous pouvez être fiers de votre pays parce que l'Algérie est un grand pays.
Jeunes d'Algérie, je suis venu vous dire que vous pouvez être fiers d'être des jeunes musulmans parce que la civilisation musulmane est une grande civilisation.
Jeunes d'Algérie, je suis venu vous dire que le peuple français vous aime et que le peuple français vous respecte.
Je sais, Cher Abdelaziz, les souffrances du passé, je sais les blessures profondes que les tragédies de l'Histoire ont laissées dans l'âme du peuple algérien.
Et dans cette ville de Constantine, je n'ignore nullement que les universités portent les noms de grands résistants qui furent des héros de la cause algérienne.
Dans cette ville, que je n'ai pas choisie par hasard, les pierres se souviennent encore de ce jour de 1837 où un peuple libre et fier, exténué après avoir résisté jusqu'à l'extrême limite de ses forces, fut contraint de renoncer à sa liberté.
Les pierres de Constantine se souviennent encore de cette journée terrible du 20 août 1955 où chacun fit couler ici le sang, pour la cause qui lui semblait la plus juste et la plus légitime. Ce n'est pas parce que 1955 est l'année de ma naissance que je dois ignorer cette bataille et cette date.
Le déferlement de violence, le déchaînement de haine qui, ce jour-là, submergea Constantine et toute sa région et tua tant d'innocents étaient le produit de l'injustice que depuis plus de cent ans le système colonial avait infligée au peuple algérien.
L'injustice attise toujours la violence et la haine. Beaucoup de ceux qui étaient venus s'installer en Algérie, je veux vous le dire, étaient de bonne volonté et de bonne foi. Ils étaient venus pour travailler et pour construire, sans l'intention d'asservir, ni de n’exploiter personne. Mais le système colonial était injuste par nature et le système colonial ne pouvait être vécu autrement que comme une entreprise d'asservissement et d'exploitation.
De part et d'autre, et c'est mon devoir de Président de la République de le dire, de part et d'autre, il y a eu des douleurs, il y a eu des souffrances, il y a eu des peines. Ces douleurs, ces souffrances et ces peines, nul en Algérie ni en France ne les a oubliées. Je n'oublie ni ceux qui sont tombés les armes à la main pour que le peuple algérien soit de nouveau un peuple libre, je n'oublie ni les victimes innocentes d'une répression aveugle et brutale, ni ceux ont été tués dans les attentats et qui n'avaient jamais fait de mal à personne, ni ceux qui ont dû tout abandonner : le fruit d'une vie de travail, la terre qu'ils aimaient, la tombe de leurs parents, les lieux familiers de leur enfance.
Mais, jeunes d'Algérie, c'est en regardant ensemble, Algériens et Français, vers l'avenir, que nous serons fidèles aux souvenirs de nos morts, qu'ils soient Algériens ou Français.
C'est en tendant l'un vers l'autre une main fraternelle que nos deux peuples comprendront, que tant de fautes, que tant de crimes, que tant de malheurs n'auront pas été vains puisqu'ils nous auront appris à détester la guerre et à rejeter la haine.
Je ne suis pas venu nier le passé. Je suis venu vous dire que le futur est plus important.
Ce qui compte c'est ce que nous allons accomplir, et ce que nous allons accomplir ensemble ne dépend que de nous.
Ce qui compte c'est que l'Algérie est aujourd'hui un pays libre, un pays moderne.
Ce qui compte c'est que l'Algérie et la France ont en commun des valeurs, une culture, des intérêts.
Ce qui compte c'est que la géographie, la mer, la culture, l'héritage des siècles lie à jamais les destinées de l'Algérie et de la France.
Ce qui compte c'est que dans tant de cœurs français l'attachement à l'Algérie soit si fort, ce qui compte c'est que tant d'Algériens ne peuvent s'empêcher au fond d'eux-mêmes de considérer la France comme une forme de deuxième patrie.
Ce qui compte c'est que l'Algérie et la France aient la langue française en partage et que tant d'écrivains, tant de savants expriment en Français ce qu'il y a de plus grand et de plus beau dans l'art, dans la sagesse et dans la pensée algérienne. Et je souhaite que davantage de Français prennent en partage la langue arabe par laquelle s'expriment tant de valeurs de civilisation et de valeurs spirituelles. En 2008 j'organiserai en France les Assises de l'enseignement de la langue et de la culture arabes, parce que c'est en apprenant chacun la langue et la culture de l'autre que nos enfants apprendront à se connaître et à se comprendre. Parce que la pluralité des langues et des cultures est une richesse qu'il nous faut à tout prix préserver.
Mes chers amis, je vous le dis du fond du cœur, ce qui compte ce n'est pas ce qui a été pris hier, c'est ce qui sera donné demain ; ce n'est pas le mal qui a été fait, c'est le bien qui sera rendu ; ce n'est pas ce qui a été détruit, c'est ce qui sera construit. C'est le message, au nom de la République française, que je voulais dire au peuple d'Algérie et à la jeunesse d'Algérie.
Les fautes et les crimes du passé furent impardonnables. Mais c'est sur notre capacité à conjurer l'intolérance, le fanatisme et le racisme qui préparent les crimes et les guerres de demain que nos enfants nous jugerons.
Je le dis dans cette ville qu'on appelait jadis « la Jérusalem du Maghreb » parce que sa communauté juive y était la plus importante d'Afrique du Nord, dans cette ville qui se souvient encore que pendant des siècles Juifs et Musulmans y vécurent en paix les uns avec les autres : l'antisémitisme n'est pas qu'un crime contre les Juifs c'est un crime contre tous les hommes et un crime contre toutes les religions. Aucune cause aussi juste soit-elle ne peut justifier, à mes yeux, ce crime.
Je le dis dans Constantine si croyante et dont la tolérance fut pendant tant de siècles la marque du génie : Il ne s'agit pas seulement de condamner le racisme, encore moins de répondre au racisme par le racisme, il s'agit de le combattre. Je combattrai le racisme qu'il soit anti-arabe, anti-juif, anti noir, anti blanc, il n'est pas possible de transiger avec le racisme.
Et la France ne transigera jamais avec le racisme. La France sera toujours au côté de ceux qui ne transigent pas.
La France ne transigera pas avec l'islamo phobie. La France ne transigera pas avec l'antisémitisme. La France ne transigera pas avec le fanatisme. La France ne transigera pas avec l'intégrisme. Elle ne transigera avec aucune forme d'extrémisme, avec aucune forme de terrorisme. L'Algérie, -je suis venu vous le dire-, trouvera toujours la France à ses côtés lorsqu'il s'agira de combattre le terrorisme, l'extrémisme, l'intégrisme, l'islamo phobie.
Mais si nous voulons ensemble vaincre un jour l'islamo phobie, l'antisémitisme, le racisme, le fanatisme, si nous voulons décourager le terrorisme, il ne faut pas que nous transigions non plus avec la Justice. Et je sais que le mot justice ici, en Algérie, cela compte. Car c'est du sentiment de l'injustice que les terroristes tirent leur plus grande force. Priver les Palestiniens d'un Etat-nation, est une injustice que la France n'acceptera pas. Ne pas reconnaître à Israël le droit de vivre en sécurité est une injustice. Empêcher les croyants de pratiquer leur religion, refuser la liberté de conscience et la liberté de culte, c'est une injustice.
On ne combat pas le fanatisme, on ne combat pas l'intégrisme en combattant la religion. On combat l'intégrisme et le fanatisme en favorisant une idée ouverte et tolérante de la religion.
Je ne crois pas que les grandes religions soient une menace pour la paix. Je ne crois pas que les grandes religions constituent un obstacle au progrès, je ne crois pas que les grandes religions soient un facteur d'obscurantisme. Je crois tout le contraire.
Je crois que le sentiment religieux est un sentiment très noble. Et quand je regarde vos mosquées et quand je regarde nos cathédrales, je vois ce que la foi peut accomplir de rand et de plus beau. Et je me dis que ce que nous pouvons accomplir ensemble, Musulmans, Chrétiens, Juifs, doit pouvoir être plus beau et plus grand encore.
Je pense à la coupole de la Basilique Notre-Dame d'Afrique à Alger, sur laquelle il est écrit Dame d'Afrique, priez pour nous Chrétiens et pour les musulmans ».
« Notre
Je pense au testament si émouvant du Père Christian, supérieur du monastère de Tibhirine, s'adressant, visionnaire, à son assassin : « Et toi aussi, l'ami de la dernière minute qui n'auras pas su ce que u faisais (...) qu'il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux au Paradis, s'il plaît à Dieu, notre Père à tous les deux ». Et Père Christian termine en disant : « Amen ! Inch Allah ! » Ce jour-là, le Père Christian a fait honneur à l'Algérie, à la France et à la foi universelle dans le monde des croyants.
Je pense à l'Emir Abd El Kader, sans doute la plus belle et la plus noble figure de l'histoire algérienne, je pense à sa foi, une foi si rayonnante, je pense à son Islam si authentique, si ouvert, si humaniste.
Je pense à ce héros qui s'était battu jusqu'au bout de ses forces pour l'indépendance de l'Algérie et qui en 1860 à Damas sauva tant de vies chrétiennes du massacre, non pas parce qu'elles étaient chrétiennes mais parce que c'étaient des vies et qu'il considérait que sa foi de musulman lui faisait un devoir de sauver des vies. C'est cela le message de l'Islam que vous devez porter en Algérie et ailleurs. Oui, moi, le Président de la République française, je pense à la sagesse de cet homme de culture et de foi qui entretenait une correspondance suivie avec l'évêque d'Alger, qui s'intéressait à la Franc Maçonnerie et qui voulut être enterré à côté du tombeau d'Ibn Arabî, ce rand sage de l'Islam dont il se considérait comme le disciple et qui a dit : « Je professe la religion de l'Amour, l'Amour est ma religion et ma foi ». Les terroristes salissent un Islam qu'ils ne connaissent pas.
C'est à cette Algérie de la tolérance, c'est à cette Algérie de l'amour qui est son plus beau visage que je veux m'adresser.
Si chacun d'entre nous, Chrétiens, Musulmans, Juifs, nous allons au fond de nous-mêmes, au fond de nos traditions, au fond de nos croyances, au fond des cultures dont nous sommes les héritiers, alors nous découvrirons au-delà de tout ce qui nous sépare, de tout ce qui nous oppose, que ce que nous avons accompli de plus beau et de plus grand procède, au fond, des mêmes valeurs, de la même raison et du même idéal.
En m'adressant aujourd'hui à la jeunesse algérienne, je m'adresse à la jeunesse d'un pays qui s'est toujours reconnu dans un Islam humaniste et ouvert, un Islam des Lumières.
En m'adressant à la jeunesse algérienne, je veux parler à ces centaines de millions de musulmans dans le monde qui se reconnaissent comme les héritiers d'un Islam qui a toujours su faire dialoguer la foi et la raison.
Je veux parler d'ici, à Constantine, à ces centaines de millions de musulmans dans le monde qui ne sont pas seulement les enfants d'Ibn Arabî, mais aussi les enfants de Platon, d'Aristote et de Saint Augustin, et qui ne se reconnaissent pas dans le fanatisme et dans l'intégrisme. Je ne veux pas d'un amalgame entre l'Islam et les terroristes. Je ne veux pas d'un amalgame entre les musulmans et les fanatiques. Il fallait que cela soit dit ici, à Constantine.
Au nom de la France laïque et républicaine, je veux dire à des centaines de millions de musulmans dans le monde que leur foi, que les valeurs de la civilisation dont ils sont les dépositaires peuvent être une chance pour le monde.
Je veux leur dire qu'ils doivent se battre pour l'idée qu'ils se font de leur foi et pour leurs valeurs.
Je veux leur dire que la France les aime, que la France les respecte et que dans ce combat elle sera à leur côté parce que ce combat d'un Islam ouvert, d'un Islam des Lumières, est un combat pour tous les hommes, un combat pour toute l'humanité.
Je ne suis pas venu vanter une fois de plus les mérites d'un dialogue hypothétique des civilisations, des cultures ou des religions. Parce qu'il ne s'agit plus simplement de dialoguer, il s'agit d'agir et de construire maintenant, tout de suite, ensemble.

A voir la situation politique, économique et sociale dans certaines parties du monde méditerranéen, à voir les conflits qui les déchirent à plusieurs endroits, à voir les inégalités souvent si grandes et la misère si criante, à constater, comme l'actualité nous en donne chaque jour l'occasion, le retour de la violence primitive à travers toutes les formes du fanatisme religieux et du terrorisme, je veux me demander devant vous si depuis quelques décennies nous n'avons pas trop parlé et pas assez agi.
On peut se demander si le moment n'est pas enfin venu d'aller solliciter au fond de nous-mêmes ce qui fait l'unité intellectuelle, morale, religieuse du monde méditerranéen que durant des siècles tant de croisades, de guerres prétendument saintes, d'entreprises coloniales ont fait éclater. Tournons la page ! C'est le temps maintenant.
Dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, où des forces matérielles et humaines d'une extraordinaire puissance sont à l'œuvre, il nous faut nous convaincre les uns et les autres qu'il est devenu vital de donner plus de force à ce qui nous unit et d'arrêter de parler de ce qui nous oppose.
Nous devons réapprendre à vivre avec un mot que je veux vous proposer en partage, nous devons apprendre à vivre notre diversité au nom de ce que nous avons en commun. Le mot diversité ne me fait pas peur. Il est beau. La Méditerranée ne se place à l'avant-garde de la civilisation mondiale que lorsqu'elle sait brasser les hommes et les idées.
La civilisation méditerranéenne n'a jamais été grande que par l'échange, que par le mélange et j'ose le mot, elle n'a jamais été si grande, la civilisation méditerranéenne, que par le métissage. La civilisation méditerranéenne ne résistera pas autrement demain à l'aplatissement programmé du monde. La civilisation méditerranéenne ne conjurera pas autrement le risque d'un choc des civilisations et d'une nouvelle guerre des religions. Elle n'empêchera pas autrement la grande catastrophe écologique qui nous menace.
La diversité, j'ai voulu qu'elle soit reconnue en France en organisant l'Islam de France. Je salue la présence de Dalil. Mais la diversité, nous devons la reconnaître partout comme une valeur de civilisation, comme un principe politique fondamental aussi important que la démocratie.
C'est au nom de la diversité que le Liban doit vivre libre, indépendant, débarrassé des influences extérieures.
C'est au nom de la diversité que l'intégrisme et l'intolérance doivent être combattus sans merci. Le peuple d'Algérie, vous avez été bien courageux dans les années 90, et bien seuls. Ceux qui vous jugeaient alors voient dans le tribunal de l'histoire qu'ils ont eu tort, parce que si vous n'aviez pas combattu dans les années 90, eh bien nous n'en serions pas là et je ne pourrais pas aujourd'hui, à Constantine, dire ce que j'ai envie de dire.
La diversité, l'échange, le métissage, l'ouverture à l'autre, tels sont les principes qui doivent fonder l'Union de la Méditerranée. Tels sont les principes sur lesquels les pays riverains de la Méditerranée doivent s'entendre pour construire un avenir commun qui ne soit pas seulement celui que le destin et les événements choisiront de nous imposer.
Alors, les sceptiques, Abdelaziz, et Dieu sait s'il y en a, doutent qu'une telle entreprise puisse réussir. Les sceptiques croient que les différences sont trop grandes, les fractures trop profondes. Tous ceux qui m'expliquaient : « c'est dur d'aller en Algérie ». Ah bon, pourquoi ? Ce n'est jamais que deux heures et demie d'avion !
Mais moi, je pose la question : ce que firent jadis les rands savants musulmans qui transmirent à l'Occident l'héritage de la Grèce qu'ils avaient sauvé de la destruction, eux l'ont réussi et nous, nous ne le pourrions pas ?
Pourquoi le grand miracle andalou, pourquoi le miracle de Cordoue et celui de Grenade, ne pourraient-ils plus se reproduire ? Ils étaient donc plus intelligents, plus courageux que nous ?
Pourquoi la diversité qui fut si longtemps le lot de Constantine, d'Alexandrie ou de Beyrouth, pourquoi cette diversité serait-elle devenue impossible ? Serions-nous si peu à l'image de ceux qui nous ont précédés ? Ils étaient ouverts, nous serions devenus sectaires. Alors qu'il n'a jamais été aussi facile de se déplacer et de communiquer, ce qu'ils ont fait avant-hier, nous ne serions pas capables de le faire pour demain ?
Pourquoi les grandes religions monothéistes, dont j'affirme qu'elles sont des religions d'amour et non de haine, pourquoi donc seraient-elles incapables de vivre en paix les unes avec les autres ? Je n'ai pas l'intention que nous nous laissions imposer le calendrier et le bréviaire de tous les fanatiques du monde.
Pourquoi la sagesse d'Abd El Kader serait-elle hors de portée des croyants d'aujourd'hui ? Pourquoi les croyants d'aujourd'hui se laisseraient-ils manipuler ?
Pourquoi le testament du père Christian sur cette terre d'Algérie n'amènerait-il pas les hommes de bonne volonté à préférer le pardon à la vengeance ?
Pourquoi la paix et la fraternité seraient-elles plus difficiles entre nous, les peuples de la Méditerranée qu'elles ne l'ont été dans l'après-guerre entre les peuples européens ? Croyez-vous que nous nous soyons moins battus en Europe qu'en Méditerranée ? Nous nous sommes tant combattus en Europe, pendant des siècles, et nous nous sommes combattus en Europe jusqu'à l'extrême limite de l'horreur ? Et pourtant, nous nous sommes pardonnes.
L'Union de la Méditerranée, je ne l'ignore nullement, c'est un pari et c'est un défi. Un pari dicté par l'idéal autant que par la raison. Un pari qui n'est ni plus ni moins raisonnable que celui de l'Europe il y a une soixante ans. Je fais le pari de la compréhension, du respect, de la solidarité et de l'amour. Je préfère ce pari là à celui de la vengeance, des malentendus, de la haine, de la barbarie.
Ce pari, la France est venue le proposer à l'Algérie. Ce pari, la France veut le gagner avec l'Algérie.
Comme la France offrit jadis à l'Allemagne de construire l'Union de l'Europe sur l'amitié franco-allemande, la France est venue aujourd'hui proposer à l'Algérie de bâtir l'Union de la Méditerranée sur l'amitié franco-algérienne.
C'est parce qu'il y avait tant de douleurs à surmonter que ce que firent le Chancelier Adenauer et le Général de Gaulle eut une telle importance pour l'Europe.
C'est parce qu'il y a tant de douleurs à surmonter que ce que vont faire ensemble l'Algérie et la France a tant d'importance pour ce qui va advenir de la Méditerranée.
Vous savez, j'ai été élevé par mon grand-père. Il détestait les Allemands. Chez moi, on n'appelait pas les Allemands de ce nom-là. J'ai été élevé comme cela. Quant de Gaulle a dit avec Adenauer qu'il fallait pardonner et qu'il fallait regarder vers l'avenir, mon grand-père qui avait eu peur et qui avait tant souffert, a suivi les hommes d'Etat qui proposaient la paix et non pas la vengeance.
Eh bien, croyez-moi, je n'ignore nullement les douleurs, les souffrances, les malheurs que votre peuple a ressenti. Mais je vous dis une chose : ce qu'il a été possible de faire en Europe, il est possible de le faire en Méditerranée.
Cette amitié entre nos deux peuples, elle ne peut reposer que sur la confiance.
Il faut que l'Algérie et la France se fassent confiance. C'est difficile de dire cela et je n'ignore rien de tout ce qui se passe, mais il faut se faire confiance.
L'accord de coopération dans le nucléaire civil que nos deux pays ont conclu est la marque de cette confiance que la France fait à l'Algérie.
Et, je le dis au nom de la France, le partage du nucléaire civil sera l'un des fondements du pacte de confiance que l'Occident doit passer avec le monde musulman.
Parce qu'elles ont choisi de se faire confiance, l'Algérie et la France, se sont mises d'accord pour réfléchir à la mise en œuvre d'une nouvelle politique d'immigration qui serait décidée ensemble. Il faut parler des questions qui fâchent. C'est la seule façon de surmonter des malentendus et des désaccords. Parce qu'elles se feront confiance, l'Algérie et la France permettront aux jeunesses de nos deux pays de pouvoir aller étudier plus facilement là où elles le souhaitent ; à ceux qui veulent aller rendre visite à leurs familles de mieux pouvoir le faire ; aux entrepreneurs, aux hommes d'affaires, aux chercheurs de circuler plus librement ; mais elle permettrait aussi de mieux lutter ensemble contre une immigration clandestine, ou de définir ensemble les incitations à mettre en place pour que l'élite de la jeunesse algérienne formée dans les écoles et les universités françaises soit encouragée à revenir en Algérie, parce que l'Algérie a besoin de l'intelligence, des compétences, de l'énergie et de l'imagination de ses jeunes élites.
Mais l'amitié, c'est la jeunesse qui la fera vivre.
Cette amitié, Abdelaziz, les gouvernants peuvent en faire le principe de leurs politiques mais, en fin de compte, cette amitié sera l'œuvre de la jeunesse algérienne et de la jeunesse française.
Puissent-elles, l'une et l'autre, comme la jeunesse française et la jeunesse allemande quand il s'est agi pour nos deux vieux pays si longtemps ennemis de se tourner vers l'avenir, puissent-elles se rapprocher, se connaître mieux, se lier davantage.
Les jeunesses de nos deux pays ont ceci en commun que se pose à elles avec insistance l'angoissante question de leur avenir. Je voudrais que pour une partie au moins nous y répondions ensemble.
C'est pourquoi j'ai proposé au Président Bouteflika de réfléchir à la création d'une université commune franco-algérienne.
Ce sera l'objectif aussi des pôles d'excellence communs composés d'universitaires, de chercheurs et de techniciens de nos deux pays que nous allons mettre en place dans la médecine, dans la microbiologie, dans l'eau, dans les énergies renouvelables ou les risques majeurs...
La France apportera son concours à la réforme des écoles d'ingénieurs qui va être mise en œuvre par le gouvernement algérien. La France continuera d'accueillir encore plus d'étudiants algériens dans ses écoles et dans ses universités.
Mais le plus important peut-être serait pour que les jeunesses de nos deux pays se lient davantage, que nous puissions un jour, Abdelaziz, créer une institution commune franco-algérienne de la jeunesse.
Elle permettrait de faciliter les échanges d'écoliers, de lycéens, d'étudiants, de sportifs, d'organiser des événements, des rencontres.
Elle pourrait servir de préfiguration à d'autres institutions du même genre autour de la Méditerranée et peut-être même à une institution méditerranéenne de la jeunesse qui pourrait s'inspirer de ce qui se fait déjà au sein de l'Union européenne entre tous les pays membres avec le programme Eurasmus.
Jeunes d'Algérie, depuis bien longtemps nos deux pays se mélangent. Depuis longtemps ce ne sont plus deux pays étrangers l'un à l'autre.
Beaucoup d'entre vous apprennent le français et beaucoup d'entre vous rêvent de venir en France.
Il reste en Algérie 28 000 anciens combattants de la Seconde Guerre Mondiale qui se sont battus pour la libération de la France et envers qui la France a une dette éternelle. La France n'oubliera jamais ce qu'ont fait les Algériens pour sa libération.
La plupart des Algériens ont un membre de leur famille qui vit en France.
Il y a en France presque un million d'Algériens officiellement enregistrés dont près de la moitié a la double nationalité.
Des centaines de milliers de Français sont nés en Algérie.
Cette imbrication de nos deux peuples nous crée un devoir, un devoir de solidarité appelé à devenir toujours plus fort.
Cette solidarité, nous devons la refonder sur l'amitié et sur la confiance.
A la France, il appartient de repenser son modèle d'intégration.
A l'Algérie, il appartient de décider ce qu'elle veut faire avec la France et comment elle veut le faire.
A chacun de nos deux pays, il appartient de respecter la mémoire de l'autre, et sans rien oublier, de regarder vers l'avenir.
A chacun de nos deux pays, il appartient de promouvoir la meilleure part de lui-même, la plus ouverte, la plus humaniste, la plus tolérante, sans renoncer à ce qu'il est.
Après bien des détours et des ruses de l'Histoire, la France et l'Algérie se trouvent en même temps confrontées au même défi. La France et l'Algérie ont besoin l'une et l'autre d'une nouvelle Renaissance. La France et l'Algérie ont besoin l'une et l'autre d'une politique de civilisation qui ne produise pas seulement des progrès matériels mais qui produise aussi des valeurs, qui produise aussi de l'identité, qui produise aussi une espérance, qui produise de la qualité et pas seulement de la quantité.
Je veux lancer ici à Constantine un appel pressant à l'Occident pour qu'il se dépouille de toute volonté de domination et qu'il cesse de croire, qu'il est à lui seul toute la civilisation mondiale.
Je veux lancer le même appel pressant à tous ceux qui se reconnaissent dans un Islam de progrès pour qu'il défende l'égalité de l'homme et de la femme, pour qu'il défende les droits de l'Homme, pour qu'il défende le respect de la diversité, parce que ces principes, ces valeurs lui appartiennent aussi.
Je lance un appel à cet Islam de progrès pour qu'il reconnaisse au peuple d'Israël qui a tant souffert le droit de vivre libre.
Je lance un appel au peuple d'Israël pour qu'il n'inflige pas au peuple palestinien la même injustice que celle qu'il a subie lui-même pendant tant de siècles.
Je lance un appel aux dirigeants du peuple israélien et du peuple palestinien pour qu'ils saisissent la paix qui est aujourd'hui à portée de leurs mains s'ils savent se montrer capables de surmonter la haine qui se nourrit du souvenir de leurs malheurs respectifs.
Je lance un appel à tous les peuples de la Méditerranée pour qu'ils s'unissent et que dans cette union ils mettent toute leur énergie et toutes leurs forces au lieu de les mettre à se combattre, et à se détester. Il n'y a pas d'avenir dans la haine.
Et à vous, jeunes d'Algérie, je veux lancer un message d'amitié et de confiance. Faites vôtre ce rand rêve méditerranéen de fraternité qui attend depuis des siècles qu'une jeunesse ardente s'en empare et avec votre intelligence, avec votre vitalité, avec votre imagination vous changerez l'Algérie, vous changerez le monde.
Vive l'Algérie !
Vive la France