DISCOURS DE NICOLAS SARKOZY
A L'OCCASION DU DEJEUNER D'ETAT OFFERT PAR M. ABDELAZIZ BOUTEFLIKA
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE ALGERIENNE DEMOCRATIQUE ET POPULAIRE
           
 

Alger - Palais du Peuple Mardi 4 décembre 2007

Monsieur le Président de la République,
C'est avec une grande joie que je retrouve l'Algérie. Permettez-moi de vous remercier pour la chaleur et la qualité de l'accueil que vous nous avez réservé, ainsi que pour les paroles si amicales que vous venez de prononcer.
Depuis le jour de mon élection, j'ai souhaité faire du renouveau de la relation entre nos deux pays une priorité de mon action. J'effectue ci l'une de mes premières visites d'Etat dans le monde, et c'est déjà la seconde fois que je me rends dans votre beau pays depuis mon élection, il y a six mois.
La géographie et l'histoire ont tissé entre nos deux pays et nos deux peuples des liens sans pareil, parfois dans le drame et parfois dans la violence, mais aussi heureusement, et c'est le cas aujourd'hui, dans l'empathie et même la passion. Marchant dans Tipaza ce matin, revenait à ma mémoire ce qu'écrivait l'enfant de Mondovi, le fils de Belcourt, Albert Camus : « Je ne connais qu'un devoir, c'est celui d'aimer ». Des heures ne suffiraient pas à dire tout à la fois le métissage et la confrontation de nos deux univers.

Tant d'écrivains, de musiciens, de philosophes, d'architectes, nés sur une rive ou sur l'autre, ont navigué de l'une à l'autre pour nourrir leur création ! Du peintre Dinet, qui avait trouvé à Bou Saada le lieu de sa foi et de son art, à Baya qu 'Aimé Maeght conduisit à Vallauris où elle croisa Picasso, des musiciens d'hier Saint Saens composant à Alger ses plus beaux opéras- ou d'aujourd'hui Cheb Khaled, Cheb Faudel et tant d'autres, nos cultures se sont enrichies l'une l'autre. Je veux l'affirmer ici, l'Algérie n'est pas étrangère à la France et la France n'est pas étrangère à l'Algérie.
Depuis l'indépendance de l'Algérie, nos deux pays ont entrepris de bâtir une relation enfin dégagée de l'injustice profonde du système colonial. Vous avez vous-même combattu ce système, qui était contraire aux valeurs fondatrices de la République française, comme l'avait si éloquemment exprimé Ferhat Abbas. Pour notre part, nous sommes prêts à regarder en face cette partie de notre histoire et à la considérer sans tabou, y compris dans ce qu'elle a de plus sombre. Et de même que je souhaite rendre hommage au sacrifice des dizaines de milliers d'Algériens tombés lors de deux guerres mondiales, je veux saluer la mémoire de toutes les victimes de la guerre d'Algérie, civiles et militaires. Et il est également juste de ne pas oublier le million d'hommes et de femmes qui furent contraints d'abandonner la terre où ils avaient vécue, travaillés, où beaucoup d'entre eux étaient nés et qu'ils aimaient. Je sais l'accueil chaleureux qu'ils trouvent lorsqu'ils reviennent au pays. Cela doit être dit et je veux en remercier le peuple algérien.
Votre histoire a connu d'autres souffrances et je souhaite exprimer la solidarité de la France avec les victimes du terrorisme le plus barbare qui frappa votre pays dans les années 90. Je pense aux policiers, aux militaires, aux gendarmes qui sont tombés en accomplissant leur devoir, je pense aux simples citoyens je pense aux intellectuels, je pense aux artistes lâchement assassinés, de Tahar Djaout, le poète et romancier de « l'invention du désert » au chanteur Matoub Lounès. Cette violence aveugle qui vous a frappé, a également frappé la France sur son propre territoire, comme à travers ses ressortissants qui vivaient ici, qui travaillaient avec vous, à vos côtés.
L'Algérie a su rester debout face à la barbarie terroriste. L'Algérie a su résister avec courage, souvent seule et incomprise de ceux qui sous-estimaient le danger. Monsieur le Président, vous savez que je n'ai jamais été de ceux-là. Eh bien sachez aujourd'hui que vos ennemis sont nos ennemis. Je veux vous dire tout le respect et l'admiration que j'ai pour le courage du peuple algérien tout entier. La France est et sera à vos côtés comme nous savons que vous êtes aux nôtres dans la lutte contre ce terrorisme qui rappelle les comportements les plus moyenâgeux.

Monsieur le Président,

Lors de ma précédente visite, en juillet dernier, vous m'aviez demandé d'aider l'Algérie à entrer dans le club des pays émergents. Oui, la France doit vous y aider. C'est dans notre intérêt commun, car nos destins sont liés. Parce que si la rive Sud de la Méditerranée ne réussit pas son décollage économique, comment la rive Nord pourrait-elle vivre dans la sécurité ? Votre prospérité est notre prospérité, votre sécurité est notre sécurité, vos espoirs seront les nôtres, vos déceptions seront les nôtres aussi. Nos destins sont liés.
Nous avons une ardente obligation de bâtir ensemble un avenir partagé. Nos deux peuples l'exigent et l'attendent. Je vous propose de refonder notre relation, autour d'un triptyque : former, investir, échanger.
Former, rien n'est plus important que de donner à un peuple les moyens d'assurer son développement. Tel est le principal objectif de la nouvelle Convention de partenariat, texte unique en son genre, que nous venons de signer. J'aurai la joie de rencontrer demain, à Constantine, et j'attends ce moment avec impatience,- des étudiants pour leur dire toute l'importance que nous attachons, vous et moi, à leur avenir en Algérie.
Former c'est aussi renforcer l'enseignement de la langue française dans votre système éducatif. La langue française : héritage ou « butin de guerre », comme le disait Kateb Yacine, la langue française appartient à ceux qui la parlent. L'essentiel est que nous en fassions, tous ensemble, un instrument de partage et un instrument de progrès. Vous y avez vous-même puissamment et courageusement contribué, vous qui n'avez rien à prouver à quiconque en termes d'attachement à l'identité arabe et islamique de votre pays.
Investir. Les entreprises françaises le font. Eh bien, nous allons, ensemble, les inciter, les aider à passer à une autre échelle. Les entreprises françaises en ont l'ambition. Donnons leur le coup de main nécessaire ! L'énergie est un élément structurant de la relation entre nos deux pays. Là aussi, investissons, bâtissons pour l'avenir. Les signatures auxquelles nous avons présidé ce matin dans les domaines du gaz et du nucléaire renforcent les liens désormais indissolubles qui existent entre nos deux pays et préparent l'après pétrole pour les générations futures.
Enfin, échanger. Echanger entre nos deux peuples, car c'est bien la dimension humaine de notre partenariat d'exception. Des millions de Français ont un lien personnel avec l'Algérie et des millions d'Algériens connaissent la France. La communauté algérienne en France est la plus importante communauté étrangère présente sur notre sol. J'attache, comme vous, une très grande importance à la circulation des personnes. Des progrès ont été faits, et bien poursuivons les et approfondissons les de part et d'autre. Les Algériens veulent venir en France. Ils pensent que c'est trop long et trop complexe. Mais il y a des Français qui veulent venir en Algérie. Ils pensent aussi que c'est trop long et trop complexe. Soyez convaincu de ma volonté de tout mettre en œuvre pour améliorer la circulation des personnes entre les deux rives de la Méditerranée. Loin d'être incompatible avec notre volonté commune de lutter contre l'immigration clandestine, elle ne peut que bénéficier de notre coopération confiante dans ce domaine. Nous voulons la circulation des personnes et nous voulons une lutte sans merci contre l'immigration.

Monsieur le Président,
C'est ensemble, par la nouvelle vigueur de leur concertation politique, que la France et l'Algérie pourront le mieux contribuer au règlement des principales crises régionales.
Les conflits du Proche-Orient restent au cœur des inquiétudes et des frustrations des opinions publiques dans notre région commune. Après la conférence d'Annapolis, nous devons continuer à peser de tout notre poids, Français et Algériens, pour aider à la relance d'une véritable dynamique de paix qui permette au peuple palestinien de réaliser son droit à un Etat indépendant et à Israël d'exercer son droit à la sécurité. La France est heureuse d'accueillir à Paris, le 17 décembre, la Conférence des donateurs au peuple palestinien. Je ferai tout pour qu'elle soit un très grand succès.
 
Au Liban, l'élection d'un nouveau Président constitue une première étape indispensable en vue du règlement de la crise. La communauté internationale doit continuer à unir ses efforts pour aider ce pays ami à rester un modèle de diversité, d'ouverture et de démocratie au Proche-Orient. La diversité est un impératif en France. La diversité est un impératif dans chacun des pays du monde.
De même devons nous agir ensemble pour sortir de la crise née du refus de l'Iran d'appliquer les résolutions du Conseil de sécurité et de l'AIEA sur le nucléaire. Je suis convaincu que l'Algérie peut, comme il l'a déjà fait dans le passé, apporter sa contribution et faire entendre aux autorités iraniennes que la paix serait en péril si elles poursuivaient leur politique du bord du gouffre.
Enfin, s'agissant du Sahara occidental, je me réjouis de la nouvelle dynamique à l'œuvre avec la tenue de rencontres directes entre les parties, sous l'égide des Nations Unies, conformément aux résolutions 1754 et 1783 du Conseil de sécurité. Avec l'appui de tous les pays de la région qui ont une influence sur cette question, au premier rang desquels l'Algérie, la France espère qu'une solution durable, réaliste, acceptable par toutes les parties pourra être trouvée sur ce dossier qui a empoisonné les relations entre les pays du Maghreb depuis trois décennies.
Monsieur le Président, cher Abdelaziz, j'ai évoqué Tipaza la méditerranéenne, là où les « chemins de pierre sèche (...) cheminent parmi les lentisques et les genêts » vers une « mer sans ride ». Je voudrais conclure sur cet espace fondateur de nos espoirs communs : la Méditerranée. Je porte le projet d'Union de la Méditerranée, car c'est autour de notre mer commune que se retrouvent l'ensemble des défis que j'ai évoqués : le développement durable, la croissance, la sécurité, l'éducation, la paix. Nous réussirons en Méditerranée ou nous échouerons en Méditerranée. Et ce projet, Cher Abdelaziz, je veux le porter avec vous, autour de projets concrets, touchant à la vie quotidienne de nos citoyens. Ensemble, faisons de la Méditerranée la mer la plus propre du monde ; ensemble, rapprochons les jeunes de nos pays ; ensemble, encourageons la circulation des talents, ensemble, aidons à la création d'entreprises et d'emplois. J'invite l'Algérie, Monsieur le Président, à être le moteur de cette initiative méditerranéenne.
Monsieur le Président, en vous remerciant à nouveau pour cet accueil exceptionnel qui s'inscrit dans la grande tradition d'hospitalité de l'Algérie, vous me permettrez de former les vœux les plus chaleureux d'abord pour vous même, Cher Abdelaziz, ensuite pour le peuple algérien, un peuple ami et enfin pour le partenariat d'exception entre nos deux pays.
Mesdames et Messieurs,
Vive l'Algérie ! Vive la France !